Ecole cathédrale, le 1 er février 2012

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1 Ecole cathédrale, le 1 er février 2012 «La querelle des images : entre interdit et confession de foi» Le conférencier: Le père Bernard Maitte est directeur des études au séminaire. Il est Professeur de liturgie et sacramentaire. Il travail également à l ISTR (Institut des sciences et théologie des religions) à Marseille. Depuis septembre 2011, il collabore auprès de la Conférence des évêques de France en travaillant au Service national de la pastorale sacramentelle et liturgique (SNPLS) à Paris. Il organise chaque année une session d'art sacré pour les guides à l'istr, et a participé au comité de sélection des films du festival chrétien «Kaléidoscope», en travaillant avec la catéchèse et le service audio-visuel. La Conférence du le 1 er février 2012 Le terme image est ouvert à de multiples usages puisqu il peut être utilisé dans différents domaines : théologique lorsqu on parle du «Christ image du Père», anthropologique lorsqu on affirme que «l homme est créé à l image de Dieu», littéraire lorsqu on en use dans le langage de la métaphore, du symbole ou de l analogie : on parle de «la lumière de l esprit» ou de «la fleur de l âge»,psychologique ou socioculturel quand on parle de l image de l homme ou de l image de la masculinité mise à mal dans nos sociétés. Nous parlons ici du terme imago en latin, qui désigne d abord la représentation d un être ou d une chose par les arts graphiques ou plastiques, la photographie, le film, etc.»1 Il est à noter, qu avant d être d un usage sécularisé, le terme image (icona, simulacrum, idola, statua etc. en sont des formes liées entre elles) est fréquemment référé d abord au culte religieux. En effet, nous avons l habitude dans nos sociétés post-modernes de considérer l Art en général et l image en particulier comme un domaine singulier de l activité humaine, libre d influences liées à certaines pensées philosophique ou religieuse. En fait, nous n avons plus conscience du lien intime qui existe à l origine entre l image et la religion, la représentation et la foi. L histoire des civilisations nous permet de saisir que l art est lié de manière existentielle au phénomène religieux. D où vient cette alliance? Il n est en tous cas pas exclu, qu à l aube de l humanité l art et la foi ont ouvert le chemin à la connaissance de ce qui à priori est insondable. En évoquant le domaine religieux, il faut souligner la problématique importante de certaines religions : l interdit de l image, de la représentation du divin, par crainte de tomber dans l idolâtrie. Cela est vrai du judaïsme : «Tu n auras pas d autres dieux devant moi. Tu ne te feras pas d image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre» Ex 20,3s. Cela n a pas tout a fait empêché le désir d Israël d exprimer l invisible, par exemple par les images-symboles du serpent d airain, Nb 21,9 les chérubins de l arche, Ex 25, Mais cet interdit est bafoué, par l idolâtrie d Israël qui s origine 1 Définition donnée par le Petit Larousse Bernard Maitte 1

2 et culmine dans l épisode de la violation la plus violente de l interdit : celle du veau d or : «Et voici qu'en approchant du camp il (Moïse) aperçut le veau et des chœurs de danse. Moïse s'enflamma de colère, il jeta de sa main les tables et les brisa au pied de la montagne.» (Ex 32, 19-20). Dans les premiers temps du christianisme, l interdit biblique peut expliquer l apparition tardive de l image ; sans qu il y ait à proprement parler d interdit, on peut dire que celui-ci est intériorisé, parce que les chrétiens ne veulent pas être confondus avec les païens et leurs idoles, et pour ne pas sacrifier à des images ils sont prêts à aller jusqu au martyre. C est pourquoi l image chez les premiers chrétiens fait d aventage appel à ce que l on pourrait appeler un «langage visuel symbolique». Nous avons tous en tête le thème du poisson dans les catacombes qui requiert audelà de l image d un poisson lui-même la compréhension d un langage acronyme, en l occurrence ICHTUS, une signification de type symbolique de la confession de foi. L image du bon pasteur ou celle de l orant permet en outre un chemin d identification à une communauté qui doit se protéger. Depuis, les chrétiens ont fait prévaloir le principe de l Incarnation pour ouvrir à une représentation du divin. Nous y reviendrons. J aimerais d abord parler d un autre interdit, celui de l Islam, interdit, qui ne fut pas sans conséquence sur le problème de la crise iconoclaste. En effet dans l Islam l interdit varie en fonction des traditions mais on peut dire qu il y a consensus sur l interdiction des idoles et des statues. En effet, «Le Coran 2, lui, n aborde pas directement la question de l image et de la représentation ; seuls quelques versets jetant l anathème sur les idoles peuvent être interprétés comme une condamnation des images, comme ceux-ci : Abraham dit à son père Azar : Prendras-tu des idoles [asnâm] pour divinités? Je te vois, toi et ton peuple, dans un égarement manifeste. (Coran, VI, 74). 3 L Arabie préislamique, majoritairement polythéiste, vénérait de grossières statues d idoles, La Mecque était l un des plus importants lieux de pèlerinage dédiés à leur culte. C est à la lumière de ce contexte, celui de la prédication coranique, qu il faut probablement comprendre les quelques allusions contenues dans les sourates. Avec l expansion de l islam hors d Arabie, et au contact de peuples ayant une tradition artistique ancienne de représentation, comme les Byzantins ou les Perses sassanides, l aniconisme apparaît progressivement dans d autres textes. Deux siècles après l Hégire (IXe siècle), les hadîths, recueils des actes et des paroles du Prophète ( ) ont constitué la jurisprudence dans ce domaine ( ) : Les anges n entreront pas dans une maison où il y a un chien, ni dans celle où il y a des images. (Al-Bukhârî, LXXVII, 87) 4. Al-Sahîh (L Authentique), l un des deux plus grands recueils de hadîths, compilé au IXe siècle ( ) stigmatise également les peintres, qui, voulant imiter la réalité, se comportent en rivaux de Dieu : Ceux qui seront punis avec le plus de sévérité au jour du jugement dernier sont : le meurtrier d un prophète, celui qui a été mis à mort par un prophète, l ignorant qui induit les autres en erreur et celui qui façonne des images et des statues. 5 2 Site : 3 Id. traduction de Denise MASSON, Gallimard, «Bibliothèque de La Pléiade», 1967) ; voir aussi : Coran, V, 90 ; XXI, et Al-Bukhârî, LXXVII, 87 5 Cité par Oleg GRABAR, La Formation de l art islamique, Paris, Flammarion, coll. «Champs», 2000, p Bernard Maitte 2

3 Nous retrouvons donc, en filigrane ce qui déjà préexistait dans le judaïsme, la peur de l idolâtrie qui est en somme un «péché contre la vérité» d un Dieu unique et sans égal et l idée que suggérait déjà la tour de Babel, que l on trouve également dans les mythes, celle du désir de l homme d égaler Dieu. Pourtant Dieu seul crée et même, crée à son image. Concernant le christianisme, il faut bien souligner l ambiguïté qui va naître à l occasion de l usage excessif de l image. Reprenons notre fil, là ou nous l avons laissé : celui des catacombes. A cette ère succède celle de la paix de l Eglise. En effet, en 313 l empereur Constantin se convertit au christianisme et l empire avec lui. L empire a l habitude de la statuaire cultuelle et de son usage également culturel. On peut presque dire que les deux sont mêlés. Pour le christianisme, pour ces nouveaux chrétiens, le rapport à l interdit n est plus le même et en conséquence le rapport à l image dans le christianisme change. Le Christ s étant incarné, ayant pris la chair des hommes on peut tenter par foi et par amour de saisir un reflet de sa gloire. C est ainsi que naît un véritable art chrétien qui emprunte son art aux canons de l iconographie païenne. Le Christ est vêtu en empereur et assis sur un trône dans l art de la mosaïque, tandis que les apôtres empruntent l habit des dignitaires romains (cf. le sarcophage du IVe s. conservé au Louvre). Le Christ, pantocrator, sera portraituré ; on prendra même l habitude d y mettre le commanditaire à côté. Le christianisme s étend, s organise, se «politise» et en même temps les hérésies, et leurs réponses, les conciles se succèdent. L iconoclasme (eikôn-image et klazeinbriser) est un phénomène difficile à cerner car les sources iconoclastes ont presque toutes disparu. D où la difficulté de connaître précisément les origines, les causes et les enjeux de l iconoclasme. Cependant, en interprétant les sources, la question peut être éclairée. Les iconodules (qui vénèrent une représentation du Christ, de la Vierge Marie ou d un saint) accusent les iconoclastes de penser comme les Arabes. Il est fort probable que l empereur Léon III l Isaurien ( ) influencé par le monde musulman qui est aux portes de l empire, ait repris le durcissement qui s était alors opéré dans l Islam. Ses conquêtes militaires, les contacts ou contaminations qui s opèrent alors, ont renforcé ses décisions en matière politique et religieuse. Juste avant la crise, le calife Yazid II ( ) avait pris un décret contre le culte des images qu il fait appliquer également aux chrétiens qui sont sous son autorité. Durant plus d un siècle, entre 730 et 843, Constantinople fut le théâtre de ce que l on appela donc par la suite la «querelle des images» ou encore «des icônes».sur fond de rivalité entre les pouvoirs de l Empereur et de l armée d un côté, et ceux des patriarches de l Église byzantine, deux camps s affrontèrent physiquement, et surtout théologiquement. D un côté les iconoclastes, hostiles au culte des images du Christ, de la Vierge et des saints, exigèrent leur destruction. Entraîné par l empereur Léon III Isaurien ( ), puis Constantin V ( ), le parti des iconoclastes domina le siècle, hormis une période de rétablissement de l icône de 787 à 813. La justification de l iconoclasme était théologique : le culte des images, formellement condamné par le texte biblique, ne pouvait être qu une idolâtrie. Il était donc inacceptable de circonscrire la divinité du Christ dans la matière terrestre d une image peinte. Bernard Maitte 3

4 De l autre, le parti des iconodules («vénérateurs de l icône»), présent dans l Empire et sur ses marges chrétiennes, défendait la position qui sera celle de l Église orthodoxe : Dieu ayant choisi de s incarner, il convenait de lui donner un visage et de l adorer. Au fil de la querelle, la nature de la représentation iconique s affirma : lors du rétablissement définitif de l image sacrée, en 843, sous l empereur Michel III, la position officielle, soutenue par le patriarche Nicéphore, était que la divinité de l image n était pas assurée par sa présence réelle, mais par sa ressemblance avec l original. Ainsi, deux représentations du Christ étaient admises : l une en Enfant- Jésus, l autre en jeune homme barbu au visage allongé. Ces modèles étaient issus de la tradition, il s agissait de stéréotypes visuels consistant en une collection de traits, et non pas de physionomies individuelles à reproduire fidèlement. La «crise iconoclaste», bien que temporaire, laissa cependant des traces : dans la période qui lui succéda, on note une tendance vers la stylisation des figures de l icône qui dénote la crainte de l Église orthodoxe face aux accusations possibles d idolâtrie» 6. Dans le christianisme, qui dit affrontement, voire hérésie, dit concile. En l occurrence, il faut rappeler qu un concile important, Nicée II en 787, a statué sur l usage des images. En effet, l iconoclasme ayant suscité de très graves querelles dans l empire Byzantin, c est un concile qui y mit fin théologiquement parlant, même s il faut attendre après une seconde vague de persécution le rétablissement définitif de la vénération des icones en 842 sous l influence de l impératrice Théodora mère de Michel III. La querelle des images n était pas une question annexe, car derrière «l icône», il y a un enjeu théologique : celui de la confession que Jésus est vraiment homme, on peut donc user d une image qui représente le Christ ou les saints, les anges ou encore des symboles comme la croix, et Jésus est vraiment Dieu, par conséquent, ces représentations ne servent que de transitus (de relation médiate), on ne peut s arrêter à l image, elle doit conduire au modèle, Dieu lui-même. Le texte du concile s exprime ainsi : «Comme pour la représentation de la précieuse et vivifiante croix, qu on place les vénérables et saintes images, mosaïques ou œuvre faites de toute autre matière convenable, dans les saintes églises de Dieu, sur les objets ou vêtements sacrés, les murs et des tableaux, dans les maisons et les chemins ; l image de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus Christ, celle de notre Dame sans tache, la sainte Mère de Dieu, celle des anges, dignes de notre respect, celle de tous les saints et justes. En effet, plus on les voit, grâce à leur représentation par l image, plus en contemplant leurs images on est amené à se rappeler et à aimer les modèles originaux et à leur donner salutations et respectueuse vénération ; non pas l adoration véritable propre à notre foi, qui convient à la nature divine seule, mais comme on le fait pour la représentation de la glorieuse et vivifiante croix Car «l honneur rendu à l image s en va au modèle original (Basile le Grand, De Spiritu Sancto 18, n. 45)» et celui qui vénère l image vénère en elle la personne de celui qu elle représente.» 7 Que pouvons-nous tirer des leçons de l histoire de l iconoclasme? Les pistes théologiques sont d une grande importance. 6 Site : 7 DENZIGER, Symboles et définitions de la foi catholique, enchiridion symbolorum, sous la direction de Peter HÜNERMANN, Cerf, Paris, 2001, , 7 ème session, 13 octobre 787, p Bernard Maitte 4

5 Aux yeux des chrétiens, l homme est créé à l image de Dieu : «Dieu créa l homme à son image, à l image de Dieu il le créa, homme et femme ile les créa.» (Gn 1,27). En somme, la transcendance de Dieu n est absolument pas niée dans le christianisme et Dieu seul est origine et source de tout ce qui existe. Par son acte créateur, il montre que contrairement aux idées de Platon, Dieu s intéresse à notre monde parce qu il le crée. Il l aime et l action de l homme dans la plus haute de ses manifestations, à savoir la relation, la communication mieux la communion est image de Dieu. Aucune chose, même aucune autre vie créée n est susceptible de cette manifestation. Dans le Nouveau Testament «l homme image» doit même se manifester jusque dans sa tenue : «L homme (le mâle), lui, ne doit pas se couvrir la tête (en portant ses cheveux long), parce qu il est l image et la gloire de Dieu» (1 Co 11,7). Du théologique on passe à l anthropologique. La vision de l homme est hautement identifiable à ce que l on sait de Dieu, même si celui-ci le dépassera toujours. Cette anthropologie théologique n est pas sans conséquence dans le christianisme sur l éthique à laquelle l homme est conduit. C est dans son comportement que l homme réalise l imago divine : «Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l image des son Créateur.» (Col 3,10) 8. La révélation chrétienne va donc très loin car pour les chrétiens Dieu est amour et cet amour est Trinitaire. La Trinité est la relation parfaite du Père, du Fils et de l Esprit. L image n est pas dans le fait que nous ressemblions physiquement à Dieu, c est impossible puisque Dieu n est pas matière mais l image est dans la ressemblance à l acte d existence même de Dieu qui est relation. A l Image du Père, l homme comme lui est appelé à la liberté et à la fécondité ; à l Image du Fils, il est appelé à la connaissance de la Vérité et du Salut ; à l Image de l Esprit, il est appelé à l Amour. Cela dit, l image et la ressemblance de l homme à Dieu n est pas seulement une idée. Car c est dans le Fils que s est réalisée la médiation entre Dieu et l homme, entre le spirituel et le charnel. Jésus est alors le modèle auquel tout homme est appelé à être configuré. L Ecriture dit du Christ qu «Il est l'image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature, car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose et tout subsiste en lui. Et il est aussi la tête du Corps, c'est-à-dire l'eglise : Il est le Principe, Premier-né d'entre les morts (il fallait qu'il obtînt en tout la primauté), car Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix» (Col 1,16-20). La confession de foi en un Dieu créateur conduit à une anthropologie biblique de l homme. Sa faute sera de confondre Dieu avec une représentation matérielle. La confession de foi en Jésus vrai Dieu vrai homme, conduit à vivre la vie humaine comme une divinisation par la réalisation de la charité qui conforme l homme au mystère Pascal du Fils. 8 «L homme créé «à l image de Dieu», Gn 1,26s+, s est perdu en cherchant la connaissance du bien et du mal en dehors de la volonté divine. Gn 2,17+. Désormais esclave du péché et de ses convoitises, Rm 5,12, il est devenu le «vieil homme» qui doit, mourir, Rm 6,6 ; Ep, 4,22. L «homme nouveau» recréé dans le Christ, Ep 2,15+, qui est l image de Dieu, Rm 29+, retrouve la rectitude première et parvient à la vraie connaissance morale, 1,9 ; He 5,14.». Note C de la Bible de Jérusalem, page Bernard Maitte 5

6 ais alors la place de l image, de l icône dans tout cela? Nous avons vu que l image dans le christianisme a été l objet d un enjeu et d un débat théologique, qui dit le cœur de l expérience judéo-chrétienne qui confesse un Dieu qui se révèle parce qu il prend plaisir à parler aux hommes. La perfection de sa Parole c est le Verbe fait chair (Jn 1,14), son Fils unique, image du Père invisible : «Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par un Fils, qu il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les mondes. Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, lui qui soutient l univers par sa parole puissante» (Hb 1, 1-3). L Ecriture poursuit que si «Nul n a jamais vu Dieu, le Fils Unique-engendré, qui est dans le sein du Père, lui, l a fait connaître.» (Jn 1,18). L image en régime chrétien a donc pour fonction d ouvrir à la recherche de sens, sens qui s établit dans une relation entre l homme et Dieu. L image pour Nicée II est bien le média qui ne fait pas s arrêter à la représentation mais qui amène à la contemplation du modèle. C est la profession de foi du «Il a pris chair de la Vierge Marie» qui a conduit l homme de foi à passer par de l incarné pour atteindre le spirituel, le visible pour aller vers l invisible. Il faut alors noter que c est le même principe, mais à l initiative du Christ, que l on doit la possible réalisation de la vie sacramentelle. Par de la matière (pain, vin, huile, eau) Jésus manifeste et réalise pour les croyants le mystère de sa Pâque, signe et moyen de salut. Voyons donc maintenant les conditions d «utilisation» d une image. Pour qu elle fasse sens il faut la laisser parler. Certes, en moi elle provoque d abord des émotions positives ou négatives, mais il y a un apprentissage de lecture d image ce que le Directoire général pour la catéchèse, n 209 appelle créer un espace de parole «en laissant advenir les questions, en favorisant même le questionnement personnel». Nous voyons bien qu il faut vraiment distinguer l utilisation d une image qui peut virer à l idolâtrie (et notre monde post-moderne sait utiliser l image à des fins dégradantes qu elles soient politiques, sociales ou autres) de la portée catéchétique que peut avoir même une image, un art qui n aurait pas ce propos. Les réformateurs avaient remis le doigt sur cette utilisation des images et statues comme un nouvel acte d idolâtrie. Le protestantisme n est pas absolument une religion sans images, même s il serait aisé de démontrer qu aussi bien à partir de témoignages historiques sur l iconoclasme que de citations des réformateurs et théologiens contemporains la réforme recentre le média divin sur la Parole. «Luther, pour lequel «le Royaume de Dieu est un royaume de l ouïe et non de la vue», et Bonhoeffer qui affirme que «le Christ est parole, et non pas couleur, forme, pierre», disent la même certitude : la foi biblique est toute entière contenue dans le croire, et non dans le voir» 9. Ce statut de la Parole par rapport à l image est fort intéressant. En fait, il n est pas nouveau, car déjà pour Israël la relation à Dieu passe par l Ecoute et l application de la Parole, tout particulièrement des dix commandements ou plus exactement des dix paroles de la Thora. Il est d ailleurs certainement important de souligner qu en 9 Citation de Jérôme COTTIN in : Origine,45.html. Bernard Maitte 6

7 somme tout l art d Israël, avant de se manifester dans l art de la construction du Temple et de ses décorations comme de son mobilier, est d abord un art de la poésie. La réalisation de l Alliance au quotidien s exprime dans la prière, celle toute particulière des Psaumes et dans la vie quotidienne marquée par des rites précis où la bénédiction tient une place prépondérante. Il faut noter d ailleurs que cet art de la Parole est aussi une initiative divine qui consistera à graver la Parole sur des tables de pierre, donc à «matérialiser» par l art de l écriture, avant qu elles soient justement brisées par Moïse face au veau d or. C est cette Ecriture qui est d ailleurs magnifique décoration et média de relation lorsque dans le monde islamique, les sourates du coran ornent les mosquées. Cette conception n est pas absente du catholicisme, puisque saint Bernard lui-même s est fait le chantre du Verbe, et que la vie monastique est donc l art de la réponse à la Parole et que rien ne doit arrêter cette relation privilégiée ; c est ce qui donne aux première abbayes cisterciennes d être des modèles d authenticité ou rien ne doit empêcher le regard d être contemplation. Alors les images sont elles à jamais à proscrire, ne seront-elles jamais que des accidents dans le développement de certaines religions? Il nous faut, me semble-t-il, toujours replacer justement le rôle de l image dans le catholicisme. L image est là pour montrer ce à quoi l homme est appelé, j aimerais dire qu en régime chrétien il ne peut pas y avoir d arrêt sur image. L image est signe du modèle, l image porte à vivre la réalisation de l Alliance dans le quotidien, elle est transitus. Ainsi c est d abord l homme qui est image, il est donc iconophore car il se doit de porter la présence du Christ en lui afin de le manifester aux autres, il est iconoplaste car il doit se laisser façonner par l Esprit pour que la charité donne forme à toute son existence, il est iconographe car le Père doit écrire dans l intime de son existence les mots de son alliance. Le rôle de l image est donc de donner sens à tout le possible de Dieu dans la limite humaine. C est pourquoi l image est aussi dans le christianisme un acte de transmission et fait donc partie de la Tradition. Elle joue dans la culture chrétienne le rôle d un signe qui exprime la liberté de l homme face à la grâce de Dieu. Je termine en reprenant un très beau texte de Mgr SAUDREAU, alors président de la Commission épiscopale française de l Opinion publique qui écrivait : «Il n y a pas de liberté possible dans le monde et dans les esprits sans art et sans culture. Tous les efforts de planification, de rationalisation, de pédagogie sociale conduisent indiscutablement à la dictature ou à la destruction de l homme par l économique et le bureaucratique, si, dans une société, ils ne laissent plus de place pour le jeu, le symbole, l art. C est par l art que l homme prend la distance nécessaire avec la réalité, et peut, par là, mieux penser et trouver les conditions de sa liberté. Non seulement l art peut concourir à la liberté de chacun, mais il peut aller plus loin. Pour certains théologiens, seuls les saints et les artistes peuvent vraiment faire sentir l originalité du message chrétien, qui n est pas une idéologie, ni même d abord une doctrine, mais qui est l accueil de la manifestation de la lumière de Dieu dans le Christ. Qui peut prétendre faire saisir la lumière et l amour par des mots de comptables?» In Théo. Bernard Maitte 7