LE REGIME DES GARANTIES DECENNALE ET BIENNALE EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS
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- Quentin Dussault
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1 LE REGIME DES GARANTIES DECENNALE ET BIENNALE EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS Maryse DEGUERGUE Professeur à l Université Paris I Panthéon-Sorbonne Il convient de faire deux remarques préliminaires: tout d abord, le juge administratif s inspire des règles du droit civil, mais, comme dans tous les domaines de la responsabilité, il s efforce d assurer l équilibre entre les intérêts des maîtres d ouvrages publics qui sont des personnes publiques- et ceux des professionnels de la construction qui sont des personnes privées. Ensuite, le problème de vocabulaire ne doit pas être considéré comme excessivement important: le juge administratif parle volontiers de responsabilité décennale et moins de garantie, mais il n y a pas de différence ni de nature ni de degré entre les deux expressions. Tout dépend du point de vue auquel il se place: la responsabilité vise les constructeurs et, par ce terme, le juge veut signifier qu elle n est ni uniforme ni automatique, alors que la garantie assure la réparation des dommages de la victime, maître d ouvrage. Même si la garantie décennale s analyse en une présomption de responsabilité classique, celle-ci est encadrée et diversifiée. I- UNE PRÉSOMPTION DE RESPONSABILITÉ CLASSIQUE En droit administratif, le choix du régime de la présomption de responsabilité a été fait par le juge avant d être consacré par la loi du 4 janvier 1978 et la force de la présomption est particulière, puisque le fait du tiers n est pas exonératoire dans les régimes de responsabilité du fait des dommages de travaux publics, qu ils soient quasi-délictuels ou contractuels. 115
2 A- Un régime jurisprudentiel avant d être législatif L arrêt de l Assemblée du Contentieux du 2 février 1973, Trannoy, concernait un architecte poursuivi pour les dommages imputés à un procédé de conception de la toiture-terrasse d une école. Il faisait valoir que ce procédé était conforme aux normes techniques nationales et que le matériau utilisé avait été choisi par l entrepreneur et agréé par le centre scientifique et technique du bâtiment. Le commissaire du gouvernement Rougevin-Baville, après avoir envisagé les trois systèmes possibles, avait estimé que le «risque de l innovation» devait rester à la charge des constructeurs. Le Conseil d Etat l a suivi en précisant trois points, dont il ne se départira plus par la suite: * le procédé utilisé, bien qu il ait été conforme aux normes techniques admises àl époque, est «de nature à» donner lieu à la «garantie» qu impliquent les principes dont s inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil. * le procédé utilisé est aussi «de nature à engager la responsabilité solidaire» de l architecte qui l a choisi et de l entrepreneur qui a choisi le matériau pour le mettre en oeuvre. On peut remarquer le choix du vocabulaire garantie ou responsabilité- en fonction de la personne considérée. * l architecte et l entrepreneur ne peuvent s exonérer qu en cas de force majeure ou de faute du maître de l ouvrage. Il n y a donc que deux causes d exonération. C est donc une véritable présomption de responsabilité et non une présomption de faute, l absence de faute ne permettant pas d échapper à la présomption de responsabilité. Toutefois si fautes il y a, elles réapparaîtront lors des actions récursoires au moment de la contribution à la dette. B-La force de la présomption Elle est remarquable puisque deux causes d exonération seulement sont admises: la force majeure, qui est rarement retenue, et la faute de la victime, c est-à-dire le maître d ouvrage. Ces deux causes ont pour point commun de ne pouvoir exonérer que partiellement le constructeur de sa 116
3 responsabilité: le degré d exonération dépendra du caractère direct du lien de causalité entre la cause exonératoire et le dommage allégué. La force majeure doit réunir les trois conditions classiques: imprévisibilité, irrésistibilité, extériorité. Par exemple, elle a été retenue dans un cas de pollution d une nappe phréatique cause des désordres à des ouvrages de captage d eau. De plus, la faute du maître de l ouvrage exonératoire de la responsabilité du constructeur peut être la faute d une autre personne: un maître d ouvrage délégué, un conducteur d opérations, un exploitant d ouvrage affermé ou concédé. Deux types de fautes du maître de l ouvrage se retrouvent le plus souvent dans la jurisprudence administrative: * le défaut d entretien ou de surveillance de l ouvrage, comme la chute d un objet métallique sur un tableau électrique (CE, 14 mai 1990, Alsthom). * l immixtion, c est à dire l intervention inopportune et dommageable dans l exécution des contrats de construction. Par exemple, la modification des plans, le choix du procédé de construction ou des matériaux, le mauvais choix du site (CE, S., 20janvier 1995, Mme Charvier, concernant le choix des piscines «Caneton» fait par l Etat, maître d ouvrage délégué, et opposable aux communes, maîtres d ouvrages principaux). Le fait du tiers n est pas exonératoire en droit administratif. Il est ainsi régulièrement jugé que les erreurs propres de l architecte ne déchargent pas le constructeur de sa responsabilité vis à vis du maître de l ouvrage. Cette solution s explique par la volonté du juge administratif de faire jouer pleinement la solidarité entre les intervenants à une opération de construction, afin d assurer l obligation à la dette au profit de la personne publique maître d ouvrage victime. Ce n est qu au stade de la contribution à la dette que les fautes des uns et des autres réapparaîtront à la faveur des actions récursoires. Toutefois, le juge administratif atténue la sévérité de la non exonération du fait du tiers en décidant que, pour rechercher la responsabilité du constructeur, il faut que le dommage soit pour partie imputable à son activité. Par conséquent, une analyse de la causalité permet à un constructeur de faire reporter sur 117
4 un autre tout ou partie des dommages survenus à l ouvrage, notamment dans le cas de constructions par lots confiés à plusieurs entrepreneurs (CE, S., 30 janvier 1981, SARL Galle go et frères, concernant des infiltrations et des fissures dans une école, imputables à l entrepreneur, mais pas les dommages affectant la couverture résultant du choix du matériau; CE, 22 mars 1991, Syndicat mixte du parc naturel des volcans d Auvergne, concernant des murs imprégnés d eau ayant entraîné le pourrissement des bois, ce qui a rendu l ouvrage un musée- impropre à sa destination). II-UNE PRÉSOMPTION DE RESPONSABILITÉ ENCADRÉE ET DIVERSIFIÉE Elle est encadrée par le délai de dix ans qui est à la fois un délai de prescription et un délai de forclusion. Elle est diversifiée en raison des obligations professionnelles différentes et des règles de l art qui s imposent aux divers intervenants. A- L encadrement de la responsabilité par le délai Le point de départ du délai est la date de réception de l ouvrage, dans le cadre du système de réception unique depuis 1976, ou de la date de la levée des réserves, si réserves il y a eu. Pendant les dix ans, le dommage réparable doit se manifester et l action en réparation doit être exercée. Toutefois, selon la jurisprudence administrative, le délai décennal n est pas d ordre public ; il peut faire l objet d aménagements contractuels et le juge administratif n est pas tenu de soulever d office le moyen tiré de l expiration du délai. Le constructeur poursuivi peut se prévaloir de son expiration en tout état de la procédure. Une discussion s est instaurée sur ce point depuis que la loi de finances rectificative de 1972 déclare illégales les clauses d exclusion de la responsabilité décennale souscrites par les collectivités locales dans leurs contrats avec l Etat et toute autre personne physique ou morale. 118
5 Il peut y avoir des causes d interruption du délai décennal qui font toutes naître un nouveau délai décennal au profit du maître de l ouvrage, ce qui distingue l interruption de la suspension, où le délai finit de courir pour le temps qui reste après l extinction de la cause de suspension. Il y a trois causes d interruption: la reconnaissance expresse ou tacite de sa responsabilité par un constructeur dans la survenance du dommage la citation du constructeur en justice ou en référé (avis du CE 22 juillet 1992) l émission d un titre exécutoire par la personne publique, maître de l ouvrage, en vue d obtenir le remboursement de sommes payées par elle pour la remise en état de l ouvrage affecté d un vice de construction ou de conception. Hormis ces éventuelles causes d interruption, lorsque le délai décennal est expiré, les constructeurs sont déchargés de toute responsabilité, quelle que soit la gravité des dommages allégués. Toutefois, des désordres qui surviennent après l expiration du délai, mais qui sont la conséquence de désordres antérieurs, peuvent engager la responsabilité des constructeurs. B- La diversité de la responsabilité à raison des différentes obligations professionnelles Les responsabilités sont variées selon que les dommages sont imputables aux maîtres d oeuvre ou concepteurs, qui peuvent être ou non des architectes, ou aux entrepreneurs. La loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d ouvrage public et ses rapports avec la maîtrise d oeuvre définit la mission de maîtrise d oeuvre comme devant permettre d apporter une réponse architecturale, technique et économique au programme élaboré par le maître d oeuvrage ce qui est peu explicite. La maîtrise d oeuvre donne lieu à la passation de marchés publics de maîtrise d oeuvre qui peuvent être passés avec des architectes, personnes privées physiques, les bureaux d études, personnes morales, ou autres sociétés d engineering, ou encore avec des services techniques de l Etat ou certains de ses établissements publics nationaux pour la réalisation des travaux publics locaux essentiellement. 119
6 Les architectes sont normalement investis d une mission de conception largement entendue et d une mission de suivi de la construction sur le terrain. Ils sont normalement responsables des vices du sol et des vices de conception de l ouvrage, comme des erreurs dans l établissement des plans, dans les calculs, dans le choix des procédés et techniques de construction ou dans le choix des matériaux. Ils sont également responsables des défauts de surveillance dans la direction des travaux et des défaillances dans leur devoir de conseil; et ce, jusqu à l achèvement de l opération de reception de l ouvrage. Les maîtres d oeuvre non architectes, comme les ingénieursconseils, les bureaux d études et tout technicien de la construction, ont une mission de même nature que celle des architectes, mais de portée parfois plus réduite. Les obligations peuvent donc être les mêmes que celles d un architecte en fonction des clauses des contrats conclus avec les maîtres d ouvrages. Le maître d oeuvre peut être une personne publique dans le cas de concours technique apporté par l Etat aux collectivités locales ou aux établissements publics (chambres de commerce et d industrie, offices publics d habitations à loyers modérés). Les concours techniques ont lieu dans le cadre d un contrat et dès lors la responsabilité décennale de l Etat peut être reconnue dans les mêmes conditions que celle d un maître d oeuvre privé (CE, S., 9 juin 1989, SIVOM de la région havraise c! Jalicon, concernant une mauvaise évacuation des eaux dans un centre de vacances). Enfin, les entrepreneurs répondent des vices de construction proprement dits, y compris de ceux qui seraient imputables à des soustraitants. La responsabilité pour mauvaise exécution des travaux englobe les erreurs commises dans l interprétation et l exécution des plans et devis ou dans l application des règles de l art ou des pratiques professionnelles. L entrepreneur est aussi tenu de conseiller le maître d ouvrage et il peut formuler des réserves sur la conception de l ouvrage ou l utilisation d une technique de construction ou d un matériau (CE, 19 avril 1991, SARL Cartigny, précité, où l entrepreneur est jugé avoir la competence technique pour émettre des réserves à l égard du dispositif choisi par l architecte - voûte en briques sur schistes alors qu elles étaient perméables et absence d isolation convenable au-dessous de ce 120
7 revêtement et où la responsabilité de l entrepreneur a été engagée solidairement avec l architecte). Le régime de la garantie de bon fonctionnement des éléments d équipement dissociables des ouvrages est identique à deux exceptions près: d une part, elle a été reconnue plus tardivement par le Conseil d Etat dans le cadre de la loi de 1978 (CE, 14 mai 1990, CGEE Alsthom, qui reconnaît d ailleurs une faute de la victime comme cause d exonération). D autre part, c est une responsabilité peu diversifiée qui ne pèse que sur l entrepreneur et/ou le fabricant de l élément séparable. Là encore, leurs responsabilités dépendront des obligations mises à leur charge par les clauses du contrat avec le maître d ouvrage. En conclusion, deux réflexions s imposent: en premier lieu, les responsabilités décennale et biennale présentent peu de différences avec le droit privé, car les opérations de construction sont semblables et les principes communs dont s inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil sont considérés comme préexistants à leur consécration législative. En second lieu, la jurisprudence administrative est peu fournie et assez factuelle, sans doute parce que les parties préfèrent le règlement amiable des litiges, qui évite les procès et facilite la recherche de l équilibre financier du contrat. 121
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