Quand la vie vaut moins que la tradition...

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1 la défense des droits de l homme Le Mémorial de Caen Recueil des Plaidoiries 2014 LYCÉENS Quand la vie vaut moins que la tradition... Raphaël Ravenne Lycée Ambroise Vollard, Saint-Pierre (Réunion) 67

2 Svati, Sultapa, Kavita, Shana, Fatima. Quels pourraient être leurs points communs selon-vous? Elles sont toutes des femmes et portent un prénom à l image de leurs origines à savoir indiennes. Malgré les 1,21 milliard d habitants que compte le deuxième pays le plus peuplé du globe, une chose relie entre elles toutes les femmes de l Inde. Et cette chose c est leur condition! Dès la naissance, ces femmes portent un handicap considérable dont la perception pour nous autres Occidentaux n est pas visible d emblée. Et ce handicap c est leur appartenance au sexe féminin! Dans ce pays en plein essor économique et en pleine évolution, les traditions restent tout de même très présentes, très ancrées dans les mentalités. Une de ces traditions et les conséquences qu elle engendre peut être considérée comme la plus indécente, malsaine et dégradante pour la femme indienne et sa place dans la société. C est la tradition de la dot «the dowry tradition» ou «dowry death». Les pratiques consistent à réduire la femme au rang de simple monnaie d échange, d objet. Le procédé est simple : la famille de la future mariée se voit dans l obligation de fournir une importante somme d argent et des biens en tous genres à la famille du futur époux. Cet argent aurait pour but de dédommager pour les coûts générés par l éducation de leur fils. Cette tradition persiste encore aujourd hui, faisant toujours plus de victimes. Et qui sont ces victimes? Les femmes indiennes! En effet, bien des familles ne sont pas en mesure de répondre aux exigences de cette coutume et ce financièrement parlant. 69

3 Un vieux proverbe indien dit : «élever une fille c est comme se résoudre à arroser le jardin de son voisin». Les nouveaunés de sexe féminin sont perçus comme une malédiction, une source de problèmes à venir, un malheur et cela spécialement pour les populations issues de milieux modestes pour qui ces filles représentent un immense fardeau. D ailleurs, lorsque ces jeunes femmes se marient, leurs familles ne sont pas en mesure d honorer dans son intégralité la dot promise et due à la belle-famille ; c est à partir de ce moment précis que commence leur cauchemar! Infanticides, avortements sélectifs, abandons sont alors courants mais évidemment prohibés par la loi et aussi des sujets tabous dans la société. Toutefois, ils rythment la vie de milliers voire de millions de foyers indiens et tout ça dans l unique objectif d éviter à tout prix de donner vie à une fille. Si bien que l Inde compte en moyenne près 922 femmes pour 1000 hommes ce qui place le pays au rang d un des plus déséquilibrés au monde sur le plan démographique, de la répartition des sexes. En ce qui concerne les fillettes qui échappent à ces pratiques, leur futur n en sera pas moins difficile! Elles devront s engager dans une lutte acharnée tout au long de leur existence pour tenter d évoluer, en vain, dans une société surmasculinisée propice aux discriminations, viols et abus en tout genre! D ailleurs, les faits divers les plus sordides mettent en lumière le statut de la femme en Inde : le 22 août 2013, une journaliste étrangère a subi un viol collectif alors qu elle ne faisait que son travail. On perçoit la difficulté d être femme en Inde. Dans le cas des problèmes de dot, les femmes font ainsi l objet de violence morale et surtout physique, de harcèlement quotidien, elles peuvent être passées à tabac, vitriolées, brûlées vives, se faire empoisonner. Ou encore dans un élan de désespoir et de solitude elles décident de se donner la mort ne pouvant plus faire face à cette vie qu elles-mêmes n ont pas choisie. 70

4 Toutes les heures en moyenne une femme indienne meurt pour des raisons de dot si bien que d après le bureau national de registre criminel près de 8233 femmes ont perdu la vie en 2012 et ce toujours pour des raisons de dot. Vous vous direz sûrement et la loi, la justice dans tout ça? Pourtant cette coutume millénaire est proscrite par la loi et ce depuis Le gouvernement indien interdit strictement toute réclamation et exigence d une dot dans le cas d un mariage. Cette loi est plus communément nommée the dowry prohibition act. Toutefois les sanctions encourues paraissent bien dérisoires. Elles se résument à une peine d emprisonnement allant jusqu à six mois maximum assortie d une amende s élevant à 5000 roupies, ce qui équivaut à peu près à 58 euros. Afin de renforcer la législation en la matière, une clause spéciale concernant les meurtres liés à la dot a été introduite dans le code pénal indien en 1986, afin d assurer une protection aux victimes. Ainsi, pour faciliter les démarches des femmes victimes de violences, il suffisait que ces dernières déposent une simple plainte pour harcèlement pour envoyer un mari en prison de manière durable, sans enquête. Malheureusement, certaines femmes ont abusé de cette faculté pour se débarrasser de leurs maris, pourtant innocents. Pour éviter ces dérives, en 2008 la loi a été modifiée et seul le suspect principal, le mari le plus souvent, pourra être arrêté sur dénonciation, mais seulement après qu une enquête ait été menée, sachant que «les arrestations doivent demeurer l exception et non la règle» selon la police indienne. Malgré ce dispositif législatif qui se renforce au fil des ans, il faut savoir qu il y a seulement 30% de condamnations des crimes dus à la dot : cela est le résultat de délais trop lents dans le traitement des affaires et des poursuites judiciaires. Mais la principale raison est la peur, la peur de parler, celle de ne pas être écouté, de ne pas être prise au sérieux. 71

5 Dans ce genre de situations nous nous disons certainement qu il y a des solutions. Quelles solutions trouvez-vous lorsque vous êtes loin des vôtres face à des personnes étrangères qui en ont après votre vie? Quelles solutions pouvez-vous trouver lorsque votre simple appartenance au sexe féminin dresse devant vous des barrières insurmontables? Quelles solutions pouvez-vous trouver lorsque votre personne, votre condition ne dépend pas de vous mais est préétablie par une culture si riche mais qui vous enferme? En voyez-vous des solutions? Moi non. Les diverses associations à l image de Jagori ou Sruti bien qu elles aident ces femmes en détresse ne parviennent hélas pas à en endiguer ce phénomène, la société indienne étant basée sur le qu en-dira-t-on et l honneur de la famille, comme la plus rudimentaire des vertus. Et les violations des droits fondamentaux des femmes à la dignité, à la non-discrimination perdurent malgré la déclaration universelle des droits de l homme de 1948 qui vise normalement à placer tous les êtres humains sur un même pied d égalité, sans distinction de leur sexe. Cela voudrait-il dire que la femme est un être humain au rabais? Amnesty international ne manque pas de nous rappeler que la situation des femmes du XXI e siècle est loin d être enviable et que ces atteintes sont synonymes de graves fautes humaines. Svati, Sultapa, Shanna, Kavita, Fatima sont toutes les sœurs de Marie-Claire, Brigitte, Emma, Kelly ou Nafissatou, qu elles soient Indiennes, Françaises ou Américaines. Malgré les kilomètres qui les séparent, en toute femme nous pouvons percevoir les victimes de la «dowry tradition». Partout la femme reste l essence même de l humanité et doit à tout prix se faire respecter. Certaines n y parviennent pas : «Quand la vie vaut moins que la tradition...» 72

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