Les implicatures dans la Théorie de la Pertinence. Pragmatique avancée Module AB5-6-7 Cours 7 2 mai 2012 Jacques Moeschler

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1 1 Les implicatures dans la Théorie de la Pertinence Pragmatique avancée Module AB5-6-7 Cours 7 2 mai 2012 Jacques Moeschler

2 2 Principes Un stimulus linguistique déclenche un processus automatique de décodage. L interprétation correcte d un stimulus ostensif (un énoncé) est la première interprétation accessible consistante avec le principe de pertinence. Pour la plupart des énoncés, l interprétation est basée sur ses propriétés sémantiques.

3 3 Sous-tâches dans l interprétation des énoncés Sous-tâches inférentielles Désambiguïsation de la phrase énoncée: sélection d une représentation sémantique assignée par la grammaire (refroidir) Assignation de référents aux expressions référentielles (ça) Spécification des termes vagues (va) Ça va refroidir! ça = le dîner va = futur immédiat refroidir = devenir froid (froid induit vs expérience du froid)

4 4 Différentes représentations L énoncé ça va refroidir communique différentes représentations à forme propositionnelle qui appartiennent à un ensemble d'hypothèses communiquées par l énoncé: a. Marie a dit que le dîner va refroidir très rapidement b. Marie croit que le dîner va refroidir très rapidement c. Le dîner va refroidir très rapidement d. Marie veut que Pierre vienne manger maintenant. Différences entre (a)-(d) (a)-(c) sont des sous-parties de la forme logique encodée par l énoncé. Ce sont des enrichissements contextuels. (d) n est pas un développement de la forme logique, mais est construit sur la base d informations contextuelles.

5 5 Explicature vs implicature Une hypothèse communiquée par un énoncé U est explicite ssi elle est un développement de la forme logique encodée par U. a. Une hypothèse communiquée explicitement est une explicature. b. Toute hypothèse qui n est pas communiquée explicitement est une implicature. Les implicatures décodées sont conventionnelle (Grice). Les implicatures inférées sont non-conventionnelles ou conversationnelles. La TP nie l existence d implicatures conventionnelles. Les implicatures conventionnelles sont des explicatures.

6 6 Implicature et principe de pertinence Comment le principe de pertinence gouverne-t-il le recouvrement des implicatures? La TP prédit que les implicatures d un énoncé sont obtenues relativement aux attentes manifestes du locuteur sur la manière d atteindre la pertinence optimale.

7 7 Implications contextuelles Pierre: Est-ce que tu conduirais une Mercedes? Marie: Je ne conduirais pas une voiture de luxe. a. Une Mercedes est une voiture de luxe. b. Marie ne conduirait pas une Mercedes Une implicature est une implication contextuelle que le locuteur, qui a l intention manifeste d être pertinent, a l intention manifeste de rendre manifeste. Il y a deux types d implicatures prémisses implicitées (a) conclusions implicitées (b)

8 8 Réponse directe vs indirecte Pierre: Est-ce que tu conduirais une Mercedes? Marie: a. Je ne conduirais pas une voiture de luxe. b. Je ne conduirais pas une Mercedes. En donnant une réponse indirecte (a), Marie doit avoir l intention de transmettre quelque effet contextuel qui n est pas obtenu par la réponse directe (b). Cet effet contextuel doit compenser l effort de traitement supplémentaire lié au calcul de la prémisse implicitée et de la conclusion implicitée. La TP prédit que le surplus d'information donné par la réponse indirecte apporte une pertinence supplémentaire.

9 9 Les limites de l interprétation Pierre: Est-ce que tu conduirais une Mercedes? Marie: Je ne conduirais pas une voiture de luxe. a. Une Rolls Royce est une voiture de luxe. b. Une Cadillac est une voiture de luxe. c. Marie ne conduirait pas une Rolls Royce. d. Marie ne conduirait pas une Cadillac. e. Les gens qui refusent de conduire des voitures de luxe désapprouvent les dépenses onéreuses. f. Marie désapprouve les dépenses onéreuses. (a) à (f) sont-elles des implicatures?

10 10 La réponse de la TP La réponse est négative. Marie ne doit pas spécifiquement avoir l intention que Pierre ajoute les prémisses (a), (b) et (e). D un autre côté, on ne peut pas dire que Marie n a pas encouragé Pierre de penser qu elle refuserait de conduire une Rolls Royce. Bien que (c), (d) et (f) ne peuvent pas être considérées comme complètement déterminées, il serait faux de les considérer comme entièrement non intentionnées, relevant de seule responsabilité de Pierre. Pour la Pertinence, c est une fiction de penser qu il y a une distinction claire entre inférences complètement déterminées, spécifiquement intentionnées, et inférences complètement indéterminées, non intentionnées.

11 11 La force des implicatures Les implicatures d un énoncé varient quant à leur force. Les implicatures les plus fortes sont celles qui sont complètement déterminées (prémisses ou conclusions). Les implicatures fortes sont les prémisses et les conclusions qui l auditeur est fortement encouragé mais pas réellement forcé à tirer. Plus l encouragement est faible et plus l ensemble des possibilités pour l auditeur est large, plus l'implicature est faible.

12 12 Forces des hypothèses Un énoncé avec des prémisses ou conclusions implicitées totalement déterminées force l auditeur à les tirer et à les attribuer au locuteur comme faisant partie de ses croyances. Un énoncé avec un petit ensemble de prémisses ou conclusions fortement implicitées encourage fortement l auditeur à utiliser un sous-ensemble de ces prémisses ou conclusions. Un énoncé avec un large ensemble de prémisses ou conclusions faiblement implicitées encourage l auditeur à utiliser un sous-ensemble de ces hypothèses comme faisant partie des croyances du locuteur. Le but de la communication est d augmenter la mutualité de l environnement cognitif.

13 13 La TP et les autres approches des implicatures Il n y a aucune connexion entre communiquer une implicature et violer un principe ou une maxime pragmatique. Les implicatures, selon Grice, sont calculables. Mais la calculabilité est une justification ex post facto pour l identification d une implicature. La raison de la contrainte de calculabilité est que le calcul d une implicature est une question d inférence nondémonstrative. Une inférence non-démonstrative implique un processus de formation et de confirmation d hypothèses.

14 14 La théorie des implicatures de la TP Pour la Pertinence, la pragmatique n est pas uniquement concernée par le recouvrement d un ensemble déterminé d'hypothèses, les unes explicitement communiquées, les autres implicitement intentionnées par le locuteur. Il y a au contraire un continuum, contenant les implicatures que doit recouvrer l'auditeur les implicatures qui sont simplement intentionnées comme manifestes, les modifications de l'environnement cognitif mutuel nécessaires pour rendre l énoncé pertinent, tout en ayant des effets cognitifs riches mais non prévisibles.

15 15 Deux types d effets cognitifs La compréhension des énoncés implique deux types d effets cognitifs (ou contextuels): les effets propositionnels les effets non propositionnels Les effets propositionnels sont le résultat de la contextualisation de l énoncé: ils sont le produit de l interaction entre la forme propositionnelle de l énoncé et le contexte (ensemble d hypothèses contextuelles construit énoncé après énoncé). Les effets contextuels sont de trois types: a. ajout d une information nouvelle, b. renforcement d une information ancienne, c. suppression d une information ancienne.

16 16 Effets non propositionnels Les effets non propositionnels sont le résultat de l interaction entre les hypothèses accessibles lors du traitement de l énoncé et d autres sources d informations affectant ou causant l état mental du locuteur et/ou de l interlocuteur. Les effets non propositionnels ne sont pas réductibles à des propositions: ils n ont pas de contenu propositionnel.

17 17 Le style et les effets poétiques Répétition (épizeuxe) 1. Il y a un renard, un renard dans le jardin! 2. Comme ils sont loin, loin, les jours de mon enfance! Les effets poétiques, comme la métaphore, ne sont pas paraphrasables et montrent l état émotif du locuteur. C est comme si ces énoncés exhibaient, plus qu ils ne décrivaient, l état mental ou émotif du locuteur: ils donnent naissance à des effets non propositionnels qui ne se laissent pas paraphraser. (Sperber & Wilson, La pertinence, 1989, 330) Ils décrivent l attitude, les sentiments, l états d esprit du locuteur. Les effets en apparence nonpropositionnels associés à l expression d attitudes, de sentiments et d états d esprit peuvent être réanalysés à partir de la notion d implicitation faible. (Sperber & Wilson, La pertinence, 1989, 333) Ils correspondent à des implicitations faibles. Les effets poétiques sont produits par l activation d un vaste ensemble d implicitations très faibles dans le cours ordinaire de la recherche de pertinence. (Sperber & Wilson, La pertinence, 1989, 336)

18 18 Implicitations faibles et effets poétiques: l exemple du zeugme 1. Marie a passé ses vacances à la montagne, Jeanne à la mer, et Claudette à la campagne. 2. Marie habite à Passy, Jeanne dans l île Saint-Louis, et Claudette dans une H.L.M. 3. Marie est arrivée avec Pierre, Jeanne avec Robert, et Claudette avec une triste mine. A quoi servent les effets poétiques? Pour Sperber & Wilson, leur fonction est plus affective que cognitive: Les énoncés produisant des effets poétiques peuvent être utilisés précisément pour susciter ce sentiment de mutualité apparemment affective plutôt que cognitive. (Sperber & Wilson, La pertinence, 1989, 336)

19 19 Conclusion La théorie de la pertinence donne une version très différente des implicatures des approches gricéennes ou néo-gricéennes classiques: Aucun principe pragmatique ni aucune règle pragmatique en dehors du principe de pertinence n interviennent dans le calcul des implicatures. Les implicatures sont des implications contextuelles et sont de deux types: prémisses et conclusion implicitées. Les implicatures sont calculables: elles sont le résultat de processus d inférence non-démonstrative. Il n y a pas d implicature conventionnelle, ni d implicature conversationnelle généralisée. Les implicatures (prémisses ou conclusions) sont des nonce implicatures (implicatures circonstancielles).

20 Références Moeschler J. & Reboul A. (1995), Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris, Seuil, chapitres 2 et 4. Sperber D. & Wilson D. (1995), Relevance. Communication and Cognition, Oxford, Blackwell, 2 nd edition, chapitre 4. Sperber D. & Wilson D. (1989), La Pertinence. Communication et cognition, Paris, Minuit, chapitre 4.