L histoire du changement

Transcription

1 Regionaal Landschap Kempen en Maasland () Fellow Ashoka Belgique

2 Ashoka: Et si vous commenciez par me parler un peu de votre famille et de l endroit où vous avez grandi? Ignace: Cadet d une famille de quatre enfants, j ai grandi dans la ville de Heusden-Zolder, située dans une région de Flandre, en Belgique, où l on faisait autrefois l extraction du charbon. Mon père travaillait dans les mines tandis que ma mère restait au foyer. J étais un peu rebelle dans ma jeunesse, mais je n étais pas un malfaisant. Au contraire, je faisais ce qu il fallait, mais à ma manière. Engagé socialement, j ai fondé un club local de jeunes avec des amis, mais le patrimoine naturel a aussi toujours fait partie de ma vie. Ashoka: Quelles sont quelques-unes de vos expériences personnelles qui, depuis votre enfance, ont influencé votre vision du monde? Ignace: Je me rappelle encore avec précision de deux choses qui ont influencé ma vision du monde. Tout d abord, un jour, vers l âge de huit ou neuf ans, je jouais derrière ma maison dans les prés, où l on trouvait de tout : des belles fleurs, des haies de verdure, des oiseaux qui chantent, des papillons qui se laissent porter par le vent Et soudain, j ai aperçu une coccinelle sur une feuille d arbre et j ai décidé de la garder! Je me suis donc précipité dans la maison et j ai chipé une boîte d allumettes à mon père, qui fumait la pipe.

3 Ignace (suite): Ensuite, je l ai vidée de son contenu et je suis parti à la recherche de ma coccinelle, que j ai retrouvée après un certain temps. Puis j ai installé la coccinelle dans la boîte d allumettes vide avec quelques brins d herbe, puisqu il fallait bien qu elle mange, et elle était maintenant à moi! J ouvrais la boîte 80 fois par jour! Mais trois jours plus tard, ma coccinelle était morte! J en étais bien triste et je ne comprenais pas ce qui s était passé. Puis, quinze ans plus tard, je me suis souvenu de ma coccinelle et, soudain, tout était devenu clair pour moi. En effet, j ai compris que mettre un être vivant dans une petite boîte, sans lumière du jour ni nourriture (les coccinelles ne se nourrissent pas d herbe), et polluer son environnement (il y a des particules microscopiques de soufre dans les allumettes) entraîne sa disparition. Et c est ainsi que la boîte d allumettes et la coccinelle m ont donné la première impulsion pour agir.

4 Ignace (suite): Deuxièmement, à l âge de 20 ans environ, je me suis découvert un grand intérêt pour l herpétologie c est-à-dire l étude des grenouilles, des crapauds, des serpents et des lézards, donc je passais tout mon temps dehors, à essayer de trouver ces créatures fantastiques. Et oui, j en ai trouvé. Même qu à un certain moment, j ai découvert un spécimen d une espèce de crapaud gravement menacée en Flandre : le crapaud accoucheur. Et comme il s agit d une espèce très abondante en Espagne, je me suis rendu dans ce pays pour en apprendre davantage à son sujet. Je me prenais alors pour un vrai scientifique! Et j étais tellement emballé lorsque je suis rentré à la maison qu il fallait que j en parle tout de suite à mon père. Donc je lui ai demandé : «Papa, sais-tu ce que j ai vu en Espagne?» Je voulais l impressionner, alors je le lui ai dit en «latin», comme le font les hommes de science : «J ai vu des Alytes obstetricans.» Mais mon père a simplement répondu : «Et qui a gagné?» Car il croyait que j avais assisté à un match de foot espagnol! Alors, en plus de faire rire un bon coup, cette anecdote m a permis de mieux comprendre une chose : les écologistes doivent apprendre de toute urgence à exprimer leurs idées dans un langage accessible à tous.

5 Ashoka: En quoi votre approche est-elle distincte et originale? Que faites-vous de différent des autres acteurs pour remédier à ce problème? Ignace : Il y a un proverbe amérindien qui m inspire et qui va comme suit : «Lorsque le dernier arbre aura été abattu, le dernier poisson pêché et la dernière rivière polluée, l homme s'apercevra que l'argent n'est pas comestible.» J ai constaté que la nature était en train de s effondrer et que la biodiversité reculait à grands pas. En fait, tous les liens et les rapports essentiels étaient rompus : les liens entre les espèces, les liens avec la société C était comme si nous, les humains, avions oublié de protéger la source même de notre existence. Comme si nous avions oublié la valeur de l eau limpide et de l air pur, oublié à quel point notre survie dépendait de l environnement. Alors, que pouvais-je faire?

6 Ignace (suite) : J ai trouvé une solution dans le modèle (Re)connection, qui vise à recréer des liens entre la société et le patrimoine naturel. En fait, ce modèle est fondé sur quatre thèmes principaux : recréer des liens entre les divers éléments de la nature, recréer des liens entre les humains et la nature, recréer des liens entre les entreprises et la nature et recréer des liens entre la politique et la pratique. Et il met en évidence les avantages écologiques et économiques de prendre soin de la nature. En fait, c est un modèle tout simple, mais qui fonctionne bien. De plus, il est flexible et peut être adapté à différentes cultures et communautés. Nous avons utilisé ce modèle pour aménager le premier et unique parc national en Belgique, soit le Parc national de la Haute Campine. Et les résultats et les avantages découlant de la création de ce parc sont énormes. En effet, il s agit d un parc national qui accueille plus de de visiteurs par an, génère un chiffre d affaires annuel de euros et crée emplois. Et nous avons encore recours à ce modèle en ce moment afin d établir le parc transfrontalier Kempen-Broek ainsi qu un parc riverain dans la vallée de la Meuse. J en suis ravi!

7 Ashoka: Comment faites-vous pour communiquer vos idées aux autres et les inspirer à partager votre vision? Pourriez-vous donner des exemples où votre travail a inspiré ou habilité des individus à devenir des agents de? Ignace: C est le fait d être un Fellow Ashoka combiné à une expertise éprouvée en matière de projets de durabilité qui m ont aidé à partager ma vision avec les autres. Puis j ai eu l honneur de recevoir plusieurs reconnaissances à l échelle internationale, dont le prix Goldman pour l environnement mieux connu sous le nom de prix Nobel de l écologie et le titre d ambassadeur d Al Gore. Et là, soudain, les gens ont commencé à prendre mes solutions «hybrides» au sérieux. C est étrange, mais c est comme ça. Puis je continue de faire ce que je faisais il y a 20 ans, c est-à-dire que je donne le meilleur de moi-même pour assurer la pérennité de notre planète. Et grâce à la reconnaissance internationale que lui confère le Fellowship d Ashoka, mon travail se poursuit à un rythme accru. En d autres termes, on m a donné des ailes et, soudain, j ai pris mon envol. Et, surtout, mes collègues fantastiques de l ASBL Paysage régional de Basse Campine m ont apporté un grand soutien. En fait, ils ont fait de moi une personne forte et m aident à le rester. Depuis que je suis Fellow Ashoka, je collabore avec plein de gens partout dans le monde - en Lettonie, en France, en Belgique et en Corée du Sud, notamment - qui tentent de protéger la biodiversité à l aide du modèle (Re) connection.

8 Ashoka : Qu est-ce qu un agent de pour vous et comment le devient-on? Ignace: Un agent de, c est quelqu un qui pense de façon «hybride» et qui collabore avec la société pour résoudre les problèmes auxquels celle-ci est confrontée. Et c est vrai que tout le monde peut être un agent de! Je n ai rien d extraordinaire et je n ai rien fait d exceptionnel, mais j ai peut-être fait des choses ordinaires de manière extraordinaire! Car lorsqu on suit sa vision, rien n est impossible! Ashoka : Pourquoi votre idée ou votre travail vous tient-il tant à cœur? Ignace: La perte de biodiversité et le climatique représentent deux défis mondiaux que nous devons relever. Et nous devons en assumer la responsabilité non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures. De plus, nous devons faire preuve de leadership afin que le monde se rende compte qu il est possible d évoluer de manière durable! Vous savez, une civilisation en plein essor en est une qui plante des arbres sous lesquels ses membres ne s assoiront jamais. Et nous le faisons par amour pour notre planète et pour toutes les créatures qui y vivent ; nous le faisons pour l hôtel «un million d étoiles» qui nous abrite!

9 Ashoka : Quel soutien le réseau Ashoka a-t-il apporté à votre parcours? Ignace : Le réseau Ashoka a joué un rôle essentiel dans mon parcours et mon développement personnels. Et le soutien, l énergie, les connaissances et l expertise que le réseau apporte «à l échelle mondiale» sont incomparables. J aimerais féliciter et remercier toute l équipe Ashoka car le monde serait bien différent sans vous! Merci beaucoup Ignace!