Sélection d ouvrages présentés en hommage lors des séances 2013 de l Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

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1 J ai l honneur de déposer sur le bureau de l Académie, de la part de son directeur, Gwyn Meirion- Jones, assisté par Pierre Garrigou Grandchamp, Edward Impey, Céline Piron, Catherine Laurent, Don Shewan et moi-même, l ouvrage collectif intitulé La demeure seigneuriale dans l espace Plantagenêt. Salles, chambres et tours, paru en février 2013 aux Presses universitaires de Rennes. Ce livre, dans la Collection «Art & Société» de format in-quarto, compte 485 pages et plus de 350 illustrations, photographies, cartes, tableaux et plans en couleur et en noir-et-blanc. Alors que les grands monuments me die vaux cathe drales, cha teaux et grandes abbayes ont attire l attention des historiens de s le milieu du XIX e siècle, l extraordinaire richesse des constructions civiles domestiques, plus petites, fait depuis peu l objet d un intérêt croissant. Il en subsiste encore de très nombreuses dont l intérêt historique est remarquable, d autant plus que l origine médiévale d un grand nombre d entre elles n a été établie que récemment. Grâce à l étude méthodique des éléments encore en élévation, à l élaboration de plans précis, à des recherches approfondies dans les archives et, dans de nombreux cas, grâce à l utilisation de la technique de dendrochronologie pour datations précises, l histoire de l architecture civile de la Grande-Bretagne et de la France plus particulie rement entre le XI e et le XV e sie cle est en cours de complète révision. Les articles de cet ouvrage contribuent à cette réévaluation. Les origines de celui-ci remontent aux années 1980, lorsque deux des auteurs (le professeur Meirion-Jones et moi-même) commencèrent à étudier les résidences seigneuriales médiévales en Bretagne. L un faisait de la prospection sur le terrain en semaine, l autre travaillait dans les archives. Aux week-ends, ils se retrouvaient pour 1

2 discuter de leurs recherches et de leurs «trouvailles» ; ils en profitaient aussi pour visiter des manoirs et des châteaux qui souvent n avaient pas été étudiés. Ils invitèrent bientôt quelques collègues, d abord britanniques, à partager leurs week-ends amicaux et à étudier ensemble sur le terrain les origines, la construction et l évolution de ces édifices. Peu à peu ce groupe restreint devint un vrai groupe de recherche francobritannique. Tout en restant informelles, nos rencontres devinrent annuelles, lors d un week-end prolongé du début de septembre. Puis, afin de situer les édifices bretons dans un contexte plus large, nous nous sommes aventurés hors de Bretagne, guidés par l un des membres du groupe qui travaillait sur une région voisine. Ainsi nous avons visité le Cotentin, le pays d Auge, l Avranchin, l Anjou, le Maine, la Touraine, le Périgord, le Quercy, la Guyenne, la Gascogne, le Devon et cette année Lincoln et les East Midlands en Angleterre, et même une fois la Bourgogne, où nous avons étudié les maisons romanes de Cluny et les bâtiments seigneuriaux des domaines clunisiens des alentours. Au fil des années, le groupe s est agrandi et ce sont de véritables séminaires que nous tenons chaque année sur l architecture civile, principalement celle des demeures aristocratiques, qu il s agisse de manoirs ou de châteaux, ou bien de maisons urbaines de même niveau. C est la petite et moyenne noblesse qui nous intéresse principalement, même si nous nous tenons au courant des recherches sur les grands châteaux et les palais. Ainsi, ce livre, le quatrième et le plus ambitieux de cette œuvre collective, présente une synthèse d une partie des travaux de ce groupe franco-britannique. Celui-ci regroupe des historiens, des historiens de l art, des archéologues, des responsables ou anciens responsables des monuments historiques, architectes ou inspecteurs, ou encore des professeurs d université ; aujourd hui plusieurs sont des jeunes au début de leur carrière et l un d entre nous est maître maçon. Notre contributeur le plus prolifique vient juste d achever une brillante carrière dans l armée française. Nous sommes unis non seulement par notre commune passion pour le sujet ici traité, mais aussi par la 2

3 volonté de débattre et de coopérer amicalement, en partageant nos idées, nos objectifs et nos aspirations. L approche pluridisciplinaire de nos recherches a bien des facettes, mais trois de ses dimensions doivent être soulignées pour expliquer le contenu du livre; d abord la pratique de l étude archéologique in situ des bâtiments conservés en élévation, accompagnée de descriptions détaillées, de relevés précis et de campagnes de photographies de grande qualité ; ensuite, l étude en parallèle des sources documentaires ; enfin la recherche de datations absolues des pièces de chêne par des campagnes de datations dendrochronologiques. Toutes trois sont mises en œuvre par chacun, à des degrés divers, comme il ressort de la lecture des chapitres du livre. Ceux-ci prennent en compte la distribution générale de formes architecturales particulières à la demeure aristocratique dans une vaste zone géographique autrefois sous l influence politique des rois Plantagenêt, qui s étendait au XII e siècle de la frontière entre l Écosse et l Angleterre au nord jusqu aux Pyrénées et comprenait l Ouest et le Sud-Ouest de la France. Quand nous avons commencé à nous intéresser aux bâtiments domestiques, il y a maintenant quarante ans dans le cas du professeur Meirion-Jones, la dendrochronologie était presque inexistante en France. Quelques-uns d entre nous en amorcèrent la pratique en Bretagne, avec grande difficulté ; partant de zéro, nous devions d abord construire des courbes de référence ; les données initiales furent fournies par des références du Val de Loire. Il fallut de nombreuses années pour élaborer une base de données permettant d obtenir des datations sûres, mais ces efforts finirent par porter leurs fruits, comme nous espérons l avoir bien expliqué dans un article de ce volume. Presque au même moment, le laboratoire de Besançon développait ses activités et commençait à exercer une influence notable. Plus récemment, de grands progrès ont été accomplis dans le Grand Ouest grâce au laboratoire Dendrotech, installé auprès de l université de Rennes I. La quête de datations absolues a ainsi été couronnée de succès en Bretagne, mais aussi en Anjou et dans le Maine, tout comme dans les îles 3

4 Britanniques. L étude des charpentes de toit est aussi un domaine important pour notre champ de recherche, bien qu en France les publications restent rares à ce jour ; ainsi les travaux de l un de nos membres, Jean-Yves Hunot, sont une exception notable. Il serait trop longue de décrire en détail tous les chapitres du livre, mais nous pouvons attirer votre attention sur les thèmes principaux et d abord sur quelques monographies d édifices particulièrement intéressants et importants, mais peu étudiés jusqu alors, comme l Échiquier ou grande salle des ducs de Normandie à Caen (Edward Impey & John McNeill) ; la grande salle du palais de l archevêché de Tours (Thierry Crépin- Leblond) ; et le palais des comtes de Maine au Mans (Nicolas Gautier). On trouve aussi des études de bâtiments plus modestes, dont la majorité a une assise rurale, comme le manoir de la Cour à Asnières-sur-Vègre, Sarthe (Céline Piron & Marie-Ève Scheffer), les deux salles à deux bas-côtés à Moullins, Saint-Rémy-du-Val, Sarthe (Philippe Favre, Pierre Garrigou Grandchamp & Gérard Bouvet), une «mairie» du XIII e siècle de l évêché de Chartres, La Recette à Fresnay-l Évêque, Eure-et-Loir (Fabienne Audebrand), et le manoir de Courtchamp à Chinon, Indre-et-Loire (Gaël Carré) ; ce dernier est surtout remarquable pour ses peintures murales de la vie chevaleresque, qui sont malheureusement maintenant très abimées. L ouvrage comporte aussi des études sur de petits ensembles de résidences d un même statut à l intérieur d une région, comme certains manoirs dans le Maine (Gérard Bouvet & Pierre Garrigou Grandchamp et, sur le même sujet, Marie-Ève Scheffer) ou ceux avec des «salles basses à galerie» récemment reconnus dans l Avranchin (David Nicolas- Méry). Certaines contributions étudient l évolution des formes architecturales et des matériaux utilisés dans une région. Un intérêt particulier est porté à l évolution des conditions sociales telle qu elle se reflète dans ces édifices, à l égard notamment de la demande croissante de confort, d hygiène et d intimité, comme il apparaît à travers l analyse de la fonction et de l ameublement de chaque pièce. Ainsi Emmanuel Litoux fournit de 4

5 nouvelles données et propose de nouvelles hypothèses sur les programmes résidentiels dans les châteaux et manoirs angevins du Bon roi René ( ) et, avec Gaël Carré, il analyse les permanences et les changements dans des salles des manoirs angevins du XII e à la fin du XV e siècle, tandis que Jean-Yves Hunot en étudie les charpentes de comble et de plancher antérieures à Alain Salamagne montre les changements dans la signifiance du rôle de la chambre de retrait et du retrait depuis le XIII e jusqu à la fin du Moyen Âge en exploitant les données du vocabulaire et de l architecture, surtout dans les palais royaux et princiers (Bourges, Le Coudenbourg à Bruxelles, Le Louvre, Poitiers, Riom, Saumur, Westminster). Vincent Joineau attire l attention sur une catégorie de monuments assez peu connus par les historiens, les moulins fortifiés du Sud-Ouest de la France. Quant à Michel Nassiet, il exploite les richesses des inventaires de meubles conservés dans le Grand Ouest pour la fin du Moyen Âge et le début de la période moderne afin de parfaire notre connaissance des «salle et chambre» et il donne en appendice le plus ancien inventaire après décès breton connu à ce jour d un manoir de moyenne noblesse, la Prévalaye près de Rennes (1478). Parmi les synthèses d une portée générale, Philip Dixon traite des mutations dans les pratiques architecturales dans l Angleterre médiévale du Nord et du Sud, avec beaucoup d attention aux différentes formes de charpente. Gwyn Meirion-Jones discute de l apport de dendrochonologie dans notre connaissance des grandes salles en bois du XII e et XIII e siècle en Angleterre. Jean-Claude Meuret considère les origines et débuts du manoir en Bretagne, Anjou et Maine où l archéologie et les documents se complètent. Gwyn Meirion-Jones et Michael Jones donnent un aperçu sur la résidence noble en Bretagne, XI e -XVI e siècle. Gilles Séraphin traite des tours à contreforts enveloppants et la domination des Plantagenêts en Quercy, Finalement, Pierre Garrigou Grandchamp donne une résumé magistral de l architecture civile dans le paysage architectural urbain des provinces du Grand Ouest du XII e au XVI e siècle avec une attention particulière aux plans et maisons médiévales qui restent, surtout à Angers, Avranches, Beaulieu-lès-Loches, Beauvais, Le Mans, Pons, Provins, Saumur et Tours. 5

6 En conclusion, nous pouvons signaler plusieurs des acquis de ces décennies de recherche. Tout d abord, la mise en évidence de la richesse d un corpus inédit de demeures seigneuriales rurales de la moyenne et petite aristocratie, à ce jour presque inconnues ; dans ce cadre, il faut souligner l importance de la découverte de nombreuses salles de plain-pied, sous charpente apparente, parti peu signalé dans la littérature. Si la découverte de galeries conservées dans certaines salles est, à cet égard, une autre découverte importante, il faut en revanche mettre en exergue l absence de témoignages sur l existence de foyers ouverts dans ces salles, si surprenante par rapport à l état de fait dominant outre-manche : en France, décidément, la cheminée semble avoir régné sans partage. Par ailleurs, bien que les édifices conservés soient presque exclusivement bâtis en pierre, l importance de la construction en bois a été révélée par plusieurs recherches, particulièrement en Bretagne, où a été mis en évidence la coexistence de grandes salles en bois et de bâtiments en pierre. À cet égard, la fréquence du phénomène de substitution de la pierre au bois atteste d un phénomène de pétrification : en certaines régions la prédominance de la pierre serait postérieure à une phase durant laquelle régnerait très majoritairement la construction en bois. Encore le rythme de cette substitution, son caractère (universel ou localisé) et les processus de coexistence des deux types de construction doivent-ils être précisés. Enfin, plusieurs communications démontrent l intérêt ou la nécessité de reprendre les monographies des grands palais et de ne pas dresser une cloison étanche entre l étude des demeures rurales et celles de logis urbains des classes supérieures. Au total, une intensification de la prospection et l établissement de corpus, étudiés et publiés selon les critères scientifiques rigoureux, avec un recours intensif à la dendrochronologie, reste un préalable indispensable à l approfondissement des données ici publiées. Michael JONES 4 octobre

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