Département de géographie de l Université Laval

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1 Département de géographie de l Université Laval L ouverture et la fermeture de la frontière canado-américaine au Madawaska entre 1870 et 1997 vue à travers les mariages interfrontaliers Par Michel Boucher Pour obtenir le grade de bachelier en géographie de l Université Laval Université Laval Avril 1999

2 Résumé et liste des mots-clés Ce mémoire a pour but d étudier l évolution des contacts sociaux et culturels de la population de la région du Madawaska qui s est retrouvée séparée, et ce depuis 1842, par la frontière Canado-américaine. La séparation de cette communauté contribua, à travers les années, à diminuer les contacts entre les deux populations qui pourtant, sont éloignées l une de l autre uniquement par la frontière internationale que représente le fleuve Saint-Jean. Une bonne façon d étudier l évolution de ces contacts consiste à recenser, année après année, le pourcentage de mariages interfrontaliers célébrés dans certaines paroisses de la région et de dresser à partir de cette opération, des tableaux et des graphiques qui permettent de bien observer l évolution et les fluctuations des contacts entre les deux populations. Il ne reste, par la suite, qu à tenter d expliquer les raisons de ces fluctuations à partir d enquêtes et de recherches à l intérieur de documents bibliographiques. Les mots clés : contacts, frontière, mariages, communauté, Madawaska.

3 Avant propos Avant de commencer l élaboration de ce mémoire, j aimerais rendre hommage à ceux qui ont, de près ou de loin, contribué à la réalisation de ce travail qui clôt, par la même occasion, mes études de premier cycle à l Université Laval. Avant toute chose, j aimerais remercier la population de la région du Madawaska qui, au cours de mes trois voyages dans la haute vallée du fleuve Saint-Jean, m a toujours bien accueilli et aidé au meilleur de leurs possibilités dans la réalisation de ce travail. Parmi ces gens, j inclus tous les curés et leurs secrétaires des paroisses étudiées qui m ont permis, dans la plupart des cas, de fouiller dans les registres paroissiaux officiels même si ceux-ci représentent souvent une richesse inestimable et irremplaçable. J aimerais également remercier tout particulièrement M. Léon Guimont qui, grâce à son expertise en généalogie de la région, m a permis de mettre la main sur de nombreuses informations générales sur mon sujet et sur des informations plus particulières tels les registres de la paroisse Sainte-Luce. J ai également pu trouver de l aide dans la région auprès de professeurs et de professionnels des deux universités situées au Madawaska qui m ont grandement aidé au cours de ce travail. Parmi ceux-ci, il y a les responsables des Archives Acadiennes de l Université du Maine à Fort Kent et plus particulièrement Mme Lisa Ornstein. À l Université de Moncton à Edmundston, j ai grandement profité des conseils éclairés de M. Adrien Bérubé qui, entre autres, m a aiguillé sur le sujet de l étude des mariages au Madawaska. Me voici maintenant rendu au point de remercier les deux personnes qui m ont le plus aidé dans l élaboration de ce travail. Premièrement, il y a ma sœur Sonia, qui m a accompagnée dans deux de mes voyages dans la région et qui m a aidé lors de la rédaction de ce travail, et il y a ma directrice de mémoire Mme Cécyle Trépanier qui m a conseillé et dirigé du début à la fin dans la réalisation de ce mémoire.

4 Note de l auteur Étant donné la complexité et les différences potentielles d interprétation de certains toponymes de la région, nous tenons avant tout à préciser ce que nous entendrons en utilisant les noms géographiques suivants. Le toponyme Madawaska sera sans doute le plus utilisé au cours de ce mémoire et celui-ci pourra, selon les circonstances, être utilisé pour définir les endroits ou faits géographiques suivants : «la région du Madawaska» délimitera ce qui était appelé, avant la séparation faite par la frontière en 1842, la région géographique située des deux côtés de la frontière canado-américaine qui accueillit les nouveaux immigrants qui formèrent éventuellement la communauté du Madawaska. Ce terme pourra à l occasion être précisé en utilisant soit l expression «la région du Madawaska américain» ou «la région du Madawaska canadien» qui, dans ces cas précis, séparera la région du Madawaska, en deux groupes de populations par la frontière internationale et précisera uniquement cette partie de la région. «Madawaska» pourra également servir pour préciser les noms géographiques suivants : la ville de Madawaska (située au Maine), la rivière Madawaska et le comté du Madawaska (situé au Nouveau-Brunswick). Dans ces cas précis, la différenciation entre ces termes sera faite avec la précision de l objet ou territoire géographique utilisé (ville, rivière et comté). Les termes haute et basse vallée du fleuve Saint-Jean pourraient également causer quelques difficultés d interprétation mais voici ce qu elles voudront définir au cours de ce mémoire. «La haute vallée du fleuve Saint-Jean» correspondra grossièrement au même territoire géographique que «la région du Madawaska». «La basse vallée du fleuve Saint-Jean correspondra pour sa part à la région des villes actuelles de Fredericton et de Saint-Jean situées toutes deux au Nouveau-Brunswick. Par contre, au-delà des termes géographiques utilisés dans ce mémoire, il est important de noter que les habitants de la région étudiée utilisent ces mêmes

5 termes pour définir leur propre région, qu elle soit située d un côté ou de l autre de la frontière, mais quelquefois sous un angle quelque peu différent. Aussi, les résidents de la région du Madawaska américain désignent leur région par l expression «Upper Saint-John Valley» ou Haute Vallée de la rivière Saint-Jean ; alors que ceux de la région du Madawaska canadien réfèrent à la leur tout simplement par le terme «Madawaska».

6 Table des Matières INTRODUCTION ) Mise en contexte ) Objet d étude ) Problématique et objectifs ) Démarche et méthodologie ) Sources DÉVELOPPEMENT Chapitre 1 : Histoire du Madawaska (des débuts à 1870) Chapitre 2 : Compilation des mariages et bases de données ) Paroisses ou villes individuelles a) Paroisse Immaculée-Conception b) Paroisse Saint-Hilaire c) Paroisse Saint-Thomas d Aquin d) Paroisse Sainte-Luce e) La ville de Van Buren ) Bases de données nationales a) Données canadiennes b) Données américaines ) Bases de données à liens multiples a) Données des grandes paroisses qui ont un lien international direct b) Données des petites paroisses qui n ont pas de lien international direct

7 Chapitre 3 : L ouverture et la fermeture de la frontière: identification des périodes.42 1) Paroisses ou villes individuelles a) Paroisse Immaculée-Conception b) Paroisse Saint-Hilaire c) Paroisse Saint-Thomas d Aquin d) Paroisse Sainte-Luce e) La ville de Van Buren ) Bases de données nationales a) Données canadiennes b) Données américaines ) Bases de données à liens multiples a) Données des grandes paroisses qui ont un lien international direct b) Données des petites paroisses qui n ont pas de lien international direct ) Conclusions sommaires concernant l ouverture et la fermeture de la frontière Chapitre 4 : Les raisons expliquant les périodes d ouverture et de fermeture de la frontière ) Période de hausse des mariages interfrontaliers (débuts des registres municipaux - env.1920) ) Période de baisse des mariages interfrontaliers (env env.1945) ) L âge d or des mariages interfrontaliers (env env.1970) ) Deuxième période de baisse des mariages interfrontaliers (env ) CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXES

8 Liste des tableaux et graphiques 1. Tableaux Tableau 1 : Paroisse Immaculée-Conception Tableau 2 : Paroisse Saint-Hilaire Tableau 3 : Paroisse Saint-Thomas d Aquin Tableau 4 : Paroisse Sainte-Luce Tableau 5 : Ville de Van Buren Tableau 6 : Données canadiennes Tableau 7 : Données américaines Tableau 8 : Données des paroisses qui ont un lien international direct (Par. Saint-Thomas d Aquin, Immaculée-Conception et ville de Van Buren). 37 Tableau 9 : Données des petites paroisses qui n ont pas de lien international direct (Paroisses Saint-Hilaire et Sainte-Luce) Graphiques Graphique 1 : Pourcentage de mariages impliquant au moins un Américain dans la paroisse Immaculée-Conception entre 1880 et Graphique 2 : Pourcentage de mariages impliquant au moins un Américain dans la paroisse de Saint-Hilaire entre 1874 et Graphique 3 : Pourcentage de mariages impliquant au moins un Canadien dans la paroisse de Saint-Thomas d Aquin entre 1931 et Graphique 4 : Pourcentage de mariages impliquant au moins un Canadien de baptême dans la paroisse de Sainte-Luce entre 1910 et Graphique 5 : Pourcentage de mariages impliquant un Canadien et un habitant de la ville de Van Buren entre 1892 et 1955 et entre 1979 et Graphique 6 : Pourcentage de mariages impliquant au moins un Américain dans les paroisses Immaculée-Conception et Saint-Hilaire entre 1874 et Graphique 7 : Pourcentage de mariages impliquant au moins un Canadien dans les paroisses Saint-Thomas d Aquin et Sainte-Luce, et la ville de Van Buren entre 1892 et Graphique 8 : Pourcentage de mariages interfrontaliers effectués dans les grandes paroisses qui ont un lien international direct (Immaculée- Conception, Saint-Thomas d Aquin et Van Buren) entre 1880 et Graphique 9 : Pourcentage de mariages interfrontaliers effectués dans les petites paroisses qui n ont pas de lien international direct (Sainte-Luce et Saint-Hilaire) de la région du Madawaska entre 1874 et

9 Liste des abréviations utilisées dans les tableaux #mar.: Nombre mariages Conn. : Connecticut É.-U. : États-Unis Me : Maine N.-B. : Nouveau-Brunswick Qc : Québec Reste Can. : Reste Canada (inclut toutes les provinces canadiennes non mentionnées dans le tableau). Reste É.-U. : Reste États-Unis (inclut tous les états américains non mentionnés dans le tableau).

10 1 Introduction 1) Mise en contexte Bien que la frontière actuelle entre le Canada et les États-Unis, correspondant grossièrement au 49 e parallèle nord, soit reconnue comme étant la plus longue du monde (6416 kilomètres, en incluant la frontière maritime des Grands Lacs et le prolongement de celle-ci jusqu'à ce qu elle se jette dans la baie de Fundy), on y retrouve peu de problèmes politiques ou culturels de frontières. Bien sûr, même les frontières les mieux défendues, définies ou respectées du monde amènent invariablement des conflits potentiels entre deux pays, spécialement si ces deux pays se disputent les profits d une richesse naturelle potentiellement monnayable. C est ce qui se passa dans la région correspondant à la haute vallée du fleuve Saint-Jean lors de la première moitié du XIX e siècle alors que cette grande frontière, qui allait éventuellement séparer le Canada des États- Unis, n était pas encore tout à fait complètement définie entre les deux futures puissances économiques mondiales. Cet affrontement, qui résultât en une confrontation surtout d ordre politique plutôt que militaire, visait principalement à séparer les terres boisées de cette région riche en pin blanc, une ressource à ce moment recherché à la fois par le gouvernement anglais et les États-Unis pour servir à la construction de mâts de bateaux. Lors des pourparlers entre les deux gouvernements, il fut apparemment peu mention des habitants vivant dans cette région de terres riches en pin blanc (région du Madawaska) puisqu ils se retrouvèrent, du jour au lendemain, séparés en deux groupes par une frontière internationale délimitée par le fleuve Saint-Jean. Cet événement majeur de l histoire de la région du Madawaska, officialisé en 1842 lors du traité d Ashburton- Wester, changeât à tout jamais les relations entre les habitants des deux rives du fleuve. Bien que cette frontière n eût pas tellement d effet sur les relations entre les deux groupes de population au début de son implantation, celle-ci se fît de plus en plus sentir à mesure que le temps s écoula. Les gouvernements, représentant

11 2 désormais chacun leur groupe de population, commencèrent tranquillement à contrôler et à séparer les véhicules de l esprit communautaire reliant les deux groupes séparés par la frontière (séparation de la direction religieuse, des écoles, etc...). Les relations interfluviales ou internationales dans la région du Madawaska continuèrent à évoluer à travers le temps mais à quels moments précis ces relations ont elles été influencées par l importance de la frontière? Cette frontière, qui a pu au cours des années autant rapprocher les deux groupes que les éloigner l un face à l autre, correspondait et correspond encore aujourd hui au lien entre les habitants des deux rives du fleuve Saint-Jean. Après avoir déterminé à quel moment les relations entre les deux groupes ont fluctué, il résulte de rechercher les raisons et les événements qui ont entraîné cette frontière à rapprocher ou à éloigner les habitants de la région étudiée. 2) Objet d étude Bien entendu, l étude de ce phénomène pourrait, éventuellement, s avérer plutôt fastidieuse pour quiconque s aventurerait dans l étude exhaustive de ces relations. Aussi, pour mieux cerner le phénomène et, avouons-le, sauver potentiellement quelques années d étude, nous allons déterminer, de façon plus précise, ce que nous avons l intention de faire lors de ce mémoire. Après avoir exploré quelques pistes éventuelles dans la façon d aborder le sujet des relations interfrontalières dans la région du Madawaska (entre autres le cas des travailleurs des deux usines de pâtes et papier situées à Edmundston et à Madawaska qui traversent, jour après jour, la frontière pour aller travailler de l autre côté du fleuve ainsi que le cas des étudiants des deux universités de la région qui traversent la frontière pour effectuer leurs études supérieures), nous avons choisi, suite à l idée de monsieur Adrien Bérubé professeur à l Université de Moncton et travaillant au campus d Edmundston, d étudier les mariages interfrontaliers célébrés dans la région du Madawaska. De cette façon, l étude du sujet des liens interfrontaliers entre les deux populations pourra, grâce au recensement des registres paroissiaux de la région, se faire sous une vision évolutive et ainsi, nous

12 3 pourrons voir l historique de ce phénomène. Cette étude se situera également dans le champ d étude de la géographie culturelle et sociale puisque nous étudierons l évolution des relations sociales entre les deux groupes de la région du Madawaska. Nous croyons fermement que l étude des mariages impliquant un (ou une) Canadien (ne) et un (ou une) Américain (e) dans la région du Madawaska, nous permettra d établir de façon précise à quels moments, les habitants des deux régions ont eu tendance à avoir plus ou moins de contacts entre eux. Nous croyons également que l étude des mariages dans la région du Madawaska établira de façon plus précise les objectifs de ce travail que l étude des liens interfrontaliers des travailleurs d usines de pâtes et papiers ou des étudiants des deux universités de la région, puisque les résultats de l étude de ces derniers pourraient, éventuellement, être grandement influencés par les fluctuations des conditions économiques du moment ou par des mesures d enseignement locales ne représentant pas nécessairement, un portrait des relations de l entière population de la région du Madawaska. Par contre, ces deux phénomènes isolés (conditions économiques et éducation) seront éventuellement étudiés dans ce mémoire pour tenter d expliquer les différents changements observés dans les relations entre les deux groupes séparés par le fleuve Saint-Jean. La période étudiée commencera avec le début des différents registres paroissiaux recensés et se terminera en Les registres paroissiaux correspondront également à la limite de notre territoire étudié puisqu ils feront état, pour cette étude, de source primaire pour nos bases de données. Ces deux facettes de notre étude seront discutées et analysées de façon plus précise plus tard dans cette introduction. 3) Problématique et objectifs Nous allons, au cours de ce mémoire, tenter d étudier et de répondre à trois questions qui seront établies comme étant trois objectifs distincts. Mais, avant d aborder ces trois objectifs nous avons cru bon, au cours du chapitre 1, de faire un résumé de l histoire du Madawaska allant des débuts de la colonisation de la région jusqu aux environs de 1870 (date représentant approximativement le début de notre période d étude). Ce résumé est, selon nous, indispensable pour que le

13 4 lecteur connaisse bien les habitants de la région du Madawaska et les événements qui ont entraîné leur éventuelle séparation. À l intérieur du second chapitre, l étude du phénomène interfrontalier au Madawaska débutera concrètement alors que nous ferons une compilation complète des mariages effectués dans les paroisses étudiées pour établir, de façon précise, le lieu d origine des mariés et des mariées. Ce recensement servira par la suite à répondre au deuxième objectif de ce mémoire qui sera, pour sa part, développé au cours du troisième chapitre et qui étudiera à quels moments la frontière séparant les deux groupes de populations a eu tendance à servir de lieu de rapprochement entre les Américains ou Canadiens ou de barrière réduisant ainsi les contacts. Le troisième objectif (chapitre 4) a pour but d étudier les raisons des fluctuations des contacts entre les deux groupes et de tenter de les expliquer. 4) Démarche et méthodologie Les deux premiers objectifs de la problématique de mon mémoire seront étudiés grâce à un échantillonnage scientifique des registres paroissiaux des villes étudiées. Cet échantillonnage sera fait de la manière suivante : En partant de l année 1997 (inclusivement), nous allons, à tous les trois ans, prendre en note le lieu d origine de tous les mariés et mariées et établir de cette façon, un recensement précis des mariages célébrés dans les paroisses des deux côtés du fleuve Saint-Jean. Les années recensées seront donc :1997, 1994, 1991, 1988, (...) jusqu'à ce que nous arrivions au début des registres paroissiaux de chaque ville étudiée. De cette façon, nous pensons pouvoir établir de façon précise l évolution historique du lieu d origine des mariés et mariées et faire ressortir à quels moments, la frontière a pu jouer un rôle dans l éventuel choix ou rencontre des époux se mariant dans les paroisses étudiées. Le troisième objectif sera, pour sa part, réalisé grâce à des enquêtes sur le terrain effectuées auprès de personnes qualifiées principalement dans le domaine de l histoire de cette région et aussi grâce à la lecture de documents qui pourraient nous éclairer sur les raisons des fluctuations entre le nombre de mariages interfrontaliers effectués à l intérieur des paroisses étudiées.

14 5 Les paroisses étudiées lors de ce mémoire ont été choisies à cause de certaines caractéristiques précises (voir annexe 1). Les paroisses d Immaculée- Conception (située à Edmundston au Nouveau-Brunswick et dont les registres étudiés commencent en 1880) et Saint-Thomas d Aquin (située à Madawaska dans l état du Maine et dont les registres étudiés commencent en 1931) ont été choisies parce qu elles représentent les deux villes les plus importantes de la région du Madawaska et parce qu elles ont un lien international direct de communication entre eux, soit un pont construit en 1922 qui, du moins nous le croyons, sert de rapprochement entre les groupes étudiés, situés de part et d autre de la frontière. Pour ce qui est des paroisses de Sainte-Luce (située à Frenchville au Maine et dont les registres étudiés commencent en 1910) et Saint-Hilaire (situé dans le village du même nom, bâti pour sa part, sur le territoire du Nouveau- Brunswick et dont les registres étudiés commencent en 1874), nous les avons choisis parce qu elles sont de petites localités, parce qu elles sont situés l une en face de l autre sur les rives du fleuve Saint-Jean et parce qu elles n ont pas, contrairement aux premières paroisses étudiées, de lien international direct de communication avec les habitants situés de l autre côté de la frontière. La ville de Van Buren (située du côté du Maine et dont les registres étudiés commencent en 1892) a été ajoutée par la suite à l étude pour compenser le manque de mariages enregistrés du côté américain. En ajoutant cette dernière ville, le nombre de mariages enregistrés dans les paroisses étudiées des deux côtés de la frontière est à peu près équivalent (1732 mariages du côté canadien et 1685 du côté américain). 5) Sources Les bases de données obtenues grâce à notre recherche dans les différents registres paroissiaux de la région seront, bien entendu, les sources primaires utilisées lors de la rédaction de ce mémoire. Cependant, nous nous devons de mettre au clair certains faits concernant ces sources et les différences possibles entre ces dernières. Les données obtenues pour les paroisses Immaculée-Conception, Saint-Hilaire et Saint-Thomas d Aquin ont toutes été

15 6 enregistrées d après les registres paroissiaux officiels de chaque endroit et l origine des mariés et mariées est donnée selon le lieu de résidence des futurs époux au moment du mariage. De plus, comme vous le constaterez dans les tableaux de bases de données, la majorité des mariages conduits dans ces paroisses étaient effectués à cet endroit parce que la mariée était originaire de cette même paroisse. Cette tradition a, dans les dernières années de l étude, perdu quelque peu de son importance mais elle est, encore aujourd hui, observée par la majorité des mariés et mariées. Pour ce qui est des données de la paroisse Sainte-Luce, que j ai réussi à obtenir grâce à l aide de M. Léon Guimont, un spécialiste de la généalogie de la région du Madawaska, les lieux d origine des époux correspondent, dans ce cas, au lieu de baptême de ces derniers et non au lieu de résidence. Cette différence peut avoir eu des conséquences importantes concernant cette base de données puisque, bien entendu, les mariés et mariées originaires de cet endroit ne demeuraient pas nécessairement à l endroit où ils ont été baptisés au moment de leur mariage. Mais en manoeuvrant cette base de données, nous garderons toujours en tête la différence que celle-ci peut avoir avec les autres. Pour ce qui est des données concernant la ville de Van Buren, elle est différente des autres en ce qui a trait au fait qu elle n a pas été obtenue grâce aux registres paroissiaux de la ville mais bien grâce à l aide d un site internet de généalogie traitant de la région du Maine (voir adresse internet dans la bibliographie). Ce site donne tous les mariages impliquant un homme et/ou une femme habitant dans la ville de Van Buren et l origine (dans ce cas-ci la résidence) de son conjoint. Les différences principales observées entre cette base de données et les autres sont celles-ci: elle donne, contrairement aux autres qui, pour la plupart, impliquaient uniquement les mariages où la mariée résidait à l intérieur de la paroisse, aussi les mariages des hommes habitant dans la ville de Van Buren même si le mariage a été célébré à l extérieur de la ville de Van Buren. De plus, sur le site internet, il y avait, au moment de notre recherche, aucun mariage enregistré entre les années 1958 et Finalement, dans cette base de

16 7 données, il n y a aucun mariage, effectué à Van Buren, impliquant deux personnes de l extérieur de la ville (dans les autres paroisses, ce phénomène s est déroulé à quelques occasions). Encore une fois, pour ce qui est de cette base de données, nous tiendrons compte de cette différence lors de l analyse de cette dernière dans notre travail. Malgré ces petites différences, nous croyons pouvoir établir de façon satisfaisante l origine des mariés et ce, dans les différentes paroisses ou villes étudiées de la région. En mettant au point ces bases de données, qui couvrent les années 1874 à 1997 inclusivement, nous espérons être en mesure de voir clairement l évolution de l origine des mariés et mariées des deux côtés de la frontière et, grâce aux sources secondaires, tenter d expliquer les fluctuations observées. Ces sources secondaires, elles ont été recherchées un peu partout. Nous avons cherché sur le sujet dans les bibliothèques des universités suivantes : Laval, de Moncton (campus d Edmundston) et du Maine (campus de Fort Kent). Nous avons également cherché des informations sur le réseau internet et auprès des gouvernements des deux régions. Toutes ces recherches furent, avouons-le, souvent sans résultat intéressant. Nous avons, par contre, réussi à trouver beaucoup de documentation sur l histoire du Madawaska d avant 1850 (période non étudiée) mais les documents traitant de la période plus contemporaine de l histoire du Madawaska, soit la période que nous étudions, étaient presque inexistants (tellement inexistants que nous avons cru, pendant quelque temps, être des pionniers dans l étude de cette région à cette période!). Malgré tout, et surtout grâce à nos entrevues (voir liste des personnes-ressources interviewées, intégrée à l intérieur de la bibliographie), nous croyons pouvoir établir de façon assez précise les raisons des fluctuations de ces mariages interfrontaliers dans nos bases de données et les expliquer.

17 8 Chapitre 1 Histoire du Madawaska (des débuts à 1870) Pour bien comprendre et éventuellement analyser les relations entre les habitants de ce qui allait être appelé, par les premiers arrivants d origine principalement acadienne, la «colonie du Madawaska», il est indispensable de décrire l arrivée de ces derniers et les raisons qui les ont amenés à s installer dans ces terres isolées. De cette façon nous allons pouvoir établir les raisons qui ont amené ce mouvement de population, pourquoi ils ont particulièrement choisi ces terres, de quelle façon ils se sont installés et l évolution historique des relations entre les habitants de cette future région qui allait éventuellement être divisée en deux (Cette synthèse de l histoire du Madawaska s appuie sur 3 sources principales : Albert (1982), Chevalier-Craig (1983) et Michaud (1984)). L origine géographique des futurs habitants des hautes terres de la vallée du fleuve Saint-Jean est assez difficile à établir mais toutes nos sources semblent s entendre sur un seul et même scénario. Cependant, les ancêtres des habitants actuels du Madawaska n ont évidemment pas été les premiers à se rendre dans cette région du monde. Bien avant l arrivée des familles pionnières du Madawaska présentes encore aujourd hui, en fait en 1612, le colonisateur français Samuel de Champlain fût le premier blanc à fouler le sol de cette région puisqu une des cartes résultant de l un de ses voyages montre un lac (vraisemblablement le lac Témiscouata) et une rivière s écoulant de ce dernier qui correspond à la rivière Madawaska (voir annexe 1). La prochaine mention historique officielle de la vallée de la rivière Madawaska et de sa région a été effectuée aux alentours de 1683, alors qu une seigneurie, baptisée éventuellement seigneurie de Madouesca, fut concédée dans la région du lac Témiscouata et de la rivière du même nom (Madawaska) par les dirigeants de la Nouvelle-France au nom de Sieur Charles Aubert de la Chenaye. En 1686, une autre seigneurie fût donnée à Sieur René d Amour, cette fois dans la

18 9 région entre Médotec et Grand-Sault (territoire situé aujourd hui au Nouveau- Brunswick), et ce dernier nomma sa seigneurie Clignancourt. Ces deux seigneuries, contrairement à celles situées généralement dans la vallée du fleuve Saint-Laurent, ne furent malheureusement pas un exemple de réussite pionnière puisque pour ce qui est de la seigneurie du Madouesca, elle connût une brève période d habitation et de culture avant d être, selon les dirigeants de la seigneurie, abandonnée à cause de l hostilité des Malécites (Amérindiens de la région). Pour ce qui est de la seigneurie de Clignancourt, il semblerait qu elle ne fût jamais exploitée par son propriétaire. L histoire de la colonisation des terres de la future région du Madawaska a été grandement associée au retour des Acadiens victimes du Grand Dérangement de Cette déportation, effectuée par le nouvel administrateur de la «Nova Scotia» Charles Lawrence, avait pour but de chasser le peuple Acadien, alors situé principalement sur des terres autour de la baie de Fundy, puisqu ils ne voulaient pas prêter le serment d allégeance au gouvernement anglais et parce que des Anglais, venant principalement de la Nouvelle-Angleterre, voulaient prendre possession de leurs terres réputées pour être très fertiles. Il organisa alors l arrestation des Acadiens et déporta ces derniers en petits groupes principalement sur la côte américaine d où ils ont été à nouveau dispersés par leurs hôtes. Plusieurs se sont alors réfugiés dans différentes colonies françaises de l Amérique du Nord telles que la Louisiane et le Québec. Avec le temps, plusieurs Acadiens qui avaient été déportés tentèrent de retourner en Acadie pour se réinstaller sur leurs anciennes terres ou pour en coloniser de nouvelles. En 1766, un groupe de familles acadiennes, qui avait été déporté au Massachusetts lors de la Grande Déportation de 1755, se regroupa en une caravane de 200 familles et tenta un voyage de retour dans la région de Sainte-Anne des Pays-Bas, une région boisée et non colonisée de la basse vallée du fleuve Saint-Jean qui correspond aujourd hui aux environs de la ville de Fredericton, capitale du Nouveau-Brunswick (voir annexe 2). Ils arrivèrent à destination et colonisèrent cette région, isolée à ce moment de toute autre

19 10 communauté qu elle soit d origine anglaise ou acadienne. Quelques années plus tard, les colons tentèrent d obtenir les droits de propriété sur les terres où ils s étaient installés mais le gouvernement du moment refusa de leur donner ce privilège. Certaines hypothèses expliquant ce geste font référence aux différences de religion entre les Acadiens et les dirigeants anglais. Il en résultât donc que les colons de cette région continuèrent à cultiver leurs terres «illégalement» puisque peu de cultivateurs étaient en possession de leurs droits de propriété. L arrivée des Loyalistes, qui fuyaient le nouveau gouvernement des États- Unis, allait causer éventuellement une nouvelle déportation mais cette fois, tout semble indiquer que le mouvement de population des Acadiens de la région de Sainte-Anne des Pays-Bas fût volontaire ou du moins partiellement volontaire. Pendant de nombreuses années, les historiens spécialistes de la région affirmèrent que, dès leur arrivée, les Loyalistes prirent officiellement possession des terres des habitants de Sainte-Anne des Pays-Bas et chassèrent ces derniers mais il semble que le scénario fût quelque peu différent. L arrivée massive des Loyalistes en Acadie causa une sorte de commotion à l intérieur du gouvernement de la région qui ne savait plus comment contenir et gérer l arrivée de ces nouveaux venus qui pouvaient, éventuellement, prendre possession de nouvelles terres dans la région. Les représentants du gouvernement commencèrent alors à donner des titres de propriété aux nouveaux venus et de cette façon, ils parvinrent à mieux contenir leur arrivée et leur établissement. Lorsque les Acadiens de la région de Sainte-Anne des Pays-Bas furent mis au courant de la situation, ils commencèrent à craindre que le gouvernement ne donne leurs terres aux Loyalistes puisqu ils n avaient jamais été officiellement en possession de leurs titres de propriété. De plus, même s ils ne devaient pas perdre leurs terres, les habitants de Sainte-Anne des Pays-Bas craignaient d être encerclés par les Loyalistes ou toute autre communauté anglaise qui allaient éventuellement coloniser de nouvelles terres dans la région. Cet événement, peu souhaité par les Acadiens, semblait inévitable puisque la population de la colonie augmentait rapidement et que, bientôt, les terres situées le long de la basse vallée du fleuve Saint-Jean allaient être recherchées par les futurs cultivateurs de la région. Voyant le possible scénario de

20 11 leur déportation venir à nouveau les hanter, ils commencèrent à se chercher un nouvel endroit où ils pourraient s établir. Bien avant que la région du Madawaska commence à intéresser les habitants de Sainte-Anne des Pays-Bas, la vallée du fleuve Saint-Jean, la vallée de la rivière Madawaska, et le lac Témiscouata servaient de route terrestre de communication entre les régions du Bas-Canada et de l Acadie. Ce chemin, exploité et utilisé pour la première fois en 1686 par monseigneur Saint-Vallier deuxième évêque de Québec, servait depuis ce temps aux courriers qui transportaient les dépêches entre les deux régions de l Empire Britannique. L un de ces messagers, Louis Mercure, avait élu domicile à Aukpaque, un village situé à six milles en amont de l actuelle ville de Fredericton. En 1785, alors qu il cherchait lui aussi à quitter les environs de Sainte-Anne des Pays-Bas, il écrivit au Major Holland, arpenteur général du gouvernement du Canada pour lui demander de lui donner des droits de location de terres dans la région de la haute vallée du fleuve Saint-Jean (une région qui lui était déjà bien familière à cause de ses nombreux voyages) pour lui, pour son frère et pour un ami du nom de Duperré. En faisant cette demande, il ne savait pas qu il allait attirer avec lui une bonne partie de la population de la région de Sainte-Anne des Pays-Bas. En fait, dès 1785, plusieurs familles de Sainte-Anne des Pays-Bas le suivirent en direction des terres qu il avait identifiées lors de ses nombreux voyages comme messager et ils devinrent ainsi les familles pionnières de la future région du Madawaska actuel. Quelques années après le premier établissement acadien au Madawaska, la région vécut une autre migration qui allait compléter les premières migrations pionnières dans la haute vallée du fleuve Saint-Jean. Par contre, cette fois la migration fut déclenchée à partir du Bas-Canada et plus particulièrement de la région du Kamouraska et de la ville de Sainte-Anne de La Pocatière (voir annexe 2). Cette autre vague migratoire fût engendrée pour la même raison que celle effectuée par les habitants de Sainte-Anne des Pays-Bas, soit par les messagers qui continuaient à faire des voyages entre Québec et Saint-Jean (aujourd hui situé au Nouveau-Brunswick). Ceux-ci arrêtaient fréquemment dans différentes villes

21 12 tout au long de leur voyage et ils répandirent ainsi la nouvelle que des colons acadiens s étaient installés dans la haute vallée du fleuve Saint-Jean, une région qui était, dans ces années, inconnue de presque tous les habitants du Bas Saint- Laurent (Michaud, 1984). Plusieurs Acadiens, qui avaient trouvé refuge au Québec au moment des déportations de 1755, vivaient à ce moment-là, dans la région du Bas Saint-Laurent et ils étaient plutôt mécontents des rendements agricoles obtenus dans cette région du Québec. Ceux-ci commencèrent alors à se renseigner sur les habitants de la nouvelle région du Madawaska et ils s aperçurent que plusieurs d entre eux avaient des liens de parenté avec les pionniers de cette région. Un grand nombre de ceux-ci décidèrent alors de tenter leur chance dans la région du Madawaska et ils s installèrent, pour la plupart, au début de 1790 sur des terres agricoles non occupées. Les premières années de ce nouveau peuplement ne furent pas faciles et plusieurs quittèrent la région pour retourner à leurs anciennes terres, mais ceux qui persévérèrent forgèrent une nouvelle communauté qui avait les caractéristiques suivantes; la famille était la valeur première des habitants de cette région qui, déjà en arrivant, avaient un sens communautaire et d entraide très développée (Chevalier-Craig, 1983). Les différentes vagues de migration s installèrent de façon à peu près égales de part et d autre du fleuve Saint-Jean ne sachant pas que ce fleuve allait éventuellement les séparer. Les personnes venant de Sainte-Anne des Pays-Bas étaient, pour la grande majorité, déjà formées et composées en familles alors que ceux venant du Bas Saint-Laurent étaient pour la plupart des hommes célibataires (Chevalier-Craig, 1983). L arrivée des Acadiens du Bas Saint-Laurent fût importante puisqu ils importèrent leur mode de division des terres, soit le rang, dans la haute vallée du fleuve Saint-Jean. Les Acadiens de Sainte-Anne des Pays- Bas purent enfin pratiquer leur religion librement grâce au support de plus en plus constant de l église catholique et des curés des paroisses du Bas Saint-Laurent. Il en résultat donc une communauté liée par le sang et la famille, par la même religion et par les mêmes habitudes de vie (principalement d origine acadienne). Malgré cela, les nouveaux habitants de cette région ne se considérèrent pas comme une société à part entière puisque, jusqu à ce que la région développe une

22 13 deuxième génération d enfants, les liens familiaux avec les habitants des autres régions acadiennes demeurèrent trop importants et réguliers. Durant cette période, les nouveaux immigrants de la région du Madawaska avaient tous, ou presque, un lien familial avec des colons déjà établis sur place. Cette situation ne changeât donc en rien la «chimie familiale» de la région qui continuait à être une communauté qui pourrait presque être considérée comme familiale. Cependant, peu à peu, le côté est du fleuve Saint-Jean se développa avec plus de rapidité que le côté ouest, en grande partie parce que la seule église de la région fut construite à Saint-Basile (voir annexe 1), sur ce même côté du fleuve. L économie de la région était alors basée presque exclusivement sur les revenus agricoles et ses habitants étaient presque autosuffisants en ayant à leur disposition, entre autres ; des forges, différents magasins et des moulins à scie. Mais, à partir de 1824, les choses allaient changer avec l arrivée massive de l industrie lucrative du bois. En 1824, les premiers camps de bûcherons se développèrent dans la région pour exploiter les terres riches en bois. Les exploitants recherchaient particulièrement le pin blanc qui servait à ce moment à la construction de mâts de bateaux, puisque ce bois a la caractéristique d être longiligne et avec peu de défauts. L arrivée de cette industrie amena donc les habitants de la région à profiter de revenus supplémentaires durant la saison morte que représentait l hiver et les revenus personnels des familles augmentèrent rapidement. Par contre, cette nouvelle industrie était aussi attirante pour tous les immigrants qui se cherchaient de l emploi et ceux-ci commencèrent à arriver en grand nombre dans la région du Madawaska. Ces nouveaux arrivants n avaient cependant, pour la plupart, aucun lien de parenté avec les habitants pionniers de la région et il se développa, dans la haute vallée du fleuve Saint-Jean, une rivalité entre les deux groupes (Chevalier- Craig, 1983). Cette rivalité augmenta particulièrement alors que des routes furent construites entre la région du Madawaska et les régions du sud du Maine et du Kamouraska (voir annexe 2). Ces routes, construites pour favoriser les nouvelles industries du bois de la région, encouragèrent de beaucoup l arrivée de nouveaux immigrants dans la région. Les nouveaux arrivants s installèrent principalement à l ouest du fleuve Saint-Jean, probablement suite aux pressions des familles

23 14 pionnières de la région qui voyaient, en ces nouveaux arrivants, une menace à la survie de leur communauté et parce que la plupart des nouveaux camps de bûcherons étaient situés de ce côté du fleuve. Cette rivalité a été particulièrement ravivée lorsque certains nouveaux arrivants s emparèrent des terres que les pères des familles pionnières réservaient (par voie orale) à leurs enfants. Le clergé, pour sa part, avait également tendance à favoriser les premiers habitants du Madawaska en partageant de façon inégale les terres à défricher. Les nouveaux immigrants étaient, contrairement au groupe pionnier, un groupe très hétérogène et originaire d un peu partout à travers le nord-est de l Amérique du Nord et parfois même de l Europe. Ces nouveaux venus avaient également de moins en moins de liens de parenté avec les premiers pionniers du Madawaska. Par exemple, le nouveau village de Sainte-Luce (rebaptisé plus tard Frenchville), situé du côté ouest du fleuve Saint-Jean, était formé principalement d immigrants de la deuxième vague et il était constitué en 1931, de 58% d habitants nés à l extérieur de la région du Madawaska et seulement 28% de ses habitants avaient un lien de parenté directe avec un habitant du Madawaska né avant Cette relative division entre les deux groupes continua jusqu à ce qu en 1845, les terres agricoles fertiles de la région soient complètement occupées. La rivalité entre les deux groupes s estompa peu à peu à partir de ce moment mais la rivalité internationale sur la possession de la région était, par contre, amorcée depuis longtemps. À partir du moment où les camps de bûcherons commencèrent à se développer (1824), le Maine s intéressa à cette région qui selon eux, leur avait été légué lors du traité de Versailles de Les revendications du Maine tenaient au fait que les frontières de cette région avaient été mal définies lors de ce traité et surtout parce que les richesses potentielles des forêts de la haute vallée du fleuve Saint-Jean commençaient grandement à les intéresser. En 1831, le gouvernement du Maine envoya deux de ses représentants (Deane et Kavanagh) pour étudier les habitants de la région et pour émettre un compte-rendu des richesses de la haute vallée du fleuve Saint-Jean. Ils donnèrent un résumé écrit de leur voyage aux dirigeants du gouvernement du Maine et ceux-ci décidèrent alors d amorcer les démarches politiques nécessaires qui leur permettraient éventuellement d intégrer

24 15 cette partie de territoire à leur état. De leur côté, le gouvernement anglais affirmait que la région était sous leur responsabilité depuis longtemps puisqu ils avaient émis des droits de propriété sur les terres de la région du Madawaska aux habitants de la vallée. Ces droits de propriété avaient été donnés à partir de 1790 alors que 51 des premiers colons de la région du Madawaska devinrent officiellement propriétaires de leurs terres et cette pratique continuait alors au moment des affrontements politiques. Les revendications des deux gouvernements continuèrent, non sans causer quelques altercations qui résultèrent en de brefs affrontements. Malgré tout, peu de gens de la région furent impliqués dans ces batailles puisqu ils demeuraient, en général, impartiaux lors de ces affrontements. Les troupes qui s affrontèrent étaient pour la plupart des milices envoyées par les deux gouvernements pressés de se rendre à la frontière pour défendre leur territoire. Avant qu un affrontement final ne soit lancé, le traité d Ashburton-Wester signé en 1842, délimita la frontière entre les États-Unis et l Empire Britannique comme étant le fleuve Saint-Jean (du moins dans la région du Madawaska). Cette frontière, encore présente aujourd hui, coupa en deux la communauté originale du Madawaska. Même si la communauté se retrouva séparée en deux, les liens entre les deux groupes continuèrent néanmoins à être très importants puisque plusieurs habitants devaient inévitablement traverser, semaine après semaine, le fleuve pour se rendre à leurs églises respectives qui étaient, encore à ce moment, en très petit nombre. Souvent, les paroisses de la région du Madawaska, au milieu du XIX e siècle, couvraient un territoire incluant les deux rives du fleuve (et par conséquent les deux côtés de la frontière) ce qui, compte tenu de l importance du clergé à ce moment, constituait une facette importante du lien entre les deux groupes. Cette situation continua jusqu à ce que de nouvelles paroisses soient fondées près des villages des habitants et qu elles soient situées du bon côté du fleuve. Malgré cela, plusieurs personnes préféraient encore se rendre de l autre côté du fleuve en canot, où l église était plus proche, plutôt que de suivre la berge sur plusieurs kilomètres pour se rendre à la prochaine église du bon côté de la frontière. Cette situation était d autant plus commune qu il y avait, en 1861, dans l ensemble du

25 16 Madawaska, seulement quatre paroisses, soit celles de Saint-Basile et Saint- François du côté canadien et Sainte-Luce et Saint-Bruno du côté américain (Desjardins, 1992). Ces liens d origine religieuse allaient être, éventuellement, favorables aux francophones du côté américain puisqu à ce moment, le clergé dirigeait l éducation, la santé et bien sûr la religion. Ces services offerts en langue française allaient, tranquillement, être menacés par la langue anglaise à mesure que l influence du gouvernement du Maine s organisait dans la région. Les liens, entre les deux groupes, continuaient également d être présents grâce à l industrie du bois puisque plusieurs habitants de l ensemble du Madawaska allaient travailler, année après année, de l autre côté de la frontière, resserrant ainsi encore plus les liens entre les deux groupes désormais séparés par la frontière internationale de ce qui allait, d ici peu de temps, devenir le Canada et les États- Unis qui, de leur côté, existaient déjà depuis Par contre, le Madawaska canadien allait à nouveau subir une guerre de frontière impliquant son territoire nouvellement divisé, mais cette fois, les deux futurs gouvernements impliqués étaient ceux du Québec et du Nouveau- Brunswick. Un arrangement fût établi pour fixer les frontières actuelles en 1851 grâce à un acte du parlement de Londres. Contrairement à ce que pensent la plupart des gens, les habitants du Madawaska préféraient être rattachés au Nouveau-Brunswick. La raison souvent évoquée à ce moment était que l économie de la région était dirigée principalement par l industrie du bois et que le marché de ce produit, à l intérieur de la région du Madawaska canadien, était situé en aval du fleuve Saint-Jean. En effet, les principaux moulins à scie, où le bois de la région était utilisé, étaient localisés près de la ville de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick (voir annexe 2) et les bûcherons de la région du Madawaska utilisaient le fleuve pour transporter naturellement leur bois en le faisant flotter. Ils préféraient également demeurer sur leurs terres qui appartenaient déjà administrativement au territoire du Nouveau-Brunswick, plutôt que de se ranger du côté du Québec qui, culturellement du moins, leur ressemblait beaucoup plus en ayant la même langue et religion officielle.

26 17 Ces nombreuses divisions de frontières amenèrent inévitablement plusieurs personnes dont Alexandre Dugré, à comparer la région du Madawaska à la Pologne qui connut, historiquement, le même sort en se faisant diviser son territoire en trois régions différentes et sous trois pouvoirs politiques différents (Rhéaume, 1977). Malgré tout cela, les différentes régions du Madawaska demeurèrent liées culturellement surtout grâce aux similarités religieuses et linguistiques de leurs habitants. De 1870 à nos jours, l histoire du Madawaska et des interrelations entre les différentes populations du Madawaska pionnier a été relativement peu étudiée. Lors du présent mémoire, qui couvre cette période négligée, nous tenterons d établir l évolution des relations entre les habitants des deux principales régions (nous parlons ici des régions correspondant aujourd hui au Madawaska situé du côté du Nouveau-Brunswick et à celui situé du côté du Maine) du Madawaska qui allaient, à différents moments de leur histoire récente avoir tendance soit à se rapprocher, diminuant ainsi l impact de la frontière, ou soit à s éloigner renforçant ainsi l impact de la frontière.

27 18 Chapitre 2 Compilation des mariages et bases de données Pour arriver à bien présenter nos bases de données, nous allons procéder de la manière suivante : nous allons prendre chaque paroisse ou villes étudiées séparément et donner des renseignements généraux sur ces dernières en ce qui a trait à leurs caractéristiques particulières. Nous allons, par la suite, regrouper les paroisses ou villes étudiées selon leur origine nationale, et construire une base de données représentant les paroisses et/ou villes de chaque pays. Finalement, nous allons regrouper les villes ou paroisses ayant un lien international direct (pont routier) et une population plus importante, en une seule base de données (regroupant la paroisse d Immaculée-Conception, la paroisse de Saint-Thomas d Aquin et la ville de Van Buren) et les comparer aux paroisses plus petites et qui n ont pas de lien international direct (regroupant les paroisses de Sainte-Luce et de Saint-Hilaire). Ces bases de données sont, contrairement aux autres, indépendantes de leur origine nationale et les données ont dû être, pour ce qui est de leur cas, construites de façon quelque peu différente des autres (voir légende des tableaux 8 et 9 intégrée suite à la liste des tableaux, figures et illustrations). Il est important de mentionner que nous répéterons, pour chaque base de données étudiée, la différence d origine de la source utilisée (expliquée brièvement dans l introduction) et les différences que celles-ci pourraient avoir les unes envers les autres. Ces différences sont importantes puisqu elles influenceront légèrement l analyse des données effectuée à l intérieur des chapitres 3 et 4. L origine des mariés et mariées inscrits dans les tableaux intégrés à ce chapitre a dû, pour permettre d accumuler les données sur le moins de pages possibles, être écrite en abréviations. Pour vous permettre de bien comprendre