Le site de la bataille : quels changements depuis 1815?

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1 Le site de la bataille : quels changements depuis 1815? En schématisant, la bataille s est déroulée dans un rectangle de 3 km de large comprenant le Goumont et la place de Plancenoit, sur 2 km de haut, et du chemin d Ohain, et donc de la butte actuelle, jusqu à Rossome, un peu plus loin que la Belle-Alliance, à hauteur de Plancenoit. Sur ces six kilomètres carrés, près de combattants seront engagés pendant près de 9 heures, causant la mort de près de hommes et faisant plus de blessés et disparus. Jamais un si petit espace n a vu et ne verra une telle concentration guerrière et, fait exceptionnel, ce champ de bataille est à peu près intact. Un siècle plus tard, le 26 mars 1914, une loi le protège : en principe, rien ne peut plus s y construire et, à l exception du village de Plancenoit qui n est pas concerné, l aspect paysager sera conservé. Il faut donc distinguer ce qui a changé entre 1815 et 1914 et ce qui le fut après cette date. Le creux de la Haie-Sainte avec, dans le haut, à droite, le début du chemin creux d Ohain encore bordé d arbres et de haies. En face de la ferme, la sablonnière qui servira, elle aussi, de fosse commune (gravure de 1816 publiée en 1817 dans An historical account of the Campaign in the Netherlands in 1815, de William Mudford 1

2 Les bâtiments contemporains Il y a, en juin 1815, quelques constructions le long de la chaussée de Bruxelles à Charleroi (du nord au sud) : la ferme de Mont-Saint-Jean (et un peu plus loin, au carrefour même, trois maisons et la barrière de péage au débouché de la route venant de Nivelles) puis, peu avant le carrefour à hauteur de la butte, face au monument aux Belges, la maison Valette (Wellington y a mangé la veille : elle existe toujours, un peu en retrait, dans le prolongement du restaurant Lemercier). Au-delà du carrefour, quasi à hauteur du chemin creux, la ferme de la Haie-Sainte fait face à une sablonnière qui entrera dans l histoire. Un petit millier de mètres plus loin, la Belle-Alliance et, en face, la Saline, laquelle précède le monument de l Aigle blessé qui marque la limite sud de la zone de protection de D ouest en est, entre les deux extrêmes du front, le château ferme du Goumont et le château de Fichermont (qui marquent les limites gauche et droite de la zone protégée), existaient la ferme de la Papelotte et sa voisine, la ferme de la Haye (à ne pas confondre avec celle se trouvant plus au nord, en bordure de la chaussée de Louvain, la ferme de Ter-la-Haye). Et, puisqu il est célèbre, citons «l arbre de Wellington» (un orme, au carrefour du chemin creux) déjà mentionné sur des relevés du cadastre de 1813 comme étant «Arbre de la Haie-Sainte». Il sera vendu, en 1818, à un Anglais qui le fera débiter en chaises, cannes, tabatières et autres boîtes à pilules et sera remplacé, en 1958, par un platane qui, jusqu à présent, se porte bien. Tous les bâtiments endommagés (Belle-Alliance, par exemple) ou même partiellement détruits (Haie-Sainte, Papelotte ) seront réparés ou reconstruits, à l exception du château du Goumont et de sa ferme qui disparaissent définitivement. De 1815 à 1857 Les trois premiers monuments érigés sur le site sont la colonne Alexander Gordon (près de la Haie-Sainte, en 1817), le monument aux Hanovriens (en face, 18 juin 1818) et le monument aux Prussiens (en dehors de la zone protégée, à Plancenoit, en 1819). Si le premier est dû à l initiative de la famille (qui en fera don à l Etat belge en 1830), les deux autres le sont à celles de la Prusse pour le premier et des officiers de la King s German Legion pour le second : ils appartiennent à présent à la République fédérale d Allemagne. En 1823, Jacques Plasman construit un cabaret à l angle du chemin d Ohain et du chemin des Vertes Bornes : ce sera, plus tard, L'Hôtel des Touristes, en face du Panorama. Un an après commencent les travaux de construction de la butte du Lion décidée par Guillaume 1 er, roi des Pays- Bas, pour marquer le souvenir de la bataille et de la blessure, à cet endroit précis, de son fils, le prince d Orange. Près de m³ seront ainsi déplacés, provenant de la partie sud du chemin d Ohain, entre la butte et la chaussée de Charleroi : la curieuse surélévation actuelle du monument Gordon permet de deviner le niveau original des terres à cet endroit (cette masse représente un cube de 500 m de long la distance entre la butte et la chaussée sur 200 m de largeur et 3 m de profondeur). Les travaux sont terminés en Deux ans plus tard, certains actes de malveillance amènent le roi à faire édifier au pied de la butte une «maison du garde» qui sera démolie et reconstruite en 1929 pour disparaître définitivement en 1990 lors de la construction de l actuel Centre des visiteurs. En 1857, George Verraleweck ouvre les portes du premier hôtel, l'hôtel du Musée, en face de la butte (terrain acquis le 28 décembre 1854) lequel sera agrandi en 1881 de toute sa partie droite. L année précédente, un incendie nécessite la reconstruction partielle de la grange de la Papelotte. De 1858 à 1914 La chapelle située à l angle du chemin menant à la Papelotte est construite en 1867 et la ferme elle-même subit à nouveau un incendie qui nécessite cette fois une reconstruction totale en Entre-temps, Victor Hugo est venu à Mont-Saint-Jean pour y fini Les Misérables (du 7 mai au 30 juin 1861) et la parution du roman, en sept langues, en avril et mai 1862, provoque un net regain d intérêt pour le site de la bataille qui fait l objet de nouvelles publications, narrations de visites, etc. Puis, au début des années 1890, c'est la ruée. Le chemin qui passe aux pieds du Lion, entre la chaussée de Nivelles et la route de Charleroi voit apparaître plusieurs établissements : en 1891, le Café-restaurant du Chemin Creux et, à côté, en1894, 2

3 l Hôtel-Restaurant des Monuments, lesquels seront réunis plus tard pour former l'actuel Le En 1894 encore, le Café-restaurant de la Laiterie du Lion est construit en face du parking sous les arbres. L'année 1899 voit apparaître le café-restaurant Aux Jardins des Fleurs (aujourd'hui Les deux Sil). Une petite maison est construite, en 1902, à l angle de l extrémité est du chemin creux et du Vieux chemin de Wavre (face à l actuel couvent de Fichermont) : ce sera, pour peu de temps, le Cabaret van Cutsem. En 1903, le Waterloo Hotel s'installe dans la dernière maison avant l'actuel Bivouac (transformation d'une ancienne annexe de l'hôtel du Musée qui date de 1857) et, au coin de la route de Charleroi, l'hôtel A la Vue de l'arbre de Wellington est édifié en 1904 (l'actuel Tonnelle des Délices) d'ailleurs ouvert le même jour que l'inauguration du monument de l'aigle blessé, le 28 juin Ce jour-là, tickets de trains furent achetés aux différentes gares de Bruxelles pour rejoindre Braine-l'Alleud et la presse de l'époque parle d'une foule estimée entre et personnes : c'est, à cette époque, considérable et démontre bien l'engouement collectif pour le site de la bataille. Un instituteur de Braine-l'Alleud, C. J. Schépers, publie un guide touristique 1 du site en 1894 lequel est édité en anglais l'année suivante. La première plaque commémorative collective du Goumont, celle du Foot Guards, est apposée sur le mur de la chapelle le 11 avril L Allemagne décide, en 1906, de faire construire un escalier pour faciliter l accès au monument hanovrien : c est alors que disparaissent les derniers restes de cette fameuse sablonnière de la Haie- Sainte près de laquelle auraient, dit-on, été enterrés près de cadavres. A droite, le monument hanovrien et les restes de la sablonnière qui disparaîtra en 1906 (carte postale datée de 1901) Cette époque voit donc un accroissement spectaculaire de l'intérêt pour le tourisme de la bataille de 1815 et il est encore intéressant de relever que l'accès à la butte du Lion est favorisé par l'ouverture, en 1898, de la ligne du tram vicinal entre la gare de Braine-l'Alleud et la butte, une autre liaison entre la gare de Waterloo et cette même butte étant réalisée en Les rails seront enlevés par les Allemands en et replacés en 1919 entre Braine-l'Alleud et le monument Gordon puis vers Lasne et Wavre. La ligne est électrifiée en 1930 et définitivement supprimée en C.J. Schépers, Guide du champ de bataille indispensable au touriste, nouvelle édition, Léon Pastur, imprimeur-éditeur, Braine-l'Alleud, L'édition française a une couverture rose, l'anglaise, une bleue et elles font toutes les deux 54 pages plus couverture (Kbr, II 53300). 2 Claude Van Hoorebeeck, Contribution à l'histoire de la ferme du Goumont - A propos de la plaque des Foot Guards posée sur la chapelle en 1907, Bulletin de la Société belge d'études napoléoniennes, n 53, décembre 2008, pages 4 à 35. 3

4 L'activité littéraire et historique est également importante : il suffit de consulter une bibliographie pour constater qu'entre 1890 et 1914 apparaissent des auteurs comme Winand Aerts et Wilmet, Henry Houssaye, de Bas et t'serclaes de Wommersom, Louis Navez, Léon Van Neck ou encore Georges Barral et Hector Fleischmann. L'ossuaire de la ferme du Caillou, le dernier quartier-général de l Empereur, appartenant alors à Lucien Laudy est construit en 1912, à l'initiative de ce dernier et d'hector Fleischmann et il est d'ailleurs inauguré le même jour que celui de la pose de la première pierre de la colonne Victor Hugo. La même année, le 5 mai, le Panorama est ouvert au public, la première pierre ayant été posée le 3 juillet Le comité pour l'érection d'un monument aux Belges est créé en 1911 et le monument sera construit en 1914 à l angle du chemin creux et de la chaussée de Charleroi : l'inauguration, prévue pour le 13 septembre, ne sera jamais organisée. C est encore en 1912 qu est construit le dépôt de trams vicinaux situés non loin de la ferme de Mont-Saint-Jean. Enfin, Hector Fleischmann, encore lui, inaugure, dans le verger du Goumont, le 22 juin 1913, le seul monument dédié aux soldats français tués à Waterloo, avec pour épitaphe cette phrase de l Empereur : La terre paraissait orgueilleuse de porter tant de braves. 4

5 Le dispositif français s étire de gauche à droite, à hauteur de la Belle-Alliance, laquelle se trouve à mètre du carrefour du chemin creux. La crête qui est la ligne de défense de Wellington (la route du Lion) est 135 mètres d altitude, le couvent de Fichermont à 133 m, la ferme de la Belle-Alliance à 141 m et la route de la Marache, devant la Papelotte (hors carte, à la droite de la mention «St Roch»), à un peu moins de 90 mètres. De 1914 à nos jours La loi du 26 mars 1914 protège 545, 63 hectares du site de la bataille et cette mesure ne souffrira que peu d exceptions : pose de poteaux électriques, construction d annexes à des établissements hôteliers, modifications immobilières plus ou moins mineures, érection d abris pour voyageurs aux arrêts de trams, etc. La physionomie générale du site reste intacte, même si des endroits plus éloignés mais situés en zone non protégée comme le bois Paris (à Lasne, d où surgirent les troupes prussiennes en fin d après-midi) changèrent d aspect. La seule exception, et elle est de taille, est celle qui autorisa l érection du couvent de Fichermont dont la première pierre fut posée le 5 août 1928 : les religieuses, d abord hébergées depuis 1920 dans le vieux château de Fichermont, de l autre côté de la petite vallée du Smohain, en prendront possession le 7 septembre Il est situé dans l angle du chemin creux et du Vieux chemin de Wavre, à l'emplacement où se trouvaient, à l'aube du 18 juin 1815, les troupes de la 9ème British brigade du major général sir Denis Pack, la 4ème Brigade hanovrienne du colonel Charles Best et la 5ème Brigade hanovrienne du colonel Ludwig von Vincke. Derrière eux, les cavaliers de l'union Brigade du général sir William Ponsonby et, devant eux, les 1ère, 2ème et 7ème divisions des régiments de ligne français des généraux Pierre Durutte, Pierre Binet de Marcognet et François-Xavier Donzelot appuyés par les cavaliers du général Jean-Baptiste Milhaud : des noms qui évoquent la fougue et la rage de vaincre, la poudre et la boue, d'effroyables charges ou des retraites éperdues. A l'avant plan, la ferme de la Saline et, à droite, la ferme de la Belle-Alliance. Extraordinaire perspective : compte tenu de l'angle de prise de vue, cette photo ne peut avoir été prise que du sommet de la colonne Victor Hugo, donc après 1913 ou, au plus tard, au début de Le photographe a sans doute profité des échafaudages installés lors de sa construction. 5

6 La route de Charleroi est élargie de deux à quatre bandes, entre le carrefour de Mont-Saint-Jean et les Quatre-Bras, en 1972, ce qui amène l unique démolition d une maison construite en 1887 face à la Belle-Alliance. La largeur de cette route sera ramenée à deux bandes une vingtaine d années plus tard. Exceptionnel lieu de mémoire, le site de la bataille de Waterloo livre encore ses champs de juin «dans son cirque de bois, de coteaux, de vallons» à d impressionnantes reconstitutions animées par des passionnés d histoire militaire qui, dans leurs uniformes de toutes les armées, quittent leurs bivouacs au Caillou ou au Goumont, pour faire revivre la progression des tirailleurs ou les charges de cavalerie, le tout dans la fumée des fusils et des canons. Mais il n y aura plus jamais autant de boue ni autant de sang Claude Van Hoorebeeck 6