SANTÉ, DEVELOPPEMENT INDUSTRIEL ET DROITS DE PROPRIETE. L'ACCES DES PATIENTS AUX TRAITEMENTS ANTISIDA EN THAILANDE

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1 SANTÉ, DEVELOPPEMENT INDUSTRIEL ET DROITS DE PROPRIETE. L'ACCES DES PATIENTS AUX TRAITEMENTS ANTISIDA EN THAILANDE Samira GUENNIF Claude MFUKA CEPN-IIDE UMR-CNRS 7115 Université Paris 13 99, avenue JB Clément 93430, VILLETANEUSE Résumé : A travers l étude du cas thaïlandais, cet article propose de montrer comment une politique industrielle volontariste a permis l essor d une industrie pharmaceutique performante et d apporter une solution durable au problème de l accès des patients aux traitements antisida. Nous préciserons néanmoins comment un objectif de santé publique peut être contrarié par des modifications institutionnelles apportées au système national de droits de propriété industrielle. Ces modifications tendent à entraver le développement pharmaceutique ultérieur et à gêner l autonomie du pays en matière d offre de médicaments vitaux abordables tels que les Antirétroviraux. En somme, la problématique retenue est celle du lien entre développement industriel, évolution des droits de propriété (avant et suite aux accords ADPIC) et santé publique dans un pays en développement comme la Thaïlande. Mots clés:, Thaïlande, Développement Pharmaceutique, Santé Publique, Antirétroviraux, Brevet, Médicaments Génériques. 1. INTRODUCTION Depuis la décennie 80, le VIH/sida est devenu un fléau dont le plus lourd tribut est payé par les pays du Sud. Sur 40 millions de personnes infectées par le VIH, 39 millions vivent dans les pays en développement (PED). L'épidémie ne devrait cesser de croître dans un proche avenir puisque l'on craint l'explosion du nombre d infection par le VIH dans des pays à forte démographie comme la Chine, l'inde ou encore la Russie. Ce problème de santé publique intervient dans un contexte de renforcement de la propriété intellectuelle et notamment du brevet de médicament dans la plupart des pays du monde. Cette situation pose un défi de taille pour les pays les plus touchés par l'épidémie : traiter les populations en leur fournissant, dans la mesure du possible, des traitements essentiels à des prix abordables tout en respectant les droits de propriété intellectuelle (DPI) détenus par les entreprises multinationales (EMN) du secteur sur les médicaments antisida, les anti-rétroviraux (ARV). Il apparaît alors que le lien entre niveau de développement industriel et accès des populations aux traitements les plus abordables devient moins évident comme l'illustre parfaitement le cas thaïlandais. A travers l étude de ce cas, ce travail propose de montrer dans quelle mesure le niveau de développement industriel d'un pays participe à l'enjeu de l'accès des populations aux ARV et comment un facteur institutionnel tel que le brevet de médicament peut remettre en cause le lien entre développement industriel et accès aux traitements. Nous proposons de concilier les champs de santé publique et d'économie industrielle. Nous examinerons tout d'abord les tenants et aboutissants de la demande de soins antisida en Thaïlande en la situant dans le cadre plus large de la politique de santé publique lancée par les autorités sanitaires thaïlandaises ( 2). Nous verrons ensuite que le niveau de développement industriel joue un rôle capital. Pour assurer l autosuffisance sanitaire et la maîtrise des dépenses de santé, les pouvoirs publics thaïlandais ont mis en place des mesures qui ont permis la création d un tissu industriel composé de PME et de l Agence gouvernementale Government Pharmaceutical Organization ( 3). Ce travail bénéficie d un financement de la part de l ANRS et de Ensemble Contre le Sida. Les auteurs tiennent à remercier M. Pierre Chirac, M. Jérôme Dumoulin et M. Bernard Hours pour leurs remarques et suggestions. 1

2 Cependant, le renforcement du système de DPI thaïlandais ( 4) met à mal le lien dynamique entre développement industriel et offre de médicaments abordables pour les populations du sud ( 5). Le brevet constitue une véritable barrière à l entrée pour les firmes locales. En effet, les modifications apportées au Thai Patent Act ont réduit la marge de manœuvre des firmes locales. Ainsi, GPO qui dispose des compétences technologiques pour produire un éventail large d ARV, se trouve juridiquement contrainte de produire quelques ARV. L offre d ARV abordables ainsi réduite, en entravant l accès des populations aux traitements antisida, dessert les objectifs de santé publique. 2. SIDA ET SANTE PUBLIQUE EN THAÏLANDE : DE LA PRÉVENTION A LA DEMANDE DE TRAITEMENTS A partir de 1991, une volonté politique de lutte contre le sida se dégage nettement en Thaïlande face à l explosion potentiellement dramatique de la maladie. En effet, en 1989, le réseau de surveillance épidémiologique révèle que 44% des prostituées sont infectés par le virus au Nord du pays alors qu'un quart des hommes y fréquentent les maisons closes. On redoute alors une propagation importante du virus. Face à cette menace, les pouvoirs publics entament une campagne massive d information publique. En tant que biens publics 1, la population est informée de la progression nationale épidémiologique du sida, du mode de transmission du VIH et des moyens préventifs existants. En outre, sachant que 80% des infections se produisent par voie sexuelle, le MOPH 2 cherche à réduire les externalités négatives 3 liées aux comportements individuels. En 1991, le «Programme 100% préservatif» (PCP) est lancé au niveau national. Il promeut l usage systématique du préservatif particulièrement parmi les groupes d individus dont le risque de contraction-transmission du VIH est élevé 4. L usage du préservatif est rendu obligatoire dans les maisons closes où 17% des travailleurs sexuels sont infectés. Pareillement, on promeut son usage parmi les clients lors de leurs rapports hors maisons closes (jeunes militaires et pêcheurs) 5. Toujours pour réduire les externalités négatives, le MOPH instaure un programme de contrôle du sang. Depuis 1989, il est obligatoire de vérifier si les lots sont infectés par le VIH. Plus tard, il sera obligatoire de contrôler si les lots sont infectés par l hépatite B, l hépatite C ou la syphilis. Puis, dès 1992, pour abaisser les dons provenant des personnes à risque, on renonce aux dons non gratuits. Enfin, en 1995 des tests volontaires révèlent que le taux d infection des femmes enceintes se situe à 1,53%. Aussi, la transmission mère-enfant devient un autre domaine important de prévention. Entre et femmes enceintes sont infectées chaque année. Le taux de transmission verticale se situant entre 25 et 30%, ce sont entre et nouveaux nés qui sont infectés annuellement. Pour lutter contre la transmission verticale, la Croix Rouge Thaïlandaise lance un programme de distribution gratuite de traitements AZT aux femmes qui en font la demande auprès des hôpitaux. Des traitements AZT en sirop sont également dispensés aux nouveaux nés 6. Pour lutter contre la transmission durant l allaitement, des substituts au lait maternel sont distribués. Le risque de transmission durant l allaitement est ainsi ramené de 30 à 20%. 1 Le bien public est une première défaillance de marché qui justifie l intervention de l état dans le domaine de la santé publique. Il se caractérise par le fait qu il apporte un bénéfice à l ensemble de la collectivité : une fois produit, personne ne peut être exclu de la consommation d un bien public. De ce fait, il ne peut être dispensé par le secteur privé, incapable de retirer les profits liés à sa production et sa distribution. 2 Ministry Of Public Health. 3 L externalité est une autre défaillance de marché qui justifie l intervention de l état en matière de santé publique. Lorsque les actions d un individu apporte un bénéfice ou impose un coût à un autre individu, on parle d externalité positive ou négative. Ces externalités sont à l origine d une divergence entre coût privé, supporté par l individu à la source de l externalité, et coût social, supporté par l ensemble des individus récipiendaire de l externalité (Coase, 1960). 4 En fonction du risque de contraction-transmission du virus de certaines populations et de leur coût d accès en matière d informations, la Banque Mondiale identifie les groupes-cible particuliers des politiques de lutte contre la maladie. Ainsi, étant donné un risque élevé de contraction-transmision et un faible coût d accès, les travailleurs sexuels des maisons closes seront les cibles priviliégiées des programmes de prévention. 5 Le coût-efficience de ce progamme est par ailleurs augmenté puisque le nombre de MST s en trouve réduit. 6 L AZT permettrait de baisser le risque pendant le travail et l accouchement de 30% à moins de 10% selon les traitements utilisés (ONUSIDA, 2000). 2

3 Le résultat de ces politiques publiques reste globalement satisfaisant. Actuellement, l épidémie reste concentrée 7 et l on constate une baisse du nombre annuel de nouvelles infections. Entre 1994 et 1996, on comptait environ nouvelles infections par an contre par an dans la phase la plus critique de l'épidémie. A cela, une première raison : l usage du préservatif parmi les travailleurs des maisons closes passe de 14% à 90% entre 1988 et Un réservoir important de transmission du virus vers le reste de la population semble contrôlé. Par ailleurs, les clients déclarent utiliser le préservatif à 71% en Avec la mise en place du PCP et les changements intervenus dans le comportement des travailleurs des maisons closes et de leurs clients, on estime à 2 millions le nombre d infections évitées (TWGA, 2000). En écartant les populations donneuses à risque et en procédant au contrôle obligatoire des lots, on a baissé le nombre d'infection du VIH par voie sanguine. Parmi les donneurs, le taux d infection est passé de 4% à 0,7% entre 1991 et Actuellement, le taux d infection par transfusion est estimé à un pour Le nombre de femmes enceintes et de nouveaux-nés traités par AZT demeure faible car les traitements restent prohibitifs : 500 dollars par an pour la mère et l enfant. Sur femmes enceintes infectées en 1999, la Croix Rouge Thaïlandaise n a pu fournir que traitements (ONUSIDA, 2000). Toutefois, la vigilance reste de mise pour l'avenir. Avec la crise économique et la baisse des budgets santé publique et Sida 11, les achats de préservatifs du MOPH sont passés de 53 millions à 31,5 millions entre 1996 et 2000 (AIDS Division, MOPH, 2000) 12. De plus, avec la baisse concomitante de la distribution gratuite de préservatifs, on peut craindre une résurgence de l épidémie (Thai Working Group on HIV/AIDS, 2000). Ensuite, plusieurs groupes d individus à risque d infection-transmission élevé sont restés en dehors du champ des actions préventives. Compte tenu de leur coût d accès (Banque mondiale, 1997), on a négligé les travailleurs sexuels situés hors maisons closes et les drogués par injection 13. Le taux d infection de ces derniers est élevé : entre 25 et 50% d une population de à individus. Ce groupe reste donc un réservoir critique de transmission du virus. Si les infections par voie sexuelle ont jusqu'ici constitué le gros des infections, on estime à l avenir qu un quart des nouvelles contaminations parmi les adultes sera lié à l usage de drogues par injection. Pourtant, aucune campagne destinée aux drogués par injection, aucun programme d échange de seringues n a été mis en place. Un autre point critique des actions menées en faveur de la santé publique reste l'augmentation drastique de la demande de soins dans un avenir très proche. En effet, actuellement, personnes vivent avec le VIH 14. Avec un taux de prévalence considérable de 1,27% et un PNB relativement élevé de dollars par habitant, la Thaïlande dépense beaucoup pour le sida. Les dépenses de santé allouées à la lutte contre le sida représentent 5,4% des dépenses publiques totales de santé soit 4,76 dollars sur 310 dollars par tête (Shepard, 1996). Avec un taux de prévalence relativement élevé et un nombre minime de personnes ayant développé les premiers signes de la maladie, 64% des fonds sont alloués à la prévention contre 36% aux soins 15. Or, actuellement personnes entrées en phase asymptomatique ont besoin de traitements (Access, 2002). Suivant le principe d équité 16, la mission du gouvernement thaïlandais est d assurer l accès des plus démunis aux 7 Les taux d infection sont élevés parmi les individus à haut risque, mais le VIH ne s est pas répandu dans le reste de la population. 8 Cette baisse est intervenue dans un contexte de réduction de moitié de la demande commerciale de sexe. 9 Chiffre conforté par une chute des MST parmi la population : cas en 1994 contre cas en 1988 (Rojanapithayakorn et Hanenberg, 1996). 10 Aux Etats-Unis, ce taux est de un pour transfusions. 11 Entre 1997 et 1998, ce budget est passé de 70,14 milliards de bahts à 59,92 milliards de bahts, soit une baisse de 14,58%. Pour sa part, le budget sida a subi un ajustement plus important que le budget non sida du MOPH en baissant de 24,7%. 12 De même, les achats d ARV destinés aux programmes de lutte contre la transmission verticale ont baissé de 76,4% entre 1997 et Ce qui explique que selon le TWGA (2000), le nombre annuel des nouvelles infections se situerait davantage à personnes sont déjà mortes du sida. 15 Suivant une étude réalisée par Shepard (1996), des pays comme le Brésil ou la Côte d Ivoire destinent au contraire la plupart des fonds au traitement des malades. En dehors du cas de la Côte d Ivoire, les pays qui supportent les taux de prévalence les plus élevés sont également ceux qui insistent davantage sur la prévention. 16 Le critère d équité suppose un accès équitable des personnes à une même qualité de services de santé et un partage équitable des dépenses de santé (Rapport sur la santé dans le monde 2000). Le critère d équité comporte donc un objectif d accessibilité des personnes aux services de santé : un système de santé doit «diminuer le risque que des gens ayant besoin 3

4 traitements ARV qui permettent aux patients de mieux vivre avec la maladie et d augmenter leur espérance de vie dans les meilleures conditions. Il est à craindre que ces dépenses exercent une pression considérable sur les ressources du MOPH. Dans un rapport publié en 2000, la Banque Mondiale évalue les dépenses du MOPH pour assurer l accès des patients aux soins palliatifs, aux soins concernant le traitement des maladies opportunistes et aux traitements anti-sida. Ce rapport montre tout d'abord que le prix des traitements n est pas prohibitif pour certaines maladies opportunistes. Par exemple, le prix d un traitement efficace contre la tuberculose varie entre 15 et 40 dollars par patient. Pour traiter un patient atteint de pneumonie, il en coûte 10 dollars. Tableau 1. Estimation des coûts annuels des traitements ARV, des soins palliatifs et des maladies opportunistes sous différents scénarios de prix et du nombre de personnes traitées Traitement Coût unitaire Nombre de personnes traitées annuel Coût total annuel (en million de bahts et de dollars) Traitements ARV (prix haut) bt ($8 100) bt ($81) bt ($202.5) bt ($445.5) bt ($810) Traitements ARV (prix bas) bt ($2 400) 960 bt ($24) bt ($60) bt ($132) bt ($240) Soins palliatifs et toute maladie bt 320 bt 820 bt bt opportuniste ($820) $8.2 ($20.5) ($45.1) Soins palliatifs et maladie bt 70.8 bt 177 bt bt opportuniste à bas coût ($177) ($1.77) ($4.425) ($9.74) En pourcentage du budget Sida 2000 (1.46 milliards de bahts) Traitements ARV (prix haut) Traitements ARV (Prix bas) Soins palliatifs et toute maladie opportuniste Soins palliatifs et MO à bas coût En pourcentage du budget dépenses de santé 2000 (65.2 milliards de bahts) Traitements ARV (prix haut) Traitements ARV (Prix bas) Soins palliatifs et toute maladie opportuniste Soins palliatifs et maladie opportuniste à bas coût Source : Banque Mondiale, Thailand Response to Aids, Pour administrer des soins palliatifs et des traitements contre les maladies opportunistes peu coûteuses à personnes, les pouvoirs publics devront débourser 70,8 bahts par patient et par an. Globalement, cette dépense représente 5% du budget sida pour l année 2000 ou encore 0,1% du budget de la santé. Si l on traite personnes, 27% des ressources du budget sida et 0,6% du budget de la santé devront être dépensés. Si l on traite l ensemble des maladies opportunistes, dont les plus coûteuses comme la méningite, et si l on dispense des soins palliatifs, il en coûtera 820 bahts par patient et par an. Pour patients, la Thaïlande devra y consacrer 22% de son budget sida ou encore 0,5% de son budget santé. Pour patients, la dépense représentera 83% du budget sida ou 2,7% du budget de la santé pour l an Concernant les traitements ARV, selon le niveau de prix retenu et le nombre de patient considéré, les dépenses représentent au plus 66% du budget sida et 27% du budget de la santé. En particulier, si les pouvoirs publics traitent patients au prix le plus élevé, celui des produits princeps, ils devront débourser 22 fois le montant du budget sida ou 49,1% du budget de la santé. Si les pouvoirs publics utilisent des traitements génériques, il en coûtera pour personnes 6 fois le budget sida ou 14,7% du budget de la santé. Pourtant, au nom du principe d équité, la Thaïlande sait qu elle ne de soins y renoncent pour des raisons financières ou se ruinent en les payant, ce qui les expose à de nouveaux problèmes de santé». Un deuxième objectif tient à «la répartition équitable de la charge financière» : «le rapport entre le total des dépenses de santé et le total des dépenses non alimentaires est identique pour toutes les personnes, indépendamment de leur revenu, de leur état de santé ou de leur utilisation du système de santé». Essentiellement, dans les pays en développement, les populations sont insuffisamment couvertes contre les «risques financiers», l incapacité de payer des traitements antisida. 4

5 peut allouer des ressources croissantes aux traitements des patients infectés par le VIH sans déroger à ce même principe pour les personnes atteintes d autres maladies comme le paludisme 17. En somme, à ce niveau de l'analyse se pose la question des moyens dont dispose la Thaïlande pour assurer l accès des patients aux traitements antisida. Alors, il apparaît que le niveau de développement industriel et pharmaceutique du pays joue un rôle considérable pour offrir des médicaments génériques plus abordables que les produits princeps. 3. L ACCES AUX SOINS : LE NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT PHARMACEUTIQUE COMPTE Dans son «système d économie politique», List considère qu en cas de décalage dans le développement industriel entre les nations, celles les moins avancées n ont d autre choix que de protéger, par différents types de barrières tarifaires (taxes sur les importations) ou non tarifaires (interdiction d importer ou non-reconnaissance des DPI), leurs industries naissantes pour assurer leur essor. L ouverture à la concurrence internationale s opère à l issue d une période de «protectionnisme éducateur» (List, 1840) durant laquelle la nation la moins développée renforce sa compétitivité en profitant des effets d apprentissage : «learning-by-doing» (Arrow, 1962) ou «learning-by-copying». S inspirant de ce modèle, des pays développés (PD) comme les Etats-Unis, l Allemagne, la France, la Grande-Bretagne ou encore le Japon ont attendu que leur industrie pharmaceutique ait atteint un degré suffisamment élevé de développement pour introduire le DPI sur le médicament 18. Suivant cette tendance, la Thaïlande a suivi un modèle de développement basé sur le «learning by copying». Ce modèle permet une production locale de médicaments génériques bon marché à travers le «reverse engineering», une technique employée pour copier des médicaments originaux. Aussi, jusqu en 1992, date d entrée en vigueur du Thai Patent Act (TPA) (voir plus bas), la Thailande a su assurer l essor technologique de leur industrie pharmaceutique et une certaine indépendance vis-à-vis des EMN en ne garantissant pas les DPI sur les produits 19. En outre, dans un esprit de conquête de filière 20, les firmes pharmaceutiques thaïlandaises doivent suivre une trajectoire de développement particulière qui se décompose en trois étapes (figure 1) 21. La première étape est celle de la formulation. Une fois le principe actif connu, la firme développe des compétences dans la formulation du médicament en copiant le médicament princeps. Cette étape nécessite un accès aux matières premières. Par ailleurs, pour espérer croître davantage, l industrie doit pouvoir s asseoir sur un marché national suffisamment large, d où l importance d une politique de protectionnisme éducateur La Côte d Ivoire et la Tanzanie ont opté pour des systèmes de subventions équitables : les traitements anti-sida et les autres traitements médicaux sont financés à même hauteur par les pouvoirs publics. A l inverse, la Thaïlande et le Brésil ont choisi une système de subvention plus favorable aux personnes nécessitant des ARV. En Thaïlande, le système de subvention des ARV est de 55% contre 16% pour d autres maladies (Shepard, 1996). 18 En Europe, le mouvement de brevetabilité des médicaments a commencé avec le Royaume-Uni en En France, la loi de 1844 qui déclarait non brevetable «les préparations pharmaceutiques ou remèdes de toute espèces ( )» ne s est vue remplacée que plus d un siècle plus tard. Ce n est qu en 1959 que la réglementation française a admis un «brevet spécial de médicament». En 1968, l Allemagne introduit le brevet de médicament dans sa législation nationale, suivie deux ans plus tard par l Italie et la Suède. Ce n est qu en 1976 que le Japon reconnaît la brevetabilité des médicaments. Quant à la Suisse, pays d origine de l un des plus grands groupes mondiaux de l industrie pharmaceutique, Norvatis, le brevet de médicament n y a fait son apparition qu en Des études empiriques, présentées par Braga (1989) montrent comment l absence de DPI pharmaceutiques en Argentine, au Costa Rica ou encore en Turquie a joué un rôle déterminant dans l expansion de l industrie pharmaceutique locale. Par ailleurs, l Inde a imposé un contrôle des prix sur les médicaments vendus par ces entreprises (Scherer, 1998). Le résultat de ces deux politiques a permis non seulement de développer une puissante industrie de génériques dans le pays, mais aussi de réduire le prix des médicaments à un niveau plus abordable. Le Brésil est également devenu un grand génériqueur. Grâce à cette activité générique qui existe maintenant depuis 14 ans dans le pays, le Brésil est même aujourd hui à l origine d un programme de recherche innovant initié par le groupe public Far-Manguihnos. Pour ce pays, le «learning by copying» a été un succès incontestable. 20 La filière industrielle rassemble l ensemble des stades de production, des matières premières aux produits finis (Mistral, 1980). 21 Entretien avec le Dr. Jiraporn, Pharmaceutical Sciences Faculty, Chulalongkorn University, Drug Study Group, le 22 avril Dans les pays du Sud, ce niveau a été investi par les EMN qui bien souvent utilisent les firmes du pays comme des firmes ateliers. 5

6 Lors de la seconde étape, l entreprise cherche à étendre son marché en passant d une base nationale à une base régionale. Via l accroissement des exportations dans les pays voisins, l élargissement du marché permet à l entreprise de produire ses propres matières premières (ou de les obtenir à un prix négocié). En facilitant l accès aux matières premières et en exploitant au mieux les économies d expériences sur un marché suffisamment large, la firme peut réduire ses coûts de production et passer à la troisième étape. La dernière étape concerne le développement de nouveaux médicaments (activité d innovation). La réduction des coûts de production permet à la firme de dégager des profits. Ceux-ci viennent financer des activités de R&D qui peuvent donner lieu à la mise au point de nouveaux traitements anti-sida 23. Actuellement, l industrie thaïlandaise est au stade 1, celui du développement de compétences en formulation via la production de médicaments génériques. Figure 1. Cycle de développement industriel dans le secteur pharmaceutique au Sud Investissements en R&D Elargissementdu marché Economiesd Echelle Mise en place de projets de R&D Activité d innovation Début d exportations vers les pays de la zone Economied apprentissage 0 Stade 1 Formulation Décollage Stade 2 Développement Accès facilité aux matières premières Stade 3 Innovation (Maturation) Temps En somme, dans le cadre d une politique de protectionnisme éducateur et dans un esprit de conquête de filière, l absence de DPI sur les médicaments favorise l apprentissage (par l imitation ou par la copie) qui permet à l industrie locale d acquérir les compétences et connaissances cœur 23 L ouverture d une zone de libre échange telle que l AFTA (ASEAN FREE TRADE AREA) prévue en 2003, l ouverture du marché indochinois (Laos, Cambodge, Vietnam et Myamar) et la promulgation du Thai Patent Act qui institue le brevet de médicaments, affecteront l industrie domestique notamment dans le sens d un renforcement de la concurrence. Il devrait donc y avoir de moins en moins de producteurs locaux en Thaïlande du fait de la compétition accrue et des accords sur les DPI. Dans le même temps, il y a des opportunités grandissantes d exportations dans la zone. En effet, l ouverture du Myanmar, du Vietnam, du Laos, du Cambodge et du sud de la Chine va offrir des perspectives de débouchés considérables puisque le marché, ainsi constitué, représentera près de 200 millions de personnes. Grâce à ces nouvelles opportunités, des firmes telles que GPO pourraient quitter le stade 1 de développement pharmaceutique pour se diriger vers la production de matières premières, dans un premier temps, puis, à terme, vers des activités d innovation. En effet, la réduction des barrières tarifaires liée à la mise en place des accords de l AFTA et à l ouverture des autres marchés, devraient permettre aux firmes thaïlandaises de réaliser des économies d échelle, ce qui favoriserait la mise en place de programmes de R&D et une amélioration de la qualité des médicaments. Cependant, la reconnaissance mondiale des DPI pharmaceutiques obtenue grâce à la signature des Accords de l ADPIC devrait compliquer la tâche des firmes locales. 6

7 nécessaires à la production de médicaments. On note bien une corrélation positive entre absence de DPI et développement industriel dont l industrie pharmaceutique de nombreux pays a su profiter. Dans le cas thaïlandais, on assiste à l émergence d une industrie nationale dynamique et d un champion national : le Government Pharmaceutical Organization (GPO). En effet, le secteur privé thaïlandais commence à produire des médicaments modernes en En 1941, le gouvernement thaïlandais se lance dans la production de médicaments. L usine créée à cet effet deviendra plus tard GPO. En 1960, pour appuyer le développement industriel et sortir le pays de la dépendance envers l étranger, le First Industrial Promotion Act est proclamé avec la mise en place du Board of Investment. La révision de cet Act, en 1962, marque un tournant dans l industrie domestique. On promeut l investissement dans des activités spécifiques à travers des mesures politiques incitatives telles que la protection tarifaire, la baisse des taxes sur les matières premières importées et sur les machines. De nombreux producteurs locaux apparaissent alors dans le secteur, encouragés par la politique gouvernementale 24. Au final, la politique thaïlandaise conduit à la structuration de l industrie pharmaceutique thaïlandaise autour d un noyau de PME privées et de l institution d Etat GPO. GPO n a pas vocation à faire du profit (non-profit organization). Placée sous la tutelle du MOPH, cette organisation est devenue l un des plus grands producteurs et distributeurs de médicaments en Thaïlande. Son rôle est de produire et de vendre des médicaments essentiels à bas prix pour accroître l autosuffisance sanitaire du pays, abaisser le prix des médicaments princeps et permettre la maîtrise les dépenses de santé 25 dans un pays caractérisé par un système de prix mixte. D un côté, dans le secteur public, le prix du médicament est contrôlé à travers la fixation d un prix moyen désigné pour la vente de médicaments essentiels dans les hôpitaux publics. D un autre côté, sur le marché privé, le prix est libre. Les mécanismes de marché permettent donc de créer une concurrence entre les médicaments génériques et princeps. Actuellement, GPO produit plus de 400 articles pharmaceutiques 26. Depuis 1992, l Institut de Recherche et Développement de GPO travaille sur la formulation, le développement et les tests de bioéquivalence 27 pour les médicaments relatifs au VIH/Sida et possède 5 unités de production. Depuis cette date, GPO a réalisé des économies d apprentissage qui lui permettent aujourd hui de réduire à une année le temps nécessaire au développement d un produit générique, contre trois ans précédemment. La firme peut ainsi concurrencer l offre des multinationales sur le marché local. Cependant, cette concurrence se limite à certains produits compte tenu des modifications apportées au TPA en LE RENFORCEMENT DU SYSTÈME DE DPI PHARMACEUTIQUES EN THAÏLANDE D une position souple en ce qui concerne le système de DPI dans l industrie pharmaceutique, position qui a permis le développement d une industrie de génériques performante et l essor d un champion national, le gouvernement thaïlandais a progressivement durci sa position sous la pression internationale. Du Thai Patent Act de 1992 au Safety Monitoring Programme (SMP) La première loi de brevet thaïlandaise concernant les produits pharmaceutiques n apparaît qu en 1979 (Patent Act B.E. 2522) et stipule que seuls peuvent être brevetés les procédés industriels de fabrication. L année 1992 marque un tournant dans le système de DPI pharmaceutiques. Avec le 24 Pour plus d informations, voir 25 Le nombre total d employés est de 2200 et les ventes annuelles en valeur avoisinent les 100 millions de dollars US. Même si la R&D en est encore à son balbutiement, environ 1,6% des recettes sont destinés au financement des projets de R&D. Le coût total des équipements dédiés à la R&D et des salaires dans la R&D représente respectivement 16% et 2 à 5% des dépenses totales de R&D. Mais les salaires versés étant très bas dans le secteur public, GPO doit faire face à une fuite des cerveaux vers le secteur privé. L établissement public est donc confronté à un manque de compétences du fait de la difficulté de trouver des spécialistes en formulation pour la production d ARV et des ingénieurs en analyse chimique. 26 Entretien avec le Dr. Krisana Krisaintu, Directrice de l Institut de Recherche et Développement de GPO, avril Des essais en double aveugle sont menés durant lesquels un groupe de patients composés de 20 à 24 personnes, prend les médicaments de GPO et un autre les médicaments des multinationales pendant au moins une semaine. Des comparaisons sont ensuite effectuées sur le taux de principe actif dans le corps. 7

8 Patent Act (n 2) B.E (OMS, 1999), la Thaïlande introduit le brevet de médicament. Désormais, tous les médicaments inventés après 1992 sont brevetables en Thaïlande. Le brevet est obtenu pour une durée de 20 ans durant laquelle aucune version générique ne pourra être produite. La non-rétroactivité de la loi inquiète les EMN (américaines notamment) : une partie de leurs produits est copiés par les firmes locales. Avec l aide de leur gouvernement, elles font pression sur les autorités thaïlandaises pour obtenir la mise en place de «droits de commercialisation exclusifs». Le «Safety Monitoring Programme» (SMP) est instauré en 1992 dans le but officiel d accroître la sécurité et l efficacité des produits commercialisés localement. En réalité, ce programme s impose comme un moyen de protection pour les firmes étrangères. Il accorde, en effet, des droits exclusifs de commercialisation aux produits qui n ont jamais fait l objet d un dépôt de brevet en Thaïlande. Cette protection dure en principe deux années durant lesquelles les EMN ont des droits de commercialisation exclusifs. En 1993, la Thaïlande tombe sous le coup du «301 spécial» américain 28. Le gouvernement thaïlandais est donc pousser à modifier sa législation pour rallonger la durée d exclusivité commerciale. Désormais, toute firme peut demander deux extensions successives d une année du SMP. Au terme de ces deux années, l entreprise a environ 6 mois pour analyser les données collectées sur la sécurité et l efficacité du produit. Ces données sont soumises à la Food and Drug Administration (FDA) thaïlandaise qui, au bout de 6 mois supplémentaires, se prononce sur l octroi d une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) finale. Ainsi, la durée d exclusivité commerciale est portée à 5 années. Les firmes locales sont donc dans l impossibilité de produire des versions génériques de ces produits : il est stipulé qu aucun autre producteur n est autorisé à produire les médicaments couverts par le SMP. Après cette période d exclusivité commerciale, le produit est mis sur le marché. Il peut alors être importé ou produit à l identique par une autre firme. Jusqu en 1998, le SMP concernait près de 700 «nouveaux médicaments» dont certains ARV et favorisait ainsi les détenteurs de brevet au détriment des firmes nationales de génériques. En plus de l introduction du brevet de médicament dans le système de DPI thaïlandais, 1992 a également marqué l interdiction des importations parallèles par le gouvernement thaïlandais. Il s y est vu contraint par les menaces américaines de limiter les importations de textile thaïlandais. Un an après cette interdiction, la pression américaine se fait de nouveau sentir : le gouvernement thaïlandais est poussé à abolir les licences obligatoires (LO) de médicaments prévues dans le TPA (Patent Act, section 46). Le gouvernement américain promet en retour de bas tarifs douaniers sur les bijoux et les produits en bois thaïlandais. La Thaïlande ratifie les accords ADPIC La signature des accords ADPIC (Aspects du Droit de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce) marque l entrée des DPI dans les Accords Commerciaux Internationaux (Accords de l OMC) 29. Pour la plupart des PED signataires, ces accords signifient un renforcement de leur système de DPI dans la mesure où ils doivent désormais garantir une période d exclusivité de production et d exploitation minimale de 20 ans à tout inventeur de produit pharmaceutique (article 33 relatifs aux brevets : «La durée de la protection offerte ne prendra pas fin avant l expiration d une période de 20 ans»). Pour la Thaïlande, ils n entraînent que peu de changements. Le TPA de 1992, associé au SMP, a déjà institué un système fort de protection des médicaments princeps, système qualifié de «TRIPS plus». La loi thaïlandaise de brevet est amendée en 1999 (Patent Act n 3, B. E. 2542) pour la rendre compatible avec les Accords ADPIC. L amendement principal porte sur les importations parallèles qui 28 Le «301 spécial» est utilisé comme une arme commerciale contre les pays qui seraient irrespectueux des règles et nuiraient aux intérêts américains. 29 Cette signature introduit clairement un renforcement du monopole des entreprises pharmaceutiques. Si le GATT autorisait les membres à protéger les créations intellectuelles (article XX (d)), aucune obligation n était faite d adopter des mesures de protection. Les DPI internationaux étaient alors permis à condition qu ils n entraînent pas de réduction du commerce international ni de discrimination entre les Etats Membres. 8

9 sont réintroduites dans le système de brevet thaïlandais (article 36(7) du Patent Act). Pour le reste, ces Accords internationaux ne modifient pas la durée de protection du brevet thaïlandais qui est déjà accordé pour 20 ans. Ils n obligent pas non plus le gouvernement thaïlandais à supprimer la mesure de LO (article 51) malgré les pressions américaines. Cependant, conformément aux Accords ADPIC (article 31) 30, ces licences sont utilisables en cas d urgence nationale, notamment en cas d urgence de santé publique (article 8.1) 31. Ainsi, d après les articles 31 et 8 (alinéa 1), les Accords ADPIC prévoient qu il est tout à fait possible d exclure de la brevetabilité les médicaments vitaux pour la population et donc permettre une production générique de ces médicaments. DPI et transferts technologiques : la désillusion Pour pousser à l introduction du brevet de médicament dans les pays du Sud, ceux du Nord ont toujours affirmé qu un système fort de brevet feront des PED des zones d attractivité pour les Investissements Directs Etrangers (IDE). A terme, ces pays seront capables à leur tour d investir dans des activités de R&D (Mansfield, 1986) et de fournir une offre effective de nouveaux médicaments. Finalement, ces pays pourront améliorer l accès des individus aux traitements. Pour mémoire, l article 7 des Accords ADPIC stipule que «la protection et le respect des DPI devraient contribuer à la promotion de l innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et d une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d obligations». En outre l article 66-2 prévoit que «les pays développés membres offriront des incitations aux entreprises et institutions sur leur territoire afin de promouvoir et d encourager le transfert de technologie vers les pays les moins avancés membres». Or, depuis l amendement du TPA en 1999, l évidence de cette croissance des transferts dans l industrie pharmaceutique thaïlandaise est faible. Selon une étude de Supakankunti et al. (2001), entre 1984 et 1998, les firmes domestisques restent en majorité de nationalité thaïlandaise, ce qui pousse les auteurs à conclure que peu d IDE arrivent dans l industrie pharmaceutique locale depuis 1992 (tableau ci-dessous). D après Oxfam (2001), «de nombreuses firmes pharmaceutiques multinationales basées sur la R&D ont en fait relocalisé leur bureau thaïlandais à Singapour malgré l existence d un renforcement de la loi de brevet en Thaïlande». L argument avancé par le professeur Chitman, Directeur Executif de la Pharmaceutical Producers Association (PPA) 32, est que Singapour offre plus d incitations que la Thaïlande telles que des dégrèvements, des procédures d enregistrement rapides ou encore des permis de travail pour les expatriés Article 31. Autres utilisations sans autorisation du détenteur du droit : «Dans le cas où la Législation d un Membre permet d autres utilisations de l objet d un brevet sans l autorisation du détenteur du droit, y compris l utilisation par les pouvoirs publics ou de tiers autorisés par ceux-ci, les dispositions suivantes seront respectées : a) l autorisation de cette utilisation sera examinée sur la base des circonstances qui lui sont propres, b) une telle utilisation pourra n être permise que si, avant cette utilisation, le candidat utilisateur s est efforcé d obtenir l autorisation du détenteur du droit, suivant des conditions et modalités commerciales raisonnables, et que si ses efforts n ont pas aboutis dans un délai raisonnable.». 31 Article 8.1 : «Les membres pourront, lorsqu ils élaboreront et modifieront leurs lois et réglementations, adopter les mesures nécessaires pour protéger la santé publique et la nutrition et promouvoir l intérêt public dans des secteurs d une importance vitale pour leur développement socio-économique et technologique, à condition que ces mesures soient compatibles avec les dispositions du présent accord» (article 8.1). 32 La PPA représente les firmes multinationales en Thaïlande 33 Oxfam (2001) : entretien du 2 janvier 2001 avec le Professeur Vanida Chitman. 9

10 Tableau 2. Nouveaux médicaments et Investissement Directs Etrangers en Thaïlande ( ) Année Valeur de la part détenue par les Valeur de la part détenue par les propriétaires thaïlandais (baht) propriétaires étrangers (baht) Total (baht) (79.4) b (20.7) (74.9) (25.1) b. Les valeurs entre parenthèses sont en %. Source : Supakankunti et al. (2001). Par ailleurs, le montant des IDE n a que peu évolué car les EMN continuent de préférer l importation à la production locale de médicaments comme le montre la part croissante des médicaments importés en Thaïlande depuis En 1999, à la suite de l amendement de la loi, la part des produits importés représente 60% du marché du médicament thaïlandais. Lorsque des unités de production de firmes multinationales sont effectivement présentes en Thaïlande, leur activité est limitée à la confection de produits finis. Du reste, Krisana Kraisintu, directrice de l unité de R&D de GPO confirme cette tendance. Si GPO a été à plusieurs reprises approché par les EMN, c est pour tirer profit des capacités de formulation déjà existantes. A titre d illustration, Boehringer a proposé une licence à GPO pour produire la Névirapine en Sirop sec pour enfant, produit breveté en Thaïlande, car l EMN savait GPO capable techniquement d une telle réalisation. Puis, voulant profiter du circuit de distribution de GPO, Boehringer a proposé à GPO d être le distributeur de la Névirapine en Thaïlande. L agence gouvernementale a refusé ces propositions. L absence de transferts technologiques dans le secteur pharmaceutique semble se confirmer par une enquête qui montre que 82% des directeurs dans l industrie pharmaceutique basée sur la R&D pensent qu il n y a pas de transferts technologiques dans l industrie pharmaceutique thaïlandaise (Supankankunti et alii, 1999). Tous ces éléments poussent à remettre en cause l évidence du lien entre DPI et transfert technologique. Les EMN cherchent plus simplement à exploiter les capacités de formulation des entreprises nationales et ne recherchent nullement à promouvoir les transferts technologiques vers le Sud 34. Il convient donc de s interroger sur la pertinence de l argument selon lequel le renforcement du système de propriété intellectuelle favoriserait les IDE, les transferts technologiques et l innovation au Sud. L analyse du cas thaïlandais montre que le brevet représente plus une barrière à l entrée (BAE) pour les firmes locales. Par extension, il s impose comme un obstacle institutionnel au développement industriel ultérieur du pays et à l accès des patients aux traitements anti-sida. 5. LE DPI : BARRIÈRE À L ENTRÉE ET OBSTACLE À L ACCÈS DES POPULATIONS AUX TRAITEMENTS ANTI-SIDA Suivant les remarques précédemment faites sur le mode de développement d une entreprise dans le secteur pharmaceutique au Sud, il apparaît que loin d être une incitation au transfert technologique et à l IDE, le brevet agit comme une BAE érigée par les EMN à l intention des firmes du Sud. Alors, il entrave le lien dynamique construit jusque récemment entre développement industriel et accès des populations aux traitements essentiels. Particulièrement, il réduit la marge de manœuvre de GPO en matière de production d ARV génériques. 34 En revanche, on constate d importants tranferts technologiques Sud-Sud comme le suggèrent l expérience Indo-brésilienne (Hetero-Far-Manguihnos), celle Indo-thaïlandaise (Hetero-GPO) ou les dernières propositions de transferts technologiques faites par le Brésil, l Inde ou la Thaïlande à des pays africains. 10

11 DPI pharmaceutiques : BAE sur le marché des ARV Dans une économie basée sur la connaissance, les DPI jouent un rôle déterminant pour les EMN ; c est un instrument stratégique dans la recherche de rente 35 (Krueger, 1974 ; Bhagwati, 1982 ; Rapoport, 1995 ; Felkins, 1996). Comme toute BAE (Bain, 1956) quelle soit structurelle (ou naturelle, c est-à-dire fondée sur les caractéristiques de base de l industrie), stratégique (fondée sur le comportement des firmes) ou institutionnelle (liée à la réglementation), le brevet pharmaceutique est une barrière institutionnelle (Jacquemin, 1989) 36 qui permet à la firme installée sur un marché de réaliser des profits sans craindre la concurrence d entrants potentiels 37. En s érigeant comme une BAE, le brevet de médicament a bloqué les firmes locales dans leur développement, permettant aux médicaments importés (les médicaments princeps) de gagner des parts de marché sur les productions génériques. Les firmes thaïlandaises éprouvent des difficultés à faire entrer des génériques sur le marché sclérosé par les brevets déposés par les multinationales. Selon une étude récente sur les TRIPS et l industrie pharmaceutique 38, entre 1979 et 1992, lorsque seuls les brevets de procédés étaient autorisés en Thaïlande, une version générique arrivait sur le marché 1 à 2 ans après la commercialisation du princeps. Après la mise en place du TPA en 1992 et celle du SMP un an plus tard, les versions génériques de produits brevetés ne sont disponibles que 5 à 15 ans après le dépôt du brevet, 5 à 6 ans lorsqu il s agit d un produit sous SMP (Kwa, 2001). Ainsi, le régime fort de protection mis en place a mené au déclin de l industrie pharmaceutique locale, à une contraction du nombre de producteurs locaux. Si avant 1992, on dénombrait environ 400 firmes domestiques, aujourd hui, après l entrée en vigueur des DPI, elles sont moins de 200. La figure suivante montre bien l évolution de la proportion de médicaments importés sur le marché thaïlandais après L année 1992, date de l introduction du TPA a réellement constitué une année charnière pour les producteurs pharmaceutiques thaïlandais conduisant à un renversement de tendance en faveur des EMN renforcé un an plus tard par la mise en place de la protection pipeline (SMP). 35 Cette idée de recherche de rente à travers la manipulation du législateur est très ancienne comme le montre cette citation de Smith (1776) : «l intérêt particulier de ceux qui exercent une branche particulière de commerce ou de manufacture est toujours, à quelques égards, différents et même contraire à celui du public. L intérêt du marchand est toujours d agrandir le marché et de restreindre la concurrence des vendeurs. Il peut souvent convenir assez au bien général d agrandir le marché, mais de restreindre la concurrence des vendeurs lui est toujours contraire, et ne peut servir à rien, sinon à mettre les marchands à même de hausser leur profit au-dessus de ce qu il serait naturellement, et de lever pour leur propre compte un tribu injuste sur leurs concitoyens. Toute proposition d une nouvelle loi nouvelle ou d un règlement de commerce, qui vient de la part de cette classe de gens, doit toujours être reçue avec la plus grande défiance, et ne doit jamais être adoptée qu après un long et sérieux examen, auquel il faut lui apporter, je ne dis pas seulement la plus scrupuleuse, mais la plus soupçonneuse attention». 36 Jacquemin (1989) définit les barrières institutionnelles comme tout système de réglementation des marchés qui souvent favorise les grandes entreprises contre les petites firmes ou les firmes nationales contre les firmes internationales 36, le brevet représente bien une barrière institutionnelle, l action des firmes peut l influencer de manière déterminante. Jacquemin inclut dans cette définition le système de brevet, la réglementation fiscale, les conditions de financement et de crédit, les régimes d assurance, les dispositions tarifaires, les normes de sécurité et d hygiène. 37 Il existe quatre grands types de BAE : l avantage absolu en coûts (lié à une technologie, à des investissements en capital) ; les économies d échelle (liée à l existence d une taille critique) ; la différenciation des produits (liée aux coût en marketing et publicité plus importants que l entrant potentiel doit supporter) ; la réglementation. 38 ASEAN workshop on TRIPS and pharmaceuticals, May

12 Figure 2. Proportion des médicaments produits localement et des médicaments importés ( ) ,5 médicaments produits localement médicaments importés ,3 73,5 71,5 68,9 72,3 71, ,6 69, , ,9 59,3 57,2 pourcentages ,7 26,5 28,5 31,1 27,7 28,3 Brevet de médicament 30, , , ,1 40,7 53,3 46,7 42, ,5 Croissance économique Protection pipeline Crise Economique années Source : Thailand Health Profile Les réponses au questionnaire envoyé à des firmes thaïlandaises 39 soulignent le rôle de barrière joué par les différents instruments de protection des médicaments princeps. En effet, à la question «pourquoi n êtes-vous pas investis dans la production d ARV?», ces dernières ont répondu en incriminant le TPA. Bien trop rigide, celui-ci les obligerait à engager des ressources trop importantes si elles s investissaient dans cette activité. L exemple de GPO et de la ddi atteste par ailleurs de la difficulté de produire des ARV génériques en Thaïlande depuis l entrée en vigueur du TPA. Peu avant la signature des Accords de l ADPIC, GPO est parvenue à développer une version générique de la ddi dont le brevet date de et dont la commercialisation est assurée par la firme américaine Bristol-Myers-Squibb (BMS). En 1992, date d entrée en vigueur du Thai Patent Act, BMS brevète une formulation améliorée de la ddi. Forte de ce brevet, la firme américaine réclame l exclusivité des droits de commercialisation sur le marché en demandant la mise sous SMP du produit. Puisque les prix sont libres en Thaïlande, BMS opte pour un prix élevé. La ddi devient alors inaccessible pour la plupart des patients. Mais la ddi brevetée par BMS ne présente qu une amélioration à la marge de la ddi du NIH 41. Elle n a donc pas nécessité de dépenses de R&D questionnaires ont été envoyés avec un taux de réponse de 25%. La Liste des firmes interrogées est la suivante : Boonlue, Charupha, Hok Sae, Kleckso, Lok Thai, Sermmitr, Wipot Pesath, Sonchai, Siam, Parmaceuticals, Somboon Pharmacy, Siam Alo, Samrong Karn Phate, Ruk Osoth Mop, Rabiab Pesath, Pinit Osoth, Prachum Osot, Pesath Panitch, Oui Heng Pharmaceuticals, Mae Sot Pharmacy, CBS Laboratory, Hope Thai, Chanaphant Industry Co., Interthai Pharmaceutical Manufacturing Co., Jawarad Co., Leam Thong Medical Co., Moh Mee Co. 40 Le NIH, institution publique de recherche américaine dépositaire du brevet de la ddi en 1987, a cédé une licence d exploitation (production et commercialisation) à BMS en échange de royalties s élevant entre 5 et 6% du montant net des ventes. Mais cette première version de la ddi n est pas brevetée en Thaïlande. Le générique de GPO, développé selon un procédé propre de production, est alors prêt à entrer sur le marché à un prix beaucoup moins élevé que celui de la ddi produite par BMS (25 bahts la plaquette contre 45 bahts). En effet, malgré la clause de fair-pricing présente dans le contrat de licence, BMS a imposé des prix élevés sans que jamais le NIH ne dénonce le non respect du contrat. 41 La modification apportée à la formulation consiste en l ajout d un anti-acidité. 12

13 importantes déjà consenties par le NIH dépositaire du premier brevet sur la ddi. Constatant le brevet de BMS sur la ddi et la période d exclusivité d exploitation procurée par le SMP, le projet de GPO est stoppé. En 1997, GPO décide donc de déposer une requête auprès du département thaïlandais de la Propriété Intellectuelle pour obtenir une LO sous couvert de l article 51 du TPA. Si BMS et GPO ne trouvent pas d accord sur un niveau «raisonnable» de royalties, le département devra trancher la question de l application ou non de l article 51. La demande d une LO de la part de GPO a poussé BMS à faire pression sur son gouvernement pour qu il intervienne auprès du gouvernement thaïlandais. GPO a résisté à la pression de BMS en faisant valoir son droit à la copie conférée par les mesures d exception sanitaire prévue par les Accords ADPIC. Mais le gouvernement a renoncé à déliver une LO sous les menaces américaines de représailles commerciales sur les bijoux, le bois et les microprocesseurs notamment (utilisation de la section 301 «spécial») 42. Loin de renoncer, GPO a proposé une nouvelle formulation : de la ddi en poudre. Aussi, le SMP joue également un rôle négatif dans la réponse «industrielle» à l épidémie du sida. En retardant, voire en empêchant la production de versions génériques d ARV, il bloque l accès de la population locale à ces médicaments vitaux. Ce fut le cas pour la ddi qui n a été sorti du SMP qu en 1998, mais également pour la d4t (Staduvine). Ce médicament, dont le brevet est détenu par BMS, n a pas pu obtenir de brevet en Thaïlande, le produit ayant été inventé avant Mais la mise en place du SMP a permis à BMS d obtenir un droit exclusif d exploitation de la d4t sur le marché thaïlandais. En 1999, le droit exclusif de la d4t a expiré avec l achèvement du SMP pour ce médicament. Devant l importance des barrières réglementaires, la plupart des firmes locales ne se risquent pas à entrer sur le marché des ARV de peur des poursuites dont elles pourraient faire l objet. GPO est ainsi l une des seules firmes locales à s être investies dans la production d ARV génériques en Thaïlande. Seules deux autres entreprises sont impliquées : TO Chemical et PONDS. Cependant, leur implication est faible. TO Chemical ne produit que de l AZT en capsule en sous-traitance pour GPO. Quant à PONDS, elle produit également de l AZT en capsule mais cette production est uniquement destinée à l exportation. GPO est donc la seule firme thaïlandaise à produire une gamme étendue d ARV génériques. Accès aux soins anti-sida : la marge de manœuvre laissée à GPO Compte tenu des modifications apportées aux TPA en 1992, la seule possibilité offerte à l industrie pharmaceutique locale est de produire les ARV qui ne font l objet d aucune protection en Thaïlande. Pour produire des ARV génériques en toute légalité, GPO a mis au point plusieurs stratégies. La première stratégie consiste à identifier les produits qui n ont pas fait l objet d un dépôt de brevet auprès du Thai Patent Office, ou qui ont été inventés avant Puis, elle se lance dans la production de ces médicaments. Ainsi, en décembre 2001, GPO a mis au point un cocktail antisida à partir de molécules non brevetées : le GPO-VIR. Ce cocktail composé de trois ARV (d4t, 3TC et Névirapine) a fait l objet d un «petty patent» 43. La seconde stratégie consiste à contourner le système de protection de la propriété intellectuelle en produisant de nouvelles formulations de médicaments protégés par un brevet. La ddi brevetée par BMS est ainsi produite sous forme de poudre par la firme d Etat. Concernant la qualité des génériques produits par GPO, les observateurs affirment que l on peut se montrer confiant. Pour assurer la qualité de ses produits, la firme publique procède à des inspections des unités de production et des analyses aléatoires d échantillons sont menées. Aujourd hui, tous les échantillons sont analysés. Par ailleurs, la Division Sida du MOPH insiste sur l efficacité des ARV produits par GPO. D après les Drs Sanchai Chasombat et Pinjai Satasit 44, il n y a pas d évidence 42 Selon le gouvernement thaïlandais, le risque était trop grand dans la mesure où «plus de la moitié de l économie locale repose sur l exportation dont 1/3 avec les EU. Dans ces conditions, on est parfois obligé d obéir au doigt et à l œil aux Etats- Unis. C est inévitable. Aucun pays ne veut voir chuter son PNB» (Ministre de la santé Thaïlandais, 1998). 43 Prévu par le TPA, les «petty patents» sont des brevets qui couvrent des innovations mineures. Ils ont une durée de vie réduite, de 10 ans par rapport au brevet traditionnel. 44 Entretien avec les Dr. Sanchai Chasombat et Pinjai Satasit, AIDS Division, Medical and Development Section, 26 avril

14 clinique d une différence dans l efficacité des génériques et des princeps. Les génériques permettent d améliorer les CD4 quasiment dans les mêmes proportions que les princeps. Pour ce qui est des effets secondaires, ils ont également observé peu de différences entre les deux types de produits puisque la Névirapine «originale» présente 20% d effets secondaires contre 30% pour la Névirapine générique. Pour la d4t et la 3TC, les tests sont encore plus probants puisqu ils n ont pas observé d effets secondaires plus importants que ceux enregistrés avec les versions princeps. A présent, GPO veut asseoir la qualité de ses produits en tentant d obtenir une certification internationale. Pour aider GPO à obtenir cette certification, MSF a délégué deux personnes en S ils ont trouvé 5 points mineurs sur lesquels GPO doit encore travailler afin d être en accord avec les exigences internationales, MSF reste assez confiant sur la qualité des ARV produits, notamment sur celle du GPO-VIR 45. L ONG a ainsi aidé l entreprise à atteindre les objectifs fixés par l OMS- ONUSIDA et à constituer le dossier qui devra être présenté en vue de l obtention de la certification internationale. Ainsi, à ce jour, GPO est en mesure de fournir la plupart des ARV de première génération à bas prix, ainsi que des traitements recommandés par l OMS, à savoir les combinaisons d4t/3tc/névirapine (NVP), commercialisé sous le nom GPO-VIR, ou AZT/ 3TC/NVP. Parmi les ARV de troisième génération, les inhibiteurs de protéase, GPO produit le Saquinavir, le Nelfinavir et le Ritonavir (tableau suivant), produits qui n ont pas fait l objet d un dépôt de brevet en Thaïlande. Tableau 3. Médicaments antisida génériques disponibles en Thaïlande Médicaments Nom commercial Présentation Didanosine (ddi) DIVIR Poudre orale 30, 60, 115, 170 mg Lamivudine (3TC) LAMIVIR Comprimés 150 mg Sirop 10 mg/ml Zidovudine (AZT) ANTIVIR Capsules 100 mg, 300 mg Sirop 10 mg/ml Stavudine (d4t) STAVIR Capsules 20, 30, 40 mg Névirapine NERAVIR Comprimés 200 mg Combinaison AZT 300mg+3TC Comprimés 150mg Combinaison GPOVIR Pilules D4T+3TC+Nevirapine Ketoconazole Comprimés 200 mg Ethambutol Capsules 250, 400 mg Fluconazole FLUZOLE Capsules 50, 100, 200 mg Rifampicin Capsules 300, 450 mg Co-trimoxazole Comprimés Isoniazid (INH) Comprimés 100 mg Clarithromycin CLACINA Comprimés 250, 500mg Source : GPO, 2002 *Y compris les médicaments contre les maladies opportunistes. GPO étant une entreprise publique à but non lucratif, les coûts de R&D ne sont pas répercutés sur les prix de vente des médicaments. Ainsi, seuls le coût des matières premières et les coûts de production ont un impact sur les prix pratiqués par GPO. Le coût des matières premières représente 80 à 90% du prix de vente contre 10 à 20% pour les coûts de production. Le résultat du développement pharmaceutique de la Thaïlande et l essor du champion national GPO ont permis d introduire une concurrence par les prix sur le marché des ARV et de réduire considérablement le prix des ARV sur le marché (cf. tableau ci-dessous). Selon MSF Belgium, si au départ des problèmes d approvisionnement ont fortement limité l accès de la population aux ARV, aujourd hui, ces problèmes n existent plus. Si les médecins, pharmaciens et patients avaient pris l habitude de se rendre en Inde et de se fournir notamment auprès de Cipla pour se soustraire aux prix prohibitifs pratiqués par les EMN sur le marché thaïlandais, à présent ils se fournissent auprès de GPO. L agence a, en effet, considérablement augmenté ses capacités de production permettant ainsi la fourniture d une offre importante sur le marché de génériques de qualité à plus bas prix. 45 Entretiens avec John Cawthorne (MSF Belgium à Bangkok) et Cécile Macé (MSF Paris), avril et juin Ce rapport est un document confidentiel. 14

15 Tableau 4. Prix des ARV génériques (produits par GPO) et princeps (en dollar US) Médicaments Prix GPO Prix Princeps Didanosine (ddi) Lamivudine (3TC) Zidovudine (AZT) Stavudine (d4t) Névirapine Combinaison AZT 300mg+3TC 150mg GPO-VIR (d4t/3tc/nvp) Source : à partir de Oxfam, 2001, GPO, 2001, MSF, Cependant, selon ACCESS 46, si l approvisionnement n est plus un problème, le prix des ARV lui demeure contraignant pour une partie de la population qui malgré les baisses de tarifs liées à l existence de génériques bon marché ne peuvent toujours pas accéder à ces médicaments. Si l offre de GPO apparaît peu coûteuse pour la classe moyenne thaïlandaise, à 2 ou bahts par mois, elle reste inabordable pour la population la plus pauvre. Avec le GPO-VIR, dernier-né de la firme GPO, les choses devraient évoluer favorablement vers un accès plus large de la population aux ARV. Combinaison de plusieurs ARV, le GPO-VIR se présente sous la forme d un comprimé à prendre matin et soir, ce qui explique la baisse drastique du coût du traitement. En effet, pris séparément, les trois médicaments qui composent le GPO-VIR portent le coût du traitement à 114 dollars par mois et par patient. Sous la forme d un seul comprimé, le prix du traitement tombe à 27 dollars par mois et par patient soit 324 dollars par an. Ceci en fait actuellement le traitement antisida le moins cher au monde DISCUSSION Si l on peut se satisfaire des résultats obtenus par GPO, et notamment du GPO-VIR, qui permettent à un certain nombre de patients d accéder à des ARV moins chers, il n en reste pas moins que de nombreux ARV demeurent inaccessibles pour la grande majorité des malades thaïlandais. GPO est dans l incapacité juridique de produire l Efavirenz, médicament sous brevet déterminant pour les malades présentant une résistance à la Névirapine 48. La BAE que constitue le brevet de médicament demeure problématique. Ceci est d autant plus dramatique qu en cas d innovation radicale, c est-à-dire de découverte d un médicament plus efficace contre le VIH/SIDA, GPO sera toujours dans l incapacité non pas technologique mais juridique de fabriquer des versions génériques plus abordables malgré la Déclaration de Doha de novembre Celle-ci réaffirme la légitimité du recours à la mesure de LO et annule dans le même temps la condition d urgence nationale assortie à cette mesure qui ne met pas fin aux menaces de représailles commerciales qui pèsent sur le pays en cas de recours à cette mesure. L existence de rigidités dans le système de DPI pharmaceutiques met donc à mal le lien dynamique qui existe entre développement industriel et offre de médicaments abordables, la population thaïlandaise ne pouvant avoir accès à certains ARV malgré la capacité technologique de l industrie locale à produire des génériques à bas prix. Plus généralement, le TPA en tant que BAE explique la faiblesse des ressources de l industrie pharmaceutique locale ce qui freine son développement et empêche les firmes d évoluer vers les stades ultérieurs de développement et donc vers l innovation, la mise au point de nouveaux traitements. L Inde, qui possède le même développement technologique que la Thaïlande, continue quant à elle à se développer au stade 2 profitant jusqu alors de l absence de brevet de médicament Entretien avec P. Nimit, président d ACCESSS, ONG thaïlandaise, avril Le cocktail de trois ARV produit par Cipla, le génériqueur indien, s élève à 350 dollars par an (prix de vente à MSF) % des patients thaïlandais présenteront une résistance à la Névirapine. 49 Cette déclaration fait suite à la réunion du Conseil Ministériel de l OMC qui s est tenue à Doha (Qatar) en novembre 2001 et qui devait se prononcer sur le moratoire demandé par les gouvernements africains concernant les actions menées à leur encontre par les firmes multinationales lorsqu ils tentent de recourir aux LO ou aux importations parallèles pour obtenir des ARV bon marché. 50 Entretien avec le Dr. Jiraporn, le 22 avril 2002, Chulalongkorn University. Cela explique par ailleurs les tentatives menées notamment par Cipla pour que le gouvernement indien réclame que le pays soit classé parmi les pays les moins développés et soit tenu de se conformer aux accords ADPIC pour

16 En somme, concernant les moyens disponibles pour faciliter l accès des personnes infectées par le VIH aux traitements antisida, force est de constater que les modifications apportées au TPA, la mise en œuvre du SMP et la signature des accords ADPIC offrent une marge de manœuvre faible aux responsables de santé publique en Thaïlande. Dans la mesure où l ensemble de ces éléments a largement découragé l industrie locale d investir le champ complet de la production de génériques, la possibilité de solliciter la logique industrielle pour satisfaire des objectifs de santé publique reste difficilement conciliable, les DPI pharmaceutiques établissant de véritables BAE. Néanmoins, l accélération récente de la sortie de produits pharmaceutiques du SMP et l amendement en janvier 2001 du SMP vont dans le sens d une tentative d assouplissement du système de DPI en Thaïlande. Cet amendement limite la portée des droits exclusifs de commercialisation qui, désormais, ne sont accordés qu aux seuls produits brevetés à l étranger entre 1986 et De plus, en février 2000, le National Drug Committee a autorisé les tests de bioéquivalence et l enregistrement de la version générique des produits pipeline (produits sous SMP) ainsi que des produits brevetés avant la fin de la période d exclusivité (Disposition Bolar). Ceci se concrétisera par une réduction de 2 à 3 ans de la période d exclusivité pour les multinationales (Wibulpolprasert, 2000). Le Secrétariat Général de la FDA a alors été accusé de «déclarer la guerre aux multinationales», ce à quoi il a répondu qu il ne faisait que déclarer une «indépendance partielle». BIBLIOGRAPHIE Ainsworth M. (1999), «AIDS, Development, and the East Asian Crisis, Plenary address to the 5 th International Conference on AIDS in Asia and the Pacific, 25 octobre, Kuala Lumpur, Malaysia. Ainsworth M., Beyrer C. et Soucat D. (2000), «Thailand s responses to AIDS : Building on success, confronting the future», Social monitor V, novembre. Assavanonda A. (1999), «Move to Lower Drugs Costs Patent Law Allows Agency to Intervene», Bangkok Post, 12 nov. Bain, J., 1956, Barriers to New Competition, Cambridge, Mass. : Harvard Universtity Press. Banque mondiale (1997), Confronting to AIDS, public priorities in a global epidemic, Oxford University Press. Braga, C.A. (1989), «The Economics of Intellectual Property Rights and the GATT : A View from the South», Vanderbilt Journal of Transnational Law, pp Burmeinster, A., 1994, «Les marchés publics : outils de politique industrielle», dans L Etat et le Marché, coordonné par B. Bellon, G. Caire, L. Cartelier, J.-P. Faugère et C. Voisin, Economica. Chariyalertsak S., Sirisanthana T., Saengwongloey O. et Nelson K. E. (2000), «Clinical presentation and risk behaviors of Aids patients in Thailand, : regional variations and temporal trends», Clinical Infections Diseases. Coase R. H. (1960), «The Problem of Social Cost», Journal of Law and Economics, n 3, pp Commission Européenne, Confronting AIDS: Evidence from the developing World, Rapport. Crampes, C., 2000, «La Recherche et la Protection des Innovations dans le secteur pharmaceutique», Revue Internationale de Droit Economique, txiv, 1. Dhanarajan S., (2001), «The Impact of Patent Rules on the Treatment of HIV/AIDS in Thailand. Thailand Country Profile», OXFAM GB, march. Dubus A. (2000), «Des Médicaments Antisida trop chers pour la Thaïlande. Les Multinationales Pharmaceutiques s opposent aux Produits Génériques», Libération, 2 mars. Emond, M.-H., 2001, Challenges and Opportunities for Developing Countries in Reforming the Intellectual Property Regime within the WTO : Application to Pharmaceuticals in Thailand, Thesis for the Degree of Master in business Administration, April. 16

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