QUELS OUTILS FINANCIERS POUR LE PREFI- NANCEMENT DES ACHATS DE COMMERCE EQUITABLE?

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1 QUELS OUTILS FINANCIERS POUR LE PREFI- NANCEMENT DES ACHATS DE COMMERCE EQUITABLE? Atelier animé par Stéphane Comar, directeur financier de la coopérative Ethiquable Introduction : Les pratiques de préfinancement dans le commerce équitable Le Plan national d action en faveur du commerce équitable encourage la mise en place d outils de financement spécifiques (publics et/ou privés) pour faire face aux besoins de trésorerie spécifiques des importateurs de commerce équitable dû au préfinancement des achats de produits et de matières premières. Cet atelier a vocation à préparer un état des lieux des pratiques et des besoins en vue de la mise en place officiel d un groupe de travail dédié. Présentation des participants et tour de table des pratiques de leurs structures en matière de préfinancement Tour de table des participants et présentation des Stéphane Comar, pratiques Directeur de financier leurs structures de la coopérative en matière Ethiquable de préfinancement : L entreprise préfinance au moins 60% de ses achats. : Georges d Andlau, PFCE, Plate-Forme pour le Commerce Equitable Gerald Godreuil, Directeur de la Fédération Artisans du Monde : Ce sujet est important pour les acteurs de commerce équitable. Le préfinancement est un engagement important de la démarche de commerce équitable et il est indispensable pour de nombreuses organisations de producteurs ou d artisans. Mais en même temps, il freine la quantité de produits qui peut être mise sur le marché faute d outil adéquat. Sophie Mayard, Responsable alimentaire chez Solidar Monde : Les pratiques de préfinancement de Solidar Monde dépendent de la nature des produits. Pour l artisanat (environ 50% des commandes) le préfinancement est pratiqué. Pour l alimentaire : 25% est commandé via EFTA sans préfinancement. Les 25% restant sont commandés avec un préfinancement de 50%. Il y a donc souvent un 4 à 5 mois de décalage de trésorerie. Pour certaines organisations de producteurs qui n ont peu ou pas accès à des financements locaux (ex : Satére Mawé en Amazonie brésilienne), le préfinancement est de 100%, un an à l avance. Adélaïde de Causans, Responsable de partenariats microfinance Nord-Sud au COFI- DES (Coopérative de financements) : La mission de Cofides est de faciliter l accès aux financements et aux activités génératrices de revenus en Afrique de l Ouest. L organisation travaille avec des IMF et les banques commerciales auxquelles COFIDES apporte des garanties au Cameroun, au Mali, au Sénégal et en Côte d Ivoire. Cofides s intéresse particulièrement au commerce équitable et au financement des coopératives agricoles.

2 Gérard Enault, Responsable marché entreprises participatives et éthiques au Crédit Coopératif : Le Crédit Coopératif est partenaire de longue date du secteur. Le groupe est très attentif au développement des marches bios et équitables, même s il n a, à ce jour, que peu ou pas de capacités à faire des financements au Sud. Valerie Hauchart, Responsable des standards chez Max Havelaar France : Le préfinancement est un des outils économique majeur du cahier des charges Fairtrade. Il faut que les outils qui seront mis en place puissent être disponibles au plus grand nombre possible d entreprises. Sylvaine Lemayeur, Chercheuse CIRAD : Impliquée dans des recherches sur les impacts comparés des différents modèles de production, d organisation et de commercialisation. Les outils de préfinancements sont un des facteurs de renforcement des capacités des OP. Gaelle Balineau, Chercheuse et Présidente de FairNESS : Impliquée dans des travaux de recherche sur les questions de soutien aux organisations de producteurs. Marie Chauvin, Chargée de mission soutien aux PME de la Région Ile de France : S intéresse aux spécificités des entreprises de CE, leurs besoins, leurs contraintes etc. Jean Christophe Galland, Acheteur chez Malongo : L entreprise achète 3500 tonnes de café équitable labellisé Fairtrade par an. Malongo pratique le préfinancement, mais n a pas suffisamment de fonds pour répondre à toutes les sollicitations des OP. C est également un problème pour l entreprise d endosser la totalité du risque. Jean-René Cuzon, membre du département de recherche à l Agence Française de Développment : L AFD finance majoritairement des Etats. Mais elle développe également quelques outils de financement des entreprises. L AFD est également active sur le développement et le renforcement de filières de commerce équitable.

3 Exposé de Stéphane Comar sur le préfinancement Les besoins de financements diffèrent en fonction des spécificités des filières (de 3 mois à 1 an sur les filières agricoles) Par exemple sur la filière café, les producteurs ont un important besoin de financement au moment de la cueillette des cerises. C est à cette période que le préfinancement doit être fait et au moins à hauteur de 60 % de sa commande. Le solde sera payé à l embarquement de la commande contre document. Dans le cas de la filière coton, les paysans ont besoin de financement pour acheter les intrants avant la mise en culture. Il y a donc 4 ou 6 mois de préfinancement à accorder. Pourquoi le préfinancement? Dans les pays du Sud l infrastructure bancaire est souvent réduite et les OP agricoles ont très difficilement accès aux institutions bancaires existantes, pour toutes sortes de raisons comme le manque de garantie, ou encore le savoir-faire pour monter un dossier de crédit. Dans ce contexte, les organisations de producteurs ont souvent recours à des commerçants pour financer leurs récoltes. Ces derniers sont les seuls à pouvoir leur apporter de la trésorerie au moment où les OP en ont besoin. Mais cette asymétrie crée un rapport de force et dépendance en défaveur des OP qui favorise des pratiques de taux de crédit usuraire et une vente de leurs produits à des prix bas. L idée initiale du CE et l un de ses principes forts est que le préfinancement des commandes par les entreprises partenaires vient remplacer le recours des OP à ces commerçants proposants des taux usuraires. Les besoins de préfinancement à mettre en œuvre vont dépendre des filières agricoles concernées mais aussi des besoins spécifiques des organisations de producteurs : cela représente des avances sur trésorerie allant de 3 mois à 1 an Le préfinancement n est pas à ce jour un critère obligatoire dans les cahiers des charges de Fairtrade International : «Les producteurs peuvent le demander» et les «entreprises peuvent y répondre». Cela ne constitue pas une obligation stricte. Mais cela reste un vrai levier d autonomisation et de développement pour les OP. Ce type de besoin financier (besoin en fond de roulement - BFR) n est pas facile à garantir et peu de banques propose des solutions adaptées. Par ailleurs, le préfinancement met l entreprise de commerce équitable dans une situation à la fois d acheteur et de banquier ce qui n est pas idéal.

4 Etude de cas : Les filières cacao d Ethiquable

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9 Conséquences pour l entreprise de commerce équitable Pour le cacao, les récoltes se passent à différentes périodes de l année selon la localisation géographique des organisations de producteurs. Les flux financiers dépendent donc des dates de commande. Les besoins de financement arrivent environ 1 à 2 mois avant la préparation des containers. C est la somme de ces décalages de trésorerie qui fait le besoin permanent à préfinancer. Sur 3 mois de l année, le préfinancement accordé par Ethiquable à ces organisations de producteurs partenaires peut représenter jusqu à pour la seule filière cacao (sur la base de 200 tonnes de cacao importées). Les montants sont corrélés aux durées du préfinancement. Quand une entreprise travaille sur plusieurs filières (thé, café etc.), le préfinancement qu elle accorde aux OP peut atteindre des montants considérables au regard des pratiques commerciales conventionnelles. Discussion avec la salle Valérie Hauchart, Max Havelaar France : Il faut préciser qu il existe plusieurs types de préfinancement dans les standards de commerce équitable : le paiement par avance, prêt à la coopérative, etc. Sylvaine L leur, CIRAD : Le coût du préfinancement est-il compris dans le prix de vente des produits du CE? Stéphane Comar, Ethiquable : Il existe plusieurs cas de figure. On peut refacturer le préfinancement au producteur (il est alors intégré au prix d achat). Dans tous les cas, le coût du préfinancement est intégré d une façon ou d une autre par l entreprise. Gérard Enault, Crédit Coopératif : L exemple de fonctionnement tri-partite avec l OP, l entreprise et la SIDI est intéressant. Le Crédit Coopératif serait prêt à voir comment mettre en place ce type de fonctionnement. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet exemple?

10 Réponse de Stéphane Comar (Ethiquable) sur les fonctionnements tripartite : OP, entreprise de commerce équitable et partenaire financier Souvent Ethiquable fait le préfinancement en direct aux OP, notamment grâce au Crédit coopératif qui est l une des rares banques à financer du BFR (qui peut s élever jusqu à 4 millions parfois!) Cependant, certains partenaires financiers travaillent directement avec les organisations de producteurs (la SIDI, Alterfin (Belgique), Responsability Impact Finance (Suisse), OÏKO Crédit, Shared interest, etc.). Ces organisations prêtent directement aux OP et nantissent les contrats d achats. Les clients s engagent si l OP est d accord à rembourser directement les banquiers. Ce montage permet de d éviter que les entreprises du Nord aient à jouer un rôle à la fois de client et de banquier. Cela permet également aux OP de renforcer leurs capacités de gestion en prenant la responsabilité directe des crédits. Les taux d intérêt sont intermédiaires entre les taux pratiqués au Sud et ceux pratiqués au Nord. Ils sont un peu plus élevés que ce qu Ethiquable pourrait trouver directement sur le marché français. Les plus chers sont autour de 12% et les moins chers autour de 9%. Les seules garanties exigées sont le contrat d achat. Généralement on explique que le taux d intérêt correspond au coût de l argent + la prime de risque. C est donc crucial pour les OP d avoir accès à une garantie d achat via le contrat de commerce équitable afin de faire baisser l estimation du risque. Il n existe pas suffisamment de partenaires financiers avec lesquels mettre en place ce type de collaboration tripartite sur le terrain. De nombreuses filières de commerce équitable ne sont pas couvertes par le champ d intervention des partenaires existants. Il y a donc un enjeu à développer ce modèle avec d autres partenaires financiers, ou à renforcer l accès aux financements des partenaires existants pour qu ils puissent étendre leur rayon d action géographique. Risque de change : Quand les entreprises ou les OP empruntent dans une devise pour acheter des produits, mais que la recette de la vente se fait dans une autre devise, il y a une possibilité de variation des taux de change entre les deux opérations. Au Nord, il existe des outils de couverture de change qui existent rarement au Sud. Les producteurs ne peuvent pas se couvrir contre le risque de change. Il conviendrait de voir s il y a un besoin et assurer les producteurs contre le risque de change à leur niveau.

11 Suite de la discussion avec la salle Jean Christophe Galland, Malongo : Malongo est confronté également à ces enjeux. Sur la filière Mexicaine, les préfinancements démarrent en novembre, et les arrivages se font de janvier à juillet. Vers avril-mai il y a beaucoup d argent dehors. La gestion du risque est complexe car Malongo n a pas de garantie en cas de défaillance d une commande. Les producteurs jonglent avec le préfinancement, et les institutions locales. Au Mexique il y en a quelques unes. Ce n est pas le cas partout. Les taux d intérêt sont autours de 7 ou 8% et les prêts sont en pesos. C est le «Roots capital». Au Laos, nous avons des commandes de 40 containers. Nous travaillons avec Alterfin et une banque Franco- Laos. Comme pour les partenaires d Ethiquable, les coopératives ont un accès facilité au crédit en mettant en garantie les contrats d achat avec Malongo. Cela évite à Malongo des décaissements trop importants et le risque est assumé par ces institutions financières. Carole Tawema, Karethic : Pour Karethic, nous avions au début de notre activité accès au crédit bancaire directement au bénin à un taux d intérêt de 12%. Maintenant, c est un acteur privé qui a les reins assez solides qui nous fait les avances de trésorerie. Les risques sont peu élevés et le coût du taux d intérêt est intégré dans le prix de vente. Camille Duaz, Guayapi : Nous avons les mêmes problématiques. Pour la filière du Brésil, il faut payer 1 an à l avance. Les banques nous accordent difficilement les financements car elles ne com- Stéphane Comar, Ethiquable : Quand les prix sont hauts, cela fragilise les coopératives qui ont du mal à préfinancer les commandes aux producteurs. Elles n ont pas toujours les capacités de trésorerie et de financement pour résister à la concurrence des commerçants. Jean Christophe Galland, Malongo : Dans nos contrats, le prix final d achat n est pas fixé. C est donc le prix minimum garanti qui est utilisé comme base du préfinancement. Mais quand les cours sont élevés, ce n est pas suffisant. Gaelle Balineau, FairNESS : Une coopérative peut faire défaut car les producteurs ont vendu à la concurrence? Jean Christophe Galland, Malongo : Ca peut arriver. Sil y a des problèmes de ce type, on accompagne la coopérative. Il arrive qu on reporte le contrat sur l année suivante. Carole Tawema, Karethic : Quid du financement participatif? Cela permettrait d intégrer le consommateur final dans le financement du commerce équitable? Il existe plusieurs plateforme, comme blubizz? Nous avons une page Facebook qu on redirige vers une plateforme de crowdfunding. Nous sommes financés en partie par un fond d investissement. La garantie est apportée par «Pur Projet» et les particuliers financent le reste! Gérard Enault, Crédit Coopératif : Nous sommes en veille active sur la finance participative. Cela peut apporter des solutions innovantes de co-financement. Mais est-ce pertinent pour tout type de projet? Adélaïde de Causans, COFIDES : Il me semble important de mentionner que le financement participatif a des limites. Il faut apporter des garanties aux internautes. En tant que fond de garantie, nous nous appuyons sur des institutions financières locales car il est important de cultiver le lien de proximité. Cela permet de créer de la confiance et de l expertise notamment sur l identification des risques. Cela me paraît plus durable que le financement participatif. Stéphane Comar, Ethiquable : Oui, le financement participatif a des limites, mais il est intéressant de le garder à l esprit car c est intéressant en effet de faire participer les consommateurs-citoyens au développement des filières de commerce équitable. Il faut rester en veille sur les évolutions règlementaires à ce sujet.

12 Conclusions et perspectives Tour de table de réaction des participants Comment favoriser le développement du commerce équitable en apportant des outils de préfiancement des transactions équitables? Comment éviter la concentration des risques sur certain acteurs et favoriser l émergence d acteurs institutionnels qui financent les transactions commerciales équitables? Georges d Andlau, PFCE : Réflexion autour de 4 termes : > L accès aux financements du préfinancement des entreprises du Nord et des organisations de producteurs du Sud >Les outils pour diminuer les risques physiques >Les outils de risques de change Jean-René Cuzon, AFD : C est intéressant de voir qu il y a déjà des choses. Il faudrait compléter cet état des lieux. L AFD est intéressée pour creuser ce sujet. C est aussi en s appuyant sur l existant qu on peut réfléchir aux conditions du changement d échelle. Quels sont les avantages et les limites? Comment trouver une solution française? Jean Christophe Galland, Malongo : Nous serons contents de participer au groupe de travail pour élaborer de nouvelles solutions. Marie Chauvin, Chargée de mission soutien aux PME de la Région Ile de France : Il serait intéressant de solliciter la participation de France Active qui a une expérience et une expertise dans les garanties pour les structures de l ESS. Gaelle Balineau et Sylvaine Lemayeur, chercheuses : Les chercheurs sont intéressés à poursuivre la réflexion sur ce sujet. Gérard Enault, Crédit Coopératif : Nous souhaitons nous investir dans la suite de ces travaux. Il y a une problématique d identification du volume des besoins afin d identifier le type de solution à mettre en place et ne pas partir sur des fausses pistes. Les prochaines réunions doivent pouvoir fournir des premières estimations chiffrées. Par ailleurs, le préfinancement «pollue» les relations entre les entreprises de commerce équitable et leurs banquiers, mais le vrai besoin est effectivement dans les pays du Sud. Le Crédit Coopératif a tissé des liens avec des réseaux amis et voudrait faire intervenir son département international pour mobiliser les partenaires pertinents. Adélaïde de Causans, COFIDES : Nous sommes prêts à participer aux prochaines étapes. Solidar Monde et Artisans du Monde : On se sent moins seuls face à nos problèmes! Nous sommes prêts à participer à ce groupe de travail. Georges d Andlau, PFCE : Il faudrait également explorer l organisation institutionnelle, pour faire face au risque de change et au risque de garantie?