QUESTION : Que savons-nous déjà?

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1 DES : Médecine physique et de réadaptation Module : Douleur, oncologie, sida, soins palliatifs, nutrition : apports de la médecine de rééducation. Bordeaux : 21, 22 et 23 février 2007 Titre : Douleurs en oncologie (2/3) : Evidence Based Medicine : application aux soins péri opératoires en chirurgie mammaire Auteur : Fabrice LAKDJA L Evidence Based Medicine : application aux soins périopératoires en chirurgie mammaire Cofemer 2007 et l'auteur Tous droits réservés Fabrice LAKDJA, Florence DIXMERIAS, Laurent LABREZE Contrôle de la Douleur en Oncologie Institut Bergonié Centre de Lutte Contre lecancer 229 cours de l Argonne Bordeaux meil :lakdja@bergonie.org Evidence : la doctrine canonique d Epicure dispose de l existence de 4 sortes d évidences. La passion (le plaisir), la sensation (qui est toujours véridique car les erreurs de sens proviennent uniquement d une mauvaise interprétation de la sensation), l anticipation (ou prolepse = résidu de nos expériences passées), la réflexion( comme la passion provient d expériences réelles). QUESTION : est-il possible de prévenir une douleur post-mastectomie survenue 3 mois après une intervention pour cancer du sein en période périopératoire? Ces 4 sortes d évidence fondent la connaissance objective de la réalité. Le tableau clinique est le suivant : 3 mois suivant une intervention mammaire pour cancer du sein, nous recevons, Mme Charlemagne, 63 ans, institutrice en retraite, qui a subit une mastectomie + évidement axillaire pour tumeur de 4 cms sein droit. En post-opératoires immédiat elle nous dit et nous montre qu elle a dû supporter des douleurs pariéto-thoraciques antérieures intenses. Le diagnostic anapath :CCI de grade intermédiaire. Une adénopathie sur 13 est envahie. Les récepteurs hormonaux positifs+++. Elle a bénéficié d une irradiation: pariétale, chaîne mammaire interne, région susclaviculaire homolatérale. Il lui a été prescrit Tamoxifène 20 mg pour 5 ans Les douleurs intenses sans intervalle libre sont antérieures thoraciques, Elles irradient face interne du bras droit, en région postérieure de l épaule et à la pointe de l omoplate. Il existe des dysesthésies face interne du bras, région axillaire laquelle est le siège d une anesthésie. Que savons-nous déjà? Nous pensons de prime abord, compte tenu des signes et du contexte, qu il s agit probablement d une entité identifiée par l IASP comme une douleur post-dissection axillaire séquellaire. L IASP reconnaît également les douleurs aiguës post-opératoires immédiates dans ce type de chirurgie mammaire et la douleur du sein fantôme. 1 F. LAKDJA 03/03/2007 1/6

2 Face à ce problème complexe nous avons effectué une recherche d informations, de données susceptibles de modifier les recommandations pour la pratique clinique et sur l avis argumenté d experts. Nous rappelons les notions suivantes : Standards : interventions pour lesquelles les résultats sont connus, et qui sont considérées comme bénéfiques, inappropriées ou nuisibles, à l'unanimité. Ils sont l'équivalent d'indications ou contre-indications absolues. Options : interventions pour lesquelles les résultats sont connus, et qui sont considérées comme bénéfiques, inappropriées ou nuisibles, par la majorité. Elles sont l'équivalent d'indications ou contre-indications relatives. Les options sont toujours accompagnées de recommandations. Recommandations : elles ont pour but, lorsqu il existe plusieurs options, de hiérarchiser ces options en fonction du niveau de preuve. Les recommandations permettent également aux experts d exprimer des jugements et des choix concernant notamment des situations d exception et indications spécifiques ainsi que l inclusion des patients dans des essais thérapeutiques. Et les suivantes: Les niveaux de preuve Niveau A : Il existe une (des) méta-analyse(s) «de bonne qualité» ou plusieurs essais randomisés «de bonne qualité» dont les résultats sont cohérents. Niveau B : Il existe des preuves «de qualité correcte» : essais randomisés (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2). Les résultats de ces études sont cohérents dans l'ensemble. Niveau C : Les études disponibles sont critiquables d un point de vue méthodologique ou leurs résultats ne sont pas cohérents dans l'ensemble. Niveau D : Il n'existe pas de données ou seulement des séries de cas. Accord d experts : Il n'existe pas de données pour la méthode concernée mais l ensemble des experts est unanime. Nous avons donc recherché les meilleures preuves scientifiques au moment de leur rédaction (best available evidence) pouvant être des métaanalyses, des essais randomisé ou de études non randomisées. Lorsque les preuves font défaut, le jugement est fondé sur l empirisme. Le niveau de preuve est fonction du type et de la qualité des études disponibles ainsi que la cohérence des résultats. Via «pubmed» avec recherche sur les mots : postmastectomy pain syndrome, post-axillary dissection pain syndrome, intercostobracchial nerve lesion, Post therapy breast syndrome, post-lumpectomy pain in breast cancer, Acute and chronic pain after breast surgery. Nous avons également lu les recommandations de la FNCLCC et l ANAES ainsi que des sociétés savantes. Mais sommes conscients de n avoir pas été exhaustifs et demandons votre indulgence A-Diagnostic Il s agit probablement d une syndrome douloureux postmastectomie puisqu il a été défini par l'iasp comme : une douleur chronique débutant immédiatement ou précocement après une mastectomie ou une tumorectomie et affectant le thorax antérieur, l'aisselle et/ou le bras dans sa moitié supérieure = Standard (International Association for the Study of Pain. Task Force on Taxonomy. Classification of chronic pain : descriptions of chronic pain syndromes and definition of pain terms, 2nd ed. Seattle : IASP Press, 1994) Le SDPM a été décrit en 1989 par Watson et associe les critères diagnostiques suivants absence de maladie récurrente locale, après élimination des autres causes de douleurs postmastectomie, présence de douleurs à type de dyesthésies ipsilatérales à la mastectomie, localisées à la région thoracique antérieure et/ou à la région axillaire et/ou à la partie supérieure et antéro-interne du bras, douleurs persistantes depuis au moins 3 mois, avec à l'examen clinique, au niveau de la région douloureuse, la présence d'une allodynie et/ou d'une hyperesthésie et/ou de paresthésies. B-Causes 1-L'explication physiopathologique pourrait être le fait d'une atteinte du 2 ème nerf intercosto-brachial et parfois de l'existence d'un névrome ou d'un micronévrome. Le nerf intercosto-brachial issu le plus souvent de T2 mais parfois de T1 ou T3 qui donne l innervation sensitive du creux axillaire est anastomosé (anastomose de Hyrtl) au nerf cutané médial du bras (C8-T1) qui innerve la peau de la face médiale du bras. (Watson CPN, Evans RA, Watt VR. The post-mastectomy pain syndrome and the effect of topical capsaicin. Pain 1989 ; 38 : ) (Vecht CJ.et al Pain1989 ; 38 : 171-6) (Carpenter JS,et al J Clin Epidemiol 1998; 51: ) 2 F. LAKDJA 03/03/2007 2/6

3 2-Mais le respect de ce nerf, per opératoire, n évite pas toujours la survenue du syndrome dans certaines études 3-L ablation du ganglion sentinelle seul limiterait significativement la survenue du syndrome Niveau A (Salmon RJ, et al European Journal of Surgical Oncology 1998 : 24 : ) (Miguel R.M. et al. Cancer Control Sept/Oct 2001 vol 8 n ) (Shrenk P,et al Cancer 2000; 88: ). 4- Mais l'atteinte multiple nerveuse peut être également secondaire : à une ischémie, une compression, une dissection, un lymphœdème, une fibrose radique +/ Niveau D 5-Dans peu d études le nevrome du nerf intercostobracchial est incriminé (Wong L. Ann Plast Surg 2001; 46: ). Cinq patientes présentant des névromes sont concernées Le nerf proximal a été implanté profondément dans le muscle intercostal et 12 à 48 mois après la chirurgie toutes les patientes sont soulagées. Niveau C l âge :les jeunes femmes sont statistiquement plus touchées que les plus âgées. Plusieurs théories sont proposées :supériorité de la sensibilité aux lésions nerveuses, des efforts plus importants effectués au niveau axillaire, la nature du cancer en période pré-ménauposique, plus grande l anxiété, chez la jeune femme par rapport à la femme plus âgée. (Miguel RM et al Cancer Control 2001; 8: ) (Smith WCS, et al. Pain 1999; 83:91-95.) L augmentation de l index de masse corporel (Smith WCS, et al Pain 1999; 83:91-95.) est un facteur péjoratif. Plus la taille tumorale est grande plus le risque de développer en SDPM s accroît (Miguel RM et al Cancer Control 2001; 8: ) La mauvaise technique chirurgicale est corrélée à un risque plus élevé Plus le nombre de ganglions envahis est élevé plus le risque augmente (Miguel RM et al Cancer Control 2001; 8: ) (Tasmuth T, et al Eur J Surg Oncol 1999; 25:38-43.) 3 F. LAKDJA 03/03/2007 3/6

4 Une chimiothérapie et/ou une radiothérapie augmentent le risque (Miguel RM et al Cancer Control 2001; 8: ) (Smith WCS, et al Pain 1999; 83:91-95.) Les complications postopératoires telles infections et saignements ou lymphocèles augmentent le risque (Miguel RM et al Cancer Control 2001; 8: ) L anxiété trait, l anxiété état (désignant un ensemble de cognitions et d affects momentanés induits par une situation menaçante) et l utilisation de stratégies de type auto-accusation élevés en préopératoire sont corrélés à un risque de survenue plus élevé de SPDM postopératoire (Bonnaud (Angélique), Chabrol (Henri), Doron (Jack), Lakdja (Fabrice), Swendsen (Joël David), Réactions anxio-dépressives face au syndrome douloureux post-mastectomie.bulletin de psychologie, Tome 55 (4), N 460, 2002, p ). 7- La mauvaise prise en charge de la douleur aiguë postopératoire fait le lit de la douleur séquellaire et chronique (cf EBM de la douleur postop en général) TasmuthT, von Smitten K, Hietanen P, Kataja M, Kalso E. Pain and other symptoms after different modalities of breast cancer. Ann Oncol 1995 ; 3 : F. Bonnet, E. Marret La douleur aiguë postopératoire fait-elle le lit de la douleur chronique? Évaluation et traitement de la douleur 2002, p Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS, et Sfar. L incidence du SDPM est sous estimé par les praticiens. (Carpenter JS, et al. J Clin Epidemiol 1998; 51: ) (Wascher, Robert, M.D,FACS; PostMastectomy Pain Syndromes: A Surgeon's Perspective; (Fassoulaki A, et al Reg Anesth Pain Med 2001; 26: ) La fréquence de survenue varie selon les études de 10 à 65%. Smith WCS, Pain 1999,83 :91-5 (The management of chronic pain in patients with breast cancer Chris Emery, Romayne Gallagher, Maria Hugi, Mark Levine, for the Steering Committee on Clinical Practice Guidelines for the Care and Treatment of Breast Cancer CMAJ 2001;165(9): special supplement to HYPERLINK " 1-Anxiolyse préventive serait bénéfique, elle combinerait l approche psychologique et les médications anxiolytique. (Bonnaud (Angélique), Chabrol (Henri), Doron (Jack), Lakdja (Fabrice), Swendsen (Joël David), Réactions anxio-dépressives face au syndrome douloureux post-mastectomie.bulletin de psychologie, Tome 55 (4), N 460, 2002, p ) (Hack TF, Cohen L, Katz J, Robson LS, Goss P. Physical and Psychological Morbidity after Axillary Lymph Node Dissection for Breast Cancer. J Clin Oncol 1999; 17: ). 4 F. LAKDJA 03/03/2007 4/6

5 2-l analgésie préemptive (Ong CK, Lirk P, Seymour RA, Jenkins BJ. The efficacy of preemptive analgesia for acute postoperative management : a meta-analysis. Anesth Analg 2005 mar ;100(3) :754-6) reste controversée pour plusieurs approches telles l anesthésie locale en infiltration, les AINS, les antihyperalgésiques, les opioïdes. Niveau A Néanmoins les agents tels les alfa-2 agonistes, les antagonistes NMDA, les bloqueurs des canaux sodiques et calciques, les CCK-antagonistes et les antagonistes des récepteurs NK-1 utilisés comme coantalgiques offrent des perspectives intéressantes.(kalso E. Improving opioid effectiveness : from ideas to evidence.eur J Pain 9 (2005) ) Niveau C 3- dans le cadre des SDPM un certain nombre d études montrent de manières diverses l effet préventif : des AINS ne montrent pas d effet préventif. ( Lakdja F, et al Bull Cancer Mar;84(3):259-63) NiveauB1 des substances contre-irritatives comme la capsaïcine surtout en cas de névromes. (Watson CPN, et al Pain 1989 ; 38 : ), (Hautkappe M, et al Clin J Pain 1998 jun ; 14 (2) : ).La douleur et le prurit du syndrome douloureux postmastectomie sont moindres avec la capsaïcine qu avec le placebo 3- dans le cadre des SDPM un certain nombre d études montrent de manières diverses l effet préventif : des doses basses d antidépresseurs seraient efficaces Amytriptiline( KalsoE, et al Pain 1995 ;64 : ), La venlafaxine (Tasmuth T, et al. Eur J Pain ;6 :17-24),(Reuben SS, et al J Pain Symptom Manage 2004 Feb ; 27(2) : 133-9)est efficace pour réduire la douleur neuropathique chez le rat. Son administration chez la femme (1OO patientes subissant une dissection axillaire avec soit tumorectomie soit mastectomie), la veille de l intervention et durant 2 semaines versus placebo, montre une diminution significative de l incidence des douleur pariétales thoraciques (55% vs 19% p=0,0002) douleurs bras (45% vs 17% p=0,00 3) et des douleurs axillaires (51% vs 19% p=0,0009) dans le bras venlafaxine. 3- dans le cadre des SDPM un certain nombre d études montrent de manières diverses l effet préventif : de l anesthésie locale et des corticostéroïdes injectés dans la plaie opératoire mais avec nécessité de répéter en postopératoire ces injections (Fassoulaki A, et al Reg Anesth Pain Med 2001; 26: ) l EMLA en préincisionnel (Fassoulaki A, et al Reg Anesth Pain Med 2000;25: ) 46 femmes reçoivent soit en préopératoire soit en postopératoire pendant 4 jours l EMAL ou le placebo. Elles sont monitorées pour la douleur et 3 mois plus tard, elles sont interrogées sur les signes éventuel du SDPM et des antalgiques pris le cas échéant. La conclusion affichées est que l EMLA réduit la demande antalgique et l incidence et l intensité du SDPM. 3- dans le cadre des SDPM un certain nombre d études montrent de manières diverses l effet préventif : GABAPANTINE Dirks J, Fredensborg BB, Christensen D, Fomsgaard JS, Flyger H, Dahl JB: A randomized study of the effects of single-dose gabapentin versus placebo on postoperative pain and morphine consumption after mastectomy. A nesthesiology 2002; 97: femmes 31 traitée 34 placebo. Un seule dose de 1200 mg per os de gabapantine permet de réduire de manière substantielle(50%) la consommation de mrophine postopératoire et la douleur secondaire au mouvement après une mastectomie radicale. 4-Il convient de rajouter qu il existe des études épidémiologiques qui suggèrent que le sous-traitement des douleurs postopératoires compromet la fonction immunitaire dans le cadre des cancer du sein, tête et cou, colon et rectum et poumon avec des riques d augmentation tumorale et de métastases (Vallejo R et al J Environ pathol Toxicol Oncoil 2003 ; 22 : ). En outre, plusieurs études ont montré que la chirurgie était pourvoyeuse de métastases et que l analgésie systémique associée à l analgésie locale et locorégionale réduisait ce risque (Page GG. Pain and immunosuppression. In : Schäfer M, Stein (eds) mind Over matter Regulation of Peripheral inflammation by the CNS.Basel : Birkäuser Verlag, 2003, pp 57-68) 5 F. LAKDJA 03/03/2007 5/6

6 D-D autres facteurs postopératoires immédiats influencent aussi la survenue du SDPM Facteurs aggravants 62% sur-utilisation du bras 59% massage forcé du bras 42% étirement 38% mouvements brusques 16% froid 14% habillage, tempsmétéorologie, stress, sudation 13% toux 11% manque de mouvement, pression sur le bras, station debout prolongée Facteurs limitants 51% médications 49% repos 46% chaud 22% exercice 19% massage, bas de contention,clinostatisme 11% alcool, prière 3% glace Niveau C (Warmuth MA, Bowen G, Prosnitz LR, Chu L, Broadwater G, Peterson B, Leight G, Winer EP. Complications of Axillary Lymph Node Dissection for Carcinoma of the Breast: A Report Based on a Patient Survey. Cancer 1998; 83: ) (Carpenter JS, Andrykowski MA, Sloan P, Cunningham L, Cordova MJ, Studts JL, McGranth PC, Sloan D, Kenady DE. Postmastectomy/Postlumpectomy Pain in Breast Cancer Survivors. J Clin Epidemiol 1998;) 51: ) Ainsi donc face à notre patiente: Nous pouvons la rassurer : il s agit d un SDPM typique (et non d une récidive) et nous pouvons la traiter. On aurait pu éviter le syndrome ou minimiser son impact par: Prévention primaire: Anticonvulsivant/antidépresseur préopératoire Excellente analgésie périopératoire Niveau A Excellent anxiolyse préopératoire l approche chirurgicale pouvait être mini-invasive. Niveau A/B? Dans presque tous les cas l approche multi-modale et interdisciplinaire reste le meilleurs moyens de succès. Niveau A Prévention secondaire : Tenu compte des situations qui limitent et aggravent les douleurs en postopératoire précoce. Niveau C Les causes de survenues du SDPM sont nombreuses et intriquées et il n est pas inutile d entreprendre de études évaluant les moyens non pharmacologiques et les thérapies cognitico comportementales ainsi que les thérapie brèves (relaxation, hypnose). 6 F. LAKDJA 03/03/2007 6/6