ARTICLE IN PRESS. Laboratoire de psychologie appliquée, stress, santé et société, 57, rue Taittinger, Reims, France

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1 Journal de thérapie comportementale et cognitive (2008) xxx, xxx xxx ARTICLE ORIGINAL Technique d exposition en imagination chez des cibles de harcèlement moral au travail Exposition techniques in imagination with victims of harrassment at work Elisabeth Grebot 1,, Sophie Berjot Laboratoire de psychologie appliquée, stress, santé et société, 57, rue Taittinger, Reims, France MOTS CLÉS Harcèlement moral ; Profils de personnalité ; Cibles ; Harceleurs Résumé Objectif. Cette recherche teste les effets salutaires de l exposition en imagination de 23 cibles de harcèlement, à la représentation de leurs harceleurs en termes de diminution du degré d anxiété. L exposition en imagination consiste en une confrontation de leur description de leurs traits de personnalité à celle de leurs harceleurs, permettant ainsi d identifier la nature dissymétrique de la relation. Méthode. Vingt-trois sujets déclarant être cibles d agissements hostiles complètent l inventaire d anxiété-état de Spielberger (STAI) au cours du premier entretien et du dernier. Durant la recherche, ils complètent le questionnaire en cinq facteurs de Costa et McCrae (NEO PI-R) ainsi que le questionnaire des troubles de la personnalité de Hyler (PDQ 4+), dans leur forme en autoévaluation et en hétéroévaluation, ce, en vue de se décrire et de décrire les traits de personnalité de leurs harceleurs. Résultats. L exposition entraîne bien une diminution significative du degré d anxiété. Par ailleurs, si l ensemble des participants ne présente pas de profil de personnalité particulier au questionnaire du Big Five, presque la moitié des cibles (43 %) obtient un score significatif d un trouble de personnalité obsessionnelle au questionnaire de Hyler. Enfin, nos résultats mettent en évidence que la majorité des harceleurs (87 %) est créditée par leurs cibles de troubles de personnalité narcissique et 43 % de personnalité obsessionnelle. La majorité des harceleurs sont crédités de scores très faibles dans quatre dimensions sur cinq et dans 25 facettes sur 30. L analyse comparative des profils des cibles et leurs harceleurs révèle donc bien la présence d une relation dissymétrique entre la cible et le harceleur Publié par Elsevier Masson SAS pour l Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive. Auteur correspondant. Adresses Elisabeth.Grebot@univ-reims.fr, elisabeth.grebot@orange.fr (E. Grebot). 1 À contacter : 19 bis, rue du calvaire, Saint-Cloud /$ see front matter 2008 Publié par Elsevier Masson SAS pour l Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive. doi: /j.jtcc

2 2 E. Grebot, S. Berjot KEYWORDS Moral harassment; Personality profiles; Relationship target/bully Summary Application of the exposition in imagination technique with victims of moral harassment at work. This research tested the benefits of the technique of exposition in imagination on the level of anxiety of 23 victims, targets of moral harassment at work,. This technique consists in confronting the representation victims have of the person responsible for the harassment, with that they have of themselves. It is based on the description by victims of what they imagine are the personality traits of the person, and of their own, leading either to a symmetry or an asymmetry in the relationship between the two protagonists. Twenty-three targets of harassment completed the State Trait Anxiety Inventory of Spielberger, and both the questionnaire of Costa and McCrae in five factors (NEO PI-R), and Hyler s personality disorders questionnaire (PDQ 4+), for themselves and in the place of the person accused of harassment. Results. The exposition leads effectively to a decrease in anxiety. Moreover, if most participants do not differ from the general population in their answers to the Big Five, answers to Hyler s questionnaire show that almost half of the targets (43%) exhibit a significant score of obsessive personality disorders. Finally, our results show that victims of harassment perceive their opponent as being narcissistic (87%) and obsessive (43%). Most of them obtain low scores on four dimensions out of five on the Big Five and 25 facets out of 30. Comparison of the profiles of targets and their bullies reveals a dominant relational asymmetry between the target and the bully Publié par Elsevier Masson SAS pour l Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive. Le harcèlement moral au travail Le harcèlement moral au travail est une notion très controversée : il est conçu d un côté comme un stress social résultant d une carence organisationnelle [1] ou de nouveaux rapports sociaux (Dejours, 1999), et de l autre, comme une violence exercée par des pervers narcissiques sur des cibles sans profil psychologique particulier [2,3] ou une relation sadomasochiste (Carrefour toulousain sur les perversions), ce que réfute Bourgeois [4] dans un article intitulé «Le pervers narcissique : arlésienne du harcèlement moral». Dans ces différentes approches, les facteurs produisant le harcèlement sont soit exclusivement des traits psychologiques individuels spécifiques aux harceleurs décrits comme des pervers narcissiques [2,3] ou spécifiques aux cibles décrites comme des masochistes ; soit exclusivement psychosociales du coté du collectif ciblant la «désolidarisation du collectif de travail»,le«management favorisant les processus d isolement et de «banalisation du mal». (Dejours, 1993, 1998, 1999). Nous considérons, pour notre part, que le harcèlement requiert une approche intégrative et multidimensionnelle car de nombreux facteurs interagissent, que ce soient des variables organisationnelles, les caractéristiques psychologiques individuelles ou les variables interpersonnelles comme les modalités communicationnelles paradoxales et les modes relationnels pathogènes [6]. Une approche exclusivement individuelle ou intrapsychique est dangereuse, car elle ignore les formes collectives et économiques de harcèlement moral au travail qui visent à contourner les mesures de licenciement qui sont plus fréquentes que les formes individuelles (Debout, 1999 ; Hirigoyen, 2003 [7,8]). Dans une forte majorité des cas (87,5 %), plusieurs personnes sont victimes des mêmes persécuteurs [9] et de plus, le harcèlement dit «individuel», opposant un harceleur et une cible, requiert la complicité de la hiérarchie ou de l institution qui utilise des techniques communicationnelles paradoxales en vue de faire craquer les cibles visées qui souffrent majoritairement d état de stress posttraumatique ([1,9]). Si les facteurs et les objectifs du harcèlement sont systémiques, en revanche, les conséquences du harcèlement s expriment au niveau individuel sous la forme de réminiscences, de reviviscences, d hyperactivité, de pensées suicidaires et de dysfonctionnements cognitifs invalidants. Une atteinte de la capacité de penser résulte de procédés communicationnels paradoxaux qui orientent le projet thérapeutique vers la restauration des capacités cognitives à travers l exposition en imagination de la cible à son harceleur. La communication paradoxale : une atteinte de la capacité de penser La communication paradoxale est une notion élaborée par les thérapeutes familiaux de l École systémique de Palo Alto combinant trois éléments : l existence d une forte relation de complémentarité, c est-à-dire une forte dépendance réciproque ; l émission d un ordre paradoxal dans le cadre de cette relation, c est-à-dire un ordre où il faut désobéir pour obéir ; une interdiction de sortir du cadre (Watlzlawick et al., 1967) [18]. Cette communication paradoxale peut prendre différentes formes dont la «disqualification», particulièrement à l œuvre dans le harcèlement moral au travail. Cette forme de communication paradoxale, pathogène et aux effets destructeurs redoutables, représente un véritable

3 Technique d exposition en imagination chez des cibles de harcèlement moral au travail 3 anéantissement et une antireconnaissance d autrui. La disqualification caractérise, par exemple, certains agissements hostiles répertoriés dans l inventaire de Leymann [1] et atteint la capacité de penser car elle agit comme un microtraumatisme cumulatif «agissant par sommation pour produire un véritable trauma, qui atteindrait chez le sujet sa capacité de penser» [10]. Plusieurs travaux montrent en ce sens que les conséquences du harcèlement sur la santé mentale relèvent de la symptomatologie post-traumatique [1], la quasi-totalité des cibles de harcèlement souffrant de réminiscences post-traumatiques [9]. En conséquence, l objectif du thérapeute se concentrera en premier lieu sur la restauration de la capacité de penser des cibles de harcèlement moral. Sironi [11] a développé une approche thérapeutique auprès de victimes d actes intentionnels (agressions physiques, torture, etc.) où le thérapeute doit aider le patient à rechercher l intentionnalité de l agresseur. Pour cela, la technique d exposition en imagination nous paraît être parfaitement adaptée à ces problématiques spécifiques d agressions intentionnelles. L objectif thérapeutique : la relance de l activité représentative Sironi [11] substitue la recherche de l intentionnalité de «l identification» de l agresseur à l identification à l agresseur qui «ramène l explication à des processus intrapsychiques» et occulte le processus d influence et le point de vue interactif, empêchant ainsi la pensée en termes de processus cognitifs. Sironi insiste alors sur la nécessité d une mise en représentation de l agression en termes de relation entre un agresseur ayant une intentionnalité destructrice et une cible prise au piège d être pensée par un autre. La relance de l activité de représentation est l action thérapeutique à même de restaurer une capacité de penser chez la cible. Ainsi est née l idée d exposer la cible de harcèlement à la représentation de son harceleur en recourant à des questionnaires de personnalité normale et pathologique et de tester la possibilité de créer une distanciation libératrice de l emprise du harceleur sur la cible. Méthode Ce travail teste l efficacité de l exposition en imagination de la cible à la représentation de son harceleur, étudie les profils de personnalité des cibles et des harceleurs et identifie la nature symétrique ou asymétrique de leur relation. Une relation symétrique désigne un mode d interaction relationnelle où le comportement d un partenaire se situe en écho similaire du comportement de l autre. Cette forme s oppose à la complémentarité au sens systémique, fondée sur une différence significative que nous nommerons asymétrique. Instruments d évaluation Les sujets complètent cinq types de questionnaires : un questionnaire d agissements hostiles : le harcèlement est évalué à l aide d un questionnaire composé de 45 agissements hostiles décrits par Leymann (1993) puis regroupés par Hirigoyen [2,3] en quatre catégories d agissements hostiles : les atteintes aux conditions de travail, l isolement et le refus de communication, l atteinte à la dignité, la violence physique, morale, psychique. Les participants doivent indiquer s ils sont l objet ou non de chacun des 45 agissements hostiles à l aide d une échelle allant de un (tout à fait en désaccord) à quatre (tout à fait d accord) ; l inventaire d anxiété-état : l inventaire d anxiété-état de Spielberger (state trait anxiety test, STAI) est un questionnaire d autoévaluation où le sujet évalue ce qu il ressent «à l instant, juste en ce moment» ; le questionnaire en cinq facteurs de personnalité : le questionnaire en cinq facteurs de personnalité de Costa et McCrae [12,13] évalue cinq dimensions de la personnalité («névrosisme, extraversion, ouverture, agréabilité et conscience») et 30 facettes de personnalité ; le questionnaire de diagnostic de la personnalité : le questionnaire de diagnostic de la personnalité de Hyler (personality diagnostic questionnaire, PDQ-4+, 1994, [14]) évalue 12 troubles de personnalité, selon les critères diagnostiques du Manuel diagnostique et statistique des maladies mentales. Procédure Les sujets indiquent les agissements hostiles dont ils sont la cible sur la liste de Leymann [1] et évaluent leur anxiété à l aide du questionnaire d anxiété-état de Spielberger puis, ils décrivent leurs traits de personnalité à l aide des deux questionnaires de personnalité et ensuite, répondent à ces mêmes questionnaires en hétéroévaluation en se représentant la personnalité de leur harceleur. Enfin, ils évaluent de nouveau leur anxiété. Hypothèses L hypothèse 1 L hypothèse 1 postule que l exposition de la cible à la représentation de son harceleur produit une diminution du degré d anxiété à l inventaire d anxiété-état de Spielberger. L hypothèse 2 L hypothèse 2 postule, conformément aux conceptions de Leymann [1] et Hirigoyen [2,3], que les cibles de harcèlement ne présentent pas de trouble de personnalité particulier (hypothèse 2.1) ni de profil de personnalité particulier au Big five (hypothèse 2.2). L hypothèse 3 L hypothèse 3 postule que les harceleurs sont décrits par leurs cibles comme des personnalités présentant des troubles de personnalité pathologiques, principalement narcissiques (hypothèse 3.1) et au questionnaire en cinq facteurs des scores faibles dans les dimensions de l «Agréabilité» et de l «Extraversion» qui indiquent des capacités relationnelles interpersonnelles faibles, (hypothèse 3.2).

4 4 E. Grebot, S. Berjot L hypothèse 4 L hypothèse 4 postule l existence de relations principalement asymétriques entre les cibles et les harceleurs qui se manifestent par des différences significatives entre les deux partenaires du harcèlement sur les cinq dimensions (hypothèse 4.1) et les 30 facettes de personnalité du questionnaire Big Five (hypothèse 4.2). Sujets La population de notre étude est composée de 23 sujets, rencontrés dans des maisons de l emploi ou des associations de lutte contre le harcèlement. L âge des participants s étend de 27 ans à 55 ans avec un âge moyen de 41 ans conformément aux statistiques françaises où la cible est âgée entre 40 et 50 ans (48 ans, [3] ; 46 ans, [9]). Les cibles sont majoritairement des femmes (17/23 ; 74 %). Les statistiques ne sont pas unanimes quant à la surreprésentation des femmes parmi les cibles de harcèlement : en effet, Hirigoyen [3] observe 70 % de femmes alors que «l Association mots pour maux» à Strasbourg constate une majorité de cibles masculines (56,5 % d hommes, 43,5 % de femmes). En revanche, la plupart des enquêtes s accordent à reconnaître que les harceleurs sont plus souvent des hommes. Dans notre population, les harceleurs sont plus souvent des hommes (13/23 = 56 %) que des femmes (10/23 = 44 %). Toutefois, le sexe masque le fait que le harcèlement est hiérarchique. Les harceleurs sont le plus souvent des responsables hiérarchiques masculins. Les hommes sont surreprésentés dans le groupe des harceleurs car ils sont majoritaires au sommet de la hiérarchie des entreprises. Résultats Les 23 sujets retenus dans cette recherche pour l analyse déclarent être cibles d agissements hostiles relevant en premier lieu d atteintes à la dignité, en deuxième, de refus de communication ; en troisième, d atteintes aux conditions de travail et enfin, de violences verbales, physiques ou sexuelles. Anxiété avant exposition et après exposition Les scores au questionnaire d anxiété «état» de Spielberger (1983) sont très élevés avant l exposition (m1 = 58,72 ; et = 16,27) et supérieurs à la norme (m = 40,75 ; et = 10,32) ; tandis qu ils sont moyens après l exposition et significativement différents (m2 = 48,39 ; et = 11,30 ; t = 2,60, p = 0,01). L hypothèse 1 postulant une diminution du degré de l anxiété après la confrontation de la cible à sa représentation du harceleur est validée. Profils de personnalité des cibles Au questionnaire de troubles de la personnalité de Hyler (PDQ 4+), la moitié des cibles (12/23 = 52 %) ne présente pas de trouble de personnalité alors que 43 % (10/23) obtiennent un score supérieur au seuil pathologique en ce qui concerne les traits de personnalité obsessionnelle. L hypothèse 2.1 selon laquelle les cibles de harcèlement ne présentent pas de troubles de personnalité est partiellement validée. Les résultats obtenus par les cibles au questionnaire de personnalité Big Five indiquent que celles-ci obtiennent des scores moyens dans les cinq dimensions. Des tests de Student pour échantillon unique ont été effectués sur chacune des dimensions du Big Five afin de comparer les scores moyens des cibles à la moyenne de la population (m théorique = 50). Aucun des tests ne s est révélé significatif au seuil de 0,05. L hypothèse 2.2 selon laquelle les cibles de harcèlement ne présentent pas de profil de personnalité spécifique aux cinq dimensions du questionnaire en cinq facteurs est validée. L hypothèse 2 est partiellement validée dans la mesure où 43 % des cibles présentent des traits de personnalité obsessionnelle, au questionnaire de troubles de la personnalité. Traits et troubles de personnalité des harceleurs Au questionnaire de troubles de la personnalité de Hyler, tous les harceleurs sont crédités par leurs cibles de troubles de personnalité principalement narcissique (20/23 = 87 %), secondairement obsessionnelle (10/23 = 43 %) ou antisociale (8/23 = 34 %). L hypothèse 3.1 selon laquelle les harceleurs sont perçus par leurs cibles comme des personnalités narcissiques est validée. De plus, le trouble de personnalité narcissique est souvent associé à un trouble de personnalité obsessionnelle. Au Big Five, nos résultats mettent en évidence des scores faibles ou très faibles dans quatre des cinq dimensions du questionnaire indiquant une déficience des harceleurs dans le domaine des relations interpersonnelles («Agréabilité» et «Extraversion») et dans les dimensions d «Ouverture» et de «Conscience». Des tests de Student pour échantillon unique ont été effectués sur chacune des dimensions du Big Five afin de comparer les scores moyens des 23 harceleurs tels qu ils sont décrits par leurs cibles à la moyenne standard de la population (m = 50). Le profil moyen des harceleurs se caractérise par un «Névrosisme» moyen, une «Extraversion» faible (m = 41,91, et = 9,1, t = 4,26, p < 0,000), une «Ouverture» très faible (m = 34,96, et = 6,82, t = 10, 57, p < 0,000), une «Agréabilité» très faible (m = 23,35 et = 9,44, t = 13, 54, p < 0,000) et une «Conscience» faible (m = 37,26, et = 14,48, t = 4, 21, p < 0,000). L hypothèse 3.2 est donc validée. Au niveau des 30 facettes du NEO PI-R, les harceleurs sont crédités par leurs cibles de scores faibles ou très faibles dans 20 facettes sur 30 (six facettes d «Agréabilité», six facettes d ouverture, cinq facettes de «Conscienciosité», deux facettes «Extraversion» (chaleur et émotions positives) et de scores élevés dans trois facettes de personnalité (deux facettes du «Névrosisme» : Colère hostilité et Vulnérabilité au stress, une facette «Extraversion» : assertivité). Les harceleurs sont crédités par leurs cibles de scores faibles ou très faibles dans les six facettes d «Agréabilité» et dans les six facettes d «Ouverture» L «Agréabilité» évalue la capacité d avoir des relations conciliantes, de la considération pour l autre. L «Agréabilité» est définie dans le manuel du NEO PI-R comme une «une dimension qualitative de sociabilité conciliante et non conflictuelle» alors que l «Extraversion» évalue l aspect quantitatif de la

5 Technique d exposition en imagination chez des cibles de harcèlement moral au travail 5 sociabilité, c est-à-dire la capacité d être chaleureux dans les contacts avec autrui. Par ailleurs, plusieurs recherches montrent qu une «Agréabilité» faible est corrélée aux troubles de personnalité narcissique ou obsessionnelle ([12,15] ; Rolland, 1998). En conséquence, la personnalité des harceleurs, telle qu elle est décrite par les cibles à l aide du questionnaire en cinq facteurs et du questionnaire de Hyler, tend à valider partiellement la conception de Hirigoyen [2,3] en ce qui concerne la personnalité narcissique des harceleurs. En effet, le harceleur moyen est décrit comme un individu hostile, égocentrique, doutant des intentions d autrui, préférant la rivalité à la collaboration, ne coopérant pas, très peu conciliant, aimant manipuler autrui, peu sociable, peu scrupuleux, incapable d empathie envers autrui. L hypothèse 3.1 postulant que, les harceleurs sont décrits par leurs cibles comme des personnalités présentant des traits et des troubles de personnalité pathologiques, principalement narcissiques est validée. De la même manière l hypothèse 3.2, postulant que les harceleurs présentent des déficiences dans les relations interpersonnelles, c est-à-dire dans les facettes de l «Agréabilité» et de l «Extraversion», évaluées à l aide du Big Five, est validée. Comparaison des profils de personnalité des deux partenaires Les profils de personnalité des cibles et de leurs harceleurs sur les cinq dimensions du Big Five ont été comparés à l aide de test t de Student pour mesures appariées. Une différence significative existe pour quatre dimensions de personnalité sur cinq à savoir l «Extraversion» (t = 2,318 ; p < 0,030), l «Ouverture» (t = -7,814, p < 0,000), l «Agréabilité» (t =- 10,780, p < 0,000) et la «Conscience» (t = -4,031, p < 0,001). L hypothèse 4.1 est validée dans la mesure où les profils de personnalité des cibles et des harceleurs s opposent significativement sur quatre dimensions du questionnaire sur les cinq évaluées à l aide du questionnaire Big Five. Par ailleurs, nos résultats montrent que les cibles et les harceleurs obtiennent des scores significativement différents dans 25 facettes sur les 30 facettes du questionnaire en cinq facteurs qui sont principalement les facettes de l «Agréabilité» et de l «Ouverture» (12 sur 25 c est-à-dire toutes les facettes de l «Agréabilité» et de l ouverture). Sur la dimension «Conscience», les harceleurs sont décrits par leurs cibles comme peu compétents alors que les cibles se décrivent moyennement compétentes. Ces résultats confirment la place centrale de l incompétence dans le harcèlement défendue par Arquès [16]. La compétence des cibles joue un rôle de révélateur photographique des incompétences du partenaire et joue le rôle de détonateur du déclenchement des hostilités. L hypothèse 4.2 est donc validée : les relations entre les cibles et les harceleurs sont très majoritairement asymétriques. Seuls, deux cibles présentent un profil similaire à celui de leur harceleur aux cinq dimensions de personnalité évaluées au Big Five, décrivant ainsi une symétrie totale sur les cinq dimensions et la plupart des 30 facettes de personnalité du Big Five. La symétrie illustre la notion d escalade symétrique et du fameux «toujours plus de la même chose» de Watzlawick (1972) [18]. Discussion L objectif principal de cette étude était d étudier l influence de la technique de l exposition en imagination d une cible à la représentation de son harceleur. Un objectif secondaire était d étudier la personnalité à la fois des cibles de harcèlement et de la perception que ces dernières peuvent avoir de leur harceleur. Nos résultats vont en grande partie dans le sens de nos hypothèses. Ainsi, notre étude met en évidence que cette technique d exposition en imagination a un effet positif sur l anxiété de la cible. Celle-ci se montre significativement moins anxieuse après l exposition à la représentation en imagination de son harceleur. Toutefois, l affirmation selon laquelle les cibles n ont pas de profil de personnalité particulier n est que partiellement validée. Alors que leur profil de personnalité sur le Big Five ne s écarte pas de la moyenne de la population, celui obtenu au questionnaire de Hyler, met en évidence que presque la moitié de notre échantillon présente des traits de personnalité obsessionnelle. Nous reviendrons sur ce point plus tard. Enfin, la description des harceleurs comme des personnalités narcissiques est, quant à elle, validée. Conformément à la littérature, la majorité des harceleurs sont décrits à l aide des traits de personnalités narcissique (87 %). Mais nos harceleurs sont également crédités de troubles de personnalité obsessionnelle (43 %). Nos résultats concernant les harceleurs vont dans le sens des deux modalités de l exercice du pouvoir et de l emprise décrites par Dorey [17], à savoir la modalité narcissique et la modalité obsessionnelle. Il est toutefois important de signaler que nos données ne peuvent en aucun cas être généralisées à toutes les formes de harcèlement. En effet, c est la relation entre une cible et un harceleur qui nous intéresse et qui représente ici la forme individuelle du harcèlement. De plus, c est davantage la représentation du harceleur par la cible que de la personnalité réelle du harceleur dont il est question ici. Quoiqu il en soit, nos résultats mettent en avant le fait que cette représentation reste conforme à ce qui est habituellement décrit dans la littérature concernant la personnalité des harceleurs. Ce travail représente une première tentative pour tester l efficacité de cette méthode d exposition dans la confrontation d une cible à son agresseur et pour décrire la personnalité des cibles de harcèlement. Il apporte en ce sens des indications précieuses à la fois pour les professionnels de la santé et pour les théoriciens. Comme nous l avons signalé plus haut, nos résultats semblent indiquer que, contrairement à la littérature, le profil de personnalité des cibles de harcèlement n est pas strictement identique à celui de la population générale. Ces cibles s avèrent en grande partie présenter un profil obsessionnel. Ces observations sont essentielles pour l indication et le suivi thérapeutiques et valident l efficacité des techniques d exposition dans le traitement des troubles anxieux qui sont principalement des états de stress post-traumatiques dans le cas du harcèlement moral au travail. En conclusion, bien que ce travail apporte quelques éléments de réponses à la problématique de la relation entre harcelé et harceleur ainsi qu à son traitement, il n en reste pas moins qu il appelle à des travaux ultérieurs, en particulier étant donné le nombre réduit de cibles en partie

6 6 E. Grebot, S. Berjot du au fait que de nombreux professionnels de la santé ou de l emploi ont refusé que leurs patients participent à la recherche car ce protocole focalise l attention sur la relation entre une cible et un harceleur et l évaluation de troubles de la personnalité des cibles. Nous comprenons un refus de la psychologisation et de la victimisation d un problème professionnel aux causes organisationnelles indéniables. Toutefois, les cliniciens sont sollicités par ces patients et notre souci est d élaborer un protocole capable de produire une distanciation libératrice. Références [1] Leymann H. Mobbing. In: La persécution au travail. Paris: Seuil; [2] Hirigoyen MF. Le harcèlement moral. In: La violence perverse au quotidien. Paris: La Découverte et Syros; [3] Hirigoyen MF. Le harcèlement moral dans la vie professionnelle. In: Démêler le vrai du faux. Paris: Syros; [4] Bourgeois ML. Le pervers narcissique : Arlésienne du harcèlement moral. Ann Med Psychol 2004;162: [5] Dejours C. Souffrance en France, la banalisation de l injustice sociale. Seuil; [6] Grebot E. Un cas de harcèlement moral au travail : approche transactionnelle. Ann Med Psychol 2006;164: [7] Debout M. Rapport du Conseil économique et social, le harcèlement moral au travail, Paris, [8] Hirigoyen MF. Le harcèlement moral au travail au travail en J Int Vict 2003;1(3):1 10. [9] Viaux JL, Bernaud JL. Le harcèlement psychologique au travail : une recherche nationale auprès des victimes. Prat Psychol 2001;4: [10] Roussillon R. Paradoxes et situations limites de la psychanalyse. Paris: PUF; [11] Sironi F. Bourreaux et victimes. Psychologie de la torture. Odile Jacb; [12] Costa PT, McCrae RR. Personality disorders and the five-factor model of personality. J Pers Dis 1990;4: [13] Rolland JP, Petot JM. Manuel du NEO PI R. Paris: Éditions du Centre de Psychologie Appliquée; [14] Bouvard M. Questionnaires et Échelles d évaluation de la personnalité. Paris: Masson; [15] Trull T. DSM III-R personality disorders and the five-factor model of personality: An empirical comparison. J Abnorm Psychol 1992;101:p [16] Arquès P. Le harcèlement dans l enseignement. In: Causes, Conséquences Solutions. Paris: L Harmattan; [17] Dorey R. Le désir d emprise. Nouv Rev Psychanalyse 1992;56: [18] Watzlawick P, Helmick Beavin J, Jackson Don D. Une logique de la communication. Paris: Seuil; 1972.