Un rêve abracadabrantesque

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2 Un rêve abracadabrantesque Bonjour Raymond, mon ami. Merci d être venu si vite. Tu me connais. Tu sais que je ne suis pas le genre de type à déranger mes amis, mon meilleur ami de surcroît, si ce n était pour un embarras de la plus haute importance. Raymond, j ai peur! Ne ris pas s il te plait. Cette nuit, j ai fait un rêve singulier. Si je le garde pour moi, je vais devenir fou. Pourquoi moi? Me demandes-tu avec ton air de chien battu. Tout simplement, mon Raymond, car je n ai pas d ami comme toi, oh no no no, pas d autre ami comme toi. A genoux je te demande de changer de tête, sinon je te donne une gamelle de croquettes pour accompagner ton double pastis! Merci de ta compréhension. Tu n es pas sans savoir que le lundi soir, je dîne chez Simone. Ca te fait rire? Elle avait préparé une tête de veau, qu elle avait faite dégorger la veille pendant deux heures dans l eau froide additionnée de dix centilitres de vinaigre, que nous avons dégustée avec quelques bouteilles de côte du Rhône. Vers vingt-deux heures, Simone se rhabille et me raccompagne à la porte d entrée. De sortie en l occurrence. Je regarde à gauche, je regarde à droite, on n est jamais trop prudent, et traverse d un bon pas la rue Hector Vigo en direction de mon humble demeure située, comme tu sais, en face de chez elle. A vingt-deux heures cinq, je m écroule dans mon lit tout habillé, une petite astuce bien pratique pour gagner du temps le matin. Et puis voilà! Ce rêve! 2 / 5

3 Je suis allongé au fond d un puit, ou plus exactement d un gouffre. Une odeur écoeurante de tabac froid me prend à la gorge. Je vomis et entreprends de remonter tant bien que mal le long de la paroi. Après quelques minutes d effort, je découvre un spectacle ahurissant. Juste en face de moi, Léo Ferré qui parle avec ses tripes et fini par dire : «Les putains? Je fais le même métier qu elles!». J en tombe sur le cul. C est une expression Raymond, écoute ça. Le grand Jacques Brel en rajoute : «Elles sont aussi artistes que nous et nous sommes aussi putains qu elles.». Le troisième larron! Georges Brassens, moins expansif, tout en pudeur, dis : «Faut bien le dire». Nom de Dieu! Je sais quand et où je suis. Le 6 janvier 1969 sur le plateau de l émission radiophonique historique, accroché sur le bord du fourneau de la pipe de Brassens! Je ne dois pas mesurer plus d un centimètre. Véridique Raymond. Et attends, ce n est pas fini. Sans prévenir, il tape sur sa pipe afin de vider le reste de tabac dans le cendrier, ce qui a pour effet immédiat de me propulser en direction de cet énorme bac à mégots. Par chance, je tombe sur le dos d un cheval au galop, sorti de je ne sais où. En fait, il m a semblé émerger de ce monstrueux cendrier, mais je n en suis pas certain, tu ne m en voudras pas. Il profite d une porte restée entrouverte et file à vive allure dans la pampa argentine me semble-il. Nous sommes deux sur ce cheval. Un homme en treillis portant un béret. Il se retourne en criant : «Viva la révolutiòn!». Pas possible!!! Le Che! Che Guevara en personne, en chair et en os. A bout de nerf, je pleure. Arrivé à proximité de quelques habitations délabrées, il tire 3 / 5

4 sauvagement sur les mors du cheval qui s arrête dans un bruit de tôle froissée, et descend de sa monture pour satisfaire un besoin naturel. Je risque un œil au dessus de la porte battante des pissotières. Mon cerveau bout. Le Che a disparu. Une rangée d écoliers en noir et blanc occupe les urinoirs. Un jeune garçon ne semble pas surpris de servir de perchoir à une colombe. Mon rêve s arrête là mon cher Raymond. Simone, qui a oublié de me donner les restes de la tête de veau, sonne à la porte. Hagard, je prends la gamelle et en profite pour lui rendre quelques pièces de lingerie restées accrochées malencontreusement dans les clous de mon blouson. Voilà, Raymond. Qu en penses-tu? Quoi? S il me reste de la tête de veau? Merde Raymond! T es vraiment trop con. 4 / 5

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