BIODIVERSITE BACTERIENNE EN MILIEU PELAGIQUE Influence des facteurs environnementaux et rôle dans le cycle du carbone

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1 MEMOIRE D HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES DE L UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE Spécialité : Ecologie Microbienne Présenté par Jean-François GHIGLIONE BIODIVERSITE BACTERIENNE EN MILIEU PELAGIQUE Influence des facteurs environnementaux et rôle dans le cycle du carbone Soutenue le 5 Juin 2012 Devant le jury composé de : Duran Robert, Professeur, Université de Pau Godon Jean-Jacques, Directeur de Recherches, INRA Narbonne Sime-Ngando Télesphore, Directeur de Recherches, Clermont-Ferrand Blain Stéphane, Professeur, Université Paris 6 Grémare Antoine, Professeur, Université Bordeaux 1 Sempere Richard, Directeur de recherches, Université de Marseille Rapporteur Rapporteur Rapporteur Examinateur Examinateur Examinateur 1

2 2

3 PLAN DU MANUSCRIT -Soutien à la recherche et remerciements -Introduction générale -Chapitre 1- Facteurs environnementaux qui structurent la distribution spatiale et temporelle de la diversité bactérienne des fractions totales et métaboliquement actives en milieu pélagique Variations spatiales et temporelles de la diversité bactérienne en milieu pélagique Exemples en Mer Méditerranée Nord Occidentale Exemples en zones polaires Arctique et Antarctique Prise en compte de la diversité des bactéries métaboliquement actives 1.2. Influence relative des paramètres environnementaux sur la structuration des communautés bactériennes dans différents conditions environnementales Changements saisonniers en milieu côtier Stratification estivale en milieu hauturier -Chapitre 2- Rôle de la diversité des bactéries libres et attachées aux particules dans le cycle biogéochimique du carbone en milieu pélagique 2.1. Changements rapides de diversité bactérienne en condition de bloom printanier et influence sur la reminéralisation de la matière organique dissoute et particulaire en milieu hauturier 2.2. Contribution des bactéries métaboliquement actives à la diversité des bactéries attachées aux particules en milieu hauturier 2.3. Rôle de la diversité des bactéries attachées aux particules dans la transformation de la matière organique en milieu estuarien 2.4. Influence des paramètres environnementaux sur la distribution de la diversité des bactéries attachées aux particules en milieu lagunaire -Chapitre 3- Rôle de la diversité bactérienne dans la régulation des processus de biodégradation des hydrocarbures pétroliers en milieu marin pélagique 3.1. Impact de la pollution par les HAP sur les communautés bactériennes pélagiques côtières marines en condition naturelle Evaluation in situ de l influence relative des HAP comparée à d autres paramètres physicochimiques sur la structure des communautés bactériennes en milieu côtier Impact de la récurrence des pollutions sur la réponse des bactéries à l apport de pétrole et à la biostimulation Contrôle de la diversité des bactéries hydrocarbonoclastes par les ressources (bottom-up) et par la prédation (top-down) 3.3. Exemple d identification de la diversité associée à une fonction par l utilisation de marquage par des isotopes stables : cas des bactéries dégradant les HAP 3

4 -Projets de recherches : -Projet 1 : Rôle de la diversité microbienne dans la régulation de la transformation de la matière organique dissoute et particulaire lors d épisodes de convection et de cascades d eaux denses en Mer Méditerranée -Projet 2 : Etudes écotoxicologiques des eaux littorales -Références bibliographiques -Annexes: -Annexe 1 : Curriculum Vitae -Annexe 2 : Diffusion du travail -Annexe 3 : Trois publications significatives 4

5 Soutien à la recherche et remerciements Les recherches qui vont vous être présentées dans ce manuscrit n auraient pu voir le jour sans mon implication active dans de nombreux programmes scientifiques nationaux et internationaux. Ces programmes m ont apporté le soutien financier pour les importants moyens nécessaires à une recherche pluridisciplinaire utilisant des technologies dites «de nouvelles générations». Ils ont été également un moyen de partager des connaissances avec de nombreux collègues permanents et non-permanents de la recherche institutionnelle et privée. Ils m ont permis enfin d acquérir une expérience de terrain en participant à 11 campagnes océanographiques (235 jours de mission en mer) avec des moyens à la mer exceptionnels. Je tiens également à remercier les différents directeurs d unité de l UMR 7621 qui se sont succédés durant ces dix dernières années : Antoine Grémare, Jean-Marc Guarini, Stéphane Blain ainsi que tous les membres de cette unité. 5

6 Mes collaborateurs principaux durant ces dix années de recherche au CNRS ont été Alison Murray (Université de Réno, EU), Madeleine Goutx et France van Wambecke (MIO- Marseille), Régis Grimaud (IPREM-Univ. Pau), Hervé Gueuné (Sté CORRODYS), Daniel Delille, Fabien Joux, Pascal Conan et Mireille Pujo-Pay (LOMIC). Ces travaux ont également été l occasion d assurer l encadrement de plusieurs étudiants ainsi qu une étroite collaboration avec plusieurs post-doctorants, que je profite pour remercier ici: Mes remerciements vont également à ma famille et à mes amis. Une pensée particulière pour mes parents, ma sœur et mon frère qui ont cru en moi, qui m ont toujours soutenu et me soutiennent encore. Merci aussi à la formation de Master Océano qui m a permis de rencontrer ma femme Mylène «pour le meilleur et pour le meilleur» et merci à ma fille Péma qui découvre avec bonheur les joies de la Mer. 6

7 Introduction générale 7

8 L Ecologie microbienne marine : une science relativement récente dont l évolution conceptuelle est dépendante de la levée de verrous méthodologiques. Les révolutions successives de l étude de la diversité microbienne Mon recrutement en Sept s est effectué sur un poste thématique Science de la Vie/ Science de l Univers (SDV/SDU) intitulé «Influence de la biodiversité dans la régulation des cycles biogéochimiques». Cette problématique reste encore d actualité dans le domaine de l Ecologie microbienne marine, qui est une science relativement récente. C est en effet au milieu des années 1970 que Lawrence Pomeroy (1974) a suggéré pour la première fois le rôle central joué par une chaîne alimentaire planctonique dans les cycles biogéochimiques océaniques, incluant le petit phytoplancton, les bactéries et les protistes. Le concept de «boucle microbienne», séparant le compartiment microbiologique de la chaîne alimentaire linéaire pélagique, n est apparu qu en 1983 (Azam et al. 1983, Ducklow et al. 1983). Du fait de leur petite taille invisible à l œil, l étude des microorganismes a toujours été dépendante de la levée de verrous méthodologiques. Il fallut attendre 1985 pour qu une nouvelle révolution soit annoncée par «the great plate count anomaly». En utilisant le comptage direct en microscopie par épifluorescence, Staley et Konopka (1985) montraient qu au lieu de centaines ou milliers de bactéries par millilitre d eau de mer obtenues par comptage sur milieu de culture solide, il s agissait plutôt de millions de bactéries par millilitre d eau de mer, ce qui élevait les bactéries au rang des organismes les plus abondant des Océans (après les virus). C est également en 1985 que Dave Kirchman développa une mesure d activité bactérienne encore classiquement utilisée de nos jours. Cette méthode fondée sur l incorporation de leucine radioactive permet de mesurer le taux de production de protéine par les bactéries marines. Elle permit d estimer que 20 à 50% de la production primaire transitait par le compartiment bactérien, confirmant le rôle essentiel joué par les bactéries dans la reminéralisation la matière organique en milieu pélagique (Cho & Azam 1990). Jusque dans les années 1990, la diversité des espèces bactériennes était considérée comme une «boîte noire» par les écologistes microbiens. La «plate count anomaly» suggérait que moins de 0.1% des bactéries était cultivable. Mes premiers travaux de recherche en DEA (master 2) s intéressaient à la diversité des bactéries cultivables, et ils faisaient partie des multiples preuves mettant en évidence que le morphotype des colonies, généralement utilisé comme critère préliminaire pour distinguer différentes espèces sur milieu de culture solide, 8

9 Du cultivable à l ARNr 16S n était pas un critère discriminant pour la majorité des morphotypes rencontrés en milieu marin (Lebaron et al. 1998). Même si de nouvelles méthodes de culture dites par «dilution-extinction» augmentent la représentativité des bactéries cultivables (Connon & Giovannoni 2002), les méthodes de culture restent très laborieuses et inadaptées à l étude de la biodiversité bactérienne marine. Une révolution de la vision de la diversité bactérienne et du monde vivant en général est apparue avec les travaux de Woese (1987) qui, par une analyse comparative des séquences des gènes ARNr 16S et 18S, décrivit 3 domaines du vivant: Bacteria, Eucarya et Archaea. Le domaine bactérien y était divisé en 12 phyla (ou «divisions», ou «règnes») sur une base phylogénétique où un phylum consiste en deux ou plusieurs séquences ARNr 16S monophylétiques et non affiliées à tout autre groupe d un autre phylum. Ces travaux ont été le point de départ d une description exponentielle de nouvelles espèces bactériennes à partir de méthodes moléculaires utilisant les propriétés de l ARNr 16S, outrepassant du même coup le problème de la faible représentativité des bactéries cultivables. De manière empirique, la définition de l espèce bactérienne a été fixée à une homologie de 97% de l ARNr 16S entre deux individus de la même espèce, correspondant à une hybridation de 70% de leur ADN génomique (Stackebrandt and Göbel 1994). La première description de la diversité bactérienne en milieu marin pélagique utilisant les propriétés de l ARNr 16S montra un nombre très important de séquences non reliées aux séquences d organismes cultivés (Giovannoni et al. 1990). Un nouveau clade, SAR11, découvert dans le cadre de cette étude sera postérieurement identifié comme le groupe le plus abondant dans tous les Océans du Monde (Giovannoni et Rappé. 2000). Durant les 20 dernières années, le développement de nouveaux outils de la biologie moléculaire a permis de nettes avancées dans l étude de la diversité bactérienne en milieu marin. Il existe à ce jour une large palette de méthodologies à l usage des Ecologistes microbiens, utilisables selon le champ d investigation envisagé a priori, chaque méthode ne répondant pas à toutes les questions. En milieu marin, les techniques les plus couramment utilisées sont les méthodes non-destructives reposant sur des observations microscopiques 9

10 Une grande palette de techniques d analyses de l ARNr 16S (Fluorescent In Situ Hybridization - FISH) et des méthodes destructives reposant sur l extraction des acides nucléiques et l amplification du gène ARNr16S par PCR (polymerase chain reaction). Les produits PCR sont alors directement séparés par des méthodes d empreintes moléculaires (DGGE, CE- SSCP, T-RFLP, ARISA, LH-PCR) ou en construisant des banques de clones qui sont séquencés selon la technique de Sanger (1977). La description de ces techniques a fait l objet de plusieurs revues, soulignant leurs avantages et inconvénients (Ranjard et al. 2000, Dorigo et al. 2005, Smalla et al. 2007). Mon recrutement en 2001 se situait dans cette nouvelle vague utilisant les «développements récents de la biologie moléculaire» qui devaient permettre d évaluer le rôle de la biodiversité microbienne dans le «fonctionnement des écosystèmes». Figure 1 : Arbre phylogénétique basé sur le maximum de vraisemblance du domaine des bactéries. Les phyla sont distingués par la couleur de leur branche et les noms d espèces indiquées en rouge sont référencés à la GEBA (Genomic Encyclopedia of Bacteria and Archaea) (Wu et al. 2009). 10

11 La récente révolution de l analyse de la diversité bactérienne par pyroséquençage. L étude de la biodiversité bactérienne : un prérequis pour de nombreuses questions d Ecologie microbienne La limitation du nombre de clones analysés par la technique de Sanger a été récemment résolue par les méthodes d extension cyclique dont le pyroséquençage fait partie. Avec la levée de cette limitation, nous sommes en train d assister à une révolution de notre façon d analyser la diversité bactérienne, qui devrait propulser le pyroséquençage comme méthode de choix dans un avenir proche. Le pyroséquençage 454 est une technique peu onéreuse comparée au coût par base séquencée par la méthode de Sanger et cette technique a d ores et déjà changé le potentiel d investigation de la génomique en général (Margulies 2005). Le pyroséquençage utilise les acides nucléiques extraits et ne nécessite pas d étape de clonage. Il consiste à détecter en temps réel le pyrophosphate (PPi) produit lors de l incorporation de nucléotides durant la synthèse de l ADN [(DNA) n + dntp -> (DNA) n+1 + PPi ]. Sogin et al. (2006) ont été les premiers auteurs à adapter le pyroséquençage à l analyse de la diversité bactérienne et à faire le premier pas dans ce qu ils ont nommé la «rare biosphere» (les espèces rares). Dans cette étude, plus de séquences a été générées à partir d un seul passage en pyroséquençage, plus qu aucune étude jamais réalisée jusqu alors avec la technique de séquençage de Sanger. Le Chapitre 1 de ce manuscrit montrera comment mes travaux contribuent actuellement à redéfinir certaines notions de biogéographie des communautés bactériennes marines grâce à l utilisation de cette méthode dite «de nouvelle génération». Au-delà de la description de nouvelles espèces ayant des propriétés remarquables, notre habilité à mesurer la diversité bactérienne est un prérequis pour l étude systématique de la biogéographie, du suivi de l'évolution spatiotemporelle des populations d'une communauté, pour comparer les structures de plusieurs communautés, ou encore relier des modifications de la structure d'une communauté avec différents descripteurs du milieu, comme la productivité ou la quantité d'un polluant. Le compartiment microbien joue un rôle clé dans la régulation des contraintes que subit l'écosystème marin face à l'action directe ou indirecte des activités humaines ou des phénomènes climatiques naturels. Il constitue aujourd hui un compartiment biologique incontournable dans la compréhension du milieu marin et de sa réaction aux perturbations anthropiques. 11

12 Comment relier la biodiversité bactérienne à la régulation des cycles biogéochimiques? Comme je l ai souligné plus haut, mon recrutement posait la question de l «Influence de la biodiversité dans la régulation des cycles biogéochimiques». Les récentes avancées de la biologie moléculaire nous permettent aujourd hui d accéder à une vision de plus en plus précise de la très grande biodiversité bactérienne, qui n était considérée que comme une «boîte noire» dans les années En Janvier 2012, on dénombrait séquences ADNr 16S différentes alignées et annotées appartenant aux domaines des Bacteria (95% des séquences) et Archaea (5% des séquences) sur le site du ribosomal database project ( Néanmoins, moins de 15% des séquences disponible dans les bases de données appartiennent à des bactéries cultivées, ce qui pose le problème de la connexion entre la structure des communautés bactériennes et leur fonction écologique. La relation entre la biodiversité bactérienne et son rôle dans la régulation des cycles biogéochimiques n est pas triviale. Nous verrons tout au long de ce manuscrit les différentes directions que j ai choisi de prendre pour apporter des éléments de réponse à cette question. La question de l «influence de la biodiversité dans la régulation des cycles biogéochimiques» a en effet constitué la ligne directrice des recherches que j ai menées depuis un peu plus de dix ans de carrière au CNRS. J ai organisé ce manuscrit autour de trois questions : CHAPITRE 1 - Comment les facteurs environnementaux contribuent-ils à structurer la distribution spatiale et temporelle de la diversité bactérienne des fractions totales et métaboliquement actives en milieu pélagique? Ce chapitre abordera des notions de biogéographie de la diversité des bactéries marines et décrira comment les paramètres environnementaux peuvent expliquer les tendances de la répartition spatiale et temporelle des communautés bactériennes que j ai observées en milieu marin pélagique côtier et hauturier, mais aussi en milieu lagunaire et lacustre. CHAPITRE 2 - Quel est le rôle de la diversité des bactéries libres et attachées aux particules dans le cycle biogéochimique du carbone en milieu pélagique? Ce chapitre propose différents exemples reliant les nouvelles connaissances de la diversité bactérienne aux variations du taux de reminéralisation de la matière organique dissoute et particulaire en milieu pélagique côtier et hauturier. 12

13 CHAPITRE 3 - Quel est le rôle de la diversité bactérienne dans les processus de bioremédiation des hydrocarbures pétroliers en milieu pélagique? Ce dernier chapitre s intéresse à la fois à l impact des contraintes environnementales de plus en plus fortes auxquelles ont à faire face les communautés bactériennes en milieu littoral, mais aussi au rôle de la diversité des bactéries hydrocarbonoclastes dans le «service rendu par les microorganismes» en stimulant leurs capacités de bioremédiation d écosystèmes pollués. Il propose enfin de nouvelles pistes d investigation dans ce domaine. 13

14 14

15 Chapitre 1 Facteurs environnementaux qui structurent la distribution spatiale et temporelle de la diversité bactérienne des fractions totales et métaboliquement actives en milieu pélagique 15

16 1.1. Variations spatiales et temporelles de la diversité bactérienne en milieu pélagique Exemples en Mer Méditerranée Nord Occidentale. Supports programmatiques relatifs à cette partie: -PNEC ART5 (2002): Programme National Environnement Côtier (PI : Ghiglione JF) -IFB-OBSDIV (2005): Observatoire de la diversité microbiologique (PI : Ghiglione JF & Lebaron P) - Europe BASICS ( ): Bacterial single-cell approaches to the relationship between diversity and function in the Sea (PI : Gasol JM) -PROOF PECHE ( ): Production et Exportation du Carbone : contrôle par les organismes HEtérotrophes à petite échelle de temps (PI Andersen V et Goutx M) Diffusion du travail relative à cette partie : Ghiglione et al Aquatic Microbial Ecology (IF 2.38) Ghiglione et al Biogeosciences (IF 3.45) Rodriguez-Blanco et al FEMS Microbiology Ecology (IF 3.35) Lami et al Aquatic Microbial Ecology (IF 2.38) Ducklow et al Aquatic Microbial Ecology (IF 2.38) L émergence des «Observatoires Microbiologiques» Les stations d Observations sont des outils essentiels pour comprendre les facteurs qui contrôlent les communautés biologiques et pour suivre et prédire leur évolution lorsqu ils sont soumis à des changements environnementaux. Il existe à l heure actuelle une émergence d Observatoires Microbiologiques dans la communauté internationale qui ont pour objectif (i) d explorer la biodiversité des microorganismes, d appréhender les facteurs qui contrôlent leurs changements et (ii) d utiliser la veille microbiologique comme indicatrice de perturbations environnementales à court ou long terme. En association avec l initiative SOMLIT (Service d Observation en Milieu LITtoral la Station d Observation du Laboratoire Arago (SOLA) a été mise en place au début de l'année 1997 en Baie de Banyuls sur Mer (plateau continental du Golfe du Lion) et fixée par 27 m de profondeur. C est à partir de mon recrutement en 2001 que ce site a été choisi comme Observatoire Microbiologique et pérennisé à l aide de différents programmes que j ai coordonné ou auxquels j ai participé (programmes nationaux financés par le PNEC et l IFB et programme Européen BASICS). Le caractère dynamique du milieu pélagique marin impose que toute étude traduisant la structure des communautés bactériennes utilise une stratégie d'échantillonnage adaptée à l'échelle de variation considérée, tant spatiale que 16

17 Stratégie d échantillonnage de la diversité bactérienne en milieu marin : nécessité d outils hautement résolutifs et hautement reproductibles temporelle. Cette question fondamentale pour l analyse du compartiment bactérien n a été que très rarement explorée. Si plusieurs études ont été publiées sur les variations spatio-temporelles des communautés bactériennes dans différentes mers du globe, différents auteurs soulignent en effet que le choix de la taille des échantillons et l évaluation précise de leur représentativité à différentes échelles spatiales et temporelles ne sont que rarement mentionnées (Murray et al ; Schauer et al. 2000). Pour aborder cette question, il est essentiel de disposer d'outils d observation hautement résolutifs et hautement reproductibles. Les empreintes moléculaires répondent à cette attente en donnant une image de la structure des communautés bactériennes et en permettant de comparer rapidement un grand nombre d échantillons à moindre coût. La plupart des techniques d empreintes moléculaires utilisent la dissimilarité des séquences de l ARNr 16S entre les espèces bactériennes. Par exemple, la DGGE (denaturing gradient gel electrophoresis) a longtemps été majoritairement utilisée pour l analyse des communautés bactériennes et pour l identification de ribotypes d intérêt par excision des bandes du gel puis clonage et séquençage (Muyzer et al. 1993, Muyzer et Smalla 1998). Néanmoins, cette technique présente l inconvénient d une faible reproductibilité entre les gels, limitant la comparaison à un nombre réduit d échantillons (20 maximum). Des techniques reposant sur l électrophorèse capillaire ont émergés plus récemment pour permettre la comparaison fiable d un nombre théoriquement infini d échantillons. C est le cas de la T-RFLP (Terminal - Restriction Fragment Length Polymorphism) qui fut largement utilisée dans de nombreux environnements (Avaniss-Aghajani et al. 1994, Liu et al. 1997, Osborn et al. 2000), mais qui montre un nombre de pics (ribotypes) par échantillons souvent insuffisant en milieu marin. La technique d ARISA (Amplified Ribosomal Intergenic Spacer Analysis) génère beaucoup plus de pics puisqu elle utilise les variations au niveau de la sousespèce de la région intergénique entre l ARNr 16S et 23S (Intergenic Spacer, ITS), mais pose le problème du niveau taxonomique étudié. Avec l aide de l équipe d Ecologie Microbienne du Laboratoire de Biotechnologie de l'environnement de l INRA de Narbonne, j ai transposé la technique de CE- SSCP (capillary electrophoresis single strand conformation polymorphism) jusque-là mise au point pour le milieu tellurique et les boues activées (Lee et 17

18 al ; Godon et al. 1997) à l analyse de la structure des communautés bactériennes marines. Cette approche s est avérée très reproductible et particulièrement bien adaptée pour l analyse de la structure des communautés du milieu pélagique marin (Ghiglione et al. 2005). Comme pour les autres techniques d empreintes moléculaires, nous avons pu vérifier que l identification taxonomique des pics de profils CE-SSCP est réalisable (Rodriguez-Blanco et al. 2009, Lami et al. 2009) (Figure 2). La CE-SSCP: une technique d empreinte moléculaire de choix pour l analyse de la structure des communautés bactériennes en milieu pélagique Figure 2 : Assignation des pics CE-SSCP (en haut) par une banque de clones effectuée sur le même échantillon (à gauche). Pour chaque pic CE-SSCP, le ou les clones présentant la même migration électrophorétique sont indiqués, ainsi que le pourcentage du clone le plus fréquemment rencontré sous ce pic. ND : pic dont l identité n a pas pu être déterminé. 18

19 Echelles de variations spatiales et temporelles des communautés bactériennes Récemment, nous avons comparé cette technique avec la DGGE, la T-RFLP et la LH-PCR (Length Heterogeneity PCR, qui utilise la variation naturelle de taille de l ADNr 16S) sur les mêmes échantillons. Ces travaux ont montré que la CE-SSCP détectait plus de groupes phylogénétiques, présentait une meilleure résolution en terme de pics détectés et était moins affectée par la comigration de plusieurs séquences sous un même pic ou par la production de plusieurs pic par une même espèce (Ducklow et al. 2011). Des résultats similaires ont été observés lors d une comparaison entre la DGGE et la CE- SSCP dans un écosystème minier (Hong et al. 2007), suggérant que la CE- SSCP soit effectivement un outil d observation hautement résolutif et hautement reproductible de choix pour l analyse d un grand nombre d échantillons. En milieu marin, nous avons montré que la taille optimale de l échantillon d eau de mer à prélever pour obtenir une représentativité suffisante de la diversité bactérienne était d au moins cellules (environ 50 ml) pour la CE-SSCP. L échelle de variation spatiale des communautés bactériennes a été abordée à la fois à partir d un échantillonnage aléatoire de 200m autour de la station d Observation côtière SOLA, et à partir un transect de 33km de la station SOLA vers le large. Nous avons observé que la structure des communautés bactériennes ne variait pas dans un rayon de 3,7km autour de la station d Observation SOLA, avec des variations significatives observées seulement à partir de 9.3 km au large de cette station. L étude des échelles de variation temporelle à la station d Observation SOLA durant l année a montré que la structure des communautés varie à l échelle du mois, alors qu elle reste identique à l échelle de la semaine, du jour, ou de l heure (Ghiglione et al. 2005). Quatre banques de clones ont été réalisées à partir de l analyse de 650 clones (en moyenne 160 clones analysés par saison). Les -Proteobactéries, les -Proteobactéries, les Bacteroidetes et les Cyanobactéries sont les groupes dominants retrouvés au long de l année, mais leur proportion relative montre une saisonnalité marquée. Par exemple, les -Proteobactéries sont plus abondant à la saison chaude et les populations majoritaires de ce groupe, SAR11 et Roseobacter, montrent une évolution 19

20 Les stations d Observations en milieu hauturier MOLA et DYFAMED : stratification verticale des communautés bactériennes opposée dans le temps (R=-0,93). Un résultat original de cette étude a été de montrer qu un tiers de la richesse bactérienne était associée à une microdiversité des grands groupes phylogénétiques rencontrés, qui évoluent très significativement entre les saisons. Ces résultats ont été pionniers par la robustesse de leur échantillonnage et ils ont permis d envisager différentes échelles spatiales et temporelles selon la question posée. Par exemple, nous avons proposé un échantillonnage mensuel pour suivre les effets de changements environnementaux à long terme (changements climatique), alors qu un échantillonnage hebdomadaire serait plus adéquat pour le suivi de l effet d événements à court terme (bloom phytoplanctonique, crue, pollution localisée, ). Ces résultats ont été confirmés par d autres travaux postérieurs à cette étude menés sur d autres Observatoires Microbiens (Fuhrman et al. 2006, Alonso-Saez et al. 2007, Gilbert et al. 2009). Une autre station d Observation a été créée au large de Banyuls sur mer à l initiative de Philippe Lebaron (Directeur du Laboratoire Arago). Cette station hauturière (profondeur max. 1000m) nommée Microbial Observatory of the Laboratoire Arago (MOLA) vient renforcer la mission d Observation du Laboratoire Arago initiée avec la station côtière SOLA (Figure 3). Nous avons pu montrer que la structure des communautés bactériennes à la station hauturière MOLA est très différente de celle de la station côtière SOLA dont elle est distante de 33 km. Par contre, la structure des communautés varie très peu le long d un transect de 98 km au large de la station MOLA (Rodriguez- Blanco et al. 2009). Ces travaux ont également permis de mettre en évidence une stratification verticale de la structure des communautés très marquée au large, alors qu elle n était peu ou pas visible sur le plateau continental. Ces résultats sont en accord avec les observations menées dans d autres milieux hauturiers, tels que dans les Océans Atlantiques et Pacifiques (Lee & Fuhrman 1991), en mer Méditerranée (Acinas et al. 1997, Moeseneder et al. 2001) et dans l Océan Austral (Murray et al. 1998). 20

21 SOLA MOLA DYFAMED Figure 3 : Localisation des stations d observations en Mer Méditerranée étudiées dans le cadre des travaux présentés. Les stations SOLA (Station d Observation du Laboratoire Arago) et MOLA (Microbial Observatory of the Laboratoire Arago) sont situées à l Ouest du Golfe du Lion au large de Banyuls sur mer. La station DYFAMED (DYnamique des Flux Atmosphériques en MEDiterranée) est située en Mer Ligure entre Nice et la Corse. D autres travaux nous ont également permis d observer une stratification verticale très marquée à la station d Observation hauturière située en Mer Ligure, entre Nice et la Corse : la station DYFAMED (DYnamique des Flux Atmosphériques en MEDiterranée) (Figure 3). Un échantillonnage intensif durant un mois (Sept.- Oct. 2004) en condition de stratification estivale a été réalisé lors de la campagne océanographique DYNAPROC II dans le cadre du programme PROOF-PECHE. Ce suivi haute fréquence a révélé une différence très nette entre la structure des communautés de surface (0-40m), proche du maximum de chlorophylle et en dessous (80-150) et dans le mésopélagique ( ) (Figure 4) (Ghiglione et al. 2008). 21

22 Stress: 0.14 A-5 D-20 B-5 A-20 A-40 B-20 D-40 C-5 C-40 B-60 D-5 C-20 D-150 B-80 A-150 D-60 C-200 A-80 D-80 D-200 C-80 C-150 B-150 C-500 C-60 A-700 D-400 A-200 B-400 D-700 D-500 A-400 C-400 B-500 B-700 C-700 B-1000 A-1000 A-60 B-40 C-1000 Figure 4. A gauche: profils de la communauté bactérienne par CE-SSCP à différentes profondeurs. A droite: Analyse en MDS (MultiDimensional Scaling) de la similarité (Bray Curtis) des profils CE-SSCP échantillonnés à différents temps et profondeurs à la station d Observation DYFAMED. La répartition des profondeurs est organisée en 3 groupes: 0-40m (Δ), m (Ο) et m ( ) Variations spatiales et temporelles de la diversité bactérienne des milieux pélagiques en zones polaires Arctique et Antarctique Supports programmatiques relatifs à cette partie: -Année polaire internationale ( ) Polar Observatories of Microbial Biodiversity in Antarctic and Sub-Antarctic zones (PI JF Ghiglione) -National Science Foundation-CAML ( ): Census of Aquatic Marine Life (PI AE Murray) -IPEV-MICROBIOKER ( ): Impact écologique des hydrocarbures sur la boucle micobienne en Antarctique (PI Delille D) Diffusion du travail relative à cette partie : Ghiglione & Murray 2012 Environmental Microbiology (IF 5.54) Ghiglione et al. en préparation soumission PNAS (IF 9.77) Etude des changements saisonniers de diversité bactérienne dans l Océan Austral par une approche de pyroséquençage 454. Si le clonage/séquençage était considéré comme la technique de choix pour analyser la diversité taxonomique et phylogénétique bactérienne d un échantillon marin jusqu en 2005, sa représentativité reste néanmoins sujette à 22

23 Le pyroséquençage : une nouvelle révolution de l étude de la diversité bactérienne. Une collaboration entre les bases polaires française (Kerguelen) et américaine (Palmer) caution. En effet, cette technique reste lourde et même si le coût d analyse a largement diminué ces dernières années, la plupart des travaux utilisant cette approche se sont limités à l analyse de quelques centaines de clones par échantillon. Si on considère que la diversité bactérienne contenue dans 1 litre d eau de mer atteint en moyenne plus de espèces, on se rend compte que 200 clones ne donnent qu une faible représentation de la diversité des espèces présentes (moins de 1%). De nouvelles techniques de séquençage ont permis de lever ce verrou méthodologique et d offrir aux écologistes microbiens un outil très puissant pour l analyse de la diversité bactérienne dont ils ne disposaient pas jusqu alors. Depuis les 5 dernières années, le coût du séquençage de l ADN a diminué de manière dramatique avec l avancée de la technologie de séquençage de type MPS (Massively Parallel Sequencing) (Margulies et al., 2005; Rogers and Venter, 2005). Le Pyroséquenceur 454 de la société Roche a été utilisé pour la première fois en Ecologie microbienne par Huber et al. (2007) et depuis, des équipes du monde entier utilisent cette technologie. Nous avons utilisé cette technologie en collaborant avec une équipe américaine du Desert Research Institute (Réno, NV, USA) dans le cadre de l année polaire internationale. C est dans le cadre du programme NSF-CAML coordonné par A.L. Murray que nous avons pu accéder à la plateforme de pyroséquençage du Marine Biological Laboratory in Woods Hole (MA, USA). Le prélèvement mensuel des échantillons durant l année 2007 a été effectué dans le cadre du programme IPEV-MICROBIOKER. Nous avons analysé plus de séquences d ARNr 16S (chiffre à comparer aux 200 séquences généralement analysées par clonage/séquençage) obtenues à partir d échantillons sélectionnés lors d un suivi mensuel organisé durant une année à deux stations d Observation côtières en zones Antarctique (Palmer, US) et Sub-Antarctique (Kerguelen, FR). Le traitement du nombre considérable de séquences a été rendu possible grâce au récent développement de la plateforme d analyse Visualization and Analysis of Microbial Population Structures (VAMPS) du Josephine Bay Paul Center. Cette collaboration franco-américaine nous a permis d observer que la diversité bactérienne des zones Antarctique et Sub-Antarctique étaient très différentes, avec notamment une disparité importante de la distribution des séquences majoritaires de 23

24 Différence importante de la diversité bactérienne de l Océan Antarctique entre les saisons estivales et hivernales avec une richesse plus importante du bacterioplancton en hiver Gammaproteobacteria, Alphaproteobacteria et Bacteriodetes. Couplé à des méthodes d empreintes moléculaires classiques (CE-SSCP et DGGE), nous avons observé des changements de structure de communautés très important entre les deux saisons présentes à ces latitudes, avec une richesse des espèces bactériennes plus importante en hiver, surtout à la station Antarctique PALMER. Aux deux stations, plusieurs groupes abondants tels que les Rhodobacteraceae, Gammaproteobacteria et Bacteriodetes montrent des variations importantes dans leur abondance et leur composition (Ghiglione et Murray, 2012). Dans cette étude, nous avons également trouvé des tendances similaires lorsque nous avons comparé les résultats obtenus par les techniques CE-SSCP, DGGE et pyroséquençage 454, suggérant que les empreintes moléculaires, lorsqu elles prennent en compte la présence et l intensité des pics ou bandes, reflètent bien la structure de la communauté totale (contrairement à l idée répandue de leur limitation par le faible nombre de pics ou bandes détectées). (A) (B) Figure 5. (A) Courbe d accumulation des données de pyroséquençage montrant l effort d échantillonnage de la diversité, estimée entre 58 et 68% de la diversité totale selon les échantillons. La richesse en espèces bactériennes est plus importante en hiver dans ces zones polaires. (B) Comparaison des dendrogrammes UPGMA obtenus à partir des données de pyroséquençage ou d empreintes moléculaires (DGGE et CE-SSCP) montrant des organisations très similaires entre les techniques. 24

25 Biogéographie des communautés bactériennes pélagiques du pôle nord au pôle sud Figure 6. Carte globale indiquant la localisation des échantillons prélevés en Antarctique (à gauche) et en Arctique (à droite). Les coordonnées des échantillons est disponible sur le site Les zones polaires pour étudier la biogéographie des bactéries marines Les régions polaires Arctiques et Antarctiques offrent une opportunité unique de tester les facteurs qui influencent la biogéographie des communautés microbiennes marines puisqu elles représentent à la fois une situation extrême de séparation géographique tout en partageant des pressions de sélection similaires. A notre connaissance, ce travail présente la comparaison la plus globale jamais réalisée de la diversité du bactérioplancton entre les Océans polaires Arctique et Antarctique en utilisant une analyse standardisée de données de pyroséquençage de la région V6 de l ARNr 16S. Cet effort inclus également des microbiomes échantillonnés à de plus basses latitudes pour proposer une perspective globale, portant l analyse à séquences. De manière surprenante, nous avons observé une différence claire entre les microbiomes des Océans polaires Arctique et Antarctique : 78.0% des OTUs ont été trouvées dans l Océan Antarctique et pas dans l Arctique, et inversement 70.4% des OTUs ont été trouvées en Arctique et pas dans l Océan Antarctique. 25

26 Spéciation sympatrique des communautés de la zone euphotique et spéciation allopatrique des communautés méso- et benthypélagiques Pas d évidence de gradient latitudinal de la richesse bactérienne Même si les bactéries des Océans des deux pôles étaient plus proches entre elles comparées à celles présentes à de plus faibles latitudes, les analyses comparant des échantillons provenant de la côte ou du large, de différentes profondeurs et de différentes saisons démontrent que les communautés bactériennes des Océans polaires Arctique et Antarctique sont toujours différentes. Les communautés bactériennes Arctique et Antarctique échantillonnées dans des zones côtières étaient plus différentes entre elles que celles des zones hauturières. Inversement, les communautés méso- et bathypélagiques étaient moins différentes entre les pôles et avec les échantillons des océans profonds prélevés à de plus faibles latitudes (Figure 7). Ces résultats nous amènent à proposer que le bacterioplancton de surface est plus influencé par les conditions environnementales contemporaines, telles que la lumière, la variabilité des ressources et du climat (spéciation sympatrique), alors que les communautés profondes sont structurées par la balance entre une isolation historiquement plus longue et une connectivité via la circulation océanique (spéciation allopatrique). Contrairement à d autres études antérieures, nous n avons pas pu mettre en évidence de gradient latitudinal de la richesse du bactérioplancton. Ce résultat soutient la thèse selon laquelle la taille des organismes influence le degré d importance du gradient latitudinal sur l alpha-diversité (Fenchel & Finlay, 2004). En effet, les petits organismes ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que les organismes de plus grande taille dont la richesse diminue avec la latitude, ce qui expliquerait la répartition cosmopolite des protozoaires (Fokin, 2000), des diatomées (Hillebrand and Azovsky 2001) et de la meiofaune (Giere 1993). Ce travail a permis d identifier les groupes bactériens majeurs présents en milieu côtier et hauturier en surface et en milieu profond, et propose une base solide pour la compréhension de la biogéographie du bactérioplancton pélagique. 26

27 Figure 7. Dendrogramme UPGMA basé sur la dissimilarité de Bray Curtis des séquences V6 du gène ARNr 16S d échantillons pélagiques prélevés en Arctique (bleu), en Antarctique (rouge) et en Mer Mediterranée, dans les Océans Pacifique et Atlantique (gris). Le nom des échantillons est codé par région océanique_code de la base de donnée VAMPS_côtier (C) ou hautuirer (O)_profondeur en mètres. Les régions océaniques de l Océan Antarctique (SO) sont Amundsen Sea (AS), Antarctic Peninsula (AP), Kerguelen Islands (KI), Ross Sea (RS), Weddell Sea (WS) et celles de l Océan Arctique (AO) sont Baffin Bay (BB), Beaufort Sea (BS), Chukchi Sea (CS), East Siberian Sea (ES), Franklin Bay (FB). Les groupes de dissimilarité ont été nommés Summer Antarctic coastal (A), Summer Arctic coastal (B), Winter Antarctic coastal (C), Winter Arctic coastal (D), Kerguelen Islands coastal (E), Summer Antarctic open ocean (F), Summer Arctic open ocean (G), Summer Western Arctic deep (H), Summer Western Arctic Deep (I), Summer Eastern Arctic and Antarctic Deep (J) and Mid-latitude large cluster (K). 27

28 Prise en compte des bactéries métaboliquement actives dans l étude de la structure des communautés bactériennes Supports programmatiques relatifs à cette partie: -IFB-OBSDIV (2005): Observatoire de la diversité microbiologique (PI : Ghiglione JF & Lebaron P) - Europe BASICS ( ): Bacterial single-cell approaches to the relationship between diversity and function in the Sea (PI : Gasol JM) Diffusion du travail relative à cette partie : Rodriguez-Blanco et al FEMS Microbiology Ecology (IF 3.35) Lami et al Aquatic Microbial Ecology (IF 2.38) L ARNr 16S comme marqueur de l activité métabolique des bactéries Si l émergence des techniques d empreintes moléculaires a conduit à une meilleure compréhension de la structuration des populations bactériennes dans les écosystèmes côtiers et hauturiers, le lien entre la structure des communautés bactériennes et l activité des populations reste encore très peu documenté. Différents auteurs ont souligné la possible utilisation de l ARNr 16S comme marqueur de l activité des bactéries, puisqu il intervient dans la structure des ribosomes impliqués dans la machinerie cellulaire de synthèse des protéines (Poulsen et al. 1993, Moeseneder et al. 2001, Trousselier et al. 2002). L optimisation de la technique CE-SSCP pour l analyse simultanée des ADNr 16S et des ARNr 16S nous a alors permis d accéder à l analyse couplée de la structure des communautés bactériennes totales et métaboliquement actives (Figure 8). Un nouveau suivi annuel ( ) réalisé à la station côtière SOLA a montré que les structures des communautés bactériennes totales vs. métaboliquement actives étaient soumises aux mêmes variations saisonnières. Une analyse détaillée des ribotypes présents dans les deux fractions montrent généralement que le nombre de ribotypes présents au niveau de l ADNr 16S est toujours plus élevé que celui de l ARNr 16S, suggérant que de nombreuses espèces bactériennes sont présentes mais peu actives dans l écosystème (Lami et al. 2009). Les ribotypes présents au niveau ARNr16S sont majoritairement (97% ) représentés au niveau de l ADNr16S. Il existe de rares cas (3%) de ribotypes bactériens contenant des ARNr16S qui ne sont pas détectés en ADNr16S, suggérant que certains ribotypes puissent être faiblement abondants mais 28

29 suffisamment actifs pour apparaître parmi les ribotypes actifs dominants. Ces résultats suggèrent que les membres d une communauté bactérienne peuvent avoir une activité plus ou moins élevée que leur abondance relative l aurait suggéré. Comparaison des communautés totales vs. métaboliquement actives Profil ADNr 16S Profil ARNr 16S Ribotype + Activité + Ribotype - Activité + Ribotype + Activité - Figure 8. Profils CE-SSCP des ADNr16S et des ARNr 16S bactériens extraits d un échantillon naturel. Présence/absence des ribotypes et de leur activité. En couplant l analyse par empreinte moléculaire et celle de banques de clones, il nous a été possible de faire l assignation des pics CE-SSCP des fractions ADNr et ARNr 16S (voir Figure 2) par les clones correspondant avec une efficacité de 86,7% de la surface totale du profil. Cette assignation nous a permis de montrer que les différences observées entre présence et activité des populations de la communauté étaient également très visibles pour les ribotypes dominants tels que Roseobacter, Synechococcus, SAR 11 ou SAR116 et variaient tout au long de l année (Figure 9). Des études antérieures avaient effectivement montré qu il n existe pas de relation linéaire entre l abondance relative de certains taxa et leur contribution à la production de biomasse (Cottrell & Kirchman 2004). Les empreintes moléculaires utilisant l ADNr 16S décrivent relativement bien la dynamique de la structure des communautés bactériennes, alors que les empreintes moléculaires utilisant l ARNr 16S permettent la détection des populations actives, a priori plus sensibles aux changements environnementaux. La détection de variations significatives entres les empreintes moléculaires utilisant l ADNr 16S et l ARNr 16S suggèrent que tous les membres de la communauté ne participent pas de manière équivalente dans le flux de carbone en milieu côtier. Ces résultats soulignent le besoin de réévaluer certaines hypothèses utilisées dans les modèles des cycles biogéochimiques qui considère 29

30 que tous les membres des communautés procaryotes contribuent de manière égale au flux de matière et d énergie (Alonso-Saez & Gasol, 2007) quelle que soit la saison de l année. Assignation des pics CE-SSCP métaboliquement actifs Figure 9. Dynamique des quatre phylotypes ADNr et ARNr 16S dominants sur les profils CE-SSCP durant le suivi mensuel de l année à la station SOLA et variation du ratio de la surface des pics pour ces phylotypes dominants, respectivement Roseobacter, Synechococcus, SAR11 and SAR116. Comparaison ADN / ARN pour une meilleure compréhension du rôle fonctionnel de certaines populations A la station hauturière MOLA et à deux stations plus au large, les différences les plus importantes entre la structure des communautés bactériennes présentes et actives ont été observées aux profondeurs où la production bactérienne était la plus importante, i.e. à la surface et au maximum de chlorophylle (Rodriguez- Blanco et al. 2009). L assignation des pics CE-SSCP à une banque de clones a permis de montré que SAR11 était le groupe le plus abondant en surface alors que les -Proteobacteria l étaient au maximum de chlorophylle, sur la base de leur ADNr16S. Par contre, leur activité métabolique s est montrée relativement plus faible que d autres groupes à ces profondeurs. Le cas inverse a été observé pour le groupe Prochloroccocus qui présentait une très forte activité en surface et au maximum de chlorophylle (estimée par l ARNr16S) que n aurait laissé prévoir son abondance relative (estimée par l ADNr16S). Ces travaux soulignent à nouveau l importance de la combinaison des approches basées sur l ADNr 16S et l ARNr 16S pour une meilleure compréhension du rôle fonctionnel de certaines populations bactériennes in situ. 30

31 1.2. Détermination de l influence relative des paramètres biotiques et abiotiques dans la structuration des communautés bactériennes Les statistiques multivariées directes proposent un panel varié permettant de Introduction aux statistiques multivariées directes Etudes pionnières en Ecologie microbienne marine décrire les facteurs environnementaux qui contrôlent les changements de structure de communauté. Ces techniques sont très utilisées par les écologistes des organismes supérieurs, mais très rarement par les écologistes microbiens. Les jeux de données sont souvent explorés via des analyses multivariées indirectes dites «exploratoires» en composante principale (ACP) ou hiérarchiques par groupement (voir les dendrogrammes issus de ce type d analyse dans le chapitre 1.1). Les analyses dites «hypothético-déductives» de type analyses des redondances (RDA) ou analyse canonique des correspondances (CCA) proposent un pouvoir explicatif statistique des liens entre les changements de diversité et les variables environnementales (Ter Braak, 1986). Leur utilisation en Ecologie microbienne a certainement été retardée par le faible pouvoir résolutif des anciennes approches de la diversité bactériennes basées sur la culture des cellules (Staley & Konopka 1985) et par la limitation des techniques moléculaires de clonage séquençage à faible débit qui réduit le nombre d échantillons analysés. Le développement récent de techniques à haut débit, tels que la CE-SSCP, la T-RFLP, l ARISA, permettant l analyse de la structure des communautés microbiennes d un grand nombre d échantillons a ouvert la porte à l utilisation des outils statistiques multivariés directs. A l heure actuelle, très peu de littérature existe sur l emploi de tels outils, et nous avons été pionniers de leur utilisation en milieu marin pour l analyse des facteurs environnementaux qui influencent la diversité du bactérioplancton. Ce type d analyse requiert un investissement de terrain et la participation à des programmes scientifiques pluridisciplinaires permettant la compilation d un nombre suffisant de paramètres environnementaux mesurés par différentes équipes scientifiques lors de mission en mer ou à des stations d Observation. Nous avons proposé ce type d analyse dans des programmes scientifiques menés en milieu côtier (Lami et al. 2009), hauturier (Ghiglione et al. 2008), estuarien (Ghiglione et al. en préparation) et lacustre (Berjeb et al. 2011a et 2011b). Dans un souci de concision, j ai choisi de ne présenter que les résultats relatifs aux milieux côtiers et hauturiers dans ce manuscrit. 31

32 Quels sont les facteurs qui déterminent les changements saisonniers de la structure des communautés bactériennes en milieu côtier? Supports programmatiques relatifs à cette partie: - Europe BASICS ( ): Bacterial single-cell approaches to the relationship between diversity and function in the Sea (PI : Gasol JM) - UVECO ( ) Induction of microbial community responses and dissolved organic matter transformations by UltraViolet radiations in marine ECOsytems (PI F. Joux et R. Sempéré) Diffusion du travail relative à cette partie : Lami et al Aquatic Microbial Ecology (IF 2.38) Abbouddi et al Microbial Ecology (IF 2.89) Joux et al. en préparation Déterminants environnementaux des changements saisonniers des communautés en milieu côtier Modèles statistiques de l influence des paramètres environnementaux sur la diversité bactérienne Des travaux antérieurs (Ghiglione et al. 2005) ainsi que des travaux plus récents de la littérature (Fuhrman et al. 2006, Gilbert et al. 2012) ont montré qu un caractère récurrent des changements de la structure des communautés bactérienne en milieu côtier était les changements saisonniers. Dans ce travail, nous avons vérifié ces premiers résultats en les complétant par une meilleure prise en compte de la fraction métaboliquement active (comparaison ADN et ARN) et par l identification phylogénétique des ribotypes évoluant tout au long de l année par couplage de la CE-SSCP au clonage/séquençage (voir 1.1.3). Ces travaux ont été effectués dans le cadre du programme européen BASICS et par le concours du réseau SOMLIT. Plusieurs phylotypes de la fraction active diffèrent de la fraction totale, suggérant qu une partie des membres de la communauté présente une forte activité sans pour autant être un acteur abondant dans la communauté. Cette différence inclus des ribotypes dominants tel que les groupes Roseobacter, Synechococcus, SAR11 and SAR116. L analyse multivariée montre qu un réseau complexe de paramètres environnementaux incluant la température, la salinité, les sels nutritifs et la chlorophylle a concourent pour expliquer une part importante (environ 60%) des changements de structure de communauté totale (ADN) et active (ARN) (Figure 10) (Lami et al. 2009). Ces modèles statistiques montrent également qu une proportion non négligeable de la variation des structures de communautés n est pas expliquée par les paramètres environnementaux mesurés. Des travaux ultérieurs devront prendre en compte la limitation par les prédateurs («top-down» control) tels que les virus, les flagellés et les ciliés. 32

33 Figure 10. Diagramme d ordination de l analyse canonique de correspondence (CCA) des empreintes CE-SSCP sur la base de l ADNr 16S (A) et de l ARNr 16S (B). Les groupes affichés en pointillé sont ceux correspondant aux groupes obtenus par l analyse multivariée indirecte et non contrainte réalisée en amont sur les mêmes échantillons, montrant une répartition de la structure des communautés en fonction des 4 saisons. Les triangles indiquent la position des phylotypes dominants sur les deux axes. Roseo: Roseobacter, Syn: Synechococcus. D autres résultats concernant l effet des radiations UV sur la structuration des communautés bactériennes en milieu côtier ont été menés dans le cadre du programme PROOF-UVECO. Ils ont permis de montrer en condition contrôlée que les radiations UV induisaient des changements de la structure associés à des changements de l activité des communautés bactériennes (Joux et al. en préparation). Néanmoins, les conditions expérimentales ne nous ont pas permis de dissocier l importance relative de l impact direct des UV sur les organismes ou de l impact indirect des UV via la photo-transformation de la matière organique pour expliquer les changements observés. Pour évaluer l importance 33

34 Effets directs et indirects des radiations UV sur la structure des communautés bactériennes de la photo-transformation de la matière organique par les radiations UV dans la structuration des communautés microbiennes et leur activité, nous avons conduit différentes expérience à la station d Observation SOLA (Baie de Banyuls sur mer) et dans deux étangs (Leucate et Canet). Ces écosystèmes se distinguent par leur concentration en matière organique dissoute (DOM) et en matière organique dissoute chromophore (CDOM) (valeurs plus faible pour la station SOLA < Leucate < Canet). Après exposition à la lumière solaire ou sans lumière (contrôle) pendant une journée, ces eaux débarrassées de leur contenu biologique (filtration à 0.2 µm) ont été inoculées par leur communauté bactérienne originelle. La phototransformation de la DOM a eu des effets contrastés sur la production et la respiration bactérienne, résultant en une augmentation de l efficacité de croissance pour les eaux côtières oligotrophes (120%) et en une diminution pour les eaux lagunaires (20 à 40%), par comparaison à ce qui était observé dans les traitements maintenus au noir. Nous avons également observé que la croissance bactérienne sur la DOM irradiée par l exposition à la lumière était associée à des changements important de la structure de la communauté bactérienne totale et active pour les trois environnements, et ceci par comparaison aux bactéries utilisant la DOM nonirradiée (Fig. 11) (Abboudi et al. 2008). 16S rdna C DK PAR SOLA C DK PAR 16S rrna Franc e Leucate FS C DK PAR CANET FS C DK PAR Mediterranean Sea Canet FS C FS C DK DK SOLA PAR LEUCATE PAR FS FS Figure 11. A gauche : Localisation des sites d échantillonnage en milieu marin côtier (SOLA) et lagunaire (Canet et Leucate). A droite : Dendrogramme UPGMA relatif aux différences entre les empreintes moléculaires CE-SSCP ADNr16s et ARNr 16S des échantillons contrôle (C), sans lumière (DK), avec lumière PAR (PAR) et avec lumière solaire (FS) aux stations SOLA, Canet et Leucate. Nous avons pu déterminer que ces changements étaient essentiellement liés à une photo-transformation de la DOM par les radiations UV dans le cas de 34

35 l étang le plus eutrophique et pour la station oligotrophe côtière, et plutôt par les radiations photosynthétiquement actifs (PAR) dans l étang mésotrophe. Ces résultats indiquent que la photo-transformation de la DOM altère significativement à la fois la structure des communautés et le métabolisme des bactéries pour une variété d eaux de surface en condition estivale en Mer Méditerranée Nord Occidentale (Figure 11) (Abbouddi et al. 2008). Afin de pouvoir généraliser ces résultats à une échelle annuelle, des travaux similaires sont actuellement en cours pour évaluer l importance des changements saisonniers de la structure des communautés discutés, mais aussi de l intensité de lumineuse et de la qualité et de la concentration du DOM Quels sont les facteurs qui déterminent la stratification verticale de la structure des communautés bactériennes en milieu hauturier? Support programmatique relatifs à cette partie: -PECHE ( ): Production et Exportation du Carbone : contrôle par les organismes HEtérotrophes à petite échelle de temps (PI Andersen V et Goutx M) Diffusion du travail relative à cette partie : Ghiglione et al (Biogeosciences IF 3.45) Goutx et al (Biogeosciences IF 3.45) Bourguet et al (Deep Sea Research II IF 1.03) Van Wambecke et al (Biogeosciences IF 3.45) - Pulido-Villena et al dans Life in the Mediterranean Sea: a look at habitat changes Déterminants environnementaux de la structuration verticale des communautés en milieu hauturier Nos travaux antérieurs (Ghiglione et al. 2007) ainsi que d autres travaux de la littérature (Rieman et al. 1999, Moeseneder et al. 2001) ont montré que lorsque la colonne d eau n est pas trop perturbée par des courant d advection horizontale la diversité bactérienne en milieu hauturier était structurée verticalement de manière très caractéristique en relation avec le maximum profond de chlorophylle (DCM). Au cours de la troisième campagne du programme national PROOF-PECHE, un échantillonnage journalier a été réalisé sur un mois (Sept.-Oct. 2004) à la station d observation JGOFS- DYFAMED (campagne DYNAPROC II). L analyse de la structure des communautés bactérienne a été suivie dans la colonne d eau, de la surface jusqu à 1000 mètres de profondeur. L analyse multivariée indirecte et non 35

36 Action synergique de plusieurs paramètres physicochimiques, et rôle particulier de la qualité de la matière organique et de la diversité phytoplanctonique Etude en bioessais pour préciser le contrôle par les ressources («bottom-up» control) de la structure des communautés à différentes profondeurs contrainte des données CE-SSCP lors de cette campagne ont confirmé la répartition verticale de la structure des communautés bactériennes qui est resté stable durant le mois d échantillonnage en trois couches réparties en surface (0-20m), dans ou juste sous le maximum profond de chlorophylle (60-150m) de chlorophylle, et dans la zone mésopélagique ( m) (Figure 4). L analyse multivariée directe et contrainte par les paramètres environnementaux a permis de montrer que plusieurs paramètres agissaient en synergie pour expliquer la répartition verticale de la structure de communauté dans la colonne d eau. Les paramètres physico-chimiques tels que le phosphate, le nitrate, la salinité et à un moindre niveau la température, la lumière, l oxygène et le carbone organique dissous agissent en synergie pour expliquer plus de 45.8% des changements dans la colonne d eau (Figure 12). L analyse des marqueurs lipidiques de la qualité de la matière organiques expliquent à eux seuls 22.4% de la variabilité (notamment les lipides d origine chloroplastique). Dans la zone euphotique, nous avons pu monter des relations avec la diversité du phytoplancton, expliquant 44.5% de la répartition des communautés bactériennes entre la surface et 150m (Ghiglione et al. 2008). Ces travaux ont légitimé l importance de la mesure de la fraction lipidique (proxy de la qualité de la matière organique) comme variable explicative à prendre en compte dans la structuration des communautés bactériennes capable dans la colonne d eau. En me rapprochant de l analyse des données de la chimie analytique des lipides en étroite collaboration avec le LMGEM de Marseille, nous avons pu montrer également des corrélations fortes entre ce paramètre et les activités bactériennes (Goutx et al. 2009, Bourguet et al. 2009). L effet du contrôle par les ressources («bottom-up» control) a été précisé lors de cette campagne par des tests de facteurs limitant l activité bactérienne durant la période d échantillonnage (Sept-Oct 2004). Durant la campagne, la limitation de l activité bactérienne est passée d une co-limitation en azote et phosphore à une limitation en phosphore seule. Le résultat majeur de ce travail a été de montrer que les différences de facteurs limitant en surface (5m : co-limitation N-P puis P seul) et en profondeur (80m : limitation par le carbone labile) avait une influence importante sur les changements de structure de communauté. Les deux communautés (5m et 80m) réagissent rapidement (24h) aux changements de concentration en nutriments par des changements drastiques des populations 36

37 totales (ADN) et métaboliquement actives (ARN), résultant en des changements important d activité bactérienne. Ces résultats viennent conforter les hypothèses proposées par l analyse multivariée (voir résultats présentés cidessus) et illustrent l effet du contrôle des communautés et de l activité des communautés bactériennes par les ressources en milieu épipélagique de la Méditerranée Nord Occidentale (Van Wambecke et al. 2009). Figure 12. Analyse canonique de correspondance (CCA) de la structure des communautés bactériennes des échantillons de la colonne d eau (0-1000m) en utilisant les paramètres physico-chimiques (à gauche), des marqueurs lipidiques de la qualité de la matière organique (au milieu) et la diversité pigmentaire phytoplanctonique (à droite). Les flèches indiquent la direction de valeurs croissantes de la variable considérée. La longueur des flèches indique le degré de corrélation avec les axes. La position relative de l échantillon avec les flèches est interprétée en projetant les points sur la flèche et indique à quel point la structure des communautés d un échantillon est influencée par le paramètre environnemental décrit par la flèche. Les différents groupes d échantillons révélés par l analyse multivariée indirecte et non contrainte (0-20m, m and m) sont indiqués par des symboles différents. 37

38 38

39 Chapitre 2 Rôle de la diversité et de l activité des bactéries libres et attachées aux particules dans le cycle biogéochimique du carbone en milieu marin côtier et hauturier 39

40 2.1. Rôle sous-estimé des bactéries attachées aux particules dans la transformation de la matière organique en milieu hauturier en condition de bloom printanier Support programmatique relatifs à cette partie: -PECHE ( ): Production et Exportation du Carbone : contrôle par les organismes HEtérotrophes à petite échelle de temps (PI Andersen V et Goutx M) Diffusion du travail relative à cette partie : Ghiglione et al (Microbial Ecology, IF 2.89) Mével et al (Biogeosciences IF 3.45) Quel est le rôle des bactéries attachées dans la transformation de la matière organique en milieu hauturier? L étude des stocks et des flux de carbone ainsi que leur transfert au sein des réseaux trophiques sont des questions fondamentales pour la compréhension du fonctionnement des écosystèmes océaniques. Le programme national PROOF- PECHE avait pour objectif de décrire les mécanismes de contrôles impliqués dans la production et l exportation du carbone au sein de la colonne d eau en Mer Méditerranée Nord Occidentale. Deux premières campagnes en mer ont été effectuées en Mars et Juin 2003 (PROPECHE 1 et 2) à la station d observation hauturière JGOFS-DYFAMED (au large de Nice et de la Corse; 2350 m profondeur maximale). Cette station est reconnue pour ne présenter que très peu de phénomène d advection horizontale, et constitue donc un modèle d étude des transferts verticaux au sein de la colonne d eau. Ces deux campagnes nous ont permis de distinguer le devenir de la matière organique et son transfert dans la chaîne trophique dans deux conditions contrastées de bloom printanier (condition mésotrophique) et de stratification estivale (condition oligotrophique), caractérisés par une production primaire dix fois plus importante et une biomasse zooplanctonique maximale au printemps par rapport à l été (Figure 13). Une attention particulière a été portée sur le rôle du compartiment bactérien dans le transfert de la matière organique dissoute et particulaire dans la colonne d eau. Si le rôle des bactéries dans la reminéralisation de la matière organique dissoute est assez bien documenté, peu de travaux reflètent leur rôle dans la transformation de la matière organique particulaire. Le but de ces travaux était à la fois (i) de comparer les flux de carbone dissous et particulaire qui transitent par le compartiment bactérien en conditions mésotrophes (printemps) et 40

41 En condition mésotrophe, plus de 80% de la production bactérienne totale est assurée par les bactéries attachées aux particules la nuit. oligotrophes (été) et (ii) d évaluer l influence de la diversité des bactéries libres et des bactéries attachées aux particules dans ces flux. Les communautés bactériennes attachées aux particules sont apparues très différentes de celles des bactéries libres à la fois en termes de structure des communautés, d abondance et d activités. Le résultat le plus important de ce travail a été de montrer des changements nycthéméraux très prononcés de l activité des bactéries attachées dans la couche supérieure de la colonne d eau, avec une activité beaucoup plus importante en condition nocturne. En condition mésotrophe (printemps), la contribution des bactéries attachées à l activité bactérienne totale augmente de 10% le jour à plus de 80% la nuit dans la couche supérieure (Figure 13). Ces changements rapides ont pu être reliés à un apport massif de matière organique particulaire d origine zooplanctonique qui migre la nuit pour se nourrir du phytoplancton, très abondant au printemps dans la couche supérieure (Ghiglione et al. 2007). Figure 13: (A gauche) Evolution verticale de la fluorescence durant les périodes de bloom printannier (campagne PROPECHE 1) et de stratification estivale (campagne PROPECHE 2). (A droite) Variation nycthémérale de l activité bactérienne totale et du pourcentage d activité des bactéries attachées durant les campagnes PROPECHE 1 (en haut) et PROPECHE 2 (en bas). Cette forte activité des bactéries attachées aux particules n a pas été retrouvée lors d un suivi haute fréquence de 1 mois (Sept-Oct 2004) en condition de 41

42 stratification estivale lors de la campagne océanographique DYNAPROC II. Néanmoins, des variations rapides de la contribution de la fraction attachée (de 18 à 63% en quelques jours) ont pu être observées en surface (Figure 14) (Mével et al. 2009). (A) (B) Figure 14. (A) Variation de la contribution des bactéries attachées à la production bactérienne totale entre 0 et 1000m entre le jour ( ) et la nuit ( ) durant la campagne. Les jours juliens sont indiqués pour chaque profil: 18/09=JD 262; 19/09=JD 263; 26/09=JD 270; 04/10=JD 279; 05/10=JD 280; 12/10=JD 286. (B) Abondance, production et activité spécifique des bactéries totales et attachées aux particules à 5m de profondeur. TBA=total bacterial abundance, TBP=total bacterial production, TSA=total specific activity, Att. BA=relative attached bacterial abundance on the TBA, Att. BP=relative attached bacterial production on the TBP, Att. SA=relative attached bacterial specific activity on the TSA. 42

43 La régulation de ces flux de carbone par la diversité bactérienne a été abordée par la technique d empreinte moléculaire (CE-SSCP pour Capillary Electrophoresis-Single Strand Conformation Polymorphism). Cette technique hautement reproductible nous a permis de comparer un grand nombre d échantillons et de suivre l évolution de la structure de ces communautés à petite échelle de temps (jour/nuit) et à l échelle saisonnière (printemps/été). Si la structure des communautés est différente entre les bactéries libres et attachées, de nombreux ribotypes (environ 36%, n=32) sont communs aux deux fractions, suggérant un échange rapide entre ces fractions (Figure 15). En condition mésotrophe, nous avons pu montrer qu un changement rapide de la structure des communautés entre le jour et la nuit pouvait expliquer l augmentation spectaculaire de l activité des bactéries attachées observée pendant la nuit dans la couche de surface. Ces résultats renforcent le rôle de la diversité bactérienne dans le recyclage du carbone organique particulaire des Océans et souligne l importance de la variabilité nycthémérale dans ces processus (Ghiglione et al. 2007). Figure 15: Dendrogramme UPGMA représentant le pourcentage de similarité des profils CE-SSCP des communautés bactériennes libres et attachées aux particules à différentes profondeurs (0-1000m), le jour (D) et la nuit (N) entre le printemps et l été. Le nombre pics par échantillons est indiqué entre parenthèses. 43

44 2.2. Diversité des bactéries totales et actives en relation avec leur état libre et attaché aux particules Support programmatique relatifs à cette partie: -PECHE ( ): Production et Exportation du Carbone : contrôle par les organismes HEtérotrophes à petite échelle de temps (PI Andersen V et Goutx M) Diffusion du travail relative à cette partie : Ghiglione et al (FEMS Microbiology Letters, IF 2.04) Quelle est l activité de chacune des espèces attachées aux particules? Nos précédents résultats exposés ci-dessus ont montré que la diversité des bactéries attachées aux particules était moins élevée que celle des bactéries libres, ce qui résulte en une structure des communautés différente entre les deux communautés. De manière originale, nous avons pu préciser qu un grand nombre de ribotypes attachés aux particules était néanmoins identique à celle des bactéries libres. Contrairement à certaines suppositions de la littérature, ces résultats suggèrent que s il existe une compétition sur les particules (diminution de la diversité sur les particules), les bactéries qui vivent sur les particules sont plutôt «généralistes» (elles sont capables de vivre à la fois sur les particules et à l état libre) que «spécialistes» dans la colonisation des particules. Les résultats précédents ont également montré que l activité des bactéries attachées aux particules était jusqu alors sous-estimée, pouvant aller jusqu à 83% de la reminéralisation totale de la matière organique par les bactéries. La question de l activité de chacune des espèces qui composent la communauté des bactéries attachées restait ouverte. Pour répondre à cette question, nous avons organisé une campagne d échantillonnage à la station fixe MOLA (Microbial Observatory of Laboratoire Arago), située à 35 km au large de Banyuls sur mer ( N, E, profondeur 1000m) en Juillet 2005 dans le cadre du programme PECHE. La structure des communautés totale et métaboliquement active des bactéries libres et attachées aux particules a été abordée par l utilisation de la technique d empreinte moléculaire CE-SSCP (capillary electrophoresis single strand conformation polymorphism) des gènes ADNr 16S et ARNr 16S. Nos résultats ont tout d abord confirmé que la diversité des bactéries libres et 44

45 attachées présente un haut degré de similarité dans la zone productive (entre 52 et 69% de des ribotypes ADNr 16S sont présent dans les deux fractions dans les 100 premiers mètres), confirmant un échange rapide entre ces communautés. Néanmoins, les résultats basés sur l ARNr 16S ont montré que seules certaines de ces espèces sont adaptées pour exploiter cet habitat. En effet, un grand pourcentage d espèces étaient présentes au niveau ADNr 16S mais pas au niveau de l ARNr 16S, pour les deux fractions (Figure 16). Ces résultats suggèrent que même si la colonisation et le détachement des bactéries aux particules est ubiquiste, l utilisation des sources de carbone présentes sur les particules apparaît être faite par un petit nombre d espèces bactériennes spécialisées dans l exploitation d un tel microenvironnement (Ghiglione et al. 2009). (A) (B) Figure 16. Pourcentage d OTUs communs entre les fractions libres et attachées aux particules ( ), seulement sur la fraction libre ( ), ou seulement sur la fraction attachée ( ) selon les empreintes moléculaires CE-SSCP basés sur le gène ADNr16S (A) ou sur l expression du gène ADNr16S (B). 45

46 2.3. Rôle des bactéries attachées aux particules dans la transformation de la matière organique en milieu estuarien et influence des paramètres environnementaux sur leur distribution Supports programmatiques relatifs à cette partie: -PNEC-BIOPRHOFI ( ): Biogeochemical processes in Rhone diluted mesoscale structure (PI JJ Naudin) -ANR-CHACCRA ( ): Climate and Human-induced Alterations in Carbon Cycling at the River-SeA connection (PI C. Rabouille) -ANR-MALINA ( ): Impact des changements climatiques sur la biodiversité microbienne et les flux biogéochimiques dans l Océan Arctique (PI. M. Babin) Diffusion du travail relative à cette partie : -Ghiglione et al. (en préparation) Böttjer et al. (en préparation) -Ortega et al. (en préparation) Le rôle clé joué par les apports nutritifs des fleuves dans le cycle du carbone en milieu marin Le milieu estuarien situé à l interface entre le continent et l océan est un milieu riche et diversifié dont les écosystèmes très productifs sont maintenus par les apports nutritifs continentaux. Ces apports déterminent le rôle du milieu côtier dans le cycle du carbone global. En effet, les apports de carbone particulaire ou dissous qui peuvent être minéralisés représentent une source de CO 2 vers l atmosphère alors que les organismes qui vont fixer du carbone qui sera enfoui avec le carbone terrigène représentent un puits de CO 2. L équilibre entre ces sources et puits de CO 2 contraint la teneur en dioxyde de carbone atmosphérique. Au niveau du plateau continental (la partie distale de la zone côtière), on considère que la mer Méditerranée joue le rôle de puit de CO 2 d environ 0.4 PgC an -1. En revanche, le comportement des zones littorales et notamment de celles situées au débouché des fleuves est beaucoup moins bien contraint au niveau global comme au niveau local. La complexité des phénomènes mis en jeu (source et puits intrinsèquement liés) et les variations temporelles des apports dissous et particulaires rendent les bilans très difficiles à établir. Des premiers résultats semblent indiquer que la zone littorale jouerait un rôle de source de CO 2 aussi fort que le rôle de puit de CO 2 du plateau continental. Le rôle essentiel joué par les bactéries dans la reminéralisation de la matière organique (jusqu à 50% eq. de la production primaire) n est plus à démontrer, soulignant son rôle incontestable dans les bilans de carbone. La question du rôle des acteurs de cette reminéralisation, c est-à-dire la diversité bactérienne, est encore très peu investie. Cette question a été abordée dans le 46

47 Rôle des bactéries attachées dans la transformation de la matière organique en milieu estuarien Suivi de lentilles d eaux dessalées du Rhône cadre du programme ANR-CHACCRA qui s est intéressé aux bilans de carbone dans l estuaire du Rhône. Le Rhône est une des sources majeures d eau douce et de particules terrigènes en Méditerranée (flux de MO entre 2 et 20 Mt.an -1 ; en moyenne 5 Mt.an -1, eq. à 80%de la charge particulaire du Golfe du Lion). De manière générale, si le rôle des bactéries dans la transformation de la matière organique dissoute (MOD) est relativement bien documenté, la reminéralisation de la matière organique particulaire (MOP) peut être parfois sous-estimée (Ghiglione et al. 2007, 2.1.). En général, la contribution des bactéries utilisant le DOC (bactéries libres) à la production bactérienne totale est supérieure à celle des bactéries utilisant le POC (bactéries attachées aux particules). En milieu marin, les bactéries attachées contribuent généralement à moins de 30% de l activité bactérienne totale, alors que ce pourcentage peut être supérieur à 50% en milieu estuarien (Simon et al. 2002). Le rôle de la diversité des bactéries dans ces processus est encore très peu connu. En milieu estuarien, la diversité microbienne est abondante, du fait de la rencontre d espèces d origines fluviatiles et marines. La compréhension des facteurs qui influencent la diversité bactérienne et leur activité est déterminante pour la compréhension de ce système dynamique complexe. A partir d un échantillonnage lagrangien effectué dans le panache du Rhône, nous avons montré que la structure des communautés bactériennes attachées aux particules est très différente de la fraction libre dans tout le panache du Rhône (Figure 17). Dans cette zone de mélange entre les eaux du Rhône et les eaux côtières, seule une faible proportion de la diversité totale a été retrouvée comme étant métaboliquement active. Ces populations sont contraintes par la salinité, la concentration en Chla, la température, les sels nutritifs (N et P) et le carbone organique particulaire. De manière très intéressante, nous avons pu montrer que dans la zone proche de l embouchure, les bactéries attachées aux particules présentaient une très forte activité, et qu elles étaient responsables de la plupart de l activité bactérienne totale (plus de 90% de l activité totale dans cette zone Figure 17). Ces résultats apportent un regard nouveau sur le rôle sous-estimé des bactéries attachées aux particules dans le cycle biogéochimique du carbone en milieu estuarien. 47

48 Figure 17. En haut : Analyse en groupement (UPGMA) de la structure des communautés bactériennes totale (ADN) et active (ARN) libre (free) ou attachées (att) aux particules dans l embouchure du Rhône. A gauche: Diagramme d ordination de l analyse canonique de correspondance (CCA) des empreintes moléculaires en association différentes variables environnementales (Salinité, Chl a, Temperature, Phosphates et azote dissous totaux, Carbone organique particulaire). A droite : Contribution (en %) de la fraction attachée aux particules dans l activité bactérienne totale observé aux stations proches de l embouchure (symboles vides) ou dans une zone plus distale de l embouchure (symboles pleins). 48

49 Rhone discharge 2 ème trajectoire 19 au 23 Mai 2006 (début(ctd88), milieu(ctd130) et fin(ctd171)) 1 ère trajectoire 16 au 18 Mai 2006 (début(ctd26) et fin(ctd68)) Référence marine Figure 18 : Stratégie d échantillonnage des lentilles d eaux dessalées en Mai 2006 (Campagne Bioprhofi) Des travaux antérieurs menés par notre équipe ont montré que des structures sous forme de lentilles d eau dessalées issues de l'interaction entre le panache du Rhône et les conditions météorologiques, pouvaient être transférées jusqu'au large de Barcelone. Ces structures dessalées, détachées du panache proprement dit, sont plus riches en particules et en éléments chimiques dissous que l'eau marine environnante. Des travaux précédents ont montré qu elles peuvent constituer des masses d eau de plus de 1000 km² (15x20 milles) et de près de 20m d'épaisseur dans sa partie centrale (isohaline 37), et constituer un volume total équivalent à 4 jours du débit du Rhône, soit ~ m 3. Deux lentilles d eaux dessalées ont été suivies lors d une campagne organisée en Mai 2006 (campagne Bioprhofi Figure 18). Dans un premier temps, nous avons pu démontrer qu il existe une activité de reminéralisation de la MO beaucoup plus importante dans la lentille d eau que dans une eau marine (120 49

50 pmol leu l -1 h -1 dans la lentille contre 40 pmol leu l -1 h -1 dans l eau sous-jacente ou dans un échantillon d eau de mer témoin). Nous avons également pu mettre en évidence que la fraction attachée aux particules pouvait contribuer jusqu'à 80% de la production bactérienne totale dans ces eaux. Cette activité de reminéralisation de la MO par les bactéries attachées est plus importante pour les eaux dessalées plus âgées, suggérant une cinétique plus longue de réponse de ces communautés et/ou une évolution de la structure des communautés associées. Des travaux complémentaires ont permis de montrer que ces changements d activités bactériennes attachées aux particules étaient associés à des changements rapides de leur diversité (Figure 19). Ces résultats renforcent le rôle de la diversité bactérienne dans le recyclage du carbone organique particulaire des Océans. Figure 19: Evolution de la structure des communautés bactériennes libre (F) et attachées (A) aux particules entre le début et la fin de la lentille 1 (à gauche) et le début, le milieu et la fin de la lentille 2 (à droite) échantillonné en Mai

51 Chapitre 3 Rôle du compartiment bactérien dans la régulation des processus de biodégradation des hydrocarbures pétroliers en milieu marin pélagique 51

52 Importance des bactéries dans la dégradation des hydrocarbures pétrolier : «service rendu par les écosystèmes» Expérience de l UMR7621 dans la bioremédiation des HCP Si le rôle des bactéries est essentiel dans les cycles biogéochimiques en milieu marin, elles jouent un rôle également très important dans la réaction des écosystèmes aux impacts anthropiques. En terme quantitatif, le pétrole brut est un des polluants organiques les plus répandus dans les environnements côtiers du fait de la concentration importante des activités humaines dans ces zones (stockage, transport, activités industrielles) (Head et Swannel, 1999). Les catastrophes pétrolières, telles que l accident récent de la plateforme pétrolière dans le Golfe du Mexique (record historique de pollution pétrolière en mer avec plus de tonnes de pétrole), marquent invariablement l attention du public et incitent les organismes décideurs à réfléchir sur le problème de détection et de lutte contre les pollutions chroniques ou accidentelles par les hydrocarbures pétroliers (HCP). La biodégradation par les microorganismes est indéniablement le processus le plus abouti dans l élimination des polluants d origine pétrolière (Atlas 1981). Même s il est relativement lent, ce processus permet une dégradation quasi-complète (transformation en CO 2 ) des hydrocarbures. Les bactéries semblent qualitativement et quantitativement les plus efficaces dans cette fonction (Figure 20) (Prince 2005). Ce processus naturel a pour nom la bioremédiation. Notre UMR a une expérience de plus de 20 ans sur le thème de la bioremédiation des hydrocarbures pétroliers (voir publications de Daniel Delille depuis 1990). Les travaux étaient essentiellement orientés sur les moyens de résoudre des problèmes de pollution par les HCP en environnement Antarctique. Des découvertes importantes ont permis notamment une amélioration de la bioremédiation lors de la pollution par l Exxon Valdez ( tonnes de pétrole déversés) sur la côte de l Alaska, grâce à l utilisation de l Inipol EAP22 (mis au point par les équipes d'elf Aquitaine) précédemment testé par nos équipes en environnement polaire (Antarctique). Néanmoins, le rôle de la diversité bactérienne dans la régulation de l activité de bioremédiation, en prenant en compte les facteurs de contrôle par les ressources («bottom-up») et de contrôle par la prédation («top-down») n était pas encore abordés. Dans ce chapitre sont rapportées des études concernant: -l impact de la pollution par les HAP sur les communautés bactériennes pélagiques côtières marines en condition naturelle. Cette évaluation a été menée (i) à partir d études in situ de l influence relative des HAP comparée à d autres paramètres 52

53 physicochimiques sur la structure des communautés bactériennes en milieu côtier et (ii) en abordant l impact de la récurrence des pollutions sur la réponse des bactéries à l apport de pétrole et à la biostimulation. - le contrôle de la diversité des bactéries hydrocarbonoclastes par les ressources (bottom-up) et par la prédation (top-down) - un exemple d identification de la diversité associée à une la dégradation des HAP par l utilisation de marquage par des isotopes stables Figure 20 : Processus abiotiques et biotiques conduisant à l élimination naturelle du pétrole en milieu pélagique marin. Les bactéries marines contribuent largement aux processus de bioremédiation des pétroles. Dans ce chapitre, nous soulignons l importance de la prise en compte de la limitation par les ressources («top-down») et par la lyse virale et la prédation par les protozoaires («bottomup») qui régulent les activités de bioremédiation bactériennes. 53

54 3.1. Impact de la pollution par les HAP sur les communautés bactériennes pélagiques côtières marines en condition naturelle Supports programmatiques relatifs à cette partie: -ANR-INDHYC ( ): Indicateurs biologiques et chimiques de présence, biotoxicité et biodégradabilité des hydrocarbures pétroliers (HCP) en milieu aquatique continental et côtier (PI : Ghiglione JF) -EUROPE-COMMODE ( ): Communities of Marine Micro-organisms for Oil Degradation (PI Yakimov M) -EC2CO IBISCUS ( ): Indicateurs biologiques et chimiques de contaminations urbaines en milieu marin (PI Goutx M) Diffusion du travail relative à cette partie : Delille et al. (2009) Polar Biology (IF 1.51) Rodriguez-Blanco et al. (2011) Environmental pollution (IF 3.62) Sauret et al. (1) En correction Marine Environmental Research Sauret et al. (2) En préparation Des rejets insidieux responsables de contaminations récurrentes aussi importantes que les catastrophes pétrolières Si les accidents pétroliers captent l attention du public et des scientifiques sur le problème de la réponse des écosystèmes marins aux forçages anthropiques, la pression d usage très élevée sur le littoral conduit à une pollution récurrente plus insidieuse qui est beaucoup moins bien prise en compte par les études scientifiques. Le littoral Méditerranéen est notamment le siège d une pollution récurrente inquiétante par les hydrocarbures pétroliers puisque le quart des rejets pétroliers mondiaux (environ tonnes an -1 ) concernent cette mer quasi-fermée dont le taux de renouvellement des eaux est de 90 ans. Ce chiffre équivaut à une quantité de pétrole cumulée équivalente à environ 11 catastrophes du Prestige par an. La plupart des travaux s attachant à comprendre la réponse des microorganismes aux pollutions pétrolières se cantonnent généralement à une reconstitution plus ou moins fidèle de catastrophes pétrolières en milieu contrôlé (microcosme ou mésocosme). Ces études ont permis de mettre en évidence un impact important et rapide des fortes concentrations de pétrole sur les communautés microbiennes. On assiste en général à une baisse de la richesse spécifique des communautés bactériennes et à un changement des espèces dominantes au profit des bactéries «hydrocarbonoclastes», avantagées sélectivement par la nouvelle source de matière organique et particulièrement bien adaptées à la présence de certains hydrocarbures toxiques. A un premier consortium bactérien capable de métaboliser les molécules les plus simples succède plusieurs autres consortiums capables de dégrader des molécules de plus en plus complexes (par exemple les 54

55 Un rôle évident de la diversité bactérienne dans la régulation de la dégradation des pétroles hydrocarbures aromatiques polycycliques HAP). Cela se traduit par une alternance de différents groupes bactériens qui se poursuit jusqu à l élimination quasi-complète des hydrocarbures. Ce travaux soulignent ainsi l influence de la diversité bactérienne dans la régulation de l activité de dégradation des hydrocarbures pétroliers en milieu pélagique (voir par exemple la revue de Head et al., 2006). Néanmoins, la plupart de ces travaux réalisés simulant des catastrophes pétrolières en condition contrôlée ne prennent pas en compte les rejets plus insidieux, avec des concentrations de polluants plus faibles mais rejetés régulièrement, qui constituent des écosystèmes pollués chroniquement. Les travaux rapportés dans ce chapitre visent à (i) évaluer l influence relative des HAP comparée à d autres paramètres physicochimiques sur la structure des communautés bactériennes en milieu côtier et (ii) à évaluer l importance de l impact de la récurrence des pollutions sur la réponse des bactéries à l apport de pétrole et à la biostimulation Evaluation in situ de l influence relative des HAP comparée à d autres paramètres physicochimiques sur la structure des communautés bactériennes en milieu côtier Dans le cadre du programme EC2CO-IBISCUS, nous avons mené plusieurs campagnes en conditions estivale et hivernale dans 5 sites de la Baie de Marseille présentant des degrés et des origines de pollutions différentes (Figure 21). Figure 21. Stratégie d échantillonnage reposant sur des transects de 2km à partir de l intérieur de 3 ports (Port de Bouc (complexe pétrochimique de Fos-sur-mer), Vieux Port et Saumaty 55

56 Mise en évidence de l importance relative du polluant HAP dans la structuration des communautés microbiennes en milieu côtier anthropisé (trafic maritime intense l été)) et de l émissaire des eaux usées de Marseille (Cortiou). La station d Observation SOFCOM du réseau SOMLIT a également été échantillonnée comme référence côtière. Cette étude en milieu naturel a permis de mettre en évidence un changement de la structure des communautés bactériennes le long du transect de 2km à partir des ports, associé à un gradient de concentration de HAP. Nous avons pu montrer que ce changement de communauté avait une influence directe sur l abondance des populations hydrocarbonoclastes, révélées par PCR quantitative et par nombre le plus probable (NPP). Il était néanmoins important de relativiser l importance des HAP par rapport à d autres paramètres physicochimiques. Si les HAP à eux seuls ne permettent pas d expliquer les changements de structure de communauté, ils y contribuent de manière significative en synergie avec d autres paramètres tels que la température, la salinité, le DOC et les sources d azote et de phosphore. A notre connaissance, cette étude montrant statistiquement l importance relative d un polluant dans la structuration des communautés in situ ne trouve pas d équivalent dans la littérature (Sauret et al. en préparation). [HAP] Figure 24. (A gauche) Exemple de dendrogramme UPGMA de la similarité Bray Curtis des profils CE-SSCP lors du transect de 2km du port de Saumaty qui présente un gradient de concentration d hydrocarbure aromatique polycycliques (HAP) concentration maximale observée = 10 g l -1 (A droite) Analyse canonique de correspondance révélant l importance relative des HAP parmi d autres paramètres environnementaux pour expliquer les variations de structure de communauté métaboliquement active (RNA) observées lors de transects aux stations échantillonnées. 56

57 Impact de la récurrence des pollutions sur la réponse des bactéries à l apport de pétrole et à la biostimulation. La biostimulation des bactéries hydrocarbonoclastes L hypothèse d une meilleure efficacité de biodégradation des pétroles dans des milieux chroniquement pollués. Différents travaux ont permis de mettre en évidence l importance de certains paramètres environnementaux dans les processus de dégradation des pétroles, et notamment l importance de la limitation en éléments nutritifs (azote et phosphore essentiellement) et de la biodisponibilité du pétrole à l attaque bactérienne (présence d agent tensio-actifs avec des propriétés de surfactants, d émulsifiants ou de dispersants) (voir par exemple la revue de Head et al. 2006). Ces travaux ont permis d améliorer le «service rendu par les microorganismes» dans le cas de pollutions pétrolières par la biostimulation qui consiste en l ajout de sels nutritifs et de tensio-actifs qui «stimulent» l action des bactéries hydrocarbonoclastes (voir par exemple nos articles Delille et al. 2009, Rodriguez-Blanco et al. 2011). Différents travaux suggèrent que la présence de pollution récurrente pourrait également avoir un effet non négligeable sur la biodégradation des hydrocarbures. L hypothèse repose sur une biodégradation plus efficace dans un écosystème chroniquement pollué par rapport à un écosystème non pollué, du fait de la sélection d espèces spécialisées dans la dégradation des pétroles. Néanmoins, si cette hypothèse est souvent citée dans la littérature, elle n avait jamais été testée à notre connaissance. Dans le cadre du programme européen COMMODE, nous avons simulé une pollution par du pétrole brut sur des communautés bactériennes de deux sites; un site chroniquement pollué (Baie d Elefsina Mer Egée, complexe pétrochimique) et un site non pollué (Baie d Anavyssos). Lors du prélèvement, les concentrations en hydrocarbures totaux étaient de ppm pour Anavyssos et de ppm pour Elefsina. Comme le suggérait notre hypothèse de départ, nous avons montré que l addition de 100 ppm de pétrole brut avait un effet plus visible sur les bactéries originaires du site non pollué que sur le site pollué. La comparaison des populations totales (ADNr 16S) et actives (ARNr 16S) nous a permis de monter une augmentation de certaines espèces métaboliquement actives et une inactivation d autres espèces sensibles au pétrole, d autant plus visible dans le site non soumis à des pollutions chroniques. Par contre, nous avons montré que la 57

58 biostimulation par ajout de nutriments et d émulsifiants était aussi efficace dans les deux sites. Indépendamment de l historique de pollution du site, la biostimulation provoque une sélection rapide de différentes communautés métaboliquement actives qui dégradent le pétrole de manière aussi efficace. Ces résultats montrent que si la récurrence des pollutions rend les communautés bactériennes autochtones moins sensibles à un apport de polluant, elle ne favorise pas la dégradation des pétroles en condition de biostimulation (Sauret et al. en correction). Figure 25: Dendrogrammes UPGMA des profils CE-SSCP de l ADNr 16S et de l ARNr 16S à différents temps d incubation des eaux chroniquement polluées (POLL) ou non polluées (OLIG) avec le pétrole (0, 65, 93, 134h) en présence ou en absence de pétrole et en condition de biostimulation ou non (ajout de nutriments ou d émulsifiants). 58

59 3.2. Contrôle de la diversité des bactéries hydrocarbonoclastes par les ressources («bottomup» et par la prédation («top-down») Support programmatique relatif à cette partie: -ANR-INDHYC ( ): Indicateurs biologiques et chimiques de présence, biotoxicité et biodégradabilité des hydrocarbures pétroliers (HCP) en milieu aquatique continental et côtier (PI : Ghiglione JF) -EUROPE-COMMODE ( ): Communities of Marine Micro-organisms for Oil Degradation (PI Yakimov M) -EC2CO IBISCUS ( ): Indicateurs biologiques et chimiques de contaminations urbaines en milieu marin (PI Goutx M) Sauret et al. (3) Diffusion du travail relative à cette partie : En préparation Peu d études prennent en compte les phénomènes de prédation et de lyse virale Mise au point d une expérience originale pour la mesure du pur «topdown» Comme nous l avons vu précédemment, différents facteurs environnementaux influencent la diversité et l activité de dégradation des pétroles en milieu marin. Les facteurs environnementaux jusqu alors mis en évidence sont essentiellement la limitation par les ressources (le contrôle «bottom-up»). Néanmoins, comme nous l avons souligné dans le paragraphe 3.1., ces facteurs n expliquent qu une partie des changements de communautés. Nous avons montré notamment que la récurrence des pollutions en expliquent une autre partie (voir paragraphe 3.2). Peu d études prennent en compte les phénomènes de prédation et de lyse virale (contrôle «top-down»). Pour estimer l effet exclusif du «top-down» sur la biodégradation des hydrocarbures et s affranchir du contrôle «bottom-up», nous avons imaginé une expérience originale simulant un apport de pétrole dans le cadre d une biostimulation très contrôlée. Un échantillon de la station d Observation SOLA, habituellement peu soumis aux pollutions pétrolières, a été mis en présence de pétrole (diesel) dans des conditions non-limitantes en sels nutritifs maintenues tout au long de l expérience (15 jours). En comparaison avec un bac non pollué, l analyse de l évolution de la structure des communautés bactériennes ainsi que leur activité en période de forte prédation et lyse virale avait pour objectif de déterminer l effet négatif ou positif du «top-down» sur la biodégradation des hydrocarbures. Ainsi nous avons pu révéler un contrôle de type «top-down» largement dominé par les virus ayant pour effet d importants remaniements des communautés bactériennes à la fois en termes de biomasse et de structure. Nous avons utilisé la résolution d un pyroséquençage massif pour identifier les espèces bactériennes stimulées par l apport de pétrole puis sensibles ou résistantes à la prédation par les protozoaires ou la lyse virale. Certaines groupes bactériens se sont ainsi révélés particulièrement sensibles 59

60 Changement de communautés induit lors du cycle proieprédateur à la prédation et/ou la lyse virale comme le genre Vibrio, alors que d autres au contraire comme Percisivirga, Oleispira et Methylophaga, s avérèrent résistantes, révélant leur rôle central dans la dégradation du pétrole dans nos conditions (Figure 26). Finalement la forte influence des virus n a pas provoqué de diminution dans la biodégradation des hydrocarbures par les bactéries puisque la pression de prédation a induit un regain d activité globale chez celle-ci. Ce résultat original souligne l importance de prendre en compte non seulement le compartiment bactérien mais aussi la boucle microbienne dans son ensemble pour mieux comprendre le processus de biodégradation des hydrocarbures. Figure 26 : Evolution de la structure de la communauté par CE-SSCP (en haut) et de la diversité taxonomique bactérienne par pyroséquençage (au milieu) en relation avec le cycle proie-prédateur (en bas) dans une expérience de biostimulation après ajout de pétrole. Deux phases distinctes apparaissent autour du pic d abondance bactérien. 60

61 3.3. Exemple d identification de la diversité associée à une fonction par l utilisation de marquage par des isotopes stables : cas des bactéries dégradant les HAP Supports programmatiques relatifs à cette partie: -ANR-INDHYC ( ): Indicateurs biologiques et chimiques de présence, biotoxicité et biodégradabilité des hydrocarbures pétroliers (HCP) en milieu aquatique continental et côtier (PI : Ghiglione JF) -EUROPE-COMMODE ( ): Communities of Marine Micro-organisms for Oil Degradation (PI Yakimov M) -IPEV-MICROBIOKER ( ): Impact écologique des hydrocarbures sur la boucle microbienne en Antarctique (PI Delille D) -EC2CO IBISCUS ( ): Indicateurs biologiques et chimiques de contaminations urbaines en milieu marin (PI Goutx M) -Ingénierie Ecologique ( ) Indicateurs microbiologiques de contamination par les HAP (PI : Ghiglione JF) Diffusion du travail relative à cette partie : Rodriguez-Blanco et al. (2010) Int J Syst Evol Microbiol (IF 2.38) Sauret et Ghiglione (2012) Springer Publishers Sauret et al. (4) En préparation Relation diversitéfonction : un enjeu de l Ecologie microbienne Si les méthodes d inventaire de la diversité et des changements de structure des communautés bactériennes a largement évolué depuis les années 1990 jusqu à nos jours, elles ne permettent que très rarement de relier la présence de certaines espèces à une ou plusieurs fonctions. La relation diversité-fonction est un enjeu majeur de l Ecologie microbienne. Chez les bactéries, la plupart des fonctions ne sont pas associées à des groupes phylogénétiques (il existe néanmoins de rares cas comme par exemple des bactéries nitrifiantes ou sulfato-réductrices). La relation entre la diversité (sur la base du gène ADNr16S) et la fonction (répartie sur tout le reste du chromosome) est un des enjeux de la génomique environnementale qui n en est aujourd hui qu à ses balbutiements. Actuellement, les bactéries hydrocarbonoclastes sont généralement identifiées de deux manières : - soit les bactéries hydrocarbonoclastes sont identifiées en utilisant des milieux de culture avec comme seule source de carbone un ou plusieurs hydrocarbures. Voir par exemple notre article qui décrit un nouveau genre bactérien Gallaecimonas pentaromativorans gen. nov., sp. nov. isolé des sédiments contaminés par l accident du Prestige en Galice (Espagne) capable de se développer sur des HAP de 4 à 5 cycles comme seule source de carbone (dont le 61

62 Des méthodes actuellement peu fiables DNA-stable isotope probing pyrène et le benzo[a]pyrène) (Rodriguez-Blanco et al. 2010). Dans le cadre du programme ANR INDHYC (PI JF Ghiglione), nous avons annoté le génome complet de la bactérie Marinobacter hydrocarbonoclasticus sp17 (séquençage réalisé par le Génoscope) isolée d un sédiment chroniquement pollué par le pétrole. Cette souche présente des caractéristiques remarquables : ubiquiste et halotolérante (0,08 à 3,5M NaCl), capable de dégrader les alcanes récalcitrants à longue chaîne (C8 à C40), synthétise un osmoprotectant l ectoïne et présente la capacité de former des biofilms spécifiquement à l interface entre l eau et les composés organiques hydrophobes tels que les hydrocarbures (Grimaud et al. 2012). Nous travaillons actuellement sur une puce d expression de cette bactérie, en étroite collaboration avec l équipe environnement et microbiologie (UMR 5254) de l Université de Pau. Si ces travaux sur des modèles bactériens sont essentiels pour identifier les gènes impliqués dans les processus de dégradation des hydrocarbures, l approche cultivable reste inadaptée pour l étude de la diversité des bactéries hydrocarbonoclastes, puisqu elle ne représente qu une très faible fraction de la communauté hydrocarbonoclaste totale. - soit on étudie la diversité bactérienne totale sur la base de l ARNr16S et on associe la présence de certaines OTUs à la disparition de certains composés pétroliers en condition contrôlée. Evidemment, même si ces études sont associées à analyses dites «hypothético-déductives» de type analyses des redondances (RDA) ou analyse canonique des correspondances (CCA), elles ne permettent pas d identifier les bactéries hydrocarbonoclastes de manière fiable. Une des méthodes privilégiées pour aborder spécifiquement cette question est depuis quelques années le marquage de l ADN des communautés bactériennes d intérêt par des isotopes stables ou «DNA-Stable Isotope Probing» (DNA-SIP). Cette technique a été mise au point et employée dans les études en milieu tellurique depuis une dizaine d années (Hanson et al. 1999). Paradoxalement, elle a été très peu utilisée pour l étude des communautés bactériennes marines du fait de la difficulté d appliquer la technique en milieu liquide. Nous avons mis en place une première étude de DNA-SIP en milieu marin pour l identification des bactéries phénanthrène-dégradantes (une molécule indicatrice de HAP, particulièrement surveillée par l agence de protection environnementale) (Figure 27). 62

63 Figure 27. Schéma de la méthode de DNA-stable isotope probing mis en place pour l identification des espèces utilisant le phénanthrène. L eau de mer est incubée pendant 2 jours avec du phénanthrène marqué au 13 C de sorte que l ADN des cellules ayant utilisé ce substrat soit marqué au 13 C et soit séparé de l ADN naturel 12 C par un gradient de densité au Chlorure de Césium. Les ADN lourds et légers peuvent ensuite être séquencés pour identifier les espèces ayant utilisé le substrat marqué. Cycloclasticus sp., un exemple d espèce rare qui peut devenir dominante lorsque les conditions lui deviennent favorables L expérience de DNA-SIP a été réalisée sur trois échantillons naturels ayant des niveaux de pollutions pétrolières différents (station d Observation SOLA de Banyuls sur mer, station d Observation SOMLIT de Marseille et un échantillon prélevé à la sortie d une raffinerie pétrolière de Fos sur mer). L analyse des fractions d ADN enrichies en 13 C-Phénanthrène a montré que quelle que soit l origine de l échantillon, Cycloclasticus sp. était toujours largement majoritaire. Il est intéressant de noter que Cycloclasticus sp. n était pas détectable dans les échantillons naturels par la technique de pyroséquençage, ce qui renforce l importance des espèces rares (fraction de la diversité qui représente moins de 0.001% de la diversité totale) qui agissent comme une banque d espèces («seed bank») et peuvent devenir dominantes lorsque les conditions leur deviennent favorables. D autres espèces moins dominantes (moins de 1% de la diversité trouvée dans la fraction 13 C) sont spécifiques de chaque environnement échantillonné. L analyse de la fraction 12 C a permis d identifier également un certain nombre d espèces tolérantes, telle que le genre Glaciecola sp. qui aurait pu être identifié comme une bactérie capable de dégrader le phénanthrène par une approche classique hypothético-déductive. Ce genre a en effet été retrouvé dans différents environnements pollués par des HAP, et notre étude montre qu il s agit d une espèce opportuniste des milieux pollués qui ne dégrade pas les HAP. 63

64 Figure 28 : Identification taxonomique de la contribution relative des OTUs présentes dans les échantillons naturels et dans les fractions marquées au 12 C et au 13 C après deux jours d incubation avec du phénanthrène marqué au 13 C. 64