Troubles cognitifs et accès au Web

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1 Troubles cognitifs et accès au Web Claude Touzet Université de Provence, UMR 6149 Neurobiologie Intégrative et Adaptative, Case 362, F Marseille Cedex 20, France Pierre Paubel Université de Provence RÉSUMÉ La recherche d'informations sur le Web est une tâche complexe, impliquant des stratégies diverses selon la nature, l'aspect et le contenu des sites visités. Au cours des années, une standardisation de la page Web est apparue. Cette standardisation dans la présentation visuelle et sémantique doit permettre au visiteur de s'approprier plus rapidement le contenu informationnel de la page et donc du site. Les modèles «standards» proposés ne sont pas adaptés pour les personnes présentant des troubles cognitifs comme les déficits attentionnels et les déficits mnésiques. Nous nous intéressons aux stratégies alternatives mises en œuvre par ces personnes pour obtenir l'information recherchée. MOTS-CLÉS Troubles cognitifs, Web, ergonomie d accès, modélisation des stratégies de recherche 1 INTRODUCTION Aujourd hui, nous étudions les comportements associés aux troubles cognitifs (mnésiques, attentionnels et dyslexies) à l aide de batteries de tests, dont le moins que nous puissions dire c est qu ils ne constituent pas un contexte très naturel. Nous proposons de nous servir d un environnement d expérience tout aussi malléable et facile d utilisation que les tests habituels mais dans le même temps plus naturel : la recherche d information sur le Web. Ce souci d un environnement perçu et conçu comme plus naturel est légitime car il permet de lever les doutes relatifs à l authenticité et la véritable utilisation dans la vie courante des stratégies et raisonnements qui seront mis en évidence. Les standards utilisés pour la création de page/site sont le résultat de plus de 15 ans de développement de la communauté du Web et retracent à l évidence les modèles de comportement de recherche d information sur le Web pour des sujets sains. Nous recherchons des modèles comportementaux pour des patients atteints de troubles mnésiques, de troubles attentionnels ou de dyslexies. Nous sommes aidés dans notre tâche par le travail réalisé par les ergonomes qui ont proposé de nombreuses heuristiques dans le but de rendre les sites Web plus lisibles et plus accessibles, notamment aux personnes atteintes de troubles cognitifs. Notre travail consiste donc à réaliser un classement typologique des heuristiques proposées et de relier cette typologie avec les troubles cognitifs que nous désirons étudier. Nous proposons ensuite une plate-forme de travail permettant d obtenir des modèles de stratégies de recherche d informations sur le Web, d identifier les éléments contextuels nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie et de connaître les variables représentatives de la difficulté perçue de la tâche. 2 COMPORTEMENTS DE VISITE D UN SITE WEB POUR UN SUJET SAIN

2 La recherche d'informations sur le Web est une tâche complexe, impliquant des stratégies diverses selon la nature, l'aspect et le contenu des sites visités. Au cours des années, une standardisation de la page Web est apparue. Cette standardisation dans la présentation visuelle et sémantique doit permettre au visiteur de s'approprier plus rapidement le contenu informationnel de la page et donc du site. La figure 1 présente un exemple de tracking du regard sur une page Web. A partir des informations de position et durée, il est possible de construire un modèle qui positionne dans l espace les différentes rubriques attendues par le visiteur sur une page. Fig. 1. La séquence de points de fixation du regard et la durée de la fixation sur une page Web (ici la page d accueil du Guardian d après [1]). Nous voyons que le logo en haut à gauche est le premier à être vu, puis le titre de la page, les résumés des différentes nouvelles et enfin les menus disponibles. La notion de rapidité est très importante, pourtant disposer d'une connexion rapide (ADSL par exemple) ne réduit pas de facto la durée moyenne de visite des sites Web - mais augmente le nombre de pages consultées par site. Tout se passe comme si l'internaute se donnait un certain délai par site et que, dès lors qu'il estime qu'il ne parviendra pas à faire aboutir sa recherche dans le délai fixé, il abandonne - pour éventuellement recommencer sa recherche sur un autre site. Ayant identifié les différents éléments contextuels (fig. 1) et la notion de délais comme représentative de la difficulté perçue, il est aisé de proposer le modèle présenté sur la Fig. 2 comme illustratif des comportements de recherche d informations sur le Web. Fig

3 . 2. Avec ce modèle, nous comprenons facilement pourquoi un site qui omet le titre et/ou une illustration sur la page sera perçu comme plus difficile, car nécessitant plus de temps par page pour connaître son contenu. La durée totale est considérée comme une fonction de coût. Plus le coût est élevé pour parvenir à l'information recherchée notamment du fait de l absence de certains éléments du modèle plus le site est perçu comme difficile d accès par l utilisateur. Omettre l illustration et le titre de la page, impose que les retours arrière ne pourront être faits qu après au minimum la lecture du résumé. Le coût minimal est donc de 30 s. alors qu il aurait pu être de seulement 5 s. (lorsque l illustration suffit à la prise de décision) ou 15 s. (le titre est aussi nécessaire pour la prise de décision). Les causes des abandons - alors même que l'information recherchée est effectivement disponible sur le site visité - sont donc liées à une présentation peu lisible des pages qui augmente d'autant le temps nécessaire à leur analyse, un nombre de clics (pages) trop importants pour parvenir à l'information recherchée et à des durées de chargement des pages trop longues. Ce modèle est pertinent pour les sujets sains. Dans le cas de sujets handicapés, il est facile de comprendre pourquoi ce modèle n est pas adapté. Ainsi, la notion de délais n est certainement plus la seule dimension à prendre en compte pour mesurer la difficulté d accès. Il faut y adjoindre par exemple la capacité à obtenir effectivement l information recherchée. Pour des sujets non voyants, si les liens hypertextes sont des images et que les balises <alt> ne sont pas remplies, la recherche ne pourra pas aboutir. Dans notre étude, nous nous intéressons à des sujets présentant des troubles cognitifs. 3 TYPOLOGIE DES HEURISTIQUES PROPOSEES POUR LE WEB L Ergonomie propose depuis plusieurs années de nombreuses heuristiques pour la construction et la rédaction destinées à rendre les sites Web plus lisibles et plus accessibles, notamment aux personnes présentant un handicap. Ces heuristiques ont été validées par les instances mondiales du Web [2]. De même, elles ont été retenues par les législateurs (européen et français entre autres [3]) pour définir et garantir des niveaux d accessibilité aux sites Web. Ces heuristiques sont en fait des règles de construction et d écriture des sites Web permettant une meilleure lisibilité des sites, une plus grande facilité de navigation, une interopérabilité plus efficace avec des logiciels d aide (prononciation de texte, affichage braille). Ces règles sont à l évidence légitimes, généralistes et finalement peu faciles à mettre en œuvre, sauf en ce qui concerne l accès du Web pour les malvoyants et les non-voyants. Elles n éclairent pas le comportement de personnes présentant des troubles cognitifs lors de leur accès au Web. Nous avons sélectionné certaines de ces règles (Fig. 3) dans le but de montrer comment nous pouvons les relier avec des processus cognitifs (mémoire, attention). Règles d ergonomie Standardisation de la localisation des menus Limitation du nombre d items proposés par menu Redondance de l information (liens notamment) Lisibilité visuelle Confort visuel : fond clair et caractère sombre (contraste positif) Organisation visuelle des items Impact sur les processus cognitifs Evite de devoir faire appel à la mémoire à court terme pour mémoriser la «nouvelle» position des menus. Rester dans la capacité de la mémoire à court terme, dont nous savons qu elle est limitée (travaux de Miller en 1956) Eviter de devoir faire appel à sa mémoire pour retrouver la position d une information, d un lien déjà vu sur la page ou le site (lien par exemple) Diminution des efforts attentionnels impliqués au niveau perceptif par car la perception est d autant plus rapide que les différences de luminances entre objets et ambiance sont plus marquées. Réduction de la fatigue oculaire et donc des efforts attentionnels par le fait que le diamètre pupillaire est plus petit en contraste positif qu en contraste négatif (ce qui augmente la profondeur de champ). Respect des principes de groupement de la «Gestalt» théorie : proximité,

4 Scannabilité : mots courts, peu nombreux, mise en paragraphes similarité, bonne continuation, connexité. Facilite la lecture (1 saccade par mot maximum), réduit le flux de données à traiter. Aide la lecture et la compréhensions des personnes dyslexiques. Fig. 3. Quelques règles ergonomiques définies pour une meilleure accessibilité des sites Web et leur s impacts sur les processus cognitifs impliqués (mémoire et attention) 4 PLATE-FORME POUR L ETUDE DES COMPORTEMENTS WEB DE PATIENTS SOUFFRANT DE TROUBLES COGNITIFS Notre projet de recherche vise à identifier les informations contextuelles utilisées, les stratégies mises en œuvre et la notion de difficulté perçue par des personnes affectées de troubles mnésiques, de troubles attentionnels ou dyslexiques. Dans ce but, nous allons demander à des sujets atteints de troubles cognitifs (mnésiques, attentionnels ou dyslexie) de visiter différents types de sites Web préparés à leur intention. Nous utiliserons dans ce but les heuristiques énoncées par les ergonomes (cf. fig. 3) et les retours des expériences (construction itérative des sites). Nous demanderons aux sujets à l issue de chaque visite de remplir un questionnaire relatif à la compréhension du site, de nous fournir leur avis sur la qualité du site et d expliciter cet avis. Durant la visite du site, la trajectoire du regard sur les pages affichées sera analysée à l aide d un système de tracking visuel (de la pupille en infra rouge). Enfin, les informations relatives aux pages vues, délais d attente, durée d affichage, chemins parcourus sur les sites, etc. seront disponibles (logs serveurs). Nous utiliserons cette plate-forme (site Web dédiés, questionnaires, tracking visuels et données quantitatives de visite) pour déduire des comportements observés les éléments contextuels utilisés par les patients, ainsi que les importances relatives de ces éléments contextuels les uns par rapport aux autres. Lors de l étape suivante, nous essaierons de proposer des modèles de stratégies de visite des sites Web (par des patients atteints de troubles cognitifs). Au titre des applications potentielles de ces travaux, elles sont de deux types : (1) accessibilité du Web et (2) thérapeutique. 1. Il sera alors possible de proposer des règles de construction des sites Web permettant d améliorer l accessibilité vers de telles personnes. 2. C est un constat couramment réalisé que le simple fait de soumettre des patients atteints de troubles attentionnels ou mnésiques à des tests cognitifs (sensés évaluer leurs performances dans ces mêmes domaines) améliorent singulièrement les performances. Les tests, par la simple mise en œuvre des processus étudiés, semblent dotés de vertu «thérapeutiques». Nous souhaitons explorer plus avant cette voie : le faible coût de mise en œuvre et la grande facilité d accès du Web en feraient un outil thérapeutique absolument remarquable. 6 BIBLIOGRAPHIE 1. Eyetraching Research Report, The Usability Company, May (available on ; last verification February 12, 2004). 2. Web Content Accessibility Guidelines 1.0, W3C Recommendation 5-May-1999 (available on ; last verification February 12, 2004). 3. Circulaire du 7 octobre 1999 relative aux sites internet des services et des établissements publics de l'etat (available on

5 ; last verification Fébruary 12, 2004).

6 Suggestions de ressources Web (dernière vérification des URLs le 12 février 2004): Ergonomie : Mémoire/attention/lecture :