PARIS. une métropole consciente d elle-même

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1 1 ENAC. INTER. UTA Laboratoire de projet urbain territorial et architectural Professeur Patrick BERGER PARIS une métropole consciente d elle-même L étendue des grandes villes contemporaines équivaut à celle de régions entières. Ainsi en est-il de l Ile de France qui se confond aujourd hui avec l agglomération parisienne. C est évident du point du vue du fonctionnement, toute l activité de la région gravitant autour de la ville historique, c est vrai aussi du point de vue de son identité. Les problèmes de la métropole parisienne se posent moins aujourd hui en terme d extension ou de croissance qu en terme de réorganisation, de densité, de transformation, ou de conservation. Son état et ses dimensions, sa complexité, la perte de repères et de sens, la présence en son sein d entités au fonctionnement quasi autarcique (aéroports, centres de loisirs, de commerce ou d affaires), d équipements et d infrastructures la liant davantage au réseau global qu à elle-même sont les symptômes les plus évidents d un état de crise. Cette situation de déséquilibre, malgré l ampleur de ses effets, n est en soi pas nouvelle et doit être perçue comme une phase de sa vie, qui se manifeste par une perte d intelligibilité et de sens, par un déplacement progressif des valeurs et des centralités. Le chaos perceptible de la métropole contemporaine ne doit pas être assimilé à une perte, ni être perçu comme le signe annonciateur de l avènement d une nouveau type de ville ou de la ville générique, mais comme un changement d état, précurseur d une nouvelle lisibilité, d une identité transformée. La situation n est donc pas inédite, mais se pose en termes nouveaux. Si Paris n a pas de problème d extension aujourd hui, elle a par contre des problèmes d évolution voire de survie, qui touchent son dynamisme économique, sa capacité d attraction, de produire des richesses, de constituer un cadre de vie équilibré et porteur de sens. Résoudre ces problèmes implique également un questionnement, une réévaluation des composantes de son patrimoine, de son identité, de sa substance même, et de sa pérennité.

2 2 L industrie, les terres agricoles et les forêts, les grands équipements et infrastructures font désormais partie de la ville. Des éléments autrefois étrangers à son idée même en constituent le corps, le patrimoine et l identité. Ils façonnent le grand Paris, son image, sa qualité de vie, son potentiel. Par leur accès au statut patrimonial, ils sont dès lors menaçables et entrent dans la catégorie des objets dont la perte possible et donc la protection deviennent un enjeu urbain. Ils forment un héritage et peuvent être traités comme tel. Ce qui était il y a peu ville et banlieue est aujourd hui une métropole dont les problèmes d avenir, de survie, de développement de conservation ou de déclin sont indissociables. En ne croissant plus en dimensions, en assumant une échelle métropolitaine, l agglomération parisienne se trouve face à ces problèmes connus dans les villes historiques, mais inédits à cette échelle. Paris est désormais une métropole consciente d elle-même Pour l architecte, dont l une des préoccupations est la compréhension et la connaissance de l environnement urbain cette situation demande d ouvrir de nouveaux champs dans la pensée, la mise en forme et la représentation de la ville et de son environnement. Elle le place, comme acteur, dans une situation inédite d exploration, et donne une actualité particulière aux questions suivantes: Comment définir l identité d une agglomération urbaine? Qu'est-ce que la notion d urbanité aujourd hui? La ville contemporaine a-t-elle encore une forme et laquelle? Selon nous pourquoi la ville générique n existe-t elle pas? Quelle idée de ville permettrait de répondre à ces questions? Y a-t-il aujourd hui une idée, ou des idées de ville opératoires pour le projet, et laquelle permettrait de répondre à ces questions? Quelle sélection opérer aujourd hui de notre héritage naturel et bâti, pour définir un point de vue préalable au projet? Comment rendre cohérents les projets aux différentes échelles du territoire, de la ville et de l objet architectural? Comment associer pensée technique et pensée architecturale dans la conception de notre environnement? Le projet comme outil d analyse, de description et comme provocation La mise en commun et les performances accrues des outils et compétences des acteurs de la construction et de l environnement: géomètres, ingénieurs, géotechniciens ou architectes-urbanistes ont récemment ouvert de nouveaux horizons de projet, et éclairent d un jour nouveau ces questions qui touchent au rapport entre nature et culture, entre l homme, son environnement et son action sur celuici. L élargissement du spectre des connaissances offert par les images satellites, les systèmes d information géographiques, la photogrammétrie, parmi d autres, et leur accès désormais facile, la prise en compte des apports récents de la sociologie et de la géographie ont considérablement élargi le patrimoine des ressources et connaissances préalables à la conception du projet urbain et territorial. Ce phénomène s accompagne d un retour de la pensée architecturale dans un domaine qu elle avait négligé depuis la fin des années 60 et laissé aux aménagistes. Aujourd hui en effet, peu d architectes défendent leur travail sans se référer au moins à la ville, sinon au territoire. Cette évolution dans les connaissances, cette reprise de conscience des enjeux territoriaux et le retour d une transdisciplinarité assumée doit produire plus que de l analyse ou du design, doit aller au delà d une nouvelle pas-

3 3 sion pour les situations précaires mais doit être accompagnée d une évolution de la culture du projet et de la compréhension de notre environnement comme artefact, si elle ne veut pas rester qu un phénomène de mode. Projet et responsabilité Ces questions nous rappellent également qu une prise de position et de responsabilité politique, exprimée dans un parti de projet urbain ou territorial est un requis incontournable. Ainsi le projet territorial, pour prendre une dimension architecturale, ne doit pas être qu un instrument de gestion politique et économique, de coordination, de concertation, un inventaire, ou la seule expression d un consensus. Il doit fournir plus qu une analyse, ou qu un cahier des charges. Outil privilégié de l architecte pour l analyse, l étude et la vérification, le projet à l échelle urbaine et territoriale est aussi une mise en forme et en espace, l expression d une idée sur un lieu et sur un programme, la préfiguration d un avenir possible, la provocation des potentialités d un site ou d une région. Méthode En abordant la métropole, on essayera d identifier d abord quelques-unes de ses particularités stables, dont on aura observé qu elles ont une influence durable sur la morphologie de l agglomération ou de ce segment de territoire. Celles-ci peuvent être liées au sol ou au sous-sol, à l hydrographie, au relief, à la structure végétale, aux infrastructures et aux grands programmes qui l ont caractérisée, voire dans la combinaison de plusieurs d entre elles. On cherchera ensuite à mettre en évidence la structure et l organisation de ces éléments constitutifs de l environnement et d en établir, sous son apparente complexité, à l aide de la géométrie ou de la topologie, une synthèse simplifiée et explicite, dessinés comme des portraits ou points de vue sur le lieu, préalables au projet. En localisant précisément des éléments de programme de bâtiments et d infrastructures en maîtrisant leur mise en forme et leur réalisation, on pourra initier les mutations urbaines susceptibles de clore un état d instabilité ou de crise, d initier un processus de modification selon un parti de projet ou une vision préalablement exprimée. Par une synthèse des deux, on tentera de faire apparaître un ou plusieurs portraits de la région qui révèlent si possible son caractère propre et son potentiel. Par la suite on abordera le problème du passage du projet territorial au projet aux échelles urbaines intermédiaires, puis à celle de l objet architectural. Cette démarche doit permettre de révéler des potentialités et des lignes de travail qui seront d autant plus crédibles et précises qu elles seront fondées sur un relevé attentif des données et informations concrètes sur le terrain. le triangle de Gonesse Le périmètre d intervention qui nous intéresse ici couvre un territoire dont l étendue dépasse mille hectares. Ce vaste secteur est appelé "triangle de Gonesse". Situation générale Le secteur situé dans les Communes de Gonesse, Roissy en France, Le Thillay, Bonneuil et Vaudherland. Il correspond approximativement sur la carte à un triangle délimité, à l est, par l autoroute A1 en limite du département de Seine Saint Denis, au nord, par la route départementale 184, à l ouest par la route nationale 17, et au sud, par le vallon du pont Yblon.

4 4 Les deux aéroports, Charles de Gaulle et Le Bouget, sont établis en ses limites nord et sud-ouest. Le devenir de ce site, qui forme l entrée nord de l agglomération parisienne, représente un enjeu important à l échelle de l agglomération. La route des Flandres La première traversée de la Seine, à l origine de la fondation de Paris, correspondrait à l axe des rues Saint Jacques et Saint Martin, dont la continuité est celle de la route des Flandres vers le nord. Il s agit aujourd hui du tracé de la route nationale 17, qui borde le site à l ouest, et mène à une des antiques et importantes portes de Paris vers le nord. Grandes infrastructures de déplacement Depuis la route des Flandres, les voies qui relient Paris et les pays du nord et du nord-est convergent entre les reliefs de Montmartre et des Buttes Chaumont. L installation et le développement de l aéroport Charles de Gaulle à Roissy, en même temps que l extension de l agglomération, ont entraîné la création d un important système de voies de circulation rapide. C est ainsi que les axes radiaux de la route nationale 17 et de l autoroute A1 ont délimité et presque enclavé le territoire agricole du secteur de l étude. De plus, celui-ci est recoupé par les voies transversales de la route nationale 370 et du Boulevard Intercommunal du Parisis. Avec les autoroutes A3, A104, les futures Francilienne et A16, le secteur se trouve au milieu d un très puissant ensemble d infrastructures routières, qui offrent une accessibilité et des liaisons excellentes en toutes directions. Cependant, les possibilités d échange entre les voies rapides et la desserte locale du territoire sont limitées à six carrefours seulement. La plupart de ces accès sont situés sur la route nationale 17 qui doit être prochainement aménagée en voie rapide. Les transports collectifs ferroviaires, du réseau nord et du RER B, sont trop éloignés à l ouest et à l est du secteur pour le desservir. Mais le projet de la ligne RER de Cergy-Pontoise à Roissy, inscrit au Schéma Directeur de la région île de France, doit modifier cette situation, avec la création d une station au voisinage de la patte d oie de Gonesse, au milieu du secteur. Par ailleurs, est évoquée une éventuelle liaison entre la ligne Paris-Creil et l aéroport Charles de Gaulle, en correspondance avec la station RER projetée. Voies publiques locales Au-delà du maillage des rues qui organisent les espaces urbanisés, le réseau des voies publiques, ouvertes à tous les modes de déplacement locaux, est extrêmement réduit. La départementale 902, ancienne route qui relie en droite ligne Gonesse et Roissy, est la seule voie qui traverse une partie du "triangle". Au nord, le secteur est délimité par la route départementale 184 qui relie Le Thillay, le carrefour de la Talmouse, les abords de Roissy, de l aéroport Charles de Gaulle et le parc d activité de Paris-Nord II. Au sud du secteur, la route nationale 17 est une artère urbaine, interrompue par des carrefours à feux et bordée de trottoirs. Sur son côté est, elle dessert les îlots urbanisés des Communes riveraines et du côté ouest, elle longe les équipements et les activités de l aéroport du Bourget. Cette partie de la route des Flandres apparaît comme une "entrée de ville" qui marque l abord de l agglomération continue de Paris. L état de cet espace important est déplorable, avec des bâtiments disparates, mal entretenus,

5 5 des clôtures grillagées médiocres, des restes fragmentaires d alignements d arbres, des trottoirs défoncés Pour sa majeure partie, l intérieur du "triangle" est desservi par quelques voies en impasse et une dizaine de chemins agricoles qui suffisent à l exploitation existante de ce vaste territoire, difficile à parcourir et extrêmement peu fréquenté. Toutefois, il convient de souligner la présence de trois ouvrages de franchissement des voies rapides: un pont sur l autoroute A1, dans la conti-nuité d un chemin issu de la patte d oie de Gonesse en direction des grandes sur-faces commerciales de Paris-Nord II. un pont sur le Boulevard Intercommunal du Parisis, lié aux accès de service de celui-ci. un passage sous le nationale 17, entrevaudherland et Le Thillay. Découpages des terrains Les propriétés foncières sont d abord découpées par les voies publiques et les chemins. Les grandes infrastructures routières constituent même des obstacles ou coupures difficiles à franchir. Dans le "triangle", les îlots définis par les voies existantes sont généralement très étendus, parfois sur plus d un kilomètre carré. Les divisions parcellaires, dont la carte n est pas mise à jour, font ressortir deux catégories de terrains. Les terres agricoles relèvent de très grandes propriétés. Les plus petites parcelles correspondent aux diverses installations qui sont liées à la route nationale 17, telles que le service des Mines, deux petits hôtels, une entreprise de vente de caravanes, des pavillons d habitation à Bonneuil, etc La répartition des cultures, illustrée par la photographie aérienne, montre une subdivision supplémentaire résultant de l exploitation des sols. Mais ces limites sont éminemment variables selon les changements de la production et en fonction de la location des terres. Il convient enfin de considérer le dessin des délimitations institutionnelles communales et départementales. La géométrie dominante de l ensemble de ces différentes lignes d organisation du territoire est celle d un carroyage presque rectangulaire, avec une orientation principale parallèle à la route des Flandres, et des divisions transversales approximativement perpendiculaires à celle-ci. La route qui relie Gonesse et Roissy apparaît comme un grand tracé singulier. Sa direction diagonale par rapport à la trame prépondérante est issue du point de rayonnement de la patte d oie de Gonesse. Fonctions et formes bâties Les tissus urbains habités sont répartis dans l environnement extérieur du "triangle", entre les noyaux centraux des villes de Roissy, Le Thillay, Gonesse, au nord et à l ouest, et la limite de l agglomération continue, au sud. Seuls quelques dizaines d habitants sont installés en deux points des bords intérieurs du "triangle", à Vaudherland et au Pont Yblon. Les implantations d activités économiques se sont largement développées dans plusieurs grandes zones spécifiques autour du secteur. Les entrepôts de Garonor, l usine Citroën d Aulnay, le centre commercial de Parinor, le parc d activités commerciales de Paris Nord II, le parc des expositions de Villepinte, la zone de fret de l aéroport Charles de Gaulle occupent fortement toute la rive est de l autoroute A1. Au nord, la ville de Roissy et la plate-forme de l aéroport accueillent un nombre si-

6 6 gnificatif d hôtels et d importantes entreprises. Les zones d activités de Le Thillay, de Gonesse et de l aéroport du Bourget, moins étendues, sont réparties sur le côté ouest de la route nationale 17. Les grandes catégories de fonctions urbaines sont ici très nettement dissociées. Elles présentent des formes bâties très différentes, avec d une part les maisons de village, et d autre part, les grands volumes, halls et hangars des diverses entreprises. Les deux aéroports et l ensemble des zones vouées aux activités, avec les voies routières rapides, constituent une forme particulière d urbanisation sans habitat, un pôle économique en cours de développement, étendu sur un très vaste territoire. Dans ce contexte large, le "triangle" fait exception. Son occupation agricole s est maintenue, ne laissant place qu à quelques petites installations rejetées hors de ville. Utilisation des sols et paysage dans le "triangle" L agriculture exploite presque la totalité du secteur. La plupart des terres sont consacrées aux grandes cultures du blé, du maïs, des pois ou de la betterave Le lieu-dit des "Tulipes de France" est voué aux productions maraîchères et quelques vergers subsistent à proximité de Roissy. Ici, se trouvent certainement les champs les plus proches du centre de la capitale. Ils déterminent un paysage étale, puissant et entretenu, dont l aspect change avec l alternance saisonnière des labours et des récoltes. Rien ne fait obstacle aux vues larges qui portent loin. Sur ce fond général homogène se détachent nettement divers éléments particuliers de valeur inégale. Les alignements d arbres de la route entre Gonesse et Roissy, les boisements du vallon qui domine Vaudherland et de l ancien fort, les stands de tir, les ouvrages des infrastructures routières, les grandes lignes de transport d électricité, les buttes des anciennes décharges, les friches du secteur du Pont Yblon et les équipements médiocres installés autour de la patte d oie de Gonesse demeurent autant d ajouts épars, dissociés et, pour beaucoup, disparatent. Ces observations montrent que l une des principales qualités du site tient à l étendue et à la continuité de son territoire, à son maintien par l agriculture, proche de la ville. Eléments mineurs et dévalorisants En dépit de leurs dimensions limitées, les remblais de déchets, les ferrailleurs, casseurs et marchands de pièces d automobiles, le service d essai des Mines, les petits hôtels proches des stations-service, les auto-ponts provisoires, les friches, donnent au secteur étudié l image de confins incertains hors de l agglomération, mais aussi enclavés dans ses extensions récentes et détachés des immenses espaces ruraux. Tracé du RER et implantation de la gare Le RER Cergy-Pontoise-Roissy doit être réalisé en priorité. Il est ici proposé d établir son tracé le long de la voie rapide du BIP et d implanter sa station à l ouest du pont existant sur le boulevard, en partie à l emplacement de la décharge SARM. C est une décision déterminante pour le projet d aménagement que de fixer, le plus tôt possible, le tracé du RER et la position précise de la gare, puis d engager leur réalisation. Lignes d autobus Compte tenu de l étendue du secteur et de l ensemble du pôle de Roissy, des lignes d autobus assureront un service très utile. Leurs itinéraires, adaptés aux besoins et à la demande, pourront évoluer, avec la gare comme point de passage constant.

7 7 conclusion Les images présentées ci-après rendent compte des ouvertures possibles et des points de vue variés avec lesquels il est possible d aborder une question aussi complexe que celle du statut du triangle de Gonesse, de ses environs, et de son aménagement. La liberté offerte par le contexte académique a permis de faire apparaître de nouvelles pertinences, ou pistes de recherche, qui pourraient conduire à des stratégies de projet et de planification, basées sur une redéfinition des priorités, et fondées sur les réalités évidentes ou cachées de cette portion de territoire métropolitain. Elles ont parfois largement débordé les limites géographiques du triangle. Elles touchent tantôt aux réseaux, terrestres et aériens, tantôt à la topographie, à la géographie, et à toutes les composantes matérielles qui forment ce lieu. Pour appuyer la démarche et vérifier leurs hypothèses de projet, les étudiants avaient à mettre en place une série d éléments programmatiques allant de la nouvelle gare RER prévue dans le secteur à un centre de congrès international lié à l aéroport Charles de Gaulle, en incluant un centre d affaire international et un million de mètres carrés de surfaces de logements avec les services qui les accompagnent, centre sportif, salles de cinéma, surfaces de bureaux. Selon les projets, une partie seulement de ces programmes a été mise en place, comme élément initiateur de la stratégie de projet proposée. Lausanne, mars 2005