ACTUALITÉ EN DROIT ELECTORAL. 1. La définition d un établissement des collectivités territoriales au sens de l article L.231 du code électoral

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1 ACTUALITÉ EN DROIT ELECTORAL 1. La définition d un établissement des collectivités territoriales au sens de l article L.231 du code électoral Dans une série de cinq arrêts 1 rendus au mois de février 2015, le conseil d État a eu l occasion de préciser la notion d établissement du département dans le cadre du contentieux des élections municipales de Cette notion permet de déterminer quels sont les organismes publics émanant du département et dont certaines fonctions, notamment de direction entrainent en application de l article L.231 du code électoral l inéligibilité de leurs membres. La notion d établissement du département apparaît dans le 8 ème de l article L.231 du code électoral qui prévoit : «8 Les personnes exerçant, au sein du conseil régional, du conseil départemental, de la collectivité territoriale de Corse, de Guyane ou de Martinique, d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou de leurs établissements publics, les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l'assemblée ou du président du conseil exécutif ;» Dans le considérant n 2 de l arrêt n du 4 février 2015, le juge administratif rappelle la définition de l établissement du département au sens de l article L.231 précité : «2. Considérant que les dispositions du 8e de l'article L. 231 du code électoral citées au point 1 doivent s'entendre, eu égard à leur objet, comme visant non le conseil régional ou le conseil départemental mais les collectivités dont ils sont les organes délibérants ; qu'entrent ainsi dans le champ de ces dispositions, qui sont d'interprétation stricte, d'une part, les établissements publics dépendant exclusivement d'une région ou d'un département, ainsi que des autres collectivités territoriales et établissements mentionnés par ces dispositions, d'autre part, ceux qui sont communs à plusieurs de ces collectivités ; que doivent être seulement regardés comme dépendant de ces collectivités ou établissements ou comme communs à plusieurs collectivités, pour l'application de ces dispositions, les établissements publics créés par ces seuls collectivités ou établissements ou à leur demande ; 1 CE 4 février 2015, n et CE 13 février 2015, n CE 17 février 2015 n et

2 qu'en revanche, il ne ressort pas de ces dispositions que l'inéligibilité qu'elles prévoient s'étende aux personnes exerçant les fonctions qu'elles mentionnent dans d'autres établissements publics que ceux qui dépendent d'une ou plusieurs des collectivités et établissements qu'elles citent ou sont communs à plusieurs de ces collectivités ;» Ainsi, pour qu un établissement public soit reconnu comme étant un établissement du département, il faut que celui-ci ait été crée par le département ou à sa demande. Ces conditions sont d interprétation stricte comme le rappelle le juge administratif dans le considérant précité. Tel est le cas d un organisme créé par un département afin de promouvoir un projet d aménagement : «3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par une délibération du 29 novembre 2013, la commission permanente du conseil général de la Meuse a autorisé le recrutement, pour une durée de trois ans à compter du 1er décembre 2013, d'un agent non titulaire de catégorie A chargé d'exercer les fonctions de " chef de projet développement économique CIGEO " ; que, le même jour, M. D...a été recruté par contrat pour remplir ces fonctions, avec rang d'ingénieur territorial en chef de classe exceptionnelle ; que le projet CIGEO tend à la réalisation d'un centre de stockage profond de déchets radioactifs implanté à Bure, commune du département de la Meuse ; 4. Considérant qu'un " groupe de projet CIGEO " a été créé sous l'autorité du président du conseil général de la Meuse et du groupement d'intérêt public (GIP) " Objectif Meuse " afin de suivre la réalisation du centre de stockage et de réunir les compétences nécessaires au sein du conseil général, du GIP et de leurs partenaires publics et privés ; qu'à ce titre, M. D...est chargé de conduire les actions nécessaires en vue de favoriser la réalisation de projets de développement économique et industriel en lien avec le projet CIGEO, en coordonnant l'action des services du département autour de ce projet, dont il doit assurer la promotion auprès des entreprises locales ; qu'ainsi, les fonctions qu'il occupe lui donnent un pouvoir d'initiative et d'orientation important dans l'animation de la vie économique de l'ensemble du département, y compris le secteur où est située la commune de Boviolles, distante de Bure d'environ 25 km ; qu'alors même que M. D...ne dispose pas de délégation de signature et qu'il n'assure pas d'activités d'encadrement, il doit dès lors être regardé comme exerçant des fonctions au moins équivalentes à celles d'un chef de service du conseil général ; qu'il suit de là qu'à la date du scrutin en cause, M. D...entrait dans le champ d'une des causes d'inéligibilité prévues au 8 de l'article L. 231 du code électoral ;» (CE 13 février 2015, n ) A l inverse en application des critères exposés dans le considérant de principe précité (n 2 de l arrêt n du 4 février 2015) le juge administratif a considéré que ne sont pas des établissements du département, les organismes suivants.

3 Ø Les Services départementaux d incendie et de secours (SDIS) : D une part, ces établissements ne sont pas créés par le département ou à sa demande mais en vertu de la loi et d autre part ils ne dépendent pas uniquement des collectivités visées au 8 ème de l article L.231 du code électoral. «6. Considérant qu'il ressort des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales que les services départementaux d'incendie et de secours, qui associent pour la gestion et la mise en œuvre des moyens au niveau local les communes au département et aux établissements publics de coopération intercommunale, ne sont pas seulement rattachés à des collectivités ou établissements mentionnés au 8 de l'article L. 231 du code électoral ; qu'en outre, ils ne sont pas créés par le département ou à sa demande mais par la loi, dans chaque département ; qu'il suit de là que les services départementaux d'incendie et de secours ne peuvent être regardés comme des établissements publics du département au sens et pour l'application du 8 de l'article L. 231 du code électoral ;» (CE 4 février 2015, n ) «5. Considérant qu'il ressort des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales que les services départementaux d'incendie et de secours, qui associent pour la gestion et la mise en œuvre des moyens au niveau local les communes au département et aux établissements publics de coopération intercommunale, ne sont pas créés par les départements ou à leur demande mais par la loi et ne sont pas des établissements publics dépendant seulement de collectivités ou établissements mentionnés par les dispositions du 8 de l'article L. 231 du code électoral ou communs à ces seuls collectivités ou établissements ; que, par suite, ils n'entrent pas dans le champ de ces dispositions ;» (CE 17 février 2015, n ) Ø Les Centres de gestions (CDG) : De même, les centres de gestion ne constituent pas des établissements du département. L adhésion à ces structures n est que facultative et en outre, celles-ci ne sont pas créées ni par les département, ni à leur demande. «6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que les centres de gestion comprennent à titre obligatoire les communes et leurs établissements publics qui emploient moins de trois cent cinquante fonctionnaires et, d'autre part, que l'adhésion des départements à ces centres n'est que facultative ; que, dès lors, les centres de gestion ne peuvent être regardés comme des établissements publics du département au sens et pour l'application des dispositions du 8 de l'article L. 231 du code électoral ; qu'en outre, il ne ressort pas des dispositions précitées que les centres sont créés par le département ou à sa demande; que, par suite, le directeur du centre de gestion des Deux-Sèvres n'est pas, contrairement à ce que soutient le requérant, inéligible en application de ces dispositions ;» (CE 4 février 2015, n )

4 Ø Un établissement public foncier : Ne constitue pas non plus un établissement du département, un établissement public foncier, car il ne dépend pas seulement de collectivités ou d établissements mentionnés par les dispositions du 8 ème de l article L.231 du code électoral. «5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'établissement public foncier local de l'ain, établissement public industriel et commercial créé par arrêté du préfet de l'ain du 18 décembre 2006 en application des dispositions précitées des articles L et L du code de l'urbanisme, dont sont membres la région Rhône-Alpes, le département de l'ain, seize établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et trente-quatre communes isolées au nombre desquelles figure la commune de Châtillon-sur-Chalaronne, n'est pas un établissement public dépendant seulement de collectivités ou établissements mentionnés par les dispositions du 8 de l'article L. 231 du code électoral ou commun à ces seuls collectivités ou établissements ; que, par suite, il n'entre pas dans le champ de ces dispositions ;» (CE 17 février 2015, n ) 2. Les pouvoirs du juge de l élection 2.1. Le prononcé d office d une sanction d inéligibilité Le juge administratif peut, en application de l article L du code électoral, prononcer même d office une sanction d inéligibilité : «17. Considérant qu'aux termes de l'article L du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manœuvres, le juge de l'élection peut, le cas échéant d'office, et après avoir, dans cette hypothèse, recueilli les observations des candidats concernés, prononcer une telle sanction si les manœuvres constatées présentent un caractère frauduleux, et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ; 18. Considérant que les manœuvres mentionnées au point 11 présentent, eu égard notamment à leur nature et à leur ampleur, un caractère frauduleux ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 13, ces manœuvres ont eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ; qu'il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté, que M. AF... a lui-même participé à leur accomplissement ; qu'eu égard à leur nature et à leur gravité, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif l'a déclaré inéligible pendant une durée d'un an ; qu'en raison du caractère suspensif de l'appel formé par l'intéressé, cette durée court à compter de la date de lecture de la présente décision ;» (CE section, 4 février 2015, n )

5 Pour que cette sanction soit prononcée, il est nécessaire que le candidat ait commis des manœuvres frauduleuses ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin Le pouvoir de rectifier les résultats proclamés d une élection municipale relève exclusivement du pouvoir du juge Dans cette espèce le juge administratif a rappelé que lui seul avait le pouvoir de modifier les résultats d une élection. Ainsi, le résultat d une élection, issu du décompte et inscrit dans le procès verbal, ne peut plus être corrigé par qui que ce soit d autre que le juge de l élection. Aussi, ni le président du bureau de vote et ni les services de l Etat à qui ces résultats sont transmis ne peuvent les modifier, quand bien même le procès verbal en question serait entaché d erreur. «1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 30 mars 2014, lors du second tour des élections municipales dans la commune de Gajac, commune de moins de habitants, quatre sièges de conseillers municipaux étaient à pourvoir ; qu'à l'issue du scrutin, les membres du bureau de vote ont procédé à un premier décompte des voix, au terme duquel les candidats recueillaient respectivement 136 voix pour Mme L..., 136 pour Mme B..., 134 pour M. E...du Séjour, 133 pour Mme D..., 130 pour M.H..., 129 pour M.I..., 128 pour M. C...et 126 pour Mme P...; que ces résultats ont été régulièrement consignés dans un procès-verbal, dans lequel ne figure aucune contestation des opérations électorales et dont un exemplaire a été aussitôt envoyé à la sous-préfecture de Langon ; qu'après l'envoi de ces résultats à la souspréfecture, le président et l'un des membres du bureau de vote ont procédé à un deuxième décompte des voix, au terme duquel les candidats recueillaient des résultats différents ; qu'il est constant que les résultats proclamés le 31 mars 2014 par le ministère de l'intérieur ne correspondaient pas non plus à ceux obtenus par les candidats au terme du premier décompte ; 2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 67 du code électoral : " Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé par le secrétaire dans la salle de vote, en présence des électeurs. / Il est établi en deux exemplaires, signé de tous les membres du bureau. / Les délégués des candidats ou listes en présence sont obligatoirement invités à contresigner ces deux exemplaires. / Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote " ; qu'aux termes de l'article R. 118 du même code : " Un exemplaire du procès-verbal est, après signature, aussitôt envoyé au sous-préfet, dans l'arrondissement du chef-lieu du département, au préfet ; le sous-préfet ou le préfet en constate la réception sur un registre et en donne récépissé " ; que, selon le premier alinéa de l'article R. 119 du même code : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procèsverbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture.

6 Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'il appartient à la seule juridiction administrative saisie d'une protestation, de rectifier les résultats proclamés d'une élection municipale, dès lors qu'ils ont été transcrits au procès-verbal signé des membres du bureau de vote ; que, par suite, et aussi erroné que le procès-verbal ait pu paraître, le président et l'un des membres du bureau de vote, de même que les services de la sous-préfecture, ne pouvaient légalement, après cette proclamation, y apporter la moindre rectification ;» (CE 14 novembre 2014, n ) 2.3. Le pouvoir de statuer ultra-petita en cas d altération de la sincérité du scrutin Lorsque le juge électoral est saisi d une protestation contre une élection et que les irrégularités commises sont de nature à altérer la sincérité du scrutin, il peut statuer ultra-petita et prononcer l annulation de l ensemble des opérations électorales, même s il n a pas été saisi de conclusions en ce sens : «4. Considérant que, saisi par les protestations que lui avaient soumises Mme F... et M.E..., qui faisaient valoir que les bulletins de la liste conduite par M. A... auraient dû être tenus pour nuls et qui demandaient au tribunal de prononcer la nullité des 911 suffrages s'étant portés sur cette liste, le tribunal administratif de Bordeaux était nécessairement, et à tout le moins, saisi de conclusions tendant à l'annulation de l'élection des trois candidats de la liste de M. A...proclamés élus en qualité de conseiller municipal ; qu'il appartenait dans un tel cas au tribunal administratif, dès lors qu'il jugeait que l'irrégularité commise était de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin, de prononcer, eu égard au mode de scrutin applicable dans les communes de plus de habitants, l'annulation de l'ensemble des opérations électorales quand bien même une telle annulation n'aurait pas été demandée par les protestataires ; que, par suite, Mme F...n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif, en prononçant l'annulation des opérations électorales dans leur ensemble, aurait à tort statué au-delà des conclusions dont il était saisi ;» (CE 20 février 2015, n ) Il convient de préciser que cette solution s impose en raison du mode de scrutin mis en œuvre dans le cadre d une élection municipale dans une commune de moins de mille habitants.

7 3. Quelques précisions des règles procédurales en matière de contentieux électoral 3.1. Le rappel des conditions de la saisine du juge de l élection par voie de procèsverbal Pour que le juge de l élection puisse être valablement saisi par la voie d observations figurant au procès-verbal, il faut que ces dernières sollicitent l annulation de l élection. La formulation d un grief, non assortie de cette demande ne permet pas au juge de l élection d être saisi d une contestation électorale : «3 Considérant qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 119 du code électoral : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai " ; que des observations consignées au procès-verbal des opérations électorales ne peuvent valablement saisir le juge de l'élection que si elles contiennent une demande d'annulation de ces opérations ou sont formulées dans des termes qui, au moyen de griefs précis, mettent expressément en cause leur validité et invitent ainsi le juge à en tirer les conséquences ; 4 Considérant que si les observations consignées par M. E...au procès-verbal des opérations électorales formulaient un grief de façon précise, elles ne contenaient pas de conclusions ni ne précisaient les conséquences que le juge était invité à tirer de ce grief ; que ne permettant pas de déterminer si M. E...entendait ainsi demander au juge de remettre en cause les résultats proclamés des opérations électorales, elles ne peuvent être regardées comme constituant une protestation au sens de l'article R.119 du code électoral ;» (CE 14 novembre 2014, n )

8 3.2. Les irrégularités du premier tour sont invocables dans une protestation contre le second tour Les irrégularités ayant affecté les opérations électorales du premier tour d une élection sont invocables à l appui d une protestation dirigée contre le second tour de ces élections à la condition que les résultats du second tour aient pu en être affectés : «6. Considérant, d'autre part, que des irrégularités ayant affecté les opérations électorales d'un premier tour de scrutin, à l'issue duquel aucun candidat n'a été proclamé élu, peuvent être invoquées à l'appui de conclusions dirigées contre les résultats du second tour, dès lors que ceux-ci ont pu être affectés par ces irrégularités ;» (CE 29 décembre 2014, n ) Laurent PEQUIGNOT Avocat collaborateur