Leila, née en France. Première partie

Transcription

1 Leila, née en France Première partie Leila : Je suis née en banlieue. Le goût du béton et de la liberté j'ai eu ça de bonne heure. Proviseur : Benlaga, où allez-vous? Leila : C'est la maîtresse, Monsieur, elle m'a dit de rentrer, je suis malade. Proviseur : Vous me ramènerez un mot. Mère : Qu'est-ce que tu as ma chérie? Qu'est-ce que tu fais là à cette heure ci? Leila : J'ai mal au ventre. C'est quoi Maman? Maman, j'ai peur. Mère : Mais non Leila, t'es devenue une femme, c'est tout. Il va falloir faire très attention maintenant. Leila : Attention à quoi? Mère : A tout. Aux garçons, aux hommes. La virginité, Leila, est notre seule richesse. Il faut la garder. Tu peux plus te marier si tu l'as plus, tu comprends ça? Alors, il va falloir que tu rentres directement de l'école maintenant, plus traîner, directement, tu m'entends? On va te protéger. Leila : C'est quoi la virginité? Mère : C'est (mot arabe), c'est ta petite personne Leila. Faut pas laisser un homme te toucher, aucun homme. Leila : Pour pas pleurer, j'ai pensé à mon père... Père : Allez les petites, au lit. Leila : Pour lui, j'étais comme un garçon, le fils qu'il avait pas eu. Père : Bonne nuit. Mère : Allez Leila, va dans la chambre, t'as fini ton assiette, tu vas dans la chambre. Leila : Mais Maman... Mère : Pas de «Mais Maman», tu vas dans ta chambre, allez! (Phrase en arabe) 1

2 Leila : Devenir une femme m'a coupée de mon père pour toujours et ça n'était que le début. Plus j'étais une femme, plus j'étais surveillée. C'est Sarah, ma meilleure amie. Sarah : Leila! Leila : Ses parents sont juifs, eux aussi sont de chez nous. Sarah : T'as plus ton walkman? Leila : Non, ma mère l'a taxé, elle m'a vue avec dans la rue. Tu sais pas que c'est hyper dangereux d'écouter de la musique dehors. Sarah : Tu pourrais te faire violer et même pas t'en apercevoir, alors. Leila : A l'école, j'étais vraiment heureuse, c'était mon vrai territoire, on était une bande géniale, j'étais tout le temps première. Garçon : Bon, les filles, vous venez boire un pot? Leila : Non. Sarah : Dix minutes pas plus. Leila : Je les ai pas, tu le sais. Sarah : Ecoute, je te raccompagnerai et je dirai à ta mère qu'on a fini plus tard. S'il te plaît. Leila : Bon, dix pas plus, OK? Sarah : Merci. Mère : Où est-ce que tu traînais? Dis-le, je veux le savoir. Sarah : On était à l'école, Madame Benlaga, on révisait. Mère : (phrase en arabe). Leila : En version arabe, tu vois. Mère : Même une putain respecte sa mère. T'entends Leila? Leila : Je ne suis pas une putain. Sarah : A demain, alors. Mère : T'es pas une putain? Regarde comment t'es habillée, regarde-toi! Leila : Mais t'es con ou quoi? Mère : Je suis comment? Répète-le. Leila : Excuse-moi Maman. C'est grave? Mère : T'as fait le ramadan? Menteuse. File dans ta chambre. Leila : Je suis pas faite pour la prière. Leila : J'aurais bien aimé prier pour de vrai, expliquer mes problèmes à Dieu. Mais j'avais trop peur de lui. Tout ce que j'aimais était interdit, tout ce que je faisais aussi. A la fin, j'en avais la trouille rien que d'y penser. 2

3 Leila : C'est peu dire que j'aimais mon pays. Tous les étés, j'y revenais un mois, quelque chose en moi de très orgueilleux lui appartenait. Grand-mère : Tu vas surveiller le couscous. Ça vient les pommes de terre? Mère : Oui, oui. Grand-mère : T'as vu la jupe de ta fille? Leila : Ma grand-mère était le chef de la famille, tout le monde en avait peur mais moi, je l'aimais bien. Elle avait des yeux qui regardaient loin mais qui regardaient en arrière, comme si elle voyait les choses que du passé. Ma grand-mère n'aimait pas ma mère. Sans doute parce que ma mère n'avait pas eu de fils et puis elle lui avait pris le sien. Père : Tu obéis à ma mère, un point c'est tout. Mère : Elle est toujours après moi, écoute. Père : Mais tu le fais exprès, tu la cherches tout le temps. Mère : Si tu es si bien avec ta mère, reste ici, je m'en fiche, je m'en fiche, tu entends! Leila : Ça, je n'ai jamais pu l'oublier, ils avaient tous l'air tellement, tellement malheureux. (phrases en arabe) Mère : Bon anniversaire ma chérie! Leila : Merci Maman. Leila : Personne n'a prononcé le mot mais j'étais majeure. Je me sentais libre et heureuse. Le lendemain, j'ai rencontré Manu. Leila : Lâche-moi OK? Lâche-moi, putain! Agresseur : Fais pas chier! Leila : Lâche-moi! Non, non, non! Maman! Non! Non! Manu : Oh! Oh, arrêtez ça! Allez, tire-toi! Allez, tirez-vous, tirez-vous! Ca va, Mademoiselle? Ils vous ont fait du mal? Leila : Non, non, je crois pas. Manu : Vous inquiétez pas, je suis médecin. D'ailleurs, c'est mon premier jour avec SOS Médecins comme quoi. Leila : Ils voulaient... 3

4 Manu : Je sais, je sais. Vous voulez prendre un café? Leila : J'allais chez ma copine Sarah. Manu : Ben, vous l'appellerez de chez moi, hein? Vous inquiétez pas maintenant ça va aller. OK? Leila : C'est chez SOS Médecins que vous avez appris à vous battre comme ça? Manu : Je suis né ici. Leila : Allo, Sarah, c'est moi. Je suis chez, chez un médecin. Manu : Manuel Gardinier. Leila : Manuel Gardinier. Il m'est rien arrivé, non! Bon OK, il m'est arrivé un truc. Ecoute, si ma mère appelle, tu viens me chercher. C'est au premier. Manu : Appartement 101. Leila : De ton immeuble, oui OK, salut. Manu : Tu t'appelles comment? Leila : Leila. Manu : Leila, c'est beau. Sucre? Leila : Oui. Leila : Je l'aime, tu peux pas savoir. Sarah : C'est réciproque on dirait. On se voit plus jamais. Leila : Bon, on est rentrées ensemble, OK? T'oublies pas, hein? Je suis folle de faire ça, tu sais. Manu : Mais non, tiens, avec ça, tu paraîtras incognito. Voilà! Mère : Mais tu es devenue folle ou quoi? T'as déjà fait ça avant hier. Leila : Demain, je te ferai les carreaux. Mère : Ça va pas chez toi depuis trois mois. Leila : T'aimes bien quand c'est propre, non? Manu : 16h00 à minuit, pas de problème. Oui, je prends sa garde si ça l'arrange. Très bien mais vous me laissez mon 8h00 16h00. Bon, ben c'est OK. Ah, pour ça, je sais pas encore, je vous rappellerai demain, OK? Au revoir! Leila : 42 minutes le temps du cours de gym, vestiaire compris. Manu : Ah ben ça s'appelle de la grande précision, ça. Leila : Embrasse-moi fort. Manu : Je t'aime. 4

5 Leila : Je suis pas prête, tu sais. Manu : Mais tu crois pas que je vais faire l'amour en 42 minutes, pardon en 41 minutes à la femme que j'aime. Mais regarde-moi Leila, tu vois pas que je t'aime? Leila : Tu sais, la virginité pour les musulmans, c'est super grave. C'est comme le seul trésor d'une femme, c'est une putain si elle l'a plus. Manu : Je suis OK là-dessus. Je suis pas très moderne moi non plus, tu sais. Je préfère t'épouser. Leila : M'épouser? Tu connais pas les musulmans. Manu : Quoi, je demande à ton père combien tu vaux de chameaux, je trouve les chameaux et puis voilà. Ecoute-moi Leila, je plaisante plus, je n'ai jamais rien eu facilement dans ma vie, personne m'a aidé, personne. Je suis devenu médecin parce que je le voulais plus que tout. J'ai travaillé jour et nuit pour ça. Mais aujourd'hui, c'est toi que je veux plus que tout. Crois-moi Leila, tu seras ma femme, je te le jure. Leila : Manu était le contraire de tout ce que ma mère disait des hommes. Leila : J'aimais le format de son corps, je m'encastrais si bien à lui, on aurait dit qu'il était venu au monde avec moi dans le dos. Manu : Calme-toi, y'a personne. Leila : Oui. Manu : J'étais comme un fou à essayer de comprendre cette peur inexplicable qu'elle avait en permanence. Leila : Manu? Pardon! Leila : Tu vois, il me comprend, il me respecte. Sarah : Comment ça, te respecte? Tu veux dire que depuis six mois vous avez pas... Mère : Vous me libérez la chambre, les filles, excuse-moi, Sarah, les petites vont se coucher. Sarah : Je partais, Madame Benlaga. Vous avez jamais baisé? Leila : J'étais pas prête, excuse-moi. Sarah : Remarque, il paraît que les cathos sont hyper bloqués là-dessus. Leila : Je m'en fous des religions, moi. Je l'aime. Sarah : La synagogue, la mosquée, ça les rend tous paranos. Pourquoi tu le fais pas si tu l'aimes? T'as peur? 5

6 Leila : J'ai plus peur, non. Je pense à lui tout le temps. Je voudrais être dans ses bras, l'embrasser. Sarah : Ah, la, la, l'amour, l'amour... Leila : Manu, je voudrais qu'on fasse l'amour. Leila : J'ai su ce jour-là ce que c'était que l'amour d'un homme, cette longue, attentive exploration pour que, moi aussi, je puisse découvrir mon corps, pour que je sois heureuse dedans, pour que, moi aussi, je l'aime, pour que partout sur ma peau arrive cette émotion-là, qui faisait de moi une femme. Manu m'a offert ce cadeau comme s'il me mettait au monde. Leila : C'est dur de te quitter. Manu : Sarah te raccompagne? Leila, j'aimerais que tu me présentes à tes parents. Je sais très bien me tenir, tu sais. Leila : Arrête, ça foutrait tout en l'air, tu te rends pas compte. Manu : J'ai attendu ce moment-là pendant des mois, connaître ses parents, voir le mur de sa chambre, le lit où elle dormait, d'après elle, il n'y avait pas d'autre moyen, elle avait consulté mes horaires et choisi le moment, j'étais très nerveux. Père : C'est pas grave, hein? Manu : Elle peut marcher? Père : Elle a 18 ans. Manu : Et ça dure depuis longtemps? Mère : Ca, on peut pas savoir avec elle. Manu : Je ne devais m'adresser qu'à ses parents, Leila avait été formelle. La mère était hystérique, le père était méchant et agressif. Père : Ça va, j'ai mangé pareil. Vous dites si c'est grave, basta. Leila : Non, c'est pas grave. Manu : Faut pas rester avec eux, Leila, ils te font du mal et ils peuvent t'en faire très longtemps, tu sais. Leila : Mais c'est les Arabes ça, y'a rien de méchant là-dedans. C'est exactement comme les Français qui râlent. Ton père il râle pas? Manu : Oh, il râle certainement mais je m'en souviens pas, la dernière fois que je l'ai vu, j'avais 3 ans. Leila : Ta mère alors? Manu : Oui, ma mère râle et alors? Viens vivre avec moi, Leila, je te laisserai jamais tomber. Tu vois pas que je construis ma vie comme une maison, en dur, en solide. Je veux jamais que mes enfants vivent ce que moi j'ai vécu. 6

7 Viens! Leila : Je peux pas, Manu, ça va être le drame si je fais ça, tu te rends pas compte, toi! Manu : Mais enfin, je comprends pas, c'est toi qui décide de ta vie, t'es majeure. Leila : Ecoute, je veux juste qu'ils s'habituent progressivement, qu'ils aient le temps de comprendre. Manu : Qu'ils s'habituent progressivement, mais regarde-toi, t'as 20 minutes de retard et tu crèves de peur. Mère : Ecoute, Mohammed, elle devrait être là depuis 30 minutes mais elle m'écoute plus, elle n'écoute plus rien. Grand-mère : C'est ce que je t'avais dit, il fallait s'y attendre. Maintenant, écoute ta mère, Mohammed! (conversation en arabe au téléphone entre le père et la grand-mère) Mère : Mohammed, ta fille est partie! Leila : Réponds pas, Manu, s'il te plaît, réponds pas! Manu : On n'a rien à se reprocher, je vois pas de quoi t'as peur. Sarah : J'espère que je vous dérange pas? Leila : Tu m'as fait peur Sarah. Manu : On était encore au lit, j'étais de garde cette nuit. Sarah : T'es recherchée par - Tiens, tes clopes - T'es recherchée par les flics, ça te va? Ils ont appelé la morgue, les hôpitaux, tout! Manu : Il faut simplement leur dire où tu es. Leila : T'es fou? Ils vont me tuer! Sarah : Et attends, ils ont fait passer un avis de recherche dans les journaux. Remarque, ça, c'est une idée de mon père mais ça faisait six fois qu'ils appelaient déjà. Leila : C'est pas vrai! Manu : Mais écoute, t'es majeure. Sarah : Tu les connais pas, toi. Je te dis que demain, on va avoir les flics au lycée. Manu : On ne pouvait pas s'installer dans cette parano, il fallait vite trouver quelque chose. Père : Attends-moi là! Mère : Emmène-moi avec toi, Mohammed, je veux la voir moi aussi. Père : Tu m'attends là, j'ai dit. Proviseur : Et bien, je me réjouis de cette réconciliation vous savez. C'est 7

8 tellement idiot parfois, c'est... Mais asseyez-vous, Monsieur Benlaga, je vous en prie. Père : Viens Leila, on s'en va! Leila : Non, attends... Excuse-moi. Proviseur : Mais asseyez-vous voyons, nous sommes entre amis. Père : Elle est encore malade ou c'est l'autre fois qu'elle l'était pas? Proviseur : Permettez-moi de vous présenter le Docteur Manuel Gardinier, un ancien de chez nous. Nous sommes, bien entendu, très fiers ici du Docteur Gardinier. Père : Ça m'a coûté 160 francs. Leila : J'étais malade, Papa. Proviseur : Ecoutez, nous sommes réunis ici dans le but d'arriver à une conciliation. Vous admettez que Leila est majeure, je suppose. Il faut... Père : Tu as toujours fait ce que tu voulais. Proviseur : A la différence que maintenant, elle a la police aux trousses, convenez que ça puisse être inconfortable pour elle. Père : On savait même pas où t'étais. Leila : J'étais chez Manu, Papa, je l'aime. Père : Trois jours et trois nuits que ta mère pleure. Manu : J'aimerais que vous sachiez, Monsieur Benlaga, que moi aussi j'aime Leila et que je mets et que je mettrai tout mon honneur à la respecter et à la protéger. C'est pour ça que je vous demande... Père : Nous, on voulait que tu fasses des études. Comme les hommes, même plus. On était tellement fier de toi. Tu nous rachetais. Tu peux pas comprendre. Tu nous rachetais d'avoir travaillé toute notre vie comme des chiens ici! Leila : Arrête Papa! Proviseur : Mais il n'est pas question qu'elle quitte le lycée, elle a un excellent premier trimestre. Vous serez fier d'elle, vous verrez. Père : Ca servira à quoi si t'es plus là. Leila : Mais on se quitte pas. Père : Bon, si on se quitte pas, viens. Maman nous attend en bas. Leila : Non, je vous appellerai. Mère : Qu'est-ce qu'elle a dit? Tu l'as vue? Elle était là? Mais dis-moi quelque chose, Mohammed! 8