Editions Albin Michel, , rue Huyghens, Paris. ISBN

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Isaac Bruneau
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2 Les Bobines

5 Editions Albin Michel, , rue Huyghens, Paris. ISBN

6 A Henry Bonnier

Avant-propos sur LES BOBINES ou l'examen de passage et NOTES SAUVAGES SUR LE THÉÂTRE ET L'ACTEUR par JEAN-PIERRE JORRIS Je ne vous raconterai pas la pièce.

8 Avant-propos sur LES BOBINES ou l'examen de passage et NOTES SAUVAGES SUR LE THÉÂTRE ET L'ACTEUR par JEAN-PIERRE JORRIS Je ne vous raconterai pas la pièce. Je me contenterai d'en dégager la ligne générale, à savoir l attitude de l'homme en face de la mort, qui apparaît dans Les Bobines sous les traits d'une femme, Madame Athrope, laquelle détient tous les pouvoirs. Cette pièce, à la fois réaliste et baroque, allie l humour à l ironie. L auteur y aborde les grands thèmes essentiels : autant de questions pour l'homme qui s'interroge sur sa condition, principalement sur son salut et la mort. Le temps de la vie n'est rien d autre que le temps de la mort, et l'examen de passage, c'est la vie même, celle de tous les jours, dans sa cruelle réalité. C est-à-dire, pour chacun de nous, passer outre, selon ses moyens, tenter ce passage du mieux qu'il peut, tant bien que mal, pour, finalement, rencontrer au bout du compte la mort qui règle tout.

9 D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous? Qu est-ce que la vie? La mort? Que veut et que fait l'homme ici-bas? Cette vie à vivre est une mort à vivre, «au fond, disait Malraux (je cite), la mort est l'une des prises les plus fortes que l'on ait sur le sens de la vie. Parler de la mort est l'une des façons les plus raisonnables de parler de la vie». En effet, quand on est mort, on n'en parle plus, et la mort devient l'affaire des autres. Entre le berceau et le cercueil, l'homme est «sensé» donner un sens à sa vie ; et c'est le sens qui donne l envie, et vice versa. Je ne sais plus lequel d entre les sages disait : «La vérité que nous cherchons n'existe plus après la mort». Ne serait-ce pas finalement la mort qui donne un sens à la vie? Si l'homme est, entre tous les animaux, qu'il va mourir, le voyage alors n'en est que plus grave, mais aussi plus enthousiasmant. Le seul remède contre la mort, quand on n'est pas candidat au suicide, c'est l'action. Alors il faut vivre avec tenue. Ce que que tout homme doit souhaiter, ou devrait tenter de souhaiter, et que, pour ma part, je me souhaite à moi-même, et aux autres, c'est d avoir la mort souriante d Ivan Illitch. Ce sourire-là est à conquérir ici-bas. L'épreuve du sourire est restée figée dans du Bouddha. Ce sourire-là devient regard. L auteur des Bobines donne la réponse à la vérité que nous cherchons : Amour.

NOTES SAUVAGES SUR L'ACTEUR ET LE THÉÂTRE L acteur est trois : Personne Acteur Personnage. La Personne nourrit et soutien son acteur, au bénéfice du Personnage.

10 NOTES SAUVAGES SUR L'ACTEUR ET LE THÉÂTRE L acteur est trois : Personne Acteur Personnage. La Personne nourrit et soutien son acteur, au bénéfice du Personnage. La peau du Personnage, c'est la peau de la Personne plus quelque chose : le mystère les deux transpirent. Le Personnage ne sait rien de la Personne. Mais la Personne sait tout du Personnage. Qu est-ce jouer? Exister terriblement, aussi bien pour la Personne que pour le Personnage. Madame Simone a dit : «La création de l'acteur remonte à une insatisfaction ressentie dans l'enfance». Etre acteur, c'est peut-être aussi se souvenir de cette insatisfaction, et, devenu adulte, tenir par la main cet enfant qui s'éloigne. Pour l'acteur, il s'agit plus d'un métier. La Personne aide l'acteur. L'expérience de la Personne enrichit le Personnage, et l Acteur. Le théâtre : un homme, une planche, une passion, une lumière. L'Acteur entre le vrai et le faux-semblant. En l Acteur, qui parle? la Personne. L'Acteur se sert de la Personne, mais la Personne est son maître. Le Personnage abouti est la résultante de l union Personne-Acteur. Pendant les répétitions Personne et Acteur sont face à face. Le travail les réunit. L'Acteur travaille sur le Comment. C est la Personne qui questionne et travaille sur le Pourquoi. Dis-moi quel est ton «homme» et je serai ton «acteur». Jean-Pierre JORRIS

Père Eternel m'offrait un repas arrosé d'un vin capiteux. Quand c'est un vieil éléphant qui casse sa défense, cela me cause un tout petit plaisir comme lorsqu'un vieux marin casse sa pipe.

11 Père Eternel m'offrait un repas arrosé d'un vin capiteux. Quand c'est un vieil éléphant qui casse sa défense, cela me cause un tout petit plaisir comme lorsqu'un vieux marin casse sa pipe. Tandis que lorsqu'il s'agit d'un baobab ou d'un olivier séculaire, c'est tout autre autre : un gueuleton! Ceux-là ne se sont pas laissé faire. Quelles batailles avec l'eau, l'orage, le vent, le cyclone, la terre, les hommes, les bêtes, tout le tremblement! Ton collègue des végétaux me donne du fil à retordre... Oh! pas autant cependant que ton autre collègue, celui du monde minéral. Il a des ruses, celui-là, des métamorphoses ce charbon qui devient diamant... Et puis, un beau jour, le diamant, lui aussi, cesse d'être et c'est un grand jour pour moi, la fin de la matière. Les avalanches, les raz de marée, les volcans, autant de festins! Des coups à me faire engraisser! (Pendant qu elle a parlé, Filoche s'est approché du mari ; il a regardé son œil en soulevant les paupières.) Alors, qu est-ce que ça dit? FILOCHE La tête se vide ; le sang se fige... Pas de métamorphose possible... Essaie, essaie! (Sadique.) Tire le fil! (Filoche donne au fil, avec légèreté, de brèves secousses.) Est-ce qu'il souffre? FILOCHE Oui, il souffre. Beaucoup. Infiniment. Ça ne se voit pas! FILOCHE Il souffre terriblement, croyez-moi, madame. Alors, pourquoi ne crie-t-il pas?

12 FI LOCHE Sa souffrance est là justement : il ne peut plus crier. Les autres, autour de lui, qu'est-ce qu'ils en pensent? FILOCHE Les pauvres, ils souffrent aussi, mais eux, ils peuvent le faire savoir... Ils se disent qu'au moins lui, il ne souffre plus. Ils se consolent avec des apparences. Certains se disent déjà que ce sera une délivrance... que, diminué comme il l'était, comme il le serait resté, il vaut mieux au fond, qu'il s'en aille... Ce n'est pas si bête... M Athrope Tout le monde regarde. Le mari s'est relevé, il lâche sa bobine, qui roule à terre. Il titube, jette un dernier regard, les yeux grands ouverts, à la maîtresse. Il va s'écrouler. Les autres le retiennent et veulent l'emmener. Hé là! Pas si vite, mes agneaux, mes brebis, mes moutons. (M Athrope sépare le mari de ses compagnons et fait signe au gendarme de les éloigner.) Je me contenterai de celui-là aujourd'hui. LE MARI, à ses compagnons Ne me quittez pas! Ne me laissez pas seul! Mon amour, donne-moi la main... Laisse-la dans la mienne. Non!

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