Égalité réelle ou chômage pour tous?
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- Léonard Briand
- il y a 8 ans
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1 L ŒIL SUR LES PROGRAMMES Égalité réelle ou chômage pour tous? Agnès Verdier-Molinié Directrice de l Ifrap Dans le cadre de ses réflexions en vue des élections de 2012, le Parti socialiste a introduit la notion d «égalité réelle», allusion évidente aux thèses sur la différence entre les libertés formelles et les libertés réelles qui ont nourri naguère les programmes des partis marxistes. Au détriment de la croissance. On connaissait «liberté, égalité, fraternité». On savait déjà qu avec l État providence, celui qui travaille ne devait pas gagner beaucoup plus après impôt que celui qui ne travaille pas et n en paie pas. Mais on ne connaissait pas encore l «égalité réelle» entre celui qui ne travaille pas et celui qui travaille. Heureusement, Benoît Hamon l a inventé pour nous! Un concept qui en soi n a rien de nouveau et qui privilégie le partage de la richesse plutôt que sa production. Une réflexion égalitariste à la française alors que nous avons besoin d innovation à la française. Alors même que la France est parmi les pays les plus égalitaires selon Louis Maurin, le directeur de l Observatoire des inégalités, avec 13 % de pauvres, juste derrière les pays scandinaves (12 %) et bien devant le Royaume-Uni et l Allemagne 1. Alors qu on vient d adopter le RSA dont le coût devrait représenter 9 milliards d euros au total. Mais il en faut visiblement plus pour décourager les partisans de l «égalité réelle» qui n hésitent pas à proposer 1 milliard d euros de dépenses supplémentaires pour lutter contre la pauvreté. 1. Même s il faut relativiser ces données puisque le seuil de pauvreté est calculé en fonction du revenu médian de chaque pays. 3 ème trimestre
2 L œil sur les programmes Adopté par les instances dirigeantes du Parti socialiste en novembre 2010 à l unanimité moins 12 abstentions essentiellement celles des candidats aux primaires comme Manuel Valls ou François Hollande qui ne veulent pas être prisonniers de ce texte, ce programme de défense de l «égalité réelle» est en fait un programme de dépenses sociales tous azimuts dont le principal point faible est le coût, estimé par certains à plus de 23 milliards d euros par an, soit plus Avec l égalité réelle, on privilégie une fois de plus le partage de la richesse plutôt que sa production. de 115 milliards d euros sur un quinquennat. Même si la démarche est en soi honorable (personne ne nie par exemple le besoin de places en crèches qu elles soient publiques ou privées), cette égalité coûterait réellement très cher. D autant plus cher qu au coût budgétaire immédiat viendrait s ajouter le coût en motivation, investissements et emplois marchands Assistanat dès le berceau Sous le règne de l égalitarisme «réel», l éducation promet d être reposante pour les élèves. Bon élève ou mauvais élève, les notes seront supprimées car elles sont jugées «facteur de stress et de compétition». On ne donnera pas non plus de bourses aux bons élèves (s il en reste), mais on encouragera les éternels étudiants, avec la création d une allocation d autonomie (coût estimé par la fondation Terra Nova : 12 milliards d euros). Quant à ceux qui, malgré tous ces faux encouragements, n auront pas su décrocher un diplôme, qu ils se rassurent : le dispositif «nouvelle chance» leur assurera un revenu. Enfin, l État, plus que généreux, assurera une aide au départ en vacances de 200 euros minimum pour les mineurs qui ne partent jamais (un tiers des effectifs), pour favoriser le «tourisme social» et les «actions des comités d entreprise» (coût de la mesure : 990 millions d euros). Chasse aux patrons Dans le monde de l égalité réelle, les CDD seront massivement requalifiés en CDI et plusieurs niveaux de sur-cotisations seront définis qui toucheront les CDD et intérims à temps complet, puis les contrats à temps partiel ; enfin des surcotes progressives seront appliquées en fonction du pourcentage général de contrats précaires 90 Sociétal n 73
3 Égalité réelle ou chômage pour tous? dans l entreprise. Or on sait bien que toute augmentation des cotisations, patronales aussi bien que salariales, renchérit le coût du travail et se traduit, soit par une baisse des salaires, soit, et nécessairement quand il s agit de salaires au niveau du smic, par une baisse de l emploi. La France se caractérise par le chiffre effectivement record de CDD et de recours à l intérim 2. Pourquoi? Parce qu il est, compte tenu de la loi et de l interprétation qu en font les tribunaux, impossible ou très difficile d assurer autrement la flexibilité de l emploi car il très difficile de licencier. Par ailleurs, les entreprises qui ont une participation publique dans leur capital seront, toujours si l on suit ce programme, contraintes à échelonner les rémunérations dans une échelle de l ordre de 1 à 20 : «la hausse des salaires doit contribuer à resserrer les écarts de rémunération». Enfin, l entrepreneur étant naturellement suspect, les recruteurs et les DRH devront suivre une formation anti-discriminations certifiée. Pour limiter le choix des patrons sur leurs futurs collaborateurs, le programme prévoit de contraindre les employeurs à embaucher des personnes en fonction de leur implantation géographique et d attribuer les emplois créés dans les «quartiers» aux habitants de ces mêmes quartiers. Si la France est championne du CDD et du recours à l intérim, c est parce qu il est impossible ou très difficile d assurer autrement la flexibilité de l emploi. Les syndicats seront aussi à l honneur. Les entreprises auront en effet obligation de négocier avec eux les salaires, la formation, la validation des acquis. Le cadre général d évolution des salaires sera d ailleurs défini lors d une grande conférence annuelle organisée par les partenaires sociaux. Quant aux entreprises qui auraient l idée saugrenue de vouloir échapper à toutes ces obligations, elles se verront appliquer un système de bonus-malus sur leurs cotisations en fonction de la conclusion ou non d un accord salarial. De toute façon, les entreprises paieront plus, grâce à un nouvel impôt économique pour compenser le manque à gagner de la suppression de la taxe professionnelle, reposant sur l alourdissement de l impôt sur les sociétés et, en général, de la base d imposition de la fiscalité du patrimoine (ISF, droits de succession, donations, etc.). 2. Environ 3 millions d emplois en France (CDD, intérim et stages), soit le troisième rang en Europe (2004), après l Espagne, où la rigidité de l emploi est maximale, et l Allemagne. Néanmoins, le gouvernement Zapatero s est engagé depuis deux ans dans une politique tendant à flexibiliser le marché du travail. 3 ème trimestre
4 L œil sur les programmes La propriété menacée L égalité réelle vise aussi les propriétaires. Où trouvera-t-on les moyens, comme le propose le programme socialiste, d organiser le relogement du locataire en cas d impayés? En obligeant d autres propriétaires à les accueillir chez eux. En effet, selon le rapport, en cas d impayés, le relogement du locataire sera organisé Mais les «propriétaires seront tenus de souscrire une garantie contre les impayés». Encore mieux : on apprend dans le rapport que «le sol de la nation est au service de l intérêt général». Toujours plus Depuis trente ans l État providence nous promet qu il va réduire les inégalités en matière de santé, d éducation, etc. Ce sont ces politiques généreuses de redistribution qui font aujourd hui de la France la championne des dépenses sociales avec plus de 550 milliards d euros déboursés tous les ans. Ces dépenses devraient pourtant avoir des effets importants sur les inégalités Et de fait, faut-il le rappeler, le pouvoir d achat a progressé de 83 % entre 1970 et Ce ne sont pas les inégalités qui sont à l origine de la peur du déclassement des Français mais la peur du chômage. Le rapport sur l égalité réelle souligne et joue avec la peur du déclassement des Français. Mais cette peur ne vient pas des inégalités ; elle vient de la peur du chômage. Car la réelle inégalité en France aujourd hui est face à l emploi. Chômage des jeunes ou des seniors, chômage pour des raisons sexistes ou ethniques. Le programme socialiste propose de résoudre ces problèmes par la contrainte, l impôt et la menace, quitte à faire fuir les «plus riches». Ainsi, les riches sont-ils dans le collimateur de l égalité réelle et devraient-ils payer proportionnellement plus d impôts que les autres : «L Insee a montré que le millième le plus riche de la population française ne payait aux impôts qu un quart de ses revenus. Plus encore que de rendre à ces personnes des sommes certes considérables, le bouclier fiscal a peut-être pour principale fonction de faire croire aux Français que leurs concitoyens les plus aisés sont écrasés d impôts, ce qui est à mille lieues de la réalité. Comme nous nous y sommes engagés dans notre convention pour un 92 Sociétal n 73
5 Égalité réelle ou chômage pour tous? nouveau modèle de développement, nous remettrons la progressivité au cœur de notre système fiscal.» Alors que l ISF est un frein à l investissement, à la transmission et à la fusion d entreprises et à la création d emplois, l égalité réelle nécessite, comme l explique le livre de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez 3, de taxer beaucoup plus les riches. Pourtant, la seule façon d assurer l avenir consiste à mettre en ordre de marche, au service de l égalité devant l emploi la seule qui compte, l ensemble du système et plus particulièrement notre fiscalité, afin que soient créés plus d entreprises et plus d emplois. Mais, dira-t-on, tout ceci n est pas le programme effectif d un candidat à l élection présidentielle. Il s agit seulement d un catalogue de mesures adopté par un parti dans lesquelles le candidat qu il se choisira pourra piocher. Certes, mais il s agit d un ensemble aux conséquences assurément cohérentes qui conduit à l augmentation des dépenses publiques et particulièrement sociales, et repose sur leur financement par des entreprises qui auront remis en bonne partie les clés de leur gouvernance à l État. Pour être efficace, l action d un gouvernement fondée sur ces principes devra en appliquer une partie importante. Ce qui signifie entrer franchement dans un système d économie administrée avec à la clé destruction des emplois et faillite financière. Il ne peut donc être question de prendre un tel programme à la légère. Tout au contraire, la conquête de l égalité supposerait de baisser les dépenses publiques, de limiter l assistanat, le coût du travail et de réorienter les niches fiscales vers la création d entreprises. Cela exige d admettre une bonne fois pour toutes que pour plus d égalité, nous avons besoin de riches qui investissent et de moins d inégalités entre public et privé (emploi à vie, indexation automatique de salaires, retraites différentes, taux Appliquer un tel programme signifierait entrer franchement dans un système d économie administrée avec à la clé destruction des emplois et faillite financière. de cotisation différents, etc.). Tout cela pour un bien commun dont dépend l intérêt général et qui se nomme tout simplement «croissance». 3. Pour une révolution fiscale : un impôt sur le revenu pour le XXI e siècle, Seuil, coll. «La République des idées», Voir dans ce numéro de Sociétal l article de Michel Taly. 3 ème trimestre
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