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1 DES PRÊTRES ET DES GUERRIERS LES ARTS MARTIAUX D EXTRÊME-ORIENT VUS PAR UNE PROFANE (1 r e partie) par ROBIN STRATTON Alliant grâce et pugnacité, riches en tradition et en philosophie et, pour la plupart des profanes, auréolés de mystère, les arts martiaux du Japon, de la Corée et de la République populaire de Chine fleurissent et se répandent dans le monde entier depuis la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd hui, des millions de pratiquants acquièrent force, sérénité, autodiscipline, harmonie intérieure et, surtout, une bonne santé à coups de pied et de poing, par la respiration, par Ia méditation et, littéralement, par la danse. Judo : un sport olympique depuis Al heure actuelle, le CIO reconnaît d une manière ou d une autre trois arts martiaux. Le judo, né au Japon, est le premier à avoir figuré au programme olympique et il reste le seul à être considéré comme un véritable sport olympique. Grâce aux efforts des comités d organisation des Jeux de la XVIII e Olympiade à Tokyo, il a fait des débuts triomphants en 1964 et depuis, sauf en 1968, il a toujours fait partie des Jeux. La Fédération Mondiale de Taekwondo (WTF) a été reconnue par le CIO en Ce sport coréen sera présenté en démonstration aux Jeux Olympiques pour la première fois en 1988, à Séoul comme il se doit. Le karaté, enfin, sport japonais dont les racines remontent à la Chine ancienne, est entré l an dernier seulement dans la famille olympique, sous l égide de la World Union of Karatedo Organizations (Union mondiale des organisations de karatédo - WUKO). Outre ces sports, nous mentionnerons dans les lignes qui suivent d autres arts importants, notamment le kendo, un art japonais du maniement de l épée, et le wushu, un large groupe d arts martiaux chinois qui comprend le tai ji quan, le kung fu, la boxe traditionnelle et le maniement des armes. QUELLE EST LA PARTICULARITÉ DE CHAQUE ART MARTIAL 3 Jetons d abord un rapide regard sur chaque art martial, particulièrement du point de vue technique. Nous verrons qu ils ont certes des ressemblances mais que chacun est unique. 342

2 Décrit comme «l élévation d un art à un principe» par son fondateur, le Dr Jigoro Kano, premier membre japonais du CIO ( ), le judo encourage ses pratiquants à utiliser au plus haut degré leur esprit et leur corps et à atteindre une efficacité maximale avec un minimum d efforts. En compétition, les judokas (ka signifie pratiquant) reçoivent des points lorsqu ils ont exécuté avec succès des mouvements techniquement corrects. Avant tout, ils s efforcent de renverser leur adversaire, puis ils entament un travail au sol pour essayer de gagner la compétition en immobilisant leur partenaire pendant trente secondes, par étranglement ou clé au coude. Une belle projection de l adversaire peut être un facteur déterminant. Comme dans les autres arts martiaux, les enchaînements «chorégraphiques» de mouvements (en japonais kata) font partie intégrante de l entraînement et des techniques de compétition du judo. Dans certains styles, il existe des compétitions consacrées à ces seuls enchaînements, que l on juge à la correction et à la fluidité des mouvements. Les judokas féminines y participent et seront admises pour la première fois en démonstration aux Jeux Olympiques à Séoul. Au kendo, les hommes et les femmes combattent à égalité. Dans les compétitions opposant deux adversaires, on utilise habituellement des sabres en bambou de plus d un mètre de long; le but est de frapper l une des huit régions cibles situées sur la partie supérieure du corps, les avant-bras, la gorge ou la tête. (En combat réel, un seul coup n est normalement pas mortel). Ce sport exige une énorme discipline mentale pour acquérir maîtrise et précision ainsi que pour sentir attentivement la position du corps et le déplacement des pieds. Le cri, que l on associe souvent aux arts martiaux, est sans doute crucial en kendo puisque sans lui un coup porté ne compte pas. Les kendokas remplacent le bambou par du bois lorsqu ils pratiquent les katas et parfois même par du métal en démonstrations officielles. Entièrement différent du judo et du kendo, le taekwondo utilise à fond les pieds et les poings. Littéralement, ce mot signifie tae coup de pied en l air ou au sol, kwon coup porté avec la main ouverte ou fermée et do la voie. En combat, chaque adversaire essaie de toucher l autre au visage ou sur le haut du corps, soit d un coup de pied soit d un coup de poing. Dans ce sport intense, c est l ensemble du corps qui devient une arme. Les taekwondoka pratiquent en outre régulièrement le poomse, équivalent coréen du kata, et certains s entraînent même à briser divers objets (p. ex. des blocs de bois, des bûches) pour tester leur puissance. Le taekwondo et le karaté ont certaines ressemblances. Dans le second, l accent est mis sur une puissance explosive, qui se traduit par des coups de poing et des coups de pied. Toutes les parties du corps, y compris les doigts, peuvent entrer en action dans cette forme de combat; un entraînement rigoureux développe le potentiel de chacune de ces parties. Ce qui différencie le karaté, c est une technique spéciale où l on essaie de prendre en défaut la garde de son adversaire sans le toucher réellement. Pareil mouvement exige un contrôle musculaire énorme, que permettent en partie la respiration abdominale, la discipline mentale et une extrême rapidité. Les cris ne sont pas inhabituels. Les compétitions portent à la fois sur des katas et sur des combats réels. Dans le premier cas, sept juges évaluent la performance du concurrent selon sa précision et son style. Dans le second cas, le karatéka gagne des points lorqu il porte un coup correctement. Un coup idéal, précis et réalisé sous une forme physique parfaite, La puissance explosive derrière le karaté.

3 Jeune taekwondiste. accorde la victoire. Certains karatékas s entraînent aussi à briser des objets en bois, mais bon nombre refusent de le faire en démonstration publique. Le wushu regroupe de nombreux mouvements exécutés individuellement. Même dans les disciplines de lutte à mains nues, la boxe dans le vide fait partie intégrante de l entraînement et des combats. C est un type de wushu important en soi. Bon nombre des techniques de combat, qui peuvent faire intervenir jusqu à trois personnes, ressemblent à celles du karaté ou du taekwondo mais elles sont plus lentes et sont parfois réalisées avec des bonds en l air impressionnants. Naturellement, la signification de chacun des mouvements varie de l une à l autre. Le maniement des armes se partage en général entre les armes longues (sabre et bâton) et les armes courtes (dague et couteau). Si ces mouvements s exécutent plutôt individuellement, le traditionnel duel à l épée est aussi un type de wushu. Dans toutes les disciplines, la méditation et une bonne respiration sont essentielles et le but à atteindre est la perfection. DES DÉBUTS ANCIENS, UNE HISTOIRE RÉCENTE Bien qu une bonne part du traditionnalisme et du mysticisme qui entourent les arts martiaux remonte à des siècles de conflits ouverts ou sous-jacents, leur histoire en tant que sport de récréation ou de compétition ne date que de la fin du XIX e siècle. La plupart ont même attendu la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour commencer à se développer au niveau international. Combattre pour survivre n est pas nouveau dans le monde. Des peintures découvertes dans des tombes antiques attestent de la pratique, il y a plus de deux mille ans, de techniques de combat semblables à celles des arts martiaux modernes. Des documents médiévaux contiennent semblables indications et certains donnent même des instructions précises. Quand, pourquoi et comment ces activités sont-elles devenues un art? : autant de questions importantes auxquelles nous allons essayer de répondre ici. Tout d abord, il y avait deux groupes d acteurs importants : 1. Les classes ou les familles nobles de guerriers, comme les samouraïs japonais ou leurs homologues coréens, les Hwarang ; 2. Les moines et les prêtres bouddhistes, notamment Bhodidharma (V e siècle avant J.-C.) ; enseignants par nature, ils étaient souvent itinérants. Le judo et le kendo doivent tous deux leurs débuts aux légendaires guerriers samouraïs qui ont prospéré pendant près de huit siècles au Japon. Le judo dérive directement du jiu-jitsu (méthode d autodéfense qu employaient les samouraïs lorsqu ils n étaient pas armés), dont les Extrait du «Muye-dobo-tongji», un manuel d arts martiaux écrit en Corée sous le røgne du roi Chongjo ( ). 344

4 principes ont été établis dans la seconde moitié du XVI e siècle et qui a produit une vingtaine d écoles, jusqu au déclin des samouraïs au début du XIX e siècle. D après certaines sources, un moine chinois, Chen Yuanping, que l on retrouve dans l histoire du karaté, aurait introduit le jiujitsu au Japon lorsqu il y émigra au début du XVII e siècle. D autres documents, en revanche, semblent indiquer que des maîtres de cette technique vivaient au Japon avant cette date. Après avoir étudié minutieusement les nombreux styles de jiu-jitsu, le Dr Jigoru Kano a instauré en 1882 un nouveau style plus efficace (judo signifie littéralement «la voie facile») en fondant l école de Judo Kodokan à Tokyo, considérée encore aujourd hui comme l autorité technique et philosophique suprême dans ce sport. En 1887, tous les critères techniques avaient été énoncés et les étudiants de Kano partirent enseigner le judo dans le monde. Bien qu il ait été pratiqué dans de nombreux pays déjà avant 1930, le judo n est devenu un sport international de compétition qu en 1948, année de création de la European Judo Union (union européenne de judo). La Fédération Internationale de Judo a été fondée en 1951 et les premiers championnats du monde se sont déroulés en Le kendo s est développé en sa qualité de méthode non mortelle d entraînement au sabre pour les guerriers samouraïs. Des documents historiques sérieux relatent l existence d écoles de kenjitsu (maniement du sabre) avant l époque des samouraïs. Le premier sabre en bois remonte sans doute à 400 avant J.-C. mais c est au moyen âge que le kenjitsu et ses pratiquants les plus distingués ont connu leur heure de gloire. A I époque, les sabres en bois servaient régulièrement à l entraînement. Mais, bien qu ils ne puissent pas tuer, ils pouvaient asséner des coups extrêmement dangereux et les guerriers avaient tendance à se retenir. Chuta Nakanishi résolut ce problème en 1750 en inventant l épée en bambou et peu après, pour améliorer la protection, en introduisant l usage de plaques protégeant le torse. Le kendo est resté le sport des samouraïs mais il a gagné en popularité au Japon dans la deuxième moitié du XIX e siècle. En 1871, année où la loi a interdit aux samouraïs le port du sabre, le kendo est devenu obligatoire dans les écoles japonaises. La All Japan College Kendo Federation (Fédération scolaire interjaponaise de kendo) a été créée en 1928 pour faire autorité en matière Une femme policier pratique le «kata» avec un sabre en bois, sous l'œil attentif de son maître de kendo. technique et diffuser ce sport dans le monde. Elle dépend désormais de la Fédération Mondiale de Kendo, qui organise les championnats du monde depuis Premier précurseur du taekwondo, le tae kyon, était déjà pratiqué sous la dynastie coréenne des Kokuryo (37 avant J.-C après J.-C.). Il resta populaire mais un autre style de combat appelé soo bak est né à la fin de la dynastie des Silla (57 avant J.-C après J.- C.), qui unifia la Corée au VII e siècle après J.-C. Ce dernier art, où l on combattait à l origine avec les pieds, a connu son apogée au milieu du XII e siècle. Il a été repris par les Hwarang, troupe d élite des guerriers Silla qui avait appris I autodéfense auprès de moines bouddhistes. Ils appliquèrent des principes de combat ainsi qu une discipline mentale au soo bak, créant un nouvel art, le soo bak gi, qui continue de se développer sous la dynastie des Koryo ( ap. J.-C.) et une partie de celle des Yi (appelée aussi Choson, ). Lorsqu au début du XVII e siècle des sentiments antimilitaristes virent le jour avec l avènement d une sorte de renaissance intellectuelle, la pratique du soo bak revint dans le peu- 345

5 ple et s y maintint pendant plusieurs centaines d années. Interdit pendant près de la moitié de notre siècle, cet art martial coréen a fleuri après la Deuxième Guerre mondiale et un grand nombre d écoles se sont ouvertes à travers le pays. Naturellement, chacune essayait de s imposer aux autres. Pour résoudre les conflits en découlant, les chefs des écoles les plus importantes ont essayé de collaborer et ont fini par mettre au point un nouveau système, qu ils ont appelé le taekwondo. Dès lors, ce sport s est rapidement développé. La WTF a été fondée en 1973 à I occasion des premiers championnats du monde. De tous les arts martiaux, c'est le karaté qui prend le plus clairement sa source dans la religion. Il remonte aux techniques de combat des Indiens de l antiquité, dont les premières mentions datent du V e siècle avant J.-C., contemporain a Bouddha. A l époque déjà, les méthodes de respiration du yoga jouaient un rôle important dans les divers mouvements. Près d un millénaire après, le moine bouddhiste Bhodidharma quitta l lnde et se rendit en Chine pour y enseigner au monastère zen de Shaolin dans la province de Henan. Il s aperçut que ses étudiants, lorsqu ils étaient soumis à la dure discipline mentale et physique nécessaire pour arriver à la sérénité, souffraient d une énorme fatigue. II créa donc une forme d entraînement physique qui combinait le yoga, les techniques indiennes de combat et le style chinois de lutte connu sous le nom de kempo. Ce nouvel art s est largement répandu en Chine et c est à lui que le monastère Shaolin doit sa renommée, encore grande de nos jours, dans le monde des arts martiaux. II est très probable que l art de Bhodidharma ait été en réalité le kung fu. De l avis général, ce dernier art est arrivé au Japon par l île d Okinawa, où il s est mélangé avec le style local de combat à mains nues, appelé te. Funakoshi Gichin a introduit cette méthode nouvelle au Japon en 1922 et, après de nouvelles modernisations inspirées en partie par le jiu-jitsu, l école de Shotokan a été ouverte en Les trente ans qui ont suivi ont été marqués par une intense rivalité entre le Shotokan et d autres écoles qui se sont développées à la même époque. Dans le but de les unir sous une seule égide, la Federation of All Japan Karate-do Organizations (Fédération interjaponaise des organisations de karaté-do) a été établie en 1964 et les premiers championnats du monde regroupant tous les styles ont eu lieu sous Maniement du sabre Tai ji : contrôle et grâce. 346

6 ses auspices en La WUKO a été constituée officiellement en Plusieurs styles appartenant au wushu portent le nom de Shaolin et plongent ainsi leurs racines dans les enseignements de Bhodidharma. Citons encore l exemple du tai ji quan. On se perd en conjectures sur son histoire antérieure au XIX e siècle. Bhodidharma est cité dans plusieurs documents, de même qu un médecin nommé Hua Tuo, qui vivait au Il e siècle après J.-C. et a inventé d autres mouvements de wushu. Par contre, nous savons avec certitude que le clan Chen a transmis ces techniques de génération en génération. Au cours du XIX e siècle, un domestique au service des Chen du nom de Yang Lu- Chan observait en secret les séances d entraînement et devint lui-même habile dans les mouvements. Les Chen, impressionnés par son zèle, l autorisèrent à devenir un disciple. Plus tard, Yang partit pour Beijing, où il se mit à enseigner, y compris à ses enfants et petits-enfants. Le tai ji est entré au programme des écoles chinoises en En 1936, il suscitait un tel intérêt international qu une démonstration en fut donnée à Berlin dans le cadre des Jeux de la XI e Olympiade. Puis il ne fit plus parler de lui jusqu en 1956, où des experts se réunirent pour établir les règles en vigueur aujourd hui. Les autorités sportives de la République populaire de Chine se sont récemment attachées à développer le wushu au niveau international. Elles s efforcent de structurer ce sport et de créer un organisme dirigeant. A l heure actuelle, les spécialistes de wushu du monde entier travaillent à la formation d une organisation internationale qui devrait multiplier les rencontres internationales. R. S. (A suivre) 347