Pouvez-vous décrire votre processus artistique du point de vue technique du début à la fin de la réalisation d une peinture?

Transcription

1 Où travaillez-vous, à quoi ressemble votre atelier? Je travaille dans un ancien atelier de confection qui se trouve dans le jardin de ma maison, à 4 kilomètres au sud de Paris. J y ai fait réaliser des travaux récemment et je dispose d une bonne lumière et d un espace suffisant pour m exprimer. Pouvez-vous décrire votre processus artistique du point de vue psychologique, Avez-vous une idée précise avant de commencer? Démarrez-vous avec des croquis? Le projet d une peinture repose souvent sur celle que je viens de terminer, soit pour lui faire écho soit pour établir un contrepoint. le tableau en cours peut aussi trouver son origine dans toutes sortes d images croisées par hasard, une reproduction, une photo dans un journal etc. La variation des thèmes, portrait, paysages, nature morte, me permet par ailleurs de relancer mon imagination. La préparation d une exposition, avec la nécessité de travailler dans une certaine cohérence constitue aussi un bon moteur. Le rôle traditionnel d étude du croquis dans la conception d une oeuvre est tenu chez moi par la photographie. Une série de clichés que je fais toujours moi-même oriente mes recherches pour l éclairage, la composition, les couleurs etc. L une de ces photos me sert ensuite de modèle pour la réalisation du tableau. J ai donc une idée assez précise de ce que sera l œuvre achevée. Mais cela n exclut heureusement pas tout effet de surprise. Le déroulement de l acte de peindre reste donc pour moi une aventure avec sa part de création, ses hasards et ses surprises. Il n est jamais une simple exécution mécanique. Pouvez-vous décrire votre processus artistique du point de vue technique du début à la fin de la réalisation d une peinture? Pour commencer, la toile est recouverte d une couleur adaptée au projet: gris bleu, gris rose, gris vert. Cette teinte initiale me permet de faire jouer plus facilement que le blanc les couleurs et la lumière. Elle constitue de plus, des irrégularités de surfaces propices à des effets de matières dans les phases suivantes. Je trace sur ce support un dessin précis au fusain. Puis je travaille à la peinture acrylique à l aide de très larges brosses, d abord avec beaucoup de fluidité, puis plus en épaisseurs. Par dessus cette peinture à l eau, je poursuis avec une peinture alkyde ( peinture à l huile séchant très rapidement ). Je renforce les ombres avec des couleurs transparentes, c est-à-dire des «glacis» et les couleurs claires avec des «empâtements» opaques. Pour finir, j utilise une peinture à l huile traditionnelle, j affirme encore les contrastes selon le même principe en veillant aussi à la richesse des couleurs.

2 Quel est votre moment favori dans la réalisation d un autoportrait? Les débuts sont toujours excitants par la nouveauté du projet et la richesse des possibilités. La suite du travail est très intéressante aussi, c est le moment où l idée prend vraiment corps (j ai parfois l impression plaisante d être le spectateur un peu passif de ce qui apparaît). Quant à l achèvement de l œuvre il est une satisfaction, dans la mesure où le but initial est atteint ou bien au contraire parce que le résultat inattendu me satisfait malgré sa distance vis à vis de l idée de départ. Enfin, la toile terminée crée irrésistiblement le désir d en commencer une autre. Pourquoi êtes vous si attaché à ce sujet? Dans les musées, les exposition je fais souvent cette expérience: En entrant dans une grande salle pleine de tableaux : je me sens attiré par un portrait qui ressort par son intensité. Je m approche alors pour lire le cartel et constate le plus souvent qu il s agit d un autoportrait. Au delà donc de toute analyse, de tout raisonnement le genre de l autoportrait possède à mes yeux des qualités et une puissance partculières. Par ailleurs, dès mes débuts, j ai constaté que faire le portrait d un autre, en particulier si c est à mon initiative, c est-à-dire que le modèle n en est pas le commanditaire, pose de délicats problèmes psychologiques. En effet le modèle est presque toujours inquiet du résultat, et cette inquiétude me gêne elle me rend moins libre et m oriente forcément vers une image acceptable par le modèle. C est ainsi que l autoportrait m est apparu comme une solution pour explorer par la peinture un visage sans entraves. Enfin, si l on considère que d une certaine façon, toute œuvre est autoportrait dans la mesure où elle nous renseigne sur le tempérament et les états d âme de l artiste, alors pourquoi ne pas s y livrer directement? Qu avez-vous appris par la répétition constante de l autoportrait? j ai constaté à un moment donné que j avais peint un grand nombre de versions de mon propre portrait. Cela constituait une série. Il m a semblé intéressant voire nécessaire de la poursuivre. J ai alors établi une sorte de protocole, je me suis donné quelques règles concernant par exemple les formats ou des principes de cadrages : Des limites à suivre ou à remettre en question. Je suis moi-même surpris et impressionné par l idée que chaque nouvel autoportrait est différent des autres. L exercice me paraît sans fin. J y ai d ailleurs trouvé l énergie nécessaire pour continuer dans cette voie à une époque où les galeristes

3 pensaient que ce sujet était invendable car, en effet -Qui voudrait accrocher à son mur mon portrait, pour quelle raison? Heureusement certains amateurs ont considéré qu en un sens, mes autoportraits, n étaient pas des «portraits» mais le résultat d une démarche plus profonde qui se réfère à l être humain en général, à son existence, son destin. Mon apparence physique ne serait alors qu un prétexte sans importance, un support nécessaire. Par ailleurs, on peut considérer que la répétition du même sujet rend paradoxalement celui-ci moins important et laisse place à la peinture elle même, un peu comme dans le cas de la peinture abstraite. Combien d autoportraits avez-vous approximativement peints durant toute votre vie? Largement plus d un millier, sans compter les dessins. Travaillez vous avec d autres techniques que la peinture à l huile? J aime beaucoup le papier et toutes les techniques applicables sur ce support, acrylique, aquarelle, encres et tous les crayons, les pastels gras ou secs etc. Changer de technique, les associer dans de nouvelles combinaisons me permet de retrouver de l énergie, de la créativité. Par ailleurs je m intéresse depuis toujours à la photo non seulement pour ce qu elle, peut apporter au peintre, mais aussi pour elle même. Or il existe pour moi une difficulté à mener un travail photographique en parallèle à ma démarche picturale qui est comme je l ai dit très «imprégnée» par la photographie. (D un certain point de vue d ailleurs, la pratique de la peinture d après photo suppose même que celle-ci n est pas satisfaisante en soi). Cependant je crois avoir trouvé un chemin possible à travers les autoportraits en noir et blanc que je réalise depuis une dizaine d années. On peut m y voir dans mon atelier, en relation avec les toiles en cours.il s agit là d une forme de photographie que je n imagine pas pouvoir transposer en peinture, elle peut donc posséder sa vie propre tout en restant en relation très directe avec le reste de mon activité. De quelle façon votre approche de la peinture a-t-elle évoluée avec le temps. Techniquement, elle est devenue plus complexe et plus libre, cependant ce qui me permets d exprimer un certain dynamisme.

4 Comme beaucoup de peintres j ai débuté avec des tons très sombres et j avance vers plus de clarté et plus de couleurs. En outre j ai acquis une sorte de recul avec le temps et je suis aujourd hui conscient de créer une «oeuvre». Chaque toile s inscrit pour moi dans un vaste ensemble. Quelle est la part de défi dans votre processus artistique, la meilleure part? Comme je l ai évoqué, pour ce qui concerne les autoportraits, le défi est de réaliser une version toujours renouvelée du même sujet. C est aussi bien sûr un jeu avec le temps qui passe. J ai pratiqué l autoportrait dès l adolescence c est-à-dire dès que j ai acquis la maîtrise nécessaire pour le faire. Ma première exposition personnelle, alors que j avais vingt ans était déjà entièrement consacrée à ce thème. Mon projet à travers cet éternel face à face est naturellement d évoquer une vie humaine. Les évolutions, les changements combinés de mon apparence, de mon regard, et des moyens que j applique pour les retranscrire. Combien de temps vous demande la réalisation d une toile? Je travaille beaucoup et je peins rapidement. Selon les formats, je peux réaliser une à trois toiles par semaine, le respect des temps de séchage m oblige à travailler sur plusieurs toiles à la fois. Comment pourriez-vous décrire votre style? Pouvez-vous le situer dans un genre existant? J ai des affinités avec l hyperréalisme américain, mais aussi le 17e Hollandais ou le Caravagisme et encore avec certains impressionnistes certains expressionnistes et post-impressionnistes Mon style serait un mélange de toutes ces influences très disparates mais reliées par un rapport direct à l observation du monde réel. Comment définir votre approche des paysages urbains ou autres Qu est-ce qui vous attire vers tel ou tel site? Le portrait, l autoportrait m ont longtemps accaparé et même si dès l enfance j ai été attiré par les paysages peints sur le motif, je ne voyais pas, devenu étudiant, comment peindre un paysage en échappant à une certaine facilité, un résultat convenu. A la fin des années quatre-vingts, j ai quitté Paris, à la recherche d un atelier suffisamment spacieux. J ai alors découvert dans la banlieue des sujets qui m ont inspirés: des entrelacs de bâtiments construits sans beaucoup d organisation, ni schéma pré-établi avec des chocs, des contrastes inattendus, loin de l idée que l on se fait de la beauté d un lieu.

5 Ces zones périphériques n avaient de plus pas beaucoup été traitées par les peintres du passé, elles avaient d ailleurs un caractère mouvant et moderne, cela constituait aussi des arguments pour m y intéresser. Je suis aussi attiré depuis longtemps par les bâtiments industriels, les ponts, les routes, qui font notre environnement quotidien mais que nous avons tendance à ne regarder qu en déplorant leur nécessaire existence. Dans les années quatre- vingt- dix, un revirement s est opéré en moi, j ai considéré comme un défi motivant de peindre aussi des lieux reconnus pour leur beauté et mille fois représentés comme la campagne ou des bords de mer. C est avec le même raisonnement que je me suis autorisé à représenter des fleurs pensant que le sujet importait peu, et que seul comptait le regard et l approche picturale que je pourrais tenter de leur apporter. C est en 2007, grâce à mon premier voyage à New York pour une exposition de groupe chez Axelle, que j ai trouvé ce qui deviendrait jusqu à aujourd hui mon sujet de prédilection. Cette ville présente pour l étranger que je suis un étonnant mélange de familiarité rassurantes et de surprises perpétuelles propices à l inspiration. La question de la beauté y est souvent posée de façon paradoxale, et j y trouve plus qu à Paris ou dans les autres villes que j ai pu fréquenter les couleurs qui me parlent Cependant New-York a tant été représentée par tous les média possibles qu il me fallait trouver une approche un peu personnelle. Je l ai peut-être trouvée en n exploitant pas l aspect très dynamique et bouillonnant de New York si souvent évoqué, Je ne tiens pas compte, par exemple, du foisonnement de la foule ou des voitures. Je m efforce de composer des images calmes, silencieuses d une ville désertée où le temps semblerait arrêté. Il n est pas facile d analyser ce qui déclenche chez moi une impulsion vers tel croisement, telle rencontre de bâtiments, telle perspective, telle confrontation, de matières, ou de couleurs.. Cela relève un peu de l instinct, mais il est certain que dès que je mets les pieds à New-York, je suis «assailli» comme nulle part ailleurs par les sujets possibles J y réalise des centaines de clichés chaque jour et constitue ainsi depuis des années toute une photothèque dans laquelle je peux puiser presque sans fin, de retour à mon atelier. Avez vous des buts à court ou long terme, en tant qu artiste. Vous voyez vous prendre une direction particulière? Comme je l ai indiqué, je n ai pas le choix, je dois poursuivre ma quête sur le thème de l autoportrait. Malgré ce déterminisme, j attends de la nouveauté, des surprises, des remises en question des limites que je me fixe pour avancer. Je souhaiterais par ailleurs réaliser de plus grands formats, aborder le nu, développer mes recherches autour des scènes de groupe et approfondir ma pratique dans le domaine de la photographie pour elle même.

6 Par qui ou par quoi êtes vous inspiré artistiquement ( peintres, metteurs en scène, écrivains etc. Quel artiste contemporain ou passé admirez-vous? Tout est prétexte, même dans la vie courante à l inspiration, comme feuilleter un magasine ou regarder la télévision, je suis avide d images La liste des artistes qui m ont inspiré serait longue et elle varie aussi, bien-sur selon les moments. Je citerais Rembrandt Van Rijn, Diego Vélasquez, Pierre Bonnard, Albert Marquet, Francis Bacon, Lucian Freud, Andy Warhol, Roman Opalka,Chuck Close, Leonardo Cremonini, Istvan Sandorfi pour les peintres. Wim Wenders, Jim Jarmusch pour les cinéastes. Robert Frank, Richard Avedon, Leslie Krims, Robert Mapplethorpe pour les photographes. Il y en a bien d autres et je ne mentionne pas là les rockers et tous les bluesmens dont la production m accompagne durant mon travail sans jamais faiblir. Vous préparez en ce moment une exposition chez Axelle Fine Arts. Combien de temps ce projet vous a-t-il pris? Pouvez-vous nous indiquer ce qui figurera dans cette exposition? J ai commencé à travailler pour cette exposition il y a environ un an tout en menant aussi des projets parallèles. On y verra beaucoup d autoportraits, des têtes et des portraits en pied, des portraits d amis peintres, des paysages de New-York et des fleurs. Avez-vous un conseil à donner à un jeune artiste? L exercice est délicat, on ne peut donner de conseils qu à partir de sa propre expérience et il me paraît présomptueux de croire qu elle est exemplaire. Pour répondre quand même à la question, Il est important selon moi, simplement d essayer d être soi-même tout en admettant qu on se nourrit d influences. Il faudrait d ailleurs prendre en compte la tradition mais être aussi curieux de tout ce qui apparaît. Ne pas négliger la technique, c est-à-dire être un bon artisan. Je livre en fait ici un portait de moi-même tel que j ambitionne d être, un autoportrait en quelque sorte, mais peut-on y échapper?