L Oie Naudière. La réglementation qui tue

Transcription

1 L Oie Naudière La réglementation qui tue Le présent mémoire décrit la situation précaire vécue par notre petite entreprise agricole, suite à l application du règlement de confinement obligatoire des volailles, imposé par le gouvernement du Québec en novembre Ce mémoire ne représente aucun groupe ou association et les opinions émises ne représentent que celles de Sylvie Renaud et Alain Dansereau, copropriétaires et fondateurs de L Oie Naudière. La réalisation d un rêve En 1999, après vingt années passées à travailler pour un géant des télécommunication, l appel de la terre se fit entendre. Le désir de démarrer une entreprise agricole était de plus en plus présent et l idée de vivre de l agriculture passait graduellement du rêve au projet. Mais voilà. Comment démarrer une telle entreprise, alors que toutes les portes semblent closes, même pour ceux qui veulent prendre la relève de la ferme familiale. Il fallait donc innover et prendre des risques. Offrir un produit et une vison de l agriculture différente des créneaux bien établis. De plus, notre petite ferme de soixante arpents, abandonnée à elle-même depuis des générations, offrait peu de possibilité vu sa petite taille et sa quasi totalité de superficie retournée à la forêt. La solution était simple, mais compliquée à la fois. Il suffisait de trouver une production bien adaptée à la réalité des lieux. Après des mois de recherche la solution apparue presque d elle-même. À cette époque personne en Amérique du nord ne produisait du foie gras d oie. Certes, les producteurs de canard sont nombreux et en pleine expansion au Québec, mais personne ne s était frotté à travailler avec l oie; réputée beaucoup plus capricieuse et délicate et presque impossible à rentabiliser. Qu à cela ne tienne le défi était lancé. Nous allions produire du foie gras d oie ici même au Québec: L Oie Naudière était née! La vision était simple: un produit d une qualité exceptionnelle, à très petites échelle. Une entreprise qui offre ce qui n existe pas. Une entreprise qui offre une qualité de vie inégalée à ses animaux. Un entreprise qui se veut accessible à tous ceux qui désirent partager notre passion pour cette bête rustique et noble. 1

2 Premiers pas Évidemment les embûches furent nombreuses. On ne s improvise pas agriculteur du jour au lendemain. Notre expérience avec le monde agricole se limitait aux quelques poulets que la loi nous permettait de produire et à la traite des vaches de nos voisins et amis. Par voie de conséquence, notre essai pilote fut désastreux. Échec à 100%. Il fallait faire nos classes. Nous partîmes donc en stage, sur une ferme artisanale du sud ouest de la France, afin d apprendre tous ces secrets qui font la différence. De plus Sylvie s employât à suivre une formation en gestion d entreprise agricole du Cégep de Joliette. Nous dûmes aussi céder d importants espaces à cette joyeuse bande de palmipèdes. Pour produire du foie gras d oie, il faut une bête d une santé irréprochable. Les vastes parcours herbeux en sont un élément essentiel, tel que nous l avions découvert. Donc, refaire de la terre avec cette forêt envahissante. Du travail de pionnier à tous points de vue. Côté logistique, la construction d une salle de gavage, saine et efficace, et d un bâtiment de démarrage de nos oisons, étaient devenus impératif. L achat d un outil de gavage productif et moderne devint également nécessaire à la rentabilité de la petite entreprise. Dans cette évolution L Oie Naudière devait être supportée par des partenaires. L Oie Naudière trouva avec la Financière agricole une complice, qui croyait au projet et en ses perspectives d avenir. Une gamme de produits transformés s y greffa aussi. Des partenariats avec d autres producteurs permirent en effet à L Oie Naudière de diversifier ses activités et ainsi faire découvrir d une façon plus démocratique les vertus de l oie grasse. L Oie Naudière était maintenant en marche. La vision même de l entreprise et la qualité de ses produits feront sensation. Tout d abord chez de nombreux restaurateurs et puis graduellement chez des clients s approvisionnant directement à la ferme. 2

3 La catastrophe Puis le matin du 5 novembre 2005, ce rêve devenu réalité prit un sérieux coup dans l aile. La découverte d un cadavre de canard dans le lac St-Pierre en fut le déclencheur. Il faut se rappeler qu à cette époque les médias se délectaient d une éventuelle pandémie de grippe aviaire de souche asiatique le fameux H5n1. Le spectre de la grippe Espagnole était de retour. Le pauvre canard découvert au Québec n étaient porteur que du H7n3. Qu à cela ne tienne le mal était fait. Rien ne pouvait plus arrêter l hystérie médiatique. Devant cet état de fait, la puissante Fédération des producteurs de volailles du Québec mit d énormes pressions sur le Ministère de l Agriculture. Il fallait absolument protéger l industrie avicole du Québec contre cette menace présumée. Le danger était là les gens risquaient de diminuer leur consommation de volaille. Les vols des peuples migrateurs allaient étendre, selon la croyance de l époque, la maladie à la grandeur de la planète. Il était impératif d éviter tout risque de contamination de nos volailles locales. La décision du Ministère : imposer un confinement obligatoire pour toutes les volailles du Québec. Étrangement ce ne fut qu au Québec qu une telle mesure de précaution fut prise de façon systématique, pour une période indéterminée. Aucune autre administration sur la planète n adopta des mesures aussi contraignantes de prévention. Cependant sans rien comprendre à notre réalité, le gouvernement du Québec élabora alors un plan d aide aux producteurs touchés. L Oie Naudière s inscrivit même dans un projet pilote gouvernemental, afin de mesurer l impact du confinement sur sa production. Les résultats découlant du confinement obligatoire furent catastrophique. En 2006, et le rendement financier et la santé globale des animaux furent grandement affectés par cette législation provinciale. Bref L Oie Naudière se meurt. 3

4 Épilogue Depuis les événements médiatiques de 2005, la tempête se calme au niveau mondial. Les oiseaux migrateurs sont de moins en moins pointés comme vecteur de la maladie. Ils en seraient plutôt victimes. Les pratiques commerciales douteuses de certains pays, seraient de plus en plus suspectées d être les coupables de la propagation. Propagation qui d ailleurs se fait attendre, même aux yeux des plus alarmistes. Pourtant les mesures de préventions en vigueur au Québec gardent le même niveaux de sécurité. Sommes-nous donc plus en danger que partout ailleurs dans le monde? Face à cette interrogation, d autres interrogations machiavéliques surgissent. L agriculture au Québec a-t-elle droit à la créativité et à la libre entreprise de ses artisans? Est-il encore permis de sortir des créneaux standards de production sans faire frémir la grande industrie? L industrie a sa place et sa raison d être. Les artisans ont droit à la même reconnaissance. L Oie Naudière n est protégé par aucune corporation, aucun groupe de pression ne parle en son nom en cas de coup dur. Nous ne sommes que de petits producteurs isolés, bafoués par une mesure politique excessive et injustifiée. Doit-on absolument mourir pour satisfaire les craintes de certains? Selon la Fédération des producteurs de volailles la mesure de confinement devrait être permanente! Cela signifie pour L Oie Naudière la mort assuré, de même que pour de nombreux petits producteurs obscurs, qui n auront jamais personne bien cravaté, pour les défendre. Pourtant nous sommes aussi membre de l U.P.A. L Oie Naudière a même adressé à monsieur Laurent Pellerin, un courrier recommandé lui réclamant son aide. Malheureusement nous n avons même pas eu d accusé de réception nous nous sentons donc bien seul. 4

5 Nous craignons évidemment pour notre petite entreprise, et toutes les autres entreprises du Québec qui nous ressemblent. Mais nous avons de grandes craintes aussi pour cette relève qui reçoit ce message: Vous ne pourrez jamais réussir! En dépit de votre ingéniosité, de votre courage et de vos talents, vous n êtes pas de taille face à tous ces géants. Nous ne réclamons aucune aide ou aucun programme via cette tribune. Nous ne rêvons que du jour ou on nous laissera travailler. Alors il nous sera possible de dire à ces jeunes qui nous suivent et nous observent: Oui! vivre de l agriculture au Québec c est possible même tout petit. 5