TIQUE DE FRANCE THÉORÈME DE BEILINSON EXPLICITE
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- Jérémie Bédard
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1 Bulletin de la SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE François Brunault Tome 135 Fascicule SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE Publié avec le concours du Centre national de la recherche scientifique pages
2 Bull. Soc. math. France 135 (2), 2007, p VALEUR E 2 DE FOCTIOS L DE FORMES MODULAIRES DE POIDS 2 : THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE par François Brunault Résumé. ous montrons une version explicite du théorème de Beilinson pour la courbe modulaire X 1 (). Ce résultat est la première étape d un travail reliant, d une part, la valeur en 2 de la fonction L d une forme primitive de poids 2, et d autre part, la fonction dilogarithme associée à la courbe modulaire correspondante, dans l esprit de la conjecture de Zagier pour les courbes elliptiques. Comme corollaire de notre théorème, dans le cas où est premier, nous répondons à une question de Schappacher et Scholl concernant l image de l application régulateur de Beilinson. Abstract (Value at 2 of L-functions of modular forms of weight 2: an explicit version of Beilinson s theorem) We prove an explicit version of Beilinson s theorem for the modular curve X 1 (). This result is the first step of a work linking the value at 2 of the L-function of a newform of weight 2 on the one hand, and the dilogarithm function associated to the corresponding modular curve on the other, in the spirit of Zagier s conjecture for elliptic curves. As a corollary of our theorem, in the case is prime, we answer a question raised by Schappacher and Scholl concerning the image of Beilinson s regulator map. Texte reçu le 2 mars 2006, accepté le 15 mai 2006 François Brunault, Université de Lyon, Unité de mathématiques pures et appliquées, ES, Lyon, France brunault@umpa.ens-lyon.fr Classification mathématique par sujets (2000). 11F67, 11G40, 19F27. Mots clefs. K-théorie algébrique, conjecture de Beilinson, fonction L, valeur spéciale, régulateur, forme modulaire, courbe modulaire, courbe elliptique, dilogarithme. BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE /2007/215/$ 5.00 Société Mathématique de France
3 216 BRUAULT (F.) 1. Introduction Soient 1 un entier et X 1 () la courbe modulaire (complète) définie sur Q associée au sous-groupe de congruence {( ) } a b (1) Γ 1 () = SL 2 (Z) c 0 (mod ), a d 1 (mod ). c d Bloch et Beilinson [6], [4], [5], [22] ont développé des conjectures générales prédisant en particulier, dans le cas de la courbe X 1 (), la valeur spéciale en s = 2 de la fonction L(h 1 (X 1 ()), s) à un facteur rationnel près. Ces travaux ont permis à Goncharov et Levin de démontrer la conjecture de Zagier, reliant la valeur spéciale L(E, 2) associée à une courbe elliptique E définie sur Q, et la fonction dilogarithme elliptique [27], [14]. La conjecture de Beilinson fait intervenir une application régulateur dont la source est le groupe de K-théorie algébrique K 2 (X 1 ()) associé à X 1 (). La définition de cette application est la suivante. Soit F = Q(X 1 ()) le corps des fonctions de X 1 (). Pour toutes fonctions rationnelles u, v F, la forme différentielle (2) η(u, v) = log u d arg v log v d arg u est de classe C hors des zéros et pôles de u et v dans X 1 ()(C). On définit (3) r : K 2 (F ) Hom Q (Ω 1 (X 1 ()), R), ( ) {u, v} ω η(u, v) ω. X 1()(C) L application régulateur r s obtient alors en composant r avec l homomorphisme naturel K 2 (X 1 ()) K 2 (F ). ous écrirons (4) r : K 2 ( X1 () ) Z Q Hom Q ( Ω 1 ( X 1 () ), R ). Après tensorisation de (4) par C, nous obtenons une application, que nous noterons encore r, définie sur K 2 (X 1 ()) Z C et à valeurs dans le dual de S 2 (Γ 1 ()). Rappelons maintenant les résultats de Beilinson. Soit f S 2 (Γ 1 ()) une forme parabolique primitive (propre pour l algèbre de Hecke, nouvelle et normalisée), de caractère ψ. Soit χ un caractère de Dirichlet pair de niveau arbitraire. Beilinson a montré (voir [4], [23]) que la quantité L(f, 2)L(f, χ, 1) est égale à r (γ f,χ ), f pour un certain élément γ f,χ K 2 (X 1 ()) Z C défini à l aide d unités modulaires de niveau divisible par. Un autre ingrédient important est l existence d un caractère χ tel que L(f, χ, 1) soit non nul. Cependant, la méthode de Beilinson souffre des imprécisions suivantes : 1) L écriture de γ f,χ comme symbole de Milnor n est pas explicite. tome n o 2
4 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 217 2) Le régulateur associé à γ f,χ est calculé à un facteur algébrique près. 3) Le caractère χ est choisi parmi une infinité de caractères. Cet article précise les points 1) à 3) ci-dessus. Le résultat principal s énonce de la manière suivante. Soit O ( Y 1 () ) le groupe des unités modulaires définies sur Q de X 1 (). Pour tout caractère de Dirichlet χ modulo, pair et non trivial, il existe une unique unité modulaire u χ O ( Y 1 () ) Z C satisfaisant Ñ é (5) log u χ (z) = 1 π lim s 1 Re(s)>1 χ(n) Im(z)s mz + n 2s (m,n) Z 2 où le symbole indique la sommation sur (m, n) (0, 0). (z H), Théorème 1.1. Soit f S 2 (Γ 1 ()) une forme parabolique primitive, de caractère ψ. Pour tout caractère de Dirichlet χ modulo, pair, primitif et distinct de 1 et ψ, le symbole {u χ, u ψχ } appartient à K 2 (X 1 ()) Z C, et nous avons (6) L(f, 2)L(f, χ, 1) = πτ(χ) r ({u χ, u ψχ }), f. 2ϕ() La démonstration du théorème 1.1 reprend la méthode de Beilinson en explicitant chacune de ses étapes. L intérêt de la formule (6) réside dans le fait qu elle utilise uniquement des unités modulaires de niveau. Signalons aussi que Kato [15, 7] et Scholl [25, Thm ] ont obtenu des formules explicites pour des intégrales de nature analogue. Le lien entre ces formules et la formule (6) n est pas clair pour l auteur. Remarque 1.2. Pour obtenir une information sur L(f, 2) à partir de la formule précédente, il est nécessaire que L(f, χ, 1) soit non nul. Un théorème de Merel (voir l appendice de [8]) entraîne l existence d un caractère pair χ modulo tel que L(f, χ, 1) 0. Il serait donc utile de lever l hypothèse χ primitif dans le théorème 1.1, et de montrer que le caractère χ vérifiant L(f, χ, 1) 0 peut être supposé distinct de 1 et ψ. Le membre de droite de (6) est lié [8, Prop. 17] à la fonction dilogarithme G 1,2 associée à X 1 (), définie par Goncharov [13, Def. 9.1, p. 390]. Le théorème 1.1 peut donc être vu comme la première étape d un travail reliant la valeur en 2 des fonctions L des formes modulaires de poids 2 d une part, et le dilogarithme associé à X 1 () d autre part, dans l esprit de la conjecture de Zagier pour les courbes elliptiques. Une idée de Merel (voir [8, Thm. 93]) permet d exprimer le membre de droite de (6) comme combinaison linéaire explicite de symboles modulaires associés à f. Les coefficients de cette combinaison linéaire sont essentiellement les périodes de la forme différentielle η(u χ, u ψχ ). Lorsque f est la forme primitive BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
5 218 BRUAULT (F.) associée à une courbe elliptique E définie sur Q, on peut alors obtenir une formule pour L(E, 2) en divisant les deux membres de (6) par la période réelle de E. Ces deux résultats feront l objet de publications ultérieures. Le théorème 1.1 permet d apporter une réponse à la question suivante, soulevée par Schappacher et Scholl, concernant l image de l application régulateur r [23, 1.1.3]. otons K le sous-groupe de K 2 (F ) engendré par les symboles {u, v} avec u, v O ( Y 1 () ), et posons (7) K := ( K Z Q) ( K 2 (X 1 ()) Z Q ). otons V l espace d arrivée de l application régulateur (4). Question 1.3. Le groupe r (K ) engendre-t-il l espace vectoriel réel V? Théorème 1.4. Lorsque = p est premier, le groupe r p (K p ) engendre V p. Remarque 1.5. otons T End C (S 2 (Γ 1 ())) l algèbre de Hecke, engendrée par les opérateurs de Hecke T n (n 1) et les opérateurs diamants. ous proposons les deux problèmes suivants, variantes de la question de Schappacher et Scholl : 1) Le groupe r (K ) engendre-t-il V comme T Z R-module? 2) Existe-t-il γ K tel que r (γ) engendre V comme T Z R-module? otre travail s articule de la manière suivante. Les sections 2, 3 et 5 sont essentiellement des rappels sur des notions classiques : fonction de Green, séries d Eisenstein et unités modulaires. La section 4, consacrée au calcul d une intégrale par la méthode de Rankin-Selberg, constitue le cœur de la démonstration du théorème 1.1. Dans la section 6, nous construisons des éléments dans le groupe K 2 (X 1 ()) Z Q à partir de certaines unités modulaires de X 1 (). Enfin, les sections 7 et 8 contiennent respectivement la preuve des théorèmes 1.1 et 1.4. En terminant cette introduction, je souhaite remercier chaleureusement Loïc Merel et Jörg Wildeshaus pour leurs encouragements et conseils quant à la rédaction de cet article. tome n o 2
6 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE Fonction de Green sur une courbe Soit X une surface de Riemann compacte, connexe, non vide. Une forme volume sur X est une 2-forme différentielle réelle de classe C sur X, partout non nulle et d intégrale 1 (voir [18, II, 1], [17, p. 329]). Fixons une forme volume vol X sur X. Soient X = {(x, x) x X} la diagonale de X X et C(X) le corps des fonctions méromorphes sur X. Le diviseur d une fonction méromophe f C(X) sera noté (8) (f) = x X ord x (f) x. Le support de f, noté Supp(f), est l ensemble des zéros et des pôles de f, ainsi (9) Supp(f) = { x X ord x (f) 0 }. ous rappelons maintenant les propriétés de la fonction de Green associée à X. Cette fonction joue le rôle de hauteur archimédienne en géométrie d Arakelov [18, chap. II]. Proposition 2.1 (Arakelov [2]). Il existe une unique fonction (10) G X : X X X R, appelée fonction de Green associée à X (et à vol X ), de classe C et vérifiant les trois conditions suivantes. 1) Pour tout x X, nous avons (11) y y G X (x, y) = iπ vol X ( y X {x} ). 2) Pour tout x X et pour toute coordonnée holomorphe locale z(y) au point x vérifiant z(x) = 0, la fonction (12) y G X (x, y) log z(y), définie sur un voisinage épointé de x dans X, s étend en une fonction de classe C sur un voisinage de x dans X. 3) Pour tout x X, nous avons (13) G X (x, y) vol X = 0. y X Démonstration. L existence de G X est démontrée par Arakelov [2, 1 2]. Coleman [18, II, 4] en a également donné une preuve. L unicité de G X résulte quant à elle facilement des propriétés 1), 2) et 3). ous mentionnons maintenant, sans les démontrer, quelques propriétés supplémentaires de la fonction de Green. BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
7 220 BRUAULT (F.) 4) La fonction G X est symétrique : nous avons (14) G X (x, y) = G X (y, x) (x, y X, x y). 5) La fonction G X a une singularité logarithmique le long de X. Cela signifie que pour tout x 0 X et pour toute coordonnée locale holomorphe z(x) au point x 0, la fonction (15) (x, y) G X (x, y) log z(x) z(y) s étend en une fonction de classe C sur un voisinage de (x 0, x 0 ) dans X X. 6) Pour toute fonction méromorphe f C(X), il existe une constante C f R telle que (16) log f(y) = Cf + ( ) ord x (f) G X (x, y) y X Supp(f), x Supp(f) ous avons en outre C f = X log f vol X. 7) En utilisant le langage des courants, nous pouvons condenser les propriétés 1) et 2) de la fonction G X en une seule équation : pour tout x X, nous avons 1 (17) iπ G X(x, ) = vol X δ x, où δ x désigne le courant d évaluation en x. 3. Séries d Eisenstein Dans cette section, nous suivons de près l exposition remarquable de Siegel [26, p. 1 73]. Le lecteur pourra y trouver les démonstrations que nous avons omises. ous allons introduire certaines séries d Eisenstein, fonctions analytiquesréelles sur le demi-plan de Poincaré H, invariantes sous l action d un sousgroupe de congruence de SL 2 (Z). Soit 1 un entier. Définition 3.1. Pour (u, v) (Z/Z) 2, z H et s C, Re(s) > 1, posons (18) E u,v (z, s) = m u () n v () Im(z) s mz + n 2s, où le symbole indique que l on exclut le terme éventuel (m, n) = (0, 0). tome n o 2
8 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 221 ous aurons également besoin de certaines combinaisons linéaires des séries E u,v. Les séries suivantes sont un cas très particulier de fonctions zêta d Epstein. Définition 3.2. Pour (a, b) (Z/Z) 2, z H et s C, Re(s) > 1, posons (19) ζ a,b (z, s) = Par définition, nous avons (20) ζ a,b = (m,n) Z 2 e (u,v) (Z/Z) 2 e 2iπ 2iπ (ma+nb) Im(z) s mz + n 2s (au+bv) E u,v. D autre part, la transformée de Fourier inverse donne (21) E u,v = 1 2 (au+bv) ζ a,b. (a,b) (Z/Z) 2 e 2iπ Pour (a, b) (Z/Z) 2 et z H fixé, la fonction s ζ a,b (z, s) admet un prolongement méromorphe au plan complexe [26, th. 3, p. 69]. Lorsque (a, b) = (0, 0), le prolongement a un unique pôle en s = 1 ; ce pôle est simple et de résidu égal à π. Lorsque (a, b) (0, 0), le prolongement est holomorphe sur C. otation 3.3. Pour z H, posons Å (22) ζa,b(z) lim ζ a,b (z, s) π ã si (a, b) = (0, 0), = s 1 s 1 ζ a,b (z, 1) si (a, b) (0, 0). D après (21), les fonctions s E u,v (z, s) admettent également un prolongement méromorphe au plan complexe. Elles possèdent un unique pôle en s = 1 ; ce pôle est simple et de résidu égal à π/ 2. En accord avec la notation 3.3, nous posons (23) Å Eu,v(z) = lim E u,v (z, s) s 1 ã π 2 (s 1) ( (u, v) (Z/Z) 2, z H ). Passons maintenant aux deux formules-limite de Kronecker. Ces formules donnent une expression de ζa,b (z). Pour z H, nous poserons y = Im(z). La première formule-limite [26, th. 1, p. 17] s écrit (24) ζ 0,0(z) = 2π ( γ log 2 log y 2 log η(z) ) (z H), où γ désigne la constante d Euler et (25) η(z) = e iπz 12 (1 e 2iπnz ) (z H). n=1 BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
9 222 BRUAULT (F.) La deuxième formule-limite de Kronecker [26, th. 2, p. 40] s écrit de la façon suivante. Soit (a, b) (Z/Z) 2 avec (a, b) (0, 0). Choisissons un couple de représentants (ã, b) de (a, b) dans Z 2. Alors (26) ζ a,b(z) = 2π2 b 2 2 Çã å y 2π log ϑ bz, z, où nous avons posé, pour w C et z H, (27) ϑ(w, z) = e iπz 6 (e iπw e iπw ) (1 e 2iπ(w+nz) )(1 e 2iπ(w nz) ). Les séries d Eisenstein E u,v vérifient la propriété de modularité suivante n=1 (28) E u,v (gz, s) = E (u,v)g (z, s) ( (u, v) (Z/Z) 2, g SL 2 (Z) ). où (u, v)g désigne le produit du vecteur ligne (u, v) par la matrice g. On déduit de (28) (29) E u,v(gz) = E (u,v)g (z) ( (u, v) (Z/Z) 2, g SL 2 (Z) ). En particulier, les séries Eu,v(z) (et donc les séries ζ a,b ) sont invariantes par la transformation z z + et admettent un développement de Fourier (non holomorphe) en la variable e 2iπz. Ce développement de Fourier se déduit des formules-limite de Kronecker. Pour z H et α Q, posons q = e 2iπz et q α = e 2iαπz. Pour tout entier r 1, notons σ(r) la somme des diviseurs positifs de r. ous avons alors (30) ζ0,0(z) = π2 y ( 3 π log y + 2π σ(r) ) γ log 2 + r (qr + q r ) (z H). Écrivons ensuite le développement de Fourier de ζa,0, avec a Z/Z, a 0. otons ζ = e 2iπ. ous avons alors, pour,z H (31) ζa,0(z) = π2 y ( 3 2π log 1 ζ ζa da + π + ) ζ da (q r + q r ). d Écrivons enfin le développement de Fourier de ζa,b, avec a, b Z/Z et b 0. otons B 2 (X) = X 2 X le deuxième polynôme de Bernoulli, et définissons une fonction 1-périodique B 2 sur R par ( ) (32) B 2 (x) = B 2 x x (x R), r=1 r=1 d r tome n o 2
10 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 223 où x désigne le plus grand entier x. Alors la quantité B 2 ( b/) ne dépend pas du représentant b de b dans Z et nous avons Ç å b (33) ζa,b(z) = 2π 2 B 2 y + π α r q r + αr q r (z H), r=1 où les coefficients α r sont donnés par la formule (34) α r = ζ da d d r r/d b () + ζ da d d r r/d b () (r 1). Définition 3.4. Pour toute fonction l : Z/Z C, nous définissons les séries d Eisenstein E l et El par (35) E l = l(v)e 0,v et El = l(v)e0,v. v Z/Z Les propriétés suivantes des séries E l et E l v Z/Z nous seront utiles. 1) Les séries E l et El, vues comme fonctions sur H, sont invariantes sous l action du groupe Γ 1 (). Si M est un diviseur de et l M est une fonction de Z/MZ dans C, il en va de même des séries E lm et El M, puisque Γ 1 () Γ 1 (M). En particulier, toutes ces séries induisent des fonctions sur la courbe modulaire Y 1 ()(C) := Γ 1 ()\H. De plus, ces fonctions admettent des singularités au plus logarithmiques en les pointes de X 1 ()(C). 2) Les applications l E l et l E l sont C-linéaires. otation 3.5. La transformée de Fourier l : Z/Z C de l est définie par (36) l(b) = l(v) e 2iπbv (b Z/Z). v Z/Z ous considérerons également l et l comme des fonctions -périodiques définies sur Z. Le développement de Fourier de El se déduit aisément de celui des séries ζ a,b. Proposition 3.6. Soit l : Z/Z C une fonction de somme nulle. La série d Eisenstein El admet le développement de Fourier ( (37) El l(n) ) (z) = n 2 y + π 1 ( 2 d ( l(d) ) + l( d) ) (q r + q r ). r n Z n 0 r=1 d r BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
11 224 BRUAULT (F.) Démonstration. ous avons El (z) = l(v)e0,v(z) v Z/Z = v Z/Z = 1 2 l(v) 1 b Z/Z 2 (a,b) (Z/Z) 2 ( l(b) a Z/Z e 2iπbv ζ a,b (z) ) ζa,b(z). Puisque l est de somme nulle, nous avons l(0) = 0 et le terme correspondant à b = 0 dans la somme ci-dessus disparaît. ous déduisons de (33) que pour b Z/Z, b 0, nous avons a Z/Z Il en résulte E l (z) = 2π2 Ç å b ζa,b(z) = 2π 2 B 2 y + π ( b Z/Z Ç b l(b)b 2 å ) y+ π 2 r=1 r=1 1 ( d + ) d (q r + q r ). r d r d r d b () d b () 1 ( d ( l(d)+ l( d) ) ) (q r +q r ). r La fonction B 2 est donnée par la série de Fourier suivante, qui converge normalement sur R [9, (1.56), p. 14] : ous en déduisons aisément B 2 (x) = 1 2π 2 b Z/Z ce qui achève de montrer (37). n Z n 0 e 2iπnx n 2 l(b)b 2 ( b ) = π 2 n Z n 0 d r (x R). l(n) n 2, Il est amusant de constater que le développement de Fourier de la série d Eisenstein El fait intervenir naturellement la transformée de Fourier de l. 4. Calcul d une intégrale par la méthode de Rankin-Selberg L espace S 2 (Γ 1 ()) des formes paraboliques de poids 2 pour le groupe Γ 1 () s identifie canoniquement à l espace Ω 1 (X 1 ()(C)) des 1-formes différentielles tome n o 2
12 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 225 holomorphes sur la surface de Riemann compacte X 1 ()(C), au moyen de l application f ω f := 2iπf(z)dz. Dans cette section, nous calculons l intégrale (38) Eχ ω f E χ, X 1()(C) lorsque f est une forme primitive (propre pour l algèbre de Hecke, nouvelle et normalisée), et χ (resp. χ ) est un caractère de Dirichlet pair modulo (resp. modulo un diviseur M de ). Il n est pas difficile de montrer que l intégrale (38) converge absolument, en utilisant la propriété de singularités au plus logarithmiques des fonctions Eχ et E χ. Rappelons que la série L associée à une forme parabolique f S 2 (Γ 1 ()), avec f(z) = n=1 a ne 2iπnz, est définie par (39) L(f, s) = n=1 a n (Re(s) n s > 3 ). 2 Cette fonction admet un prolongement holomorphe au plan complexe. otation 4.1. Pour tout caractère de Dirichlet χ modulo m 1, la série L de f tordue par χ est définie par (40) L(f, χ, s) = n=1 où par convention χ(n) = 0 lorsque (n, m) > 1. a n χ(n) (Re(s) n s > 3 ), 2 Cette fonction admet aussi un prolongement holomorphe au plan complexe. Théorème 4.2. Soit f S 2 (Γ 1 ()) une forme primitive, de caractère ψ. Soient χ un caractère pair modulo et χ un caractère pair modulo un diviseur M de. ous avons (41) Eχ ω f E χ = iπ ϕ() M L(f, 2)L(f, χ, 1) si ψ = χ χ, X 1()(C) 0 sinon, où χ désigne le caractère de Dirichlet modulo induit par χ. ous allons reformuler le théorème 4.2 en utilisant la forme modulaire universelle [21]. BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
13 226 BRUAULT (F.) Rappelons que l algèbre de Hecke T End C S 2 (Γ 1 ()) est le sous-anneau engendré par tous les opérateurs de Hecke T n (n 1) et les opérateurs diamants d (d (Z/Z) ). ous avons un isomorphisme canonique [21, lemma 9] T C = Hom C (S 2 (Γ 1 ()), C), T ( f a 1 (T f) ), où a 1 (.) désigne le premier coefficient de Fourier d une forme modulaire. La série L (éventuellement tordue) de l algèbre de Hecke est définie par (42) L(T, s) = T n 1 n, s L(T, χ, s) = T n χ(n) (Re(s) n s > 3 ). 2 n=1 Elle est à valeurs dans T C et admet un prolongement holomorphe au plan complexe. Via l isomorphisme (42), on a L(T, s), f = L(f, s) et L(T, χ, s), f = L(f, χ, s) pour tout f S 2 (Γ 1 ()). La fonction L(T, s) s interprète aussi comme la fonction L de la forme modulaire universelle Ω définie par (43) Ω = 2iπ T n e 2iπnz dz Ω 1( X 1 ()(C) ) Z T. n=1 n=1 Pour tout caractère de Dirichlet ψ modulo, notons (44) T ψ = { T T C T d = ψ(d) T pour tout d (Z/Z) }. la composante ψ-isotypique de T C. ous avons une décomposition canonique de T C en produit de sous-algèbres (45) T C = ψ T ψ, le produit étant étendu aux caractères de Dirichlet ψ pairs modulo. Les projections de L(T, s) et L(T, χ, s) sur T ψ seront notées respectivement L(T ψ, s) et L(T ψ, χ, s). ous nous proposons de démontrer le résultat suivant, qui entraîne le théorème 4.2. Théorème 4.3. Soient χ un caractère de Dirichlet pair modulo et χ un caractère de Dirichlet pair modulo un diviseur M de. En posant ψ = χ χ, nous avons (46) X 1()(C) E χ Ω E χ ϕ() = iπ M L(Tψ, 2)L(T ψ, χ, 1). tome n o 2
14 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 227 Démonstration. ous pouvons distinguer deux grandes étapes. La première, de nature globale, utilise la méthode de Rankin-Selberg et exprime l intégrale (46) en termes d une convolution de séries de Dirichlet, cf. (54). Pour une introduction à la méthode de Rankin-Selberg, voir [28, 3. B]. La seconde étape, de nature locale, exprime la série de Dirichlet précédente comme un produit eulérien (lemme 4.4). Il est à noter que jusqu au bout du calcul, nous tiendrons compte des facteurs locaux aux mauvaises places, c est-à-dire aux nombres premiers divisant. otons I le membre de gauche de (46). Montrons que I appartient à T ψ. Les séries d Eisenstein E χ et E χ vérifient, avec d (Z/Z) et z H, (47) Eχ( ) d z = χ(d)e χ (z), E χ ( ) d z = χ (d)e (z). χ Si nous effectuons le changement de variables z d z dans l intégrale I, nous obtenons I = χ(d)χ (d) Eχ d Ω E χ, X 1()(C) où d Ω désigne l image réciproque de la forme différentielle Ω par l automorphisme d. L isomorphisme (42) étant compatible à l action des opérateurs diamants, nous avons d Ω = Ω d, où d agit dans le membre de droite par multiplication sur le facteur T du produit tensoriel. Il en résulte I d = χ(d)χ (d)i = ψ(d)i pour tout d (Z/Z), d où I T ψ. Dans l intégrale I, nous pouvons donc remplacer Ω par sa composante de caractère ψ (48) Ω ψ Ω 1( X 1 ()(C) ) C T ψ, Remarquons que d Ω ψ = ψ(d) Ω ψ pour d (Z/Z), c est-à-dire Ω ψ S 2 (Γ 1 (), ψ) C T ψ, où S 2 (Γ 1 (), ψ) désigne le sous-espace des formes de caractère ψ. Pour calculer I, nous pouvons considérer l intégrale étendue au domaine Γ 1 ()\H. ous allons remplacer Eχ par une somme indexée par Γ \Γ 0 (), où Γ est le sous-groupe de SL 2 (Z) formé des matrices ( ±1 k 0 ±1) avec k Z. La fonction Eχ est définie en appliquant le procédé (23) à la fonction E χ. Remarquons que le résidu en s = 1 de la fonction s E χ (z, s) est indépendant de z. Or Ω ψ E χ = d ( E χ Ωψ) = 0, Y 1()(C) Y 1()(C) BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
15 228 BRUAULT (F.) d après la formule de Stokes. Pour calculer I, nous pouvons donc remplacer Eχ par E χ (., s), puis faire s = 1 : I = ( I(s) ) Ç å s=1 = E χ (., s) Ω ψ E χ. Y 1()(C) Le caractère analytique de la fonction I(s) pour s 1, et la possibilité d intervertir le signe et l opération (.) s=1, résultent du fait qu en chaque pointe de X 1 ()(C), la fonction z E χ (z, s) possède un développement de Fourier qui converge uniformément sur tout compact par rapport à s. Maintenant, nous avons χ(n)y s E χ (z, s) = mz + n 2s v (Z/Z) χ(v)e 0,v (z, s) = m 0 () (n,)=1 En introduisant le p.g.c.d. d = (m, n), nous obtenons E χ (z, s) = Or nous avons une bijection d 1 (d,)=1 = d 1 (d,)=1 m 0 () (n,)=1 (m,n)=d (µ,ν)=1 dµ 0 () (dν,)=1 = L(χ, 2s) (µ,ν)=1 µ 0 () (ν,)=1 χ(n)y s mz + n 2s χ(d) d 2s χ(ν)y s µz + ν 2s Γ \Γ 0 () = { (µ, ν) = 1 µ 0 () } / ± 1, χ(ν)y s µz + ν 2s s=1 [( )] a b [ (c, d) ]. c d Puisque 1 agit sans point fixe sur l ensemble des couples (µ, ν) ci-dessus, il vient E χ (z, s) = 2L(χ, 2s) χ(γ) Im(γz) s, γ Γ \Γ 0() où nous avons posé χ(γ) = χ(d) pour γ = ( a b c d ) Γ0 (). Pour z H, notons z = x + iy et posons (49) Ω ψ dx dy E = F (z), χ y 2 tome n o 2
16 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 229 avec F : H T ψ de classe C. La forme différentielle Ω ψ E est de caractère χ χ = ψ χ, tandis que dx dy/y2 est invariante sous l action de SL 2 (R). ous avons donc (50) F (γz) = χ(γ)f (z) (γ Γ 0 (), z H). ous en déduisons I(s) = 2L(χ, 2s) = 2L(χ, 2s) Γ 1()\H γ Γ \Γ 0() Γ 1()\H γ Γ \Γ 0() χ(γ) Im(γz) s F (z) Im(γz) s F (γz) dx dy y 2 dx dy y 2. L espace S 2 (Γ 1 ()) étant trivial pour = 1 ou 2, nous pouvons supposer 3 ; par suite le morphisme Γ 1 ()\H Γ 0 ()\H est fini, de degré 1 2ϕ(). Par conséquent I(s) = ϕ()l(χ, 2s) Im(γz) s dx dy F (γz) y 2 = ϕ()l(χ, 2s) Γ 0()\H γ Γ \Γ 0() Γ \H Im(z) s F (z) dx dy y 2 La dernière égalité est le point-clé de la méthode de Rankin-Selberg. Développons maintenant F en série de Fourier (51) F (x + iy) = m Z Fm (y)e 2iπmx. Un calcul simple utilisant la définition de Ω ψ et E χ, ainsi que le développement de Fourier (37), donne (52) (53) F 0 (y) = 16iπ3 M y2 c n e 4πny (y > 0), n=1 avec c n = Tn ψ dχ (d) T ψ (n 1), d n où nous notons Tn ψ l image de T n dans T ψ pour tout n 1. oter que dans l unique cas M = 1, la formule (37) ne s applique pas à f = χ, mais (30) permet quand même de mener le calcul, aboutissant au même résultat. Il vient BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
17 230 BRUAULT (F.) I(s) = ϕ()l(χ, 2s) = ϕ()l(χ, 2s) = 16iπ3 ϕ() M L(χ, 2s) y s m Z y s F0 (y) dy y 2 F m (y)e 2iπmx c n y s e 4πny dy. n=1 Puisque 0 y s e 4πny dy = Γ(s + 1)/(4πn) s+1, nous obtenons (54) I(s) = 16iπ3 ϕ() M 0 Γ(s + 1) (4π) s+1 L(χ, 2s) c n n, s+1 n=1 dx dy y 2 les coefficients c n étant donnés par (53). ous voici arrivés au terme de la première étape du calcul. Lemme 4.4 (une convolution de séries de Dirichlet). Soient ψ un caractère de Dirichlet modulo et χ 1, χ 2 deux caractères de Dirichlet arbitraires. Posons (55) σ χ1,χ 2 (n) = (n) dχ 1 (d)χ 2 (n 1). d d n ous avons alors pour s C, Re(s) > 5 2 (56) Tn ψ σχ 1,χ 2 (n) n s = L(Tψ, χ 2, s) L(T ψ, χ 1, s 1), L(ψχ 1 χ 2, 2s 2) n=1 où nous avons posé L(ψχ 1 χ 2, s) = n=1 ψ(n)χ 1 (n)χ 2 (n)/n s. Démonstration. ous avons pour tout ɛ > 0 les estimations T n = O(n 1 2 +ɛ ) et σ χ1,χ 2 (n) = O(n 1+ɛ ), ce qui montre la convergence absolue de la série du membre de gauche de (56) pour Re(s) > 5 2. La fonction arithmétique σ χ 1,χ 2 est convolution de deux fonctions multiplicatives. Elle est donc faiblement multiplicative i.e. vérifie σ χ1,χ 2 (mn) = σ χ1,χ 2 (m)σ χ1,χ 2 (n) ( (m, n) = 1 ). Il en va de même de la fonction n Tn ψ 1/n s. Il suit que le membre de gauche de (56) admet l expression en produit eulérien ( ) (57) T ψ p σχ 1,χ 2 (p a ) a p as. p premier a=0 tome n o 2
18 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 231 D autre part, nous avons formellement (58) L p (T ψ, X) := T ψ p 1 a Xa = 1 Tp ψ X + pψ(p) X 2 Tψ [[X]], a=0 où 1 désigne l élément unité de T ψ. ous pouvons calculer σ χ1,χ 2 (p a ) grâce à la multiplicativité de χ 1 et χ 2. ous trouvons χ 2 (p) a+1 (pχ 1 (p)) a+1 si χ 1 (p) 0 ou χ 2 (p) 0; σ χ1,χ 2 (p a χ 2 (p) pχ 1 (p) ) = 1 si χ 1 (p) = χ 2 (p) = 0 et a = 0; 0 si χ 1 (p) = χ 2 (p) = 0 et a 1. Il en résulte que, pour p premier tel que χ 1 (p) 0 ou χ 2 (p) 0, le facteur local en p du produit eulérien (57) est donné par χ 2 (p) χ 2 (p) pχ 1 (p) 1 1 T ψ p χ 2 (p)p s + ψ(p)χ 2 (p) 2 p 1 2s pχ 1 (p) χ 2 (p) pχ 1 (p) 1, 1 Tp ψ χ 1 (p)p 1 s + ψ(p)χ 1 (p) 2 p 3 2s soit après simplifications ( (59) 1 ψ(p)χ1 (p)χ 2 (p) p 2 2s) ( L p T ψ, χ 2 (p)p s) ( L p T ψ, χ 1 (p)p 1 s), et ce dernier résultat est encore valable lorsque χ 1 (p) = χ 2 (p) = 0. Pour tout caractère de Dirichlet ɛ, nous avons ( (60) L p T ψ, ɛ(p)p s) = L(T ψ (, ɛ, s) Re(s) > 3 2). p premier En prenant le produit sur tous les nombres premiers à partir de l expression (59), nous obtenons le résultat souhaité. Suite et fin de la démonstration du théorème 4.3. Reprenons l égalité (54). Utilisons le lemme 4.4 avec χ 1 = χ (modulo M) et χ 2 = 1 (modulo 1). Il vient I(s) = 16iπ3 ϕ() M = 16iπ3 ϕ() M Γ(s + 1) (4π) s+1 L(χ,, s + 1) L(T ψ, χ, s) 2s)L(Tψ L(ψχ, 2s) Γ(s + 1) (4π) s+1 L(Tψ, s + 1) L(T ψ, χ, s), puisque L(ψχ, s) = L(ψχ, s) = L(χ, s). La fonction s 1 2 s (2π) s Γ(s)L(T, s) BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
19 232 BRUAULT (F.) admettant un prolongement holomorphe au plan complexe, il en va de même de la fonction s I(s). En évaluant en s = 1, il vient finalement I = I(1) = iπ ϕ() M L(Tψ, 2)L(T ψ, χ, 1). Cela achève la démonstration du théorème 4.3. Remarque 4.5. Il n y a pas de raison a priori de se limiter à la torsion par un caractère dans le théorème 4.3. La formule (46) reste-t-elle valable si l on remplace χ par une application paire quelconque de Z/MZ dans C? 5. Unités modulaires En vue d obtenir une version explicite du théorème de Beilinson, il est nécessaire d établir un lien précis entre les séries d Eisenstein introduites dans la section 3 et les unités modulaires. Les résultats que nous présentons ici sont classiques [16]. Soit P l ensemble des pointes de la courbe modulaire X 1 ()(C), de sorte que X 1 ()(C) = Y 1 ()(C) P. Par définition, une unité modulaire est une fonction méromorphe u C(X 1 ()) vérifiant Supp(u) P (par abus de langage, nous dirons que u est à support dans P ). Le groupe des unités modulaires sera noté O ( Y 1 ()(C) ). otons Div 0 (P ) le groupe des diviseurs de degré 0 sur P. Le théorème de Manin-Drinfel d [12] énonce que l application naturelle O ( Y 1 ()(C) ) Q Div 0 (P ) Q, u 1 (u) 1 est surjective. ous en déduisons une suite exacte (61) 0 C C O ( Y 1 ()(C) ) C Div 0 (P ) C 0. L ensemble P est décrit par P = Γ 1 ()\P 1 (Q). Par définition, la pointe infinie P est la classe de P 1 (Q). ous choisissons le modèle de X 1 () sur Q tel que cette pointe soit définie sur Q [10, 9.3.6]. Le groupe Γ opère par multiplication à droite sur SL 2 (Z), et nous avons une bijection [( )] = SL 2 (Z)/Γ P 1 a b (Q), a c d c Soit E l ensemble des éléments d ordre du groupe additif (Z/Z) 2. On dispose d une bijection E = Γ1 ()\ SL 2 (Z) faisant correspondre à x E la classe d une matrice ( ) a b c d SL2 (Z) telle que (c, d) x (mod ). On en déduit les identifications suivantes (62) P = Γ1 ()\P 1 (Q) = Γ 1 ()\ SL 2 (Z)/Γ = E /Γ. tome n o 2
20 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 233 otation 5.1. Pour tout (u, v) E, nous notons [u, v] P l image par la bijection (62) de la classe de (u, v) dans E /Γ. Lemme 5.2. Pour toute application l : Z/Z C de somme nulle, la série d Eisenstein El induit une fonction Y 1()(C) C de classe C, qui vérifie El = 0. Démonstration. ous avons vu dans la section 3 que El : H C est de classe C et induit une fonction sur Y 1 ()(C). Montrons que cette dernière fonction est de classe C. L identité (37) nous permet d écrire El = E 1 + E 2, où E 1 (resp. E 2 ) est une fonction holomorphe (resp. antiholomorphe) sur H. otons π : H Y 1 ()(C) la projection naturelle. Soit z 0 H. D après [7, Ex. i), p. 75], nous pouvons trouver une coordonnée locale holomorphe u (resp. v) au point z 0 H (resp. π(z 0 ) Y 1 ()(C)), de telle sorte que la fonction π soit donnée au voisinage de z 0 par v = π(u) = u n, où n est un entier 1 (l indice de ramification de π en z 0 ). Dans ces coordonnées, nous avons donc (63) E l (v) = E 1 (u) + E 2 (u). Soit ζ n = e 2iπ n. ous avons E 1 (uζ n ) + E 2 (uζ n ) = E 1 (u) + E 2 (u) d après l équation (63). Par conséquent, la fonction u E 1 (uζ n ) E 1 (u) = E 2 (uζ n ) E 2 (u) est holomorphe et antiholomorphe, donc constante au voisinage de 0. Cette constante vaut E 1 (0) E 1 (0) = 0, d où E 1 (uζ n ) = E 1 (u) et E 2 (uζ n ) = E 2 (u). Donc E 1 (resp. E 2 ) induit une fonction holomorphe (resp. antiholomorphe) de v. D après (63), la fonction El est alors de classe C sur un voisinage de π(z 0 ) dans Y 1 ()(C) et vérifie El = 0 sur ce voisinage. Toute unité modulaire u O ( Y 1 ()(C) ) induit une fonction holomorphe sur H et ne s annulant pas. Cette fonction est invariante par z z +1 et admet donc un développement de Fourier (64) u(z) = a n q n (z H, q = e 2iπz ) n=n 0 avec a n0 0, de sorte que n 0 = ord (u). ous définissons alors (65) û( ) := a n0, et nous dirons que u est normalisée lorsque û( ) = 1. Par C-linéarité, les définitions de (u), log u et û( ) s étendent au cas où u appartient au groupe O ( Y 1 ()(C) ) C. Remarquons que l application u û( ) scinde la suite exacte (61). BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
21 234 BRUAULT (F.) Proposition 5.3. Soit l : Z/Z C une fonction de somme nulle. Il existe une unique unité modulaire u l O ( Y 1 ()(C) ) C vérifiant (66) log u l = 1 π E l et u l ( ) = 1 C C. L ordre de u l en une pointe P = [u, v] P est donné par 1 (67) ord P (u l ) = (u, ) 2 l(au + bv) B2 (a,b) (Z/Z) De plus, l application l u l ainsi définie est C-linéaire. Ç å b. Démonstration. Soit P = [u, v] P une pointe, avec (u, v) E, et g = ( ) α β γ δ SL2 (Z) une matrice telle que (γ, δ) (u, v) (mod ). D après (29), nous avons El (gz) = l(w)e0,w(gz) w Z/Z = w Z/Z = = 1 w Z/Z l(w)e uw,vw(z) l(w) 1 2 (a,b) (Z/Z) 2 2 (a,b) (Z/Z) 2 l(au + bv) ζ a,b(z). e 2iπ (auw+bvw) ζa,b(z) Puisque l(0) = 0, nous pouvons omettre le terme (a, b) = (0, 0) dans la somme précédente. D après les développements de Fourier (31) et (33), nous voyons que El (gz) admet un développement de Fourier de la forme (68) El (gz) = K P y + α g,0 + α g,r q r + βg,r q r, où K P, α g,r et β g,r sont des nombres complexes (K P ne dépend pas du choix de la matrice g). La constante K P est donnée par r=1 (69) K P = 2π2 2 2 l(au ( b ) + bv) B2. (a,b) (Z/Z) Un paramètre local en la pointe P P est donné par (70) q P = q (u,) = e 2iπ(u,) z. Fixons une forme volume vol X1() sur X 1 ()(C) et notons G X1() la fonction de Green associée, définie dans la section 2. otons π : H Y 1 ()(C) la tome n o 2
22 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 235 projection naturelle. D après (12) et (70), nous avons l estimation (71) G X1()( P, π(gz) ) = log qp + O y (1) 2π(u, ) = y + O y (1) (z H). Définissons une fonction φ sur Y 1 ()(C) par (72) φ = E l + 2π P P K P (u, ) G X 1()(P,.). D après le lemme 5.2, la fonction φ est de classe C. D après (12), (68) et (71), la fonction φ s étend en une fonction de classe C sur X 1 ()(C). ous avons sur Y 1 ()(C) (et donc sur X 1 ()(C)) φ = E l + 2π = i 2 P P P P K P (u, ) iπ vol X 1() K P (u, ) vol X 1(). D après la formule de Stokes X φ = 1()(C) X 1()(C) d( φ) = 0. Comme vol X1() est d intégrale 1, nous en déduisons K P (73) (u, ) = 0. P P Il en résulte φ = 0, c est-à-dire que φ est constante sur X 1 ()(C). D après la suite exacte scindée (61) et (73), il existe une unique unité modulaire u l O (Y 1 ()(C)) C telle que (74) div u l = 2π 2 P P K P (u, ) [P ] et u l( ) = 1 C C. D après (16), il existe une constante C C telle que (75) log u l = C K P 2π 2 (u, ) G X 1()(P, ). P P ous déduisons de (72) et (75) l existence d une constante C C telle que (76) log u l = C + E l π Pour déterminer C, considérons les développements de Fourier des deux membres de (76). D après la définition (65) de u l ( ), le terme constant du développement de Fourier de log u l vaut log u l ( ), c est-à-dire 0. Or, le terme constant du développement de Fourier (37) de El est nul. ous avons donc C = 0. L identité (67) résulte de la définition de u l. D après cette même BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
23 236 BRUAULT (F.) identité, l application l div u l est C-linéaire. Or, u l n est autre que l image de div u l par l application linéaire Div 0 (P ) C O (Y 1 ()(C)) C scindant la suite exacte (61). Donc l u l est C-linéaire. ous appliquons maintenant la proposition 5.3 dans le cas où l est un caractère de Dirichlet χ pair modulo. ous convenons d étendre χ par 0 en une application de Z/Z dans C. La somme de Gauß de χ est définie par (77) τ(χ) = χ(v)e 2iπv. v Z/Z La condition que χ soit de somme nulle équivaut à ce que χ soit non trivial. Dans ce cas, l unité modulaire u χ est donc bien définie. La proposition 5.3 peut être précisée de la manière suivante. Proposition 5.4. Pour tout caractère de Dirichlet χ modulo, pair et non trivial, le diviseur de u χ est donné par L(χ, 2) (78) (u χ ) = π 2 v (Z/Z) /±1 χ(v) [0, v]. Démonstration. Calculons ord P (u χ ) pour P = [u, v] P. ous avons Ç å 1 b ord P (u χ ) = (u, ) 2 χ(au + bv) B 2 (a,b) (Z/Z) 1 = (u, ) (a,b) (Z/Z) 2 w (Z/Z) χ(w)e 2iπ(au+bv)w Ç å b B 2. Or nous avons a Z/Z e 2iπauw = 0 si u 0. Il en résulte ord P (u χ ) = 0 si u 0. Supposons maintenant u = 0, c est-à-dire P = [0, v] avec v (Z/Z). ous obtenons ord P (u χ ) = 1 Ç å χ(w)e 2iπbvw b B 2 b Z/Z w (Z/Z) = 1 Ç å b χ(bv) B 2 b Z/Z L(χ, 2) = χ(v) π 2, comme dans la démonstration de la proposition 3.6. Il en résulte (78). tome n o 2
24 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 237 Remarque 5.5. Pour tout v (Z/Z) /±1, la pointe [0, v] n est autre que l image de la pointe par l opérateur diamant v. Elle est donc définie sur Q. De manière générale, le groupe Aut(C/Q) agit sur P par la règle suivante [23, 3.0.2] (79) [u, v] σ = [ɛ(σ) 1 ( u, v] (u, v) E, σ Aut(C/Q) ), où ɛ : Aut(C/Q) (Z/Z) est le caractère cyclotomique, défini par σ(e 2iπ 2iπɛ(σ) ) = e. ous allons maintenant étudier le corps de définition et le corps des coefficients de l unité modulaire u χ. Pour cela, nous aurons besoin de la définition suivante. otons O ( Y 1 () ) le groupe des unités de l anneau des fonctions régulières de Y 1 (). Il est naturellement inclus dans O ( Y 1 ()(C) ). Pour tout sous-corps K de C, désignons par Y 1 () K l extension des scalaires de Y 1 () à K. Définition 5.6. Soient u O ( Y 1 ()(C) ) Z C et K, L deux sous-corps de C. ous dirons que u est définie sur K et à coefficients dans L lorsque u O (Y 1 () K ) Z L O ( Y 1 ()(C) ) Z C. Lemme 5.7. Pour toute fonction de somme nulle l : Z/Z C, l unité modulaire u l est définie sur Q et à coefficients dans Q( l), le corps engendré par les valeurs de l. Démonstration. Posons L = Q( l). otons Div 0 Q P le sous-groupe de Div 0 P formé des diviseurs qui sont globalement invariants par Aut(C/Q). ous avons un diagramme commutatif (80) 0 Q L O ( Y 1 () ) L Div 0 Q P L 0 0 C L O ( Y 1 ()(C) ) L Div 0 P L 0, où les flèches verticales sont injectives et les lignes sont exactes (l exactitude à droite de la ligne du haut résulte du théorème Hilbert 90). L application u û( ) scinde de manière compatible les deux suites exactes du diagramme (80). D après (67), nous avons ord P (u l ) L pour toute pointe P P. Soit σ Aut(C/Q). Le changement de variables a = ɛ(σ)a dans la formule (67) montre que ord P σ(u l ) = ord P (u l ) (P P, σ Aut(C/Q)). BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
25 238 BRUAULT (F.) En conséquence D = div u l Div 0 Q P L et u l n est autre que l image de D par l une des deux compositions du diagramme commutatif Div 0 Q P L O ( Y 1 () ) L Div 0 P L O ( Y 1 ()(C) ) L. Par suite, nous avons u l O ( Y 1 () ) L. 6. K 2 de la courbe modulaire X 1 () Le groupe de K-théorie de Quillen K 2 (X 1 ()) associé à la courbe X 1 () admet, après tensorisation par Q, la description explicite suivante. otons F = Q(X 1 ()) le corps des fonctions de X 1 (). L application symbole modéré (81) K 2 (F ) =( P ) P Q(P ), P X 1()(Q) où Q(P ) désigne le corps de définition de P, est définie par (82) P : K 2 (F ) Q(P ), {f, g} ( 1) ord P (f) ord P (g) ( f ord P (g) /g ord P (f) ) (P ). La localisation en K-théorie algébrique entraîne alors un isomorphisme [11] (83) K 2 (X 1 ()) Q = Ker( Q). Étant données deux unités modulaires u, v O ( Y 1 () ), nous pouvons former le symbole de Milnor {u, v} K 2 (F ). Dans la proposition suivante, nous donnons une condition suffisante sur u et v pour que {u, v} appartienne à K 2 (X 1 ()) Q. otons D X 1 ()(Q) l orbite de la pointe infinie sous l action des opérateurs diamants. Rappelons qu une unité modulaire u est normalisée lorsque le développement de Fourier de u s écrit u(z) = e 2iπmz + n>m a ne 2iπnz avec m Z. Proposition 6.1. Soient u, v O ( Y 1 () ) des unités modulaires à support dans D et normalisées. Alors le symbole modéré de l élément 2{u, v} K 2 (F ) est trivial. En particulier, on a {u, v} K 2 (X 1 ()) Q. Démonstration. Il suffit d établir P {u, v} = ±1 en tout point P D. Lorsque P =, c est évident puisque u et v sont supposées normalisées. D autre part, nous avons [0,λ] {u, v} = { λ u, λ v } ( λ (Z/Z) / ± 1 ). tome n o 2
26 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 239 Les unités modulaires λ u et λ v sont à supports dans D. Il nous suffit donc de montrer l assertion suivante : pour toute unité modulaire normalisée u, l unité modulaire u λ := λ u est plus ou moins normalisée i.e. vérifie û λ ( ) = ±1. Considérons le diviseur de u comme une fonction paire de (Z/Z) dans C, et décomposons cette fonction suivant les caractères de Dirichlet (pairs) modulo (84) (u) = a χ l χ avec l χ := χ(v) [0, v]. χ v (Z/Z) /±1 Puisque le diviseur de u est de degré 0, la somme porte sur les caractères non triviaux. D après la proposition 5.4 et puisque L(χ, 2) 0 pour tout caractère de Dirichlet χ, nous pouvons écrire (85) (u) = χ 1 a χ (u χ ) (a χ C). Dans le groupe O ( Y 1 () ) C noté multiplicativement, nous avons donc (86) u = C u χ a χ (C Q C). χ 1 Puisque les unités modulaires u et u χ sont normalisées, on a C = 1 et (87) u λ = ( u χ,λ a χ uχ,λ = λ ) u χ. χ 1 Le noyau du morphisme naturel Q Q C étant réduit à {±1}, il suffit de montrer que u χ,λ est normalisée. Puisque (u χ,λ ) = λ (u χ ) = χ(λ) (u χ ), nous pouvons écrire (88) u χ,λ = C χ,λ u χ χ(λ) (C χ,λ Q C). Mais alors, pour λ, µ (Z/Z) / ± 1, on a d une part (89) u χ,λµ = C χ,λµ u χ χ(λµ) et d autre part (90) u χ,λµ = µ u χ,λ = C χ,λ C χ,µ u χ χ(λ) χ(µ), ce qui entraîne C χ,λµ = C χ,λ C χ,µ. L application λ C χ,λ est donc un homomorphisme de groupes. Puisque Q C est un groupe sans torsion, on en déduit C χ,λ = 1, ce qui montre que u χ,λ = u χ χ(λ) est normalisée. BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
27 240 BRUAULT (F.) 7. Démonstration du théorème 1.1 Donnons-nous une forme primitive f S 2 (Γ 1 (), ψ) et un caractère χ modulo, pair, primitif et distinct de 1 et ψ. Les unités modulaires u χ et u ψχ sont normalisées, et à support dans D d après la proposition 5.4. Par conséquent, la proposition 6.1 s applique et {u χ, u ψχ } appartient à K 2 (X 1 ()) C. Le régulateur associé à cet élément s exprime à l aide d une intégrale de Rankin-Selberg, comme le montre le calcul suivant. ( r {uχ, u ψχ } ), f = η(u χ, u ψχ ) ω f = X 1()(C) X 1()(C) ( log uχ d arg u ψχ log u ψχ d arg u χ ) ωf. Pour toute fonction rationnelle u 0, on a Ç å log u log u d arg u = d Im(log u) = d = 1 Å du 2i 2i u du ã u Ç å log u + log u d log u = d Re log u) = d( = 1 Å du 2 2 u + du ã u et par suite d arg u ω f = 1 du 2i u ω f = id ( ) log u ω f. Pour toutes fonctions rationnelles u, v 0, une intégration par parties et la formule de Stokes donnent log u d ( ) log v ω f = log v d ( ) log u ω f. X 1()(C) Il vient donc ( r {uχ, u ψχ } ), f = 2i = 2i = 2i π 2 X 1()(C) X 1()(C) X 1()(C) X 1()(C) log u ψχ d ( log u χ ω f ) log u ψχ ω f log u χ E ψχ ω f E χ. Le caractère χ étant primitif, nous avons χ = τ(χ)χ, d où E χ = τ(χ)e χ. On utilise alors le théorème 4.2 avec M =, ce qui donne ( r {uχ, u ψχ } ), f = 2i π 2 Eψχ ω f E χ τ(χ) X 1()(C) = 2ϕ() L(f, 2)L(f, χ, 1). πτ(χ) tome n o 2
28 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 241 Cela montre (6) et achève la démonstration du théorème Question de Schappacher et Scholl Schappacher et Scholl ont soulevé le problème suivant [23, 1.1.3] concernant l image de l application régulateur r définie en (4). Rappelons que F = Q(X 1 ()) désigne le corps des fonctions de X 1 (). otons K le sous-groupe de K 2 (F ) engendré par les symboles {u, v} avec u, v O ( Y 1 () ) et posons (91) K := ( K Q) ( K 2 (X 1 ()) Q ), où l intersection est définie via (83). De manière informelle, K est formé des éléments de K 2 (X 1 ()) Q que l on peut écrire en termes de symboles de Milnor associés à des unités modulaires de niveau. otons V l espace d arrivée de r. Question 1.3. Le groupe r (K ) engendre-t-il l espace vectoriel réel V? Théorème 1.4. Lorsque = p est premier, le groupe r p (K p ) engendre V p. Démonstration. Rappelons succintement la définition des symboles de Manin [20]. Pour tous points α, β P 1 (Q), notons {α, β} le chemin géodésique reliant α à β dans le demi-plan de Poincaré. Pour tout x E, choisissons une matrice g x = ( ) a b c d SL2 (Z) telle que (c, d) x (mod ), et notons ξ(x) l image dans X 1 ()(C) du chemin {g x 0, g x } (elle ne dépend pas du choix de la matrice g x ). Le cycle ξ(x) est appelé symbole de Manin associé à x. D après [20, 1.6], les symboles de Manin engendrent le groupe d homologie relative H 1 (X 1 ()(C), P, Z). Ils vérifient les relations de Manin (92) ξ(x) + ξ(xσ) = 0 et ξ(x) + ξ(xτ) + ξ(xτ 2 ) = 0 (x E ), avec σ = ( ) ( et τ = 0 1 1), matrices d ordres respectifs 2 et 3 dans PSL 2 (Z). Supposons maintenant = p premier. L ensemble des pointes de X 1 (p)(c) s écrit (93) P p = { [0, λ], λ (Z/pZ) / ± 1 } { [λ, 0], λ (Z/pZ) / ± 1 }. L involution d Atkin-Lehner W p : z 1/(pz) sur X 1 (p)(c) échange les pointes [0, λ] et [λ, 0]. Pour tout λ (Z/pZ) / ± 1, notons u λ O (Y 1 (p)) Q l unique unité modulaire vérifiant (94) div u λ = [0, λ] [0, 1] et û λ ( ) = 1, BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
29 242 BRUAULT (F.) ce qui est possible d après le théorème de Manin-Drinfel d [12] ou bien la proposition 5.4. D après la proposition 6.1, nous avons ( {u λ, u µ } K 2 X1 (p) ) ( Q λ, µ (Z/pZ) / ± 1 ). En particulier {u λ, u µ } K p. otons 1 p le caractère trivial modulo p. Soient χ, χ 1 p deux caractères pairs modulo p. Par linéarité et d après (78), nous avons la formule suivante dans V p R C r p ( {uχ, u χ } ) = L(χ, 2)L(χ, 2) π 4 λ,µ (Z/pZ) /±1 χ(λ)χ (µ)r p ( {uλ, u µ } ). ( Puisque r p {uχ, u χ } ) r p (K p ) C, il suffit de montrer que l espace vectoriel complexe V engendré par les r p {uχ, u χ } ) est égal à V p R C. Les ( unités modulaires u χ étant propres pour l action des opérateurs diamants, il en va de même des symboles {u χ, u χ }. L application régulateur étant compatible aux diamants, il suit que l espace V est stable sous l action de ces opérateurs. Il suffit donc de montrer que pour tout caractère ψ modulo p, les composantes ψ-isotypiques de V et V p R C sont égales. Or nous avons (V p R C) ψ = S 2 (Γ 1 (p), ψ), et puisque p est premier, l espace S 2 (Γ 1 (p), ψ) est engendré par les formes primitives de caractère ψ. Pour toute telle forme f, nous avons d après le théorème 1.1 rp ( {uχ, u ψχ } ), f = 2(p 1) L(f, 2)L(f, χ, 1) pπ τ(χ) (χ 1 p, ψ). Pour toute forme primitive f, on a L(f, 2) 0. L endomorphisme de S 2 (Γ 1 (p), ψ) associant à une forme primitive f la forme L(f, 2)f est donc un isomorphisme. On est finalement ramenés au problème suivant : montrer que les formes linéaires f L(f, χ, 1), avec χ caractère pair modulo p et χ 1 p, ψ, engendrent le dual de S 2 (Γ 1 (p), ψ). otons H ψ = H 1 (X 1 (p)(c), P p, ψ) la composante ψ-isotypique du groupe d homologie relative H 1 (X 1 (p)(c), P p, C). otons également H + 1 (X 1(p)(C),.) le sous-espace invariant par la conjugaison complexe agissant sur X 1 (p)(c). L intégration induit un isomorphisme (95) S 2 ( Γ1 (p), ψ ) = H + 1 ( X1 (p)(c), ψ ). L image de la forme linéaire f L(f, χ, 1) par cet isomorphisme s exprime en termes de symboles de Manin. Un calcul classique [20, th. 3.9 et 4.2.b)] donne que la forme linéaire f L(f, χ, 1) correspond au cycle (96) θ χ = τ(χ) ß v ψ p p, (χ 1 p, ψ), v (Z/pZ) χ(v) tome n o 2
30 THÉORÈME DE BEILISO EXPLICITE 243 où l on note c ψ la projection d un cycle c sur la composante ψ-isotypique. ous avons W p {v/p, } = ξ(1, v), d où (97) W p θ χ = τ(χ) p ξ(1, χ)ψ avec ξ(1, χ) := χ(v)ξ(1, v). v (Z/pZ) otons A ψ le sous-espace de H + 1 (X 1(p)(C), ψ) engendré par les cycles ξ(1, χ) ψ, avec χ 1 p, ψ. Il suffit de montrer A ψ = H + 1 (X 1(p)(C), ψ). D après le théorème de Manin, l espace H ψ est engendré par les cycles ξ(x) ψ, où x E p. Puisque ξ(λx) ψ = ψ(λ)ξ(x) ψ pour tout λ (Z/pZ), il suit que H ψ est engendré par les cycles ξ(0, 1) ψ et ξ(1, v) ψ, avec v Z/pZ. D après la première relation de Manin ξ(1, 0) = ξ(0, 1), et H ψ est encore engendré par les ξ(1, v) ψ, avec v Z/pZ. Le bord de ξ(1, 0) ψ étant non nul (par un calcul direct), et la conjugaison complexe envoyant ξ(1, v) sur ξ(1, v), il suit que H 1 + (X 1(p)(C), ψ) est contenu dans le sous-espace de H ψ engendré par les cycles ξ(1, v) ψ + ξ(1, v) ψ, avec v (Z/pZ). Or, nous avons la formule ξ(1, χ) ψ = (χ caractère modulo p). v (Z/pZ) χ(v)ξ(1, v) ψ Par transformée de Fourier inverse, l espace H 1 + (X 1(p)(C), ψ) est contenu dans le sous-espace de H ψ engendré par A ψ, ξ(1, 1 p ) ψ et ξ(1, ψ) ψ. Pour nous débarasser de ces deux derniers cycles, nous utilisons la première relation de Manin : ξ(1, 1 p ) ψ = 1 ψ(λ)ξ(λ, λv) p 1 v (Z/pZ) λ (Z/pZ) = 1 p 1 = 1 p 1 v (Z/pZ) w (Z/pZ) ψ(λ)ξ(λv, λ) λ (Z/pZ) µ (Z/pZ) ψ(µw)ξ(µ, µw) = ξ(1, ψ) ψ. ous devons maintenant distinguer deux cas. Si ψ = 1 p, alors ξ(1, 1 p ) ψ = 0 et l on a bien A ψ = H 1 + (X 1(p)(C), ψ). Supposons maintenant ψ 1 p. ous savons que H 1 + (X 1(p)(C), ψ) est contenu dans le sous-espace de H ψ engendré par A ψ et ξ(1, 1 p ) ψ. Mais le calcul du bord donne ξ(1, 1 p ) ψ = ψ(λ)[λ, 0] 0, λ (Z/pZ) ce qui entraîne A ψ = H + 1 (X 1(p)(C), ψ). Remarque 8.1. La question 1.3 admet une généralisation naturelle pour tout sous-groupe de congruence Γ SL 2 (Z) tel que la courbe modulaire associée à Γ soit définie sur Q. Pour Γ = Γ 0 (p), avec p premier tel que le genre BULLETI DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRACE
31 244 BRUAULT (F.) de X 0 (p) est non nul, l analogue du théorème 1.4 est faux [23, (i)]. On voit donc que les propriétés d engendrement des groupes K 2 associés aux courbes modulaires X 0 () et X 1 () diffèrent sensiblement. En particulier, étant donnée une courbe elliptique E sur Q de conducteur, il semble plus naturel de paramétrer E par X 1 () pour obtenir des informations sur la valeur spéciale L(E, 2). Le théorème 1.4 suggère également la question suivante. Soit X 1 () Z un modèle propre et régulier de X 1 () sur Z. Un tel modèle existe d après la résolution des singularités [1], [19], [3]. On définit un sous-groupe K 2 (X 1 ()) Z de K 2 (X 1 ()) par (98) K 2 (X 1 ()) Z = Image ( K 2(X 1 () Z ) K 2 (X 1 ()) ). D après [24, rem. p. 13], ce sous-groupe ne dépend pas du choix du modèle (propre et régulier) X 1 () Z. L inclusion K 2 (X 1 ()) Z K 2 (X 1 ()) identifie alors K 2 (X 1 ()) Z Q à un sous-espace vectoriel de K 2 (X 1 ()) Q. Conjecturalement [11], l espace vectoriel K 2 (X 1 ()) Z Q est de dimension finie égale à g 1 () := genre(x 1 ()). D autre part, Schappacher et Scholl ont démontré [23, (iii)] que K K 2 (X 1 ()) Z Q. Par souci de simplicité, supposons maintenant = p premier impair. Au cours de la démonstration du théorème 1.4, nous avons construit des éléments {u λ, u µ } K p pour λ, µ (Z/pZ) / ± 1. Par antisymétrie, ces éléments sont en nombre 1 8 (p 1)(p 3). D autre part, nous avons l estimation g 1(p) 1 24 p2 lorsque p tend vers l infini [10, 9.1.6]. Ceci impose des relations (conjecturales) entre les symboles {u λ, u µ }. Est-il possible de les expliciter? BIBLIOGRAPHIE [1] S. S. Abhyankar «Resolution of singularities of arithmetical surfaces», in Arithmetical Algebraic Geometry (Proc. Conf. Purdue Univ., 1963), Harper & Row, 1965, p [2] S. J. Arakelov «An intersection theory for divisors on an arithmetic surface», Izv. Akad. auk SSSR Ser. Mat. 38 (1974), p , traduction de l article original russe. [3] M. Artin «Lipman s proof of resolution of singularities for surfaces», in Arithmetic geometry (Storrs, Conn., 1984), Springer, 1986, p [4] A. A. Beĭlinson «Higher regulators and values of L-functions», in Current problems in mathematics, Vol. 24, Itogi auki i Tekhniki, Akad. auk SSSR Vsesoyuz. Inst. auchn. i Tekhn. Inform., 1984, p tome n o 2
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