Les enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina
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- Jules Thibault
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3 Les enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina
4 id L'Harmattan, , rue de l'ecole polytechnique; Paris d iffusion.harmattan@wanadoo.fr ISBN: EAN :
5 Hugo Lefebvre Les enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina L'Harmattan
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7 Remerciements Je tiens à remercier Frederick Douzet et Béatrice Giblin, pour l'aide et la confiance qu'elles m'ont accordées ainsi que Virginie Sumpf pour la relecture de mon manuscrit. A ma mère, à Etienne, à mon père et Amina pour leur soutien moral et financier; à Besa, pour son soutien et ses encouragements; à Julien, pour ses encouragements et ses conseils; à Germain pour ses relectures, son aide et ses remarques; à Françoise, pour son aide, ses relectures et ses corrections.
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9 Sommaire 1ntrod u ction. 13 A1éthodologie..16 Chapitre I. Le contexte de la reconstruction 19 La Nouvelle-Orléans qq.qq. q 19 Situation historique et géographique de la Nouvelle-Orléans..19 La Nouvelle-Orléans avant l'ouragan Katrina 27 Présentation des différents quartiers de la Nouvelle-Orléans....3D Le sud et l'ouest de la ville 30 Le nord de la ville, de Lakeview à New Orleans East. 32 Le centre et l'est, très majoritairement peuplés de Noirs aux revenus globalement faibles. 34 La catastrophe et ses conséquences...35 Une discrimination dans l'aide et dans l'information :) q qq. q Les secours et le retard de leur intervention vus par la presse américaine Le traitement de l'information. 44 Les représentations sur la Nouvelle-Orléans.48 Les inégalités raciales révélées et exposées parl'ouragan Katrina.53 Chapitre Il. Les débuts de l'organisation de la reconstruction 61 Les enjeux ethniques et culturels de la reconstruction.62 Les instigateurs du processus de reconstruction..q.65 L'intervention de Ray Nagin 65 La commission Bring New Orleans Back et l'urban Land Institute 67 Les associations, acteurs majeurs 69 La réorientation du processus de reconstruction...q..q.. 7J Une organisation axée sur les quartiers 72 Un processus de reconstruction qui manque sérieusement de clarté 75 Le retour à une organisation plus centralisée 76
10 Un processus de reconstruction ponctué par des conflits 79 Les oppositions aux plans de la BNOB 79 Le choix des espaces à reconstruire et les enjeux qui y sont liés. 85 Des conflits liés à des opérations financières 88 Chapitre III. Les inégalités sociales et spatiales dans la reco nstructi 0n Un découpage favorisant les inégalités 95 Des quartiers plus ou moins impliqués dans le processus de reconstruction Des disparités socio-économiques aux disparités spatiales 101 Des chiffres apparemment peu fiables 102 L'évolution de la participation des habitants aux Community Congress. 107 L'inégalité dans la participation à la reconstruction. I 'exemple de deux quartiers noirs I 10 Une mobilisation à différents degrés dans les quartiers noirs. 110 Quelles conséquences sur la reconstruction? 113 Chapitre IV. Hypothèses sur l'avenir de la Nouvelle-Orléans L 'avenir à court terme de la Nouvelle-Orléans Les facteurs susceptibles d'intervenir dans la vitesse de la reconstruction 120 Cette situation est-elle la conséquence d'une stratégie de certains acteurs? 125 L'éloignement des plus pauvres en raison de la fermeture de logements sociaux 127 La situation deux ans après l'ouragan 130 La Nouvelle-Orléans (re)deviendra-i-elle hispanique :)... /37 Les raisons de J'arrivée des Latinos à la Nouvelle-Orléans 137 Différents conflits potentiels entre groupes ethniques 140 Conclusion 145 Bibliogra ph ie 147 ID
11 Cartes CarteI Taux d'afro-américains en Louisiane par PUMA en Carte 2 Situation de la Nouvelle-Orléans par rapport au réseau hydrographique de la Louisiane. 25 Carte 3 Taux d'afro-américains à la Nouvelle-Orléans et dans ses environs.. 57 Carte 4 Infill areas et planning districts à la Nouvelle-Orléans. 84 Carte 5 Part des logements loués parmi les logements occupés en 2000, par Census tract et à la Nouvelle-Orléans. 87 Carte 6 Les quartiers et les Planning Districts à la Nouvelle-Orléans 93 Carte 7 Espaces inondés et population participant au Community Congress /I par quartier, avant la modification 105 Carte 8 Espaces inondés et population participant au Community Congress /I par quartier, après modification des chiffres ] 06 Carte 9 Espaces inondés et population participant au Community Congress /II par quartier. 108 Carte 10 Taux de logements inoccupés en %, à la Nouvelle-Orléans et en Carte II Variation du nombre de foyers entre juillet 2005 et juillet Carte] 2 Taux de variation du nombre de foyers entre août 2006 et jui llet Carte 13 Taux d'afro-américains par comté en 2005 aux États-Unis.1 Carte 14 Dommages structuraux présentés sur le site Internet de l'unop 11 Carte 15 Taux de population vivant sous le seuil de pauvreté aux États-Unis, par comté et en /1 Carte 16 Espaces inondés et taux d'afro-américains à la Nouvelle- Orléans 1V Carte 17 Maisons nettoyées par l' ACORN V Carte 18 Part des principaux groupes ethniques et revenus à la Nouvelle-Orléans par Census tract et en 2000 VI Carte 19 Demande de permis de démolir par mois à la Nouvelle- Orléans V1I Carte 20 Taux de population hispanique par comté aux États-Unis en V III Il
12 Illustrations Illustration I G.W. Bush observant les dégâts causés par l'ouragan..42 Illustration 2 Photographies AFP et AP.4 Illustration 3 Pancarte distribuée par I.ACORN 112 Illustration 4 Logements temporaires 133 Tableaux Tableau 1 Part des quartiers parmi les participants. dans la ville avant l'ouragan et rapport entre les deux. première version. 103 Tableau 2 Part des quartiers parmi les participants avant "ouragan et rapport entre les deux, deuxième version. 104 Schémas Schéma I Situation de la Nouvelle-Orléans par rapport à son réseau hydrograph igue.. 26 Schéma 2 Fonctionnement d'une onde de tempête. 37 Schéma 3 organisation des acteurs de la reconstruction de la Nouvelle- Or Iéan s
13 Introduction Le 30 août 2005, la ville de la Nouvelle-Orléans est frappée par l'ouragan Katrina. Son arrivée est anticipée depuis plus de 24 heures. La tempête est déjà passée au-dessus de la Floride et a causé plus de sept morts I. Néanmoi ns, lorsqu'elle s'approche de la Nouvelle-Orléans, Katrina est désormais passée à la catégorie 5 sur "échelle de Saffir-Simpson. ce qui correspond à des vents supérieurs à 250 km/il et à la plus forte classe d'ouragan. Par chance, sa trajectoire est légèrement déviée, et!'ouragan ne frappe pas la Nouvelle-Orléans de plein fouet. Les dégâts sont donc dans un premier temps relativement limités et ne concernent que ceux causés par les vents. Vers 9hOO heure locale, les digues retenant les eaux des canaux reiiés au lac Pontchartrain cèdent. L' inondation est donc, par certains endroits, brutale et concerne près de 80 % de la ville. Les images diffusées par les médias choquent une partie de!'opinion publique mondiale, en particulier parce que la population, pauvre, semb!e livrée à elle-même. La question de l'inégalité raciale se place rapidement au centre des débats, notamment du fait de la surreprésentation des Afro-Américains parmi les «évacués»2. Ce terme a par ailleurs remplacé celui de «réfitgiés», les personnes déplacées insistant sur le fait qu'elles sont américaines, bien qu'elles soient pauvres et noires. Quelques jours après le passage de Katrina, il est déjà question de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. Dans un discours prononcé dans la ville, à Jackson Square, le président des États-Unis, G. W. Bush, déclare: «Nous allonsfaire ce qui doit être /àit et rester aussi longtemps que nécessaire pour 1 Libération, 29 août 2005, «La Nouvelle-Orléans se vide avant l'ouragan», Pascal Riche. 1 New York Times, 4 septembre "Broken Levees. Unbroken Barriers" et 12 décembre 2005: "Evacuees Of Hurricane Katrina Resettle Along A Racial Divide"
14 aider les citoyens à reconstruire leur communauté et leurs. I vies». Cependant, les différents groupes sociaux et ethniques n'ont apparemment ni les mêmes intérêts dans la ville, et cherchent à tirer parti de la reconstruction pour faire de la Nouvelle-Orléans la cité qu'ils désirent, avec des objectifs parfois divergents, ni les mêmes capacités d'organisation collective et d'investissement dans la reconstruction. Les Noirs, dont les quartiers ont par ailleurs été davantage touchés par l'inondation que ceux des Blancs, semblent éprouver plus de difficultés pour revenir habiter à la Nouvelle- Orléans, notamment pour des raisons économiques. Cependant, la population désire majoritairement maintenir la diversité ethnique de la ville, et indique dans une enquête réalisée par l'unop (Unified New Orleans Plan) que cet enjeu fait partie de ses principales préoccupations2. Les représentations développées au sujet de la ville sont centrales dans les enjeux de la reconstruction. Certains Blancs, de la Nouvelle-Orléans ou des États-Unis d'une manière générale, ont une représentation négative de la ville et de la population qui la compose. Ils sont soupçonnés par des personnalités (Stanley Greene, photographe, par exemple) de tenter de faire des futurs plans de la cité un moyen de la nettoyer, en ne permettant l'installation que des populations riches. Les Noirs sont, en revanche, attachés à la Nouvelle- Orléans pour des raisons historiques et culturelles~, mais leur part dans la population s'est effondrée depuis le passage de l'ouragan. La reconstruction de la Nouvelle-Orléans comprend donc des enjeux importants, en termes culturels, idéologiques et économiques. Ces derniers sont généralement différents selon les groupes ethniques ou sociaux. I Extrait du discours du ] 5 septembre 2005, à Jackson Square, N.-0. et cité par le rapport final de «Bring New Orleans Back». 2 Enquête réalisée dans le cadre du Comlllunity Congress (<<Congrès» organisé par l'unop afin de connaître l'avis et les désirs de la population en ce qui concerne les plans de reconstruction de la Nouvelle-Orléans ). ] New York Times, 4 septembre 2005, Anne Rice, "Do You Know What It lv/eans to Lose New Or/eans.? " 14
15 De plus, au delà des conflits entre groupes ethniques se pose la question des manœuvres des entreprises pouvant chercher à tirer profit de la reconstruction, au détriment de certaines populations, notamment dans le quartier du Lower Ninth Ward et de Tremé. Deux ans après le passage de l'ouragan, les quartiers les plus touchés par l'inondation ne sont, pour la plupart, toujours pas reconstruits, et l'importance de la population reste très inférieure à son niveau de Les enjeux de la reconstruction conduisent ainsi à des conflits de pouvoir entre les différents acteurs politiques et les différents groupes de citoyens. Les promoteurs ont en effet des intérêts financiers dans la reconstruction, de la même manière que certains habitants, qui pourront bénéficier de l'augmentation des prix de l'immobilier et des loyers pour s'enrichir. Ceci vient en contradiction avec la volonté des Noirs, en moyenne plus pauvres, qui cherchent à se réinstaller sur place, dans des logements devenus inaccessibles en raison de l'augmentation des loyers. L'arrivée des Hispaniques, pratiquement absents de la ville avant l'ouragan, peut également entraîner des rival ités entre cette minorité et les Afro-Américains, aussi bien au niveau local qu'à l'échelle de l'état puisque la population d'origine hispanique est d'ores et déjà devenue la minorité la plus importante aux États-Unis, devant les Afro-Américains depuis Les migrants clandestins affluent notamment du Mexique et ils sont environ douze millions aux États-Unis. Ils servent de main-d'œuvre bon marché pour les entreprises américaines en général et dans la reconstruction de la Nouvelle-Orléans en particulier. Ils entrent donc en concurrence avec les Afro- Américains pour les emplois peu qualifiés. I D'après les estimations, en octobre 2006, la Nouvelle-Orléans ne comptait plus que habitants, contre près de avant l'ouragan (Community Survey 2005, census bureau). Source: New York Times, 7 octobre 2006, "New Orleans Population Is Reduced Nearly 60%". 2 Denis Lacorne, «Les Ftats-Unis», in Introduction E pluribus Unum, Fayard,
16 L'organisation de la reconstruction de la vi I]e s'est tàite dans un premier temps sous ]a forme de plans, dont les applications ont été variables. Que cachent-ils et cherchent-ils à modifier la composition ethnique et sociale de la ville? Les Noirs sont-ils exclus de la ville par leur plus faible capacité de mobilisation collective? Différentes questions apparaissent essentielles dans la reconstruction de la vi lie. La Nouvelle-Orléans peut-elle rester une ville afroaméricaine? Quels sont les autres enjeux qui sont Iiés à cet élément? Comment s'organise ]a reconstruction de la ville, quels en sont les acteurs, quels rôles jouent-ils, quels sont leurs pouvoirs? Quels sont les objectifs de ces mêmes acteurs, et comment agissent-ils pour les atteindre? Les acteurs de ]a reconstruction de la Nouvelle-Orléans ne sont en effet pas neutres, y compris lorsqu'ils sont censés agir pour le bien collectif. Leurs intérêts économiques, politiques et idéologiques sont parfois divergents, ce qui peut engendrer des conflits de pouvoir se répercutant sur la reconstruction. Leurs représentations orientent parfois leurs choix. J'analyserai dans un premier temps les enjeux de la reconstruction de ]a Nouvelle-Orléans, avant d'exposer les mécanismes du processus de reconstruction et le rôle des différents acteurs. Je montrerai ensuite comment les inégalités raciales et socio-spatiales engendrent des disparités dans la représentation de certains groupes dans le processus de reconstruction. Bien que l'ouragan ait frappé il y a plus de deux ans, la reconstruction est très loin d'être achevée, mais certaines tendances peuvent être dégagées. J'analyserai donc enfin les enjeux futurs de la Nouvelle-Orléans post-katrina. Méthodologie Si l'étude porte sur un territoire relativement limité, puisque considérant essentiellement la ville de la Nouvelle- Orléans, certains aspects sont dépendants de phénomènes qui jouent à différentes échelles, impliquant, dans certains cas, une ]6
17 approche multiscalaire des enjeux de la reconstruction de la Nouvelle-Orléans. L'ouragan Katrina a été en réal ité le second coup violent porté à l'administration républicaine, avec à sa tète le Président des États-Unis, Georges W. Bush, après le II septembre. Ce dernier a en effet été longuement critiqué pour ne pas avoir réagi rapidement à la catastrophe. Sa gestion de la crise est apparue catastrophique et il n'a pas pu apparaître comme le symbole d'une nation unie. La question de l'immigration hispanique, toute récente à la Nouvelle-Orléans, s'inscrit également dans un contexte national particulièrement prégnant, et dont les enjeux se placent au niveau local (quartier latino dans une ville), régional (frontière États-Unis Mexique), national (question de la langue anglaise, en recul face à l'espagnol), et micro-local (lutte pour une rue entre un gang hispanique et un gang afro-américain, par exem pie). D'autre part, la structure fédérale des États-Unis d'amérique implique que certains acteurs agissent à différentes échelles: la FEMA (Federal Emergency Management Agency) agit au niveau fédéral; la LRA (Louisiana Recovery Authority) au niveau de l'état; la City Planning Comm ission, au niveau de la Nouvelle-Orléans, les «District Teams» au niveau du quartier ou du district. Grâce à un travail de terrain de plusieurs semaines, j'ai pu rencontrer les acteurs de la reconstruction et mener des entretiens semi-qualitatifs. Autre élément essentiel: je n'ai disposé que de très peu de recul pour mener mon travail de recherche.1 Des quotidiens tels que Ie New York Times, Ie Washington Post, Ie Houston Chronicle et le Time Picayune (quotidien local de la Nouvelle- Orléans) m'ont permis d'aborder un sujet dont "évolution est constante, puisque la reconstruction est à ce jour encore loin d'ètre achevée. Les statistiques employées dans ce travail proviennent généralement du site officiel du bureau du recensement américain, et à défaut d'ètre toutes récentes (2000, pour celles à l'échelle de census tracts) sont généralement extrèmement I La bibliographie étant extrêmement limitée. 17
18 fines. Elles servent de base à mon travail de cartographie qui comprend également des données qualitatives: espaces inondés, réseau hydrographique. Les termes de race et de groupes ethniques renvoient à la classification du bureau du recensement américain. Ils sont incontournables pour traiter des sujets de société aux États-Unis car ils sont utilisés par la population elle-même pour s'autoidentifier et véhiculent des représentations lourdes de sens. 18
19 Chapitre I. Le reconstruction contexte de la Les représentations sur cette cité sont très nom breuses, et orientent largement les choix dans la reconstruction. Les Afro- Américains ont d'emblée été présentés comme les principales victimes et attendent beaucoup de la reconstruction, notamment parce qu'ils ont le sentiment d'avoir été la population la plus touchée par la catastrophe d'autant que l'ouragan a brutalement exposé la pauvreté des Noirs du sud des États-Unis et mis en exergue le mépris dont le pouvoir a fait preuve à leur égard. La Nouvelle-Orléans Situation historique et géographique de la Nouvelle-Orléans. Si la destruction de la ville est due à une catastrophe naturelle, cette dernière ne doit rien au hasard, car différents éléments ont conduit à aggraver l'impact de l'ouragan. Par conséquent, pour comprendre la reconstruction, il est nécessaire d'appréhender en premier lieu les raisons qui ont conduit à une telle destruction, en particul ier celles liées au mil ieu naturel dans lequel se situe la ville et à son aménagement dans le cadre de la croissance urbaine de la Nouvelle-Orléans. La situation géographique de la ville de la Nouvelle- Orléans est particulièrement délicate: le milieu dans lequel la cité est installée lui procure certes de nombreux avantages, mais les risques liés au climat et au relief sont importants. Une brève étude de la situation historique et géographique de la cité permet d'en comprendre les principaux éléments. La Nouvelle-Orléans est située dans l'état de la Louisiane, dans le sud des États-Unis d'amérique. Cette ville a été fondée en 1718 par Jean Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, chargé par Philippe d'orléans, frère de louis XIV qui accède à la régence après la mort de celui-ci, de coloniser le Nouveau Monde.
20 Positionnée sur la rive gauche d'un méandre du Mississippi, la ville servait de porte d'entrée pour le sud du continent nord-américain. Son emplacement lui a donné son surnom de «Crescent City»: la ville avait la forme d'un croissant' en raison de sa position sur un méandre, aspect qu'elle a par la suite perdu avec son développement dans les zones basses, grâce à l'assèchement des marais. Son emplacement sur le Mississippi a été choisi par le Sieur de Bienville, qui créa d'ailleurs les premiers plans de la ville. La croissance urbaine de la Nouvelle-Orléans est ensuite portée par un promoteur immobilier (un des premiers de toute l'amérique du Nord), John Law. Ce dernier fait la publicité de la ville, mais exagère largement sa taille, en faisant croire qu'elle est aussi grande que Paris, alors qu'elle n'abrite que 2000 habitants. En 1764, la ville n'est toujours pas un pôle majeur en Louisiane. Elle est cependant nommée capitale de l'état2. Ses activités économiques sont essentiellement portées sur l'agriculture, avec, dès cette époque, le coton, sur les rives du Mississippi. Comme au Québec le long du Saint Laurent, les parcelles sont constituées en «lattes de parquet» perpendiculaires aux rives du fleuve. Cette structure foncière héritée de l'occupation française est par ailleurs encore visible par image satellite3, en particulier à l'ouest de la ville." La croissance urbaine va en réalité décoller au début du XIXe siècle, suite au rachat de la Louisiane par la confédération des États-Unis d'amérique. L'aménagement restera néanmoins proche de celui pratiqué par les Français, notamment avec la conservation des squares urbains, typiques de villes coloniales européennes en Amérique.5 L'atout initial que lui confère sa position est toujours de mise aujourd'hui: le port de la Nouvelle-Orléans est l'un des plus importants des États-Unis d'amérique, notamment en ce I croissant, «crescent» en anglais. 2 Ce qu'elle n'est plus actuellement, la capitale étant Baton Rouge. J Sur Google Earth, par exemple. 4 Source: John REPS; La vi//e américaine, fondation et pm/et; Bruxelles; Edition Architecture + Recherche/ Pierre Mardaga. 5 ibid 20
21 qui concerne le transfert de matières premières, dont l'importation de pétrole et l'expotiation de céréales. Le port en eaux profondes permet par ai lieurs aux pétrol iers de transférer rapidement leurs cargaisons, retraitées ensuite dans les usines chimiques situées le long du fleuve. Le Mississippi est donc aménagé de telle sorte qu'il reste navigable jusqu'à la ville d'oklahoma city, permettant un transport efficace vers un très vaste hinterland, avec un accès à près de km de réseaux navigables. Cela ne sera pas sans conséquence, puisque la salinisation des marais, par l'entrée d'eau de mer provenant des canaux reliant le fleuve à l'océan, a entraîné la destruction de l'équilibre biologique de ces derniers. De ce fait, la végétation qui formait un obstacle aux éventuelles augmentations du niveau de l'eau, n'a pas pu s'interposer aux vagues, en particulier au nord-est de la vi lie i. On voit donc pourquoi, en dépit d'une situation topographique relativement délicate, la Nouvelle-Orléans s'est développée et a réussi à tirer parti de son environnement. Les activités économiques de la ville ne se sont cependant pas limitées à la fonction portuaire: la culture du coton tenait jusqu'au début du XXe siècle une place très importante dans l'économie régionale. Cette activité, nécessitant beaucoup de main-d'œuvre, a été le fruit du travail de nombreux esclaves, amenés d'afrique pour être exploités dans les plantations des riches propriétaires blancs. C'est donc la raison pour laq uelle le pourcentage d'afro-américains est élevé dans le sud des États- Unis et en Louisiane en particulier. Après l'abolition de l'esclavage en 1865, un certain nombre de Noirs désormais libres quitta la Louisiane pour s'installer dans les États du nord. Cependant, une majorité des anciens esclaves resta sur place, comme en témoignent les taux de populations noires particulièrement élevés en Louisiane ainsi que dans le reste du sud-est des États-Unis (voir Carte 13 p.i). Une seconde migration de la population afro-américaine s'est produite entre , période durant laquelle une part importante de la population noire est partie chercher du travail t Thomas Cadoul, «La vulnérabilité de la Nouvelle-Orléans.' bref bilan de la reconstruction en cours». 21
22 dans les usines installées dans les États du nord-est, dans des villes telles que Détroit ou New Yorkl. Arkansas Mississippi Taux d'afro-américains en pourcent en II De 54,1 à 91,3 % ml De 28,5 à 54,1 % li!1ide 21,ô à 28,5 % li!1ide13,5à21,6% D DeOà 13,5% Hugo Lefebvre; 2007 source;c",nsu5,gov,. estimations Golfe du Mexique o 75 Kilomètres Carte] Taux d'afro-américains en Louisiane par PUMA en 2005 Les Noirs de la Louisiane ne peuvent pas tous être simplement identifiés en tant qu'afro-américains, comme l'indique le bureau du recensement américain, car iis cherchent parfois à se distinguer des autres Noirs des États-Unis d'amérique, en ne se désignant pas comme Afro-Américains mais comme «gens de couleur libres» ou créoles2, pour insister sur leur passé français et multiculture!. Cette catégorie 150 I Frederick Douzet, «Le Rêve américain au cœur des dynamiques urbaines» in Les États-Unis, sous la direction de Denis Lacorne, 2006, Fayard. è site Intenet 22
23 n'est cependant pas officielle, mais depuis 2000, ils ont la possibilité de s'identifier comme appartenant à plusieurs races. Cette origine française fait également la spécificité de la Nouvelle-Orléans: certains toponymes, par exemple «Plaquemines», «Village de l'est», «Marigny» sont encore à consonance française, bien que la pratique de cette langue se perde peu à peu. Le Français pratiqué en Louisiane est de toute façon très différent de celui parlé en métropole. Ce sont surtout les plus anciens et vivant à la campagne qui conservent ce langage, appelé le cajun. Lors de mon enquête, un nombre important des Néo-Orléanais se sont présentés à moi comme étant d'origine française mais aucun d'entre eux ne parlait cajun. Cette langue a en effet été progressivement abandonnée par les descendants de colons français, parce qu'elle était mal acceptée par l'élite WASP (White Anglo-Saxon Protestant), et que son enseignement fut prohibé dans les écoles. Cette situation rappelle un peu celle des langues régionales en France, progressivement effacées pour laisser place au français. La situation géographique ainsi que la topographie de la Nouvelle-Orléans sont très particulières. La ville est en moyenne située 60 cm en dessous du niveau de la mer. Sa situation la rend donc très vulnérable au risque d'inondation, puisqu'au nord s'établit le lac Pontchartrain et qu'au sud coule le Mississippi. Son nom provient de l'algonquin, langage amérindien dans lequel «misi» veut dire grand et «sipi» eau. Ce fleuve surplombe d'ailleurs la plaine qu'il draine: le «père des eaux» (The Father ol Waters) transporte une importante charge sédimentaire, environ 2,7 kg d'alluvions par mètre cube d'eau d'où son autre surnom, «The Big Muddy», le grand boueux, en traduction littérale, et les dépose durant son trajet vers le Golfe du Mexique. Progressivement, il augmente donc son niveau de base, proche du niveau de la mer, en coulant sur ses propres alluvions. En cas de crue, les espaces inondés peuvent donc être très importants: si le fleuve déborde de son lit, l'eau inonde la Nouvelle-Orléans, en partie installée dans une cuvette. C'est pour cette raison que le quartier historique est situé aux altitudes les plus élevées, zones les plus sûres de la ville en cas d'inondation. Dès leur installation, les Français se sont ~j 'Y'
24 rendu compte du risque élevé d'inondation en cas de fortes pluies, fréquentes dans cette région dont les étés sont ponctués par les ouragans. 24
25 <U '"v 'x ~ ~ '" -0 J!! '" [" <5 I.;) 'ê 0 :sz I <::> Carte 2 Situation de la Nouvelle-Orléans par rapport au réseau hydrographique de la Louisiane. 25
26 Schéma réseau hydrographique. par rapport à son L'échelle n'est pas indiquée, car il ne.l''agit pas d'une coupe topographique précise, mais d'une représenta/ion simplifiée, uniquement destinée à donner une idée de la vulnérabilité de la ville en raison de sa situation hydrologique. Ce sont des digues qui ont permis d'assécher les parties les plus basses de la ville, qui, autrement, auraient raspect des marécages de «l'isthme» au nord-est de la Nouvelle-Orléans, entre le Lac Borgne et le Lac Pontchartrain. Les inondations ont été fréquentes. Les digues ont cédé par le passé, laissant l'eau envahir la ville comme en septembre 1965, suite à l'ouragan Betsy. Il est resté dans la mémoire des habitants comme la plus importante catastrophe ayant eu lieu à la Nouvelle-Orléans, avec pas loin de soixante-seize morts en Louisiane et des dégâts estimés à un milliard de dollarsl. Cependant, seul le Lower Ninth Ward, quartier situé à l'extrême sud-est de la ville, avait été touché. Certaines rumeurs ont couru: l'inondation aurait été provoq uée par une destruction intentionnelle des digues2. La situation était quoi qu'il en soit beaucoup moins grave que dans le cas de Katrina. I Source: Wikipedia; 2 Certaines personnes ont été soupçonnées d'avoir fait sauter les levées à la dynamite, pour inonder les terrains dont ils étaient propriétaires et bénéficier de ce fait des remboursements des assurances. Ces rumeurs se sont également répandues après Katrina. 26
27 De ce fait, ]a situation délicate de la Nouvelle-Orléans était connue et de nombreux rapports concernant la vulnérabilité de la cité avaient été remis aux différentes administrations, notamment à ]a Maison Blanche et à la FEMA (Federal Emergency Management Agency, agence fédérale de lutte contre les catastrophes naturelles), si bien que la question n'était pas «est-ce que» mais plutôt «quand» l'inondation vat-e]le se produire? Le principal quotidien local de la Nouvelle-Orléans, le Time Picayune, avait également averti des risques dans un dossier publié avant que la catastrophe ne se produise. Un événement tel que Katrina était donc tout à fait prévisible et ]a responsabilité des administrations dans l'ampleur de la catastrophe est de ce fait très importante. En 2004, le génie militaire, en charge de l'entretien des infrastructures de protection contre les crues, recommanda aux autorités la création d'une étude des moyens de protéger la Nouvelle-Orléans. Néanmoins, par manque de financements, cette étude n'a pas eu lieu. Plus grave encore, des fonds à destination de ce même génie militaire ont été coupés en 2005 par l'état fédéral, alors que ]e congrès américain, après avoir débattu, se prononce dans ]e même sens I. On peut donc parler de négligence de ]a part des administrations, qui n'ont pas su prendre en charge une menace clairement identifiée. A ceci vient également s'ajouter la gestion catastrophique de la crise, donnant le sentiment aux habitants de la Nouvelle-Orléans que l'état américain ne se soucie guère de leur sort. Le sentiment d'abandon de la part de l'administration a donc été d'autant plus mal vécu qu'à la catastrophe naturelle s'est greffée la catastrophe humanitaire, qui a fait éclater sur la place publique les inégalités socio-économiques qui continuent de toucher la population noire aux États-Unis. La Nouvelle-Orléans avant l'ouragan Katrina Différents indicateurs statistiques permettent de comparer la Nouvelle-Orléans avec le reste des États-Unis. Les chiffres I Diane Halloway, "II/ho Kif/cd Ve1V Or/cans? Mother Sature vs. Human nature",
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