Lycée Lakanal Khâgne A/L tronc commun / Littérature française. Programme

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1 Lycée Lakanal Khâgne A/L tronc commun / Littérature française (Philippe Mangeot) Programme Le programme de la session 2016 de l épreuve commune de composition française des concours d admission aux Écoles normales supérieures est défini comme suit : Axe 1 : Axe 2 : Le roman. L œuvre littéraire, ses propriétés, sa valeur. Littérature et politique. Œuvres : a) Pierre Corneille, Le Cid, GF Flammarion, n 1414, éd. B. Donné, 2009, ISBN : b) Marivaux, Le Paysan parvenu, GF Flammarion, n 1437, éd. E. Leborgne, 2010, ISBN : c) Victor Hugo, Quatrevingt-treize, GF Flammarion, n 1160, éd. J. Wulf, 2014, ISBN : d) Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Folio, n 28, 1972 (réimpr. 1993), ISBN : Les éditions indiquées sont obligatoires. Elles ont été choisies par le jury et figurent à part entière dans l'intitulé du programme. Lectures estivales obligatoires L année de khâgne est courte : une première lecture des quatre œuvres du programme pendant les vacances s'impose. Les exemplaires que vous aurez achetés sont destinés à être martyrisés : n'hésitez pas à annoter les textes, à souligner les passages qui vous semblent pertinents en regard des axes de réflexion du programme, à signaler les pages qui vous posent éventuellement problème. Dès les premiers cours, vous devrez entretenir avec ces œuvres une certaine familiarité. Il en va en effet du sens de l'épreuve à laquelle vous vous préparez : les axes problématiques sont les index de l'étude des textes ; le cours sur Corneille, par lequel nous commencerons l'année, fera donc à l'occasion référence aux trois autres œuvres et dès votre première dissertation, vous devrez vous efforcer de solliciter l'ensemble du programme. Lectures conseillées Je n'ignore pas ce que l'addition des propositions de lecture estivales, toutes disciplines confondues, peut avoir d'intimidant, sinon de décourageant. Pour autant, je ne saurais trop vous conseiller de lire autour du programme, afin de baliser le terrain du travail de l'année, et de commencer à approfondir votre réflexion. Les propositions qui suivent ne visent qu'à vous donner des idées : à vous d'en grappiller quelques unes, au gré de votre temps et de vos envies. Pour chaque œuvre, je suggère des lectures ou des expériences diverses, susceptibles de l'éclairer ou de la prolonger, et de poser à son propos des jalons pour la réflexion sur les axes du programme. Vous le constaterez, j'ai choisi, de privilégier, à quelques exceptions près, les lectures littéraires : mieux vaut commencer par étoffer votre culture générale, d'autant qu'elle vous sera utile pour l'oral d'admission. La consultation des textes critiques que je vous indiquerai ensuite, ou dont je vous fournirai des passages, n'en sera que plus féconde. Autour du Cid de Corneille L'édition de Boris Donné est exceptionnelle : partant de la version originale de 1637, elle propose les variantes des quatre éditions suivantes, ainsi que la nouvelle scène d'exposition donnée par Corneille dans l'édition de Elle constitue à cet égard un matériau remarquable pour aborder la question de la plasticité de l'œuvre littéraire, non seulement dans son interprétation, mais dans son texte même : une œuvre littéraire peut changer de texte sans perdre son identité d'œuvre. Une 1/5

2 lecture attentive de l'appareil critique et des annexes est donc indispensable. Cette édition est également précieuse pour la réflexion qu'elle propose sur la subversion, par Corneille, des modèles génériques disponibles, mais aussi pour la façon dont elle documente la querelle qui accompagna la réception du Cid, ainsi que l'examen élaboré par Corneille en 1660 de sa propre pièce : toutes choses qui viendront étayer votre méditation sur les propriétés de l'œuvre littéraire, mais aussi sur son évaluation. Dans la mesure où l'axe générique cette année concerne le roman, Le Cid n'est a priori pas directement visé. Pour autant, vous pouvez tenter de lire la pièce de Corneille sous l'angle du romanesque, non sans vous être interrogé sur la signification qu'on peut donner à ce terme. Au passage, faut-il rappeler que la connaissance de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette constitue un pré-requis pour tout étudiant de khâgne? Vous gagnerez aussi beaucoup à lire d'autres pièces de Corneille : Horace, Suréna (et peut-être Othon). D'abord, parce que l'inscription d'un texte dans le mouvement d'une écriture au long cours vous permettra d'approfondir la question des frontières de l'œuvre littéraire : quelle est l'unité de l'œuvre littéraire? Tel texte, ou l'ensemble composite, mais orienté et cohérent, des écrits de l'auteur dans lequel il s'inscrit? Ensuite, parce que vous ne tarderez pas à constater que la question politique irrigue et motive tout le théâtre cornélien. Comme l'écrit Michel Prigent dans un ouvrage dont je vous distribuerai des passages : «La tragédie, chez Pierre Corneille, est nécessairement politique car la politique est fatalement tragique. [ ] Du Ci d à Suréna, les valeurs de l'héroïsme fondent l'état avant de l'affronter et d'être elles-mêmes écrasées : le héros crée l'état qui détruit le héros, Rodrigue est un fondateur, Suréna sera une victime.» (Le Héros et l'état dans la tragédie de Pierre Corneille, PUF, 1986). En outre, le théâtre de Corneille est sans doute propice à une lecture politique irriguée par les questionnements actuels sur les genres sexués. À cet égard, vous serez particulièrement attentifs à la figuration des femmes dans les pièces que vous lirez : à la façon dont elles contestent ou non l'éthique aristocratique et l'histoire telle qu'elle est pensée, récitée et produite par les hommes. Plus généralement, il peut être judicieux d'interroger le couple théâtre/politique (ne serait-ce que pour mesurer sa différence d'avec le couple roman/politique) : quelles figures du peuple et du pouvoir et à quelles places y sont-elles convoquées? Dans cette perspective, la connaissance de Lorenzaccio de Musset et d'ubu R o i de Jarry s'impose. Vous le savez, l'oral d'admission du concours de l'ens/ulm est hors-programme : n'oubliez pas d'étoffer votre culture littéraire générale. Enfin, pour vérifier que toute œuvre a de l'avenir, dans ses reprises, ses réécritures, ses translations, vous pourrez jeter un œil sur Le Cid de Jules Massenet, opéra d'après le texte de Corneille : Autour du Paysan parvenu de Marivaux La présentation d'erik Leborgne dans l'édition du programme constitue une introduction éclairante du roman de Marivaux : elle vous permettra notamment de réfléchir aux enjeux proprement politiques de la production de mémoires fictives d'un paysan. Pour autant, n'oubliez jamais, au cours de votre lecture du roman, de mettre ce que vous lisez en relation avec le statut «actuel» du narrateur, sur lequel il se garde d'insister : le Je narré peut bien être un paysan, le Je narrant est devenu financier métier honni en ce début du XVIIIe siècle. Sans doute y a-t-il là l'une des clés du roman. La lecture du Paysan gagnera beaucoup à être prolongée par celle de l'autre grand roman de Marivaux, La Vie de Marianne. Ne vous effrayez pas de sa longueur, cela se lit très vite et les liens 2/5

3 tissés entre les deux romans sont assez éclairants pour justifier que vous vous y aventuriez. Ce n'est pas compromettre le suspense que de vous avertir que ces deux romans sont inachevés : il peut être passionnant de lire ces deux textes comme des œuvres (littéralement) ouvertes, en vous demandant d'une part en quoi l'inachèvement affecte notre conception de ce qu'est une œuvre, d'autre part en quoi il participe du sens de la destinée des personnages. Mais aussi en réfléchissant, plus généralement, sur la question de la fin d'un roman : parler d'achèvement d'un roman (et particulièrement d'un roman dont l'une des prétention est la représentation du réel) a-t-il seulement un sens et le cas échéant, quel sens? Dans la perspective de l'oral d'admission, il est bien sûr nécessaire que vous connaissiez au moins l'une des grandes pièces de Marivaux La Double inconstance, La Fausse suivante, Le Jeu de l'amour et du hasard même si le binôme roman/théâtre ne constituera pas l'angle essentiel de notre approche du Paysan Pour information, la collection «L'intégrale / Seuil» permet d'accéder au théâtre complet de Marivaux à un prix «raisonnable». Vous trouverez, dans cet ouvrage, aux pp.17-38, le texte essentiel de d'alembert intitulé «Éloge de Marivaux», qu'il vous faudra connaître de toutes façons, tant il peut documenter votre réflexion sur «l'œuvre, ses propriétés, sa valeur». J'hésite à charger encore la barque. Si Le Paysan parvenu est précieux pour une réflexion sur le roman, c'est notamment parce qu'il est, comme Manon Lescaut de l'abbé Prévost qui lui est presque exactement contemporain (et dont la connaissance est indispensable pour tout khâgneux), à l'articulation : du roman picaresque (et à ce titre, lire quelques pages de Gil Blas de Santillane de Lesage est recommandé, d'autant qu'on y reviendra également à l'occasion de l'étude du roman de Céline), du roman libertin (et à cet égard, il faut avoir quelques idées sur Crébillon Les Égarements du cœur et de l'esprit, ou encore L'Écumoire dont il est fictivement question dans les pages mêmes du Paysan parvenu, de l'écriture en première personne (et la connaissance du livre II des Confessions de Rousseau, que beaucoup d'entre vous auront déjà lu, est nécessaire). Autour de Quatrevingt-treize de Hugo Pour accompagner la lecture du roman de Hugo (lui aussi très correctement présenté dans l'édition de référence), vous pouvez aussi visionner une conférence d'anne Spiquel qui constitue une bonne introduction à Quatrevingt-treize (2014) : Il serait précieux par ailleurs de connaître d'autres textes Hugo : du côté du roman, Les Misérables (si sa longueur vous effraie, privilégiez le tome III à partir du livre 4, «Les amis de l'abc» ; et le tome IV pour les épisodes révolutionnaires), mais aussi L'Homme qui rit du côté de la poésie, La Fin de Satan du côté de la prose non fictionnelle, quelques Écrits politiques (l'anthologie de Franck Laurent au Livre de Poche est remarquable). Reste qu'au croisement d'une réflexion sur le roman et d'une méditation sur sa politique, il est impératif que vous ayez lu L'Éducation sentimentale de Flaubert (dont la parution précède de cinq ans le roman de Hugo), et tout particulièrement la 3 e partie, consacrée à la séquence révolutionnaire de À cet égard, vous serez attentifs à la question de la représentation du peuple dans les deux romans, qui constituera l'un des fils rouges de l'année ; vous vous demanderez ce que leur confrontation nous apprend sur la (sur les) politique(s) de la littérature (il se pourrait bien que le roman de Flaubert soit tout aussi politique que celui de Hugo, mais selon un autre régime). Surtout, la mise en regard Hugo/Flaubert devrait vous permettre de préciser la question de la situation 3/5

4 singulière de Hugo à l'époque où triomphe le roman du réel : Quatrevingt-treize est travaillé par le poème, le théâtre, l'épopée : autant de dimensions que nous aborderons dans notre réflexion sur l'axe générique. Difficile, par ailleurs, d'aborder Quatrevingt-treize sans savoir en tête qu'une large part de la littérature du XIXe siècle (mais aussi de la politique et de l'historiographie du XIXe siècle), discute avec l'épisode de la Terreur, qui constitue, au sens strict, une hantise. Dans cette perspective, il peut être utile de connaître quelques textes de Michelet (dans La Révolution française, les deux préfaces du tome I et la préface du tome VII ; mais aussi le chapitre 7 de la troisième partie du Peuple. Il peut-être également profitable d'avoir lu le beau roman de Barbey d'aurevilly, L'Ensorcelée. Et vous aimerez sans doute le livre magnifique de l'historien d'art Daniel Arasse, La Guillotine et l'impaginaire de la terreur. Enfin, je ne saurais trop vous conseiller, pour étayer votre réflexion sur le roman dans ses développements contemporains, de parcourir Les Onze de Pierre Michon, méditation sur la représentation picturale et littéraire de la Révolution. Autour du Voyage au bout de la nuit de Céline Autant le dire d'emblée, envisager le roman de Céline sous l'angle «littérature et politique» est à la fois indispensable (il serait trop facile de se dérober) et inquiétant (Céline est infréquentable, il n'a jamais cessé de le revendiquer). Le problème, à cet égard, est que l'édition du programme est dépourvue de tout appareil critique. Je vous demande donc de vous procurer et de lire le petit livre d'henri Godard, Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (collection «Foliothèque», 2002) qui vous permettra d'effectuer un premier arpentage de ce terrain miné. Pour aller plus loin, vous pouvez aussi consulter Céline scandale (Gallimard, 1998) par le même Henri Godard, mais aussi l'introduction du livre d'yves Pagès, Céline, fictions du politique (Gallimard, 2010), ou encore l'article de Pierre Macherey consacré à Céline («Une rhétorique des abîmes : le métro magique de Céline») dans Philosopher avec la littérature (Hermann). Et pour varier les formes, n'hésitez pas à visionner le documentaire Vo y a g e a u b o u t d e C é l i n e ( F r a n c e 5, ) : ou la conférence de Philippe Forest «Louis Ferdinand Céline» (2014) : Il nous faudra lire Céline, contre la légende qu'il a lui-même construite d'un projet littéraire exnihilo. À propos de Marivaux, j'évoquais le roman picaresque, à propos de Hugo le modèle épique : c'est dans ce bain intertextuel que nous allons plonger pour cerner les enjeux de l'écriture célinienne, non sans visiter par ailleurs le Candide de Voltaire, L'Assommoir de Zola, Le Feu de Barbusse, Au cœur des ténèbres de Conrad, Les Pâques à New York de Cendrars, tous textes que vous avez grand intérêt à connaître et à fréquenter, en vous interrogeant notamment sur trois questions où s'entrelacent les trois axes du programme : celle de la langue et de ses enjeux esthétiques et politiques, celle du peuple et de sa représentation, celle enfin des formes narratives et de leurs effets de sens. Surtout, il semble impossible d'aborder le roman de Céline sans connaître son contrepoint contemporain, Proust, dont vous devrez avoir lu au moins Le Temps retrouvé. Notez pour finir que Tardi a réalisé (chez Gallimard/Futuropolis) une très belle édition illustrée du Voyage Pour baliser le terrain des axes du programme Je me contenterai de quelques indications : Sur le roman : Georges Lukacs, La Théorie du roman (Tel Gallimard) Thomas Pavel, La Pensée du roman (Folio «Essais») : lire l'introduction 4/5

5 Nathalie Piegay-Gros, Le roman (GF Corpus) Sur «L'œuvre littéraire, ses propriétés, sa valeur» : Roland Barthes, Le degré zéro de l écriture, (Point «Essais») «Qu'est-ce que l'écriture?» Gérard Genette, Fiction et Diction (Le Seuil) Sur «Littérature et politique» Jean-Paul Sartre, Qu est-ce que la littérature? (Folio «Essais») Et surtout, Jacques Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et politique (La Fabrique) Pour conclure Je sais ce que ce programme de lectures a d'extravagant, dans les limites des deux mois de vos vacances. Je le répète : seule la lecture des quatre œuvres est impérative. Quant au reste, je vous prie de l'envisager comme une série de propositions, pas comme des coups sur la tête. Il s'adresse à vous, bien sûr, mais aussi à moi-même : vos professeurs, après tout, découvrent le programme avec juste un peu d'avance sur vous ; ils voient se dessiner des pistes, s'esquisser des liens, s'imposer des désirs de lectures ou de relectures ; et ils construisent ainsi, par approximations successives, une sorte de carte pour l'année à venir. Celle-ci doit beaucoup aux discussions que j'ai eues avec Sophie Pailloux-Riggi (de la khâgne de Joliot-Curie à Nanterre) et Alain Brunn (le nouveau professeur de lettres modernes des deux khâgnes Lyon de Lakanal) : les idées, cela naît toujours à plusieurs, vous le savez vous-mêmes. Cette «bibliographie» sera bien sûr reconfigurée, au fil des cours, par les nouvelles lectures que j'aurais faites, mais aussi, je l'espère, par celles que vous apporterez. En d'autres termes, il s'agit d'une première étape : voilà où nous en sommes. Je vous souhaite de bonnes vacances. Philippe Mangeot / philippe.mangeot@gmail.com 5/5