Place de l épidémiologie dans la recherche médicale. Laure Papoz Ancien directeur de recherche à l Inserm
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- Gérard Plamondon
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1 Place de l épidémiologie dans la recherche médicale Laure Papoz Ancien directeur de recherche à l Inserm
2 Mise en perspective Eléments historiques Développement de la discipline Nécessité d une méthodologie Apparition des essais cliniques Différences entre épidémiologie et essais cliniques
3 Eléments historiques
4 Les grandes épidémies : exemple du choléra à Londres en 1854 Une épidémie va entraîner des milliers de décès à Londres John Snow, médecin anesthésiste, observe d abord un grand écart de mortalité entre les deux points de distribution de l eau de la Tamise, dont l un est pollué, l autre non ==> l hypothèse d une transmission par l eau Il va effectuer une enquête foyer par foyer dans un quartier où les deux compagnies sont en concurrence C est la première grande enquête territoriale : observation de type «ici-ailleurs», puis cas par cas hypothèse sur la cause microbienne de la maladie, 30 ans avant Pasteur John Snow a été déclaré «père de l épidémiologie moderne»
5 L enquête territoriale de Snow Zone bleue : eau puisée en aval du rejet des eaux usées Incidence 5 Zone rose : eau puisée en amont des eaux usées Incidence 1 Zone grise d étude : les deux compagnies à la fois Incidence globale 2 Bleue : 4 Rouge : 0,5
6 Epidémiologie clinique : l exemple de la fièvre puerpérale à Vienne en 1847 A cette date, à la maternité de Vienne, on observe une forte mortalité par fièvre puerpérale. L obstétricien Ignace-Philippe Semmelweis fait le lien avec le type d accoucheur, étudiant ou sage-femme : les étudiants pratiquent des autopsies, sans asepsie Forte mortalité : jusqu à 30 % les sages-femmes ne pratiquent pas d autopsie Mortalité plus faible : 3 à 4 %
7 Premier essai de prévention Semmelweis ne se contente pas d observer les circonstances de la maladie ; il propose une hypothèse forte sur l étiologie microbienne de la fièvre puerpérale Il la prouve par l introduction du lavage des mains par une solution chlorée La mortalité tombe alors à moins de 1 % Semmelweis a été un précurseur, non reconnu, de l hypothèse de l origine bactérienne des infections
8 Concept n 1 : dénombrer Compter les cas constitue une importante source d information, potentiellement source d hypothèses explicatives, mais également de solutions sanitaires
9 Concept n 2 : comparer des groupes La mise en évidence des facteurs de risque ou des facteurs protecteurs passe : par la comparaison de sujets sains et malades ou par la comparaison de sujets exposés et non exposés
10 Développement de l épidémiologie
11 Première moitié du XIXème siècle : Villermé, un précurseur... Un médecin, Louis-René Villermé, se consacre au relevé et à l examen de données dans de nombreux domaines : la taille des conscrits les inégalités sociales la mortalité dans les quartiers de Paris la mortalité des enfants orphelins la répartition de la population française l état physique et moral des ouvriers de l industrie textile...(1840) Il obtient en 1841 une loi sur le travail des enfants Villermé est considéré comme le père de l épidémiologie sociale
12 et un médecin amoureux des chiffres Un autre médecin, Pierre-Charles Louis, comprend l intérêt de l approche numérique en médecine : de 1820 à 1827 à l Hôtel-Dieu et La Charité à Paris, il recueille toutes les informations au lit de très nombreux malades et en fait des tableaux : il décrit finement la tuberculose (1 860 patients) et en établit la différence avec le typhus (1 825) il démontre, contre Broussais, l inefficacité des saignées par sangsues pour traiter les pneumonies (1835) il publie Médecine numérique, premier ouvrage du genre, traduit aux Etats-Unis en 1838 il enseigne sa méthode et fait école malgré les réticences de certains universitaires Pierre-Charles Louis est considéré comme un des pères de l épidémiologie
13 Les premières bases de données Les registres d état civil (dates des naissances et des décès) Traditionnellement tenus par le Clergé, ils sont confiés à l administration communale, en France (1792), puis en Belgique (1796) Les autres pays d Europe attendront le XIXème siècle: Pays-Bas, 1811 Autriche, Espagne et Italie, 1870 Allemagne, 1876 Les registres, consacrés spécifiquement à des pathologies majeures, feront leur apparition plus tard
14 Le mystère du sex-ratio à la naissance Source : l enregistrement des naissances montre un rapport pratiquement constant dans le temps et l espace de 102 naissances de garçons pour 100 de filles Cette question avait passionné des chercheurs dès le XVIIème siècle: vers 1830, les mathématiciens Poisson et Condorcet s y intéressaient déjà Aucun mécanisme biologique n avait cependant pu être avancé L étude des (très faibles) variations temporo-spatiales du sex ratio a favorisé le développement des méthodes statistiques
15 Le début des grandes enquêtes Aux Etats-Unis, dès 1924, à la Western Electric Company de Chicago, étude multifactorielle du rendement au travail : Hawthorne effect... Jérémie Stamler y met en place, en 1957, une étude prospective sur les facteurs de risque des maladies coronariennes : employés, suivi sur 30 ans Nombreux résultats sur 40 ans En 1947, débute sur le même thème l étude réalisée sur la population de Framingham, qui a permis de dégager la triade de facteurs, cholestérol élevé-hypertension-tabagisme, liée à un risque majeur de maladies cardiovasculaires
16 Enquêtes célèbres au XXème siècle L étude des 7 pays (Seven Countries) de Ancel Keys, à partir de 1952 : comparaison des taux de mortalité entre la Finlande, la Grèce (Crète et Corfou), l Italie, les Pays-Bas, la Yougoslavie, le Japon et les Etats-Unis : Ecarts considérables liés à la diversité des habitudes alimentaires En Grande-Bretagne, étude de Richard Doll, en 1954, sur la relation tabac/cancer du poumon sur médecins : Une relation indiscutable est mise en évidence
17 Concept n 3 : étude des maladies à partir de sujets sains Pour les maladies non infectieuses, l approche des maladies à partir de sujets sains s impose comme le modèle le plus performant pour dégager les facteurs impliqués dans le développement des maladies chroniques
18 Nécessité d une méthodologie
19 Méthodes d enquêtes Le besoin de comparer les données entre régions ou entre pays a conduit à : affiner la définition des populations constuire des modèles d échantillonnages standardiser les procédures d enquêtes standardiser les critères de diagnostic Ouvrages didactiques majeurs : I Taylor J Knowelden GB 1957 B Mac Mahon USA 1960 L Organisation mondiale de la santé a produit des monographies spécifiques pour les pathologies majeures : diabète (1965) maladies cardiovasculaires (1968) infections (1971)...
20 Méthodes statistiques La multiplicité des facteurs impliqués a compliqué les interprétations issues des analyses univariées. Comment établir l effet propre de chaque facteur? recherche des biais : analyses par sous-groupes recherche de différences significatives prise en compte du facteur temps établissement de modèles ajustés Les avancées majeures Années 1930 : tests d hypothèses de Neyman et Pearson, test F de Fisher : régression multiple, analyse discriminante : méthodes multivariées, RR et OR, modèle logistique de Berkson, modèle de Cox
21 Et en France Années 1960 : un polytechnicien, Daniel Schwartz, développe la discipline épidémiologique et la recherche clinique à partir d une Denoix) Création en 1961 de l unité 21, d abord INH, puis Inserm, de recherches statistiques dans les domaines des cancers, maladies cardiovasculaires, périnatalité, diabète : création de l enseignement international du CESAM 1976 : création de la Revue d épidémiologie et de santé publique et de l ADELF Nombreux ouvrages didactiques d épidémiologie, statistique, essais cliniques Création d une maîtrise et d un DEA de santé publique et d une dizaine d unités filles de l unité Inserm 21
22 Conséquences Les méthodes épidémiologiques se sont peu à peu imposées pour identifier et hiérarchiser les facteurs de risque individuels et/ou environnementaux liés à l émergence des maladies en situation non expérimentale Cette aptitude à mettre des facteurs en évidence a conduit à utiliser ceux-ci en recherche clinique pour dégager des effets thérapeutiques dans un contexte contrôlé
23 Apparition des essais cliniques
24 Le premier essai comparatif 1747 : une épidémie de scorbut sévit à bord du Salisbury. James Lind, médecin de la marine, répartit ses 12 malades en 6 groupes de 2 (!), qui recevront 6 suppléments alimentaires différents 1) cidre 2) élixir de vitriol 3) vinaigre 4) eau de mer 5) 2 oranges + 1 citron 6) électuaire Les 2 patients du groupe 5 guérissent rapidement 1789 : Publication des résultats : l usage du citron est rendu obligatoire dans la marine britannique C est le premier essai comparatif connu
25 University Group Diabetes Program (UGDP) : le premier grand essai randomisé Etats-Unis, 1960 : mise en route de l essai UGDP sur l efficacité des traitements du diabète pour prévenir les complications vasculaires (5 groupes de 200 patients, dont 3 en double aveugle) : Placebo Tolbutamide Phenformin Insuline à dose fixe Insuline à dose variable 1970 : publication des résultats de la mortalité cardiovasculaire : la mortalité est plus élevée sous Tolbutamide que sous placebo!!
26 Application à l évaluation des thérapeutiques L UGDP a suscité une polémique pendant 20 ans et engendré de nombreuses analyses critiques :analyse de tous les biais potentiels, des lacunes du protocole et de l analyse Formidable outil pédagogique sur la méthodologie des essais, professée d abord par les chercheurs des pays anglo-saxons, mais, à l époque, globalement rejetée en France par le corps médical
27 De la théorie à la pratique Ce qui a posé problème : le tirage au sort du groupe de traitement le double-aveugle les doses fixes S opposant : au dialogue singulier entre le médecin et son patient à l information donnée au patient sur un traitement adapté à son cas à l ajustement personnalisé des doses
28 Quelles différences entre épidémiologie et essais cliniques?
29 Les objectifs Epidémiologie Décrire un phénomène de santé en population Déterminer des facteurs liés au phénomène étudié (clinique, biologie, génétique, histoire, environnement, comportement...) Dégager une hiérarchie de ces facteurs Permet d avancer des hypothèses fortes sur les déterminants du phénomène étudié Essais cliniques Démontrer l intérêt d une thérapeutique Intérêt à la fois collectif et industriel Nécessité d une validation de type expérimental par rapport à un groupe de référence Mise en évidence d un écart significatif entre groupes Permet d établir un lien causal entre le traitement et l effet clinique
30 Le protocole Epidémiologie Population-cible bien définie Sujets peu sélectionnés ( représentativité) Nombre suffisant pour la précision souhaitée Examens non invasifs (sujets non demandeurs) Critères reconnus, mais simples à recueillir Bonnes pratiques épidémiologiques Essais cliniques Population cible mal ou pas définie Sujets sélectionnés (inclusion, noninclusion) Nombre suffisant pour une puissance élevée Examens plus sophistiqués, parfois coûteux, ou invasifs Critères recommandés par les agences réglementaires Bonnes pratiques cliniques
31 L analyse Epidémiologie Description détaillée de l échantillon, taux de refus Comparaisons aux données existantes (représentativité) Recherche univariée des relations entre les facteurs et la maladie Analyses multivariées, ajustement entre facteurs, interactions, modèles, courbes de survie... Essais cliniques Description des patients (inclus, perdus de vue) Comparaison des groupes à l inclusion (comparabilité) Comparaison des groupes tout au long du suivi clinique (arrêts des traitements, effets secondaires) Analyse du critère principal (simple test de comparaison)
32 La discussion Epidémiologie Essais cliniques Ecarts par rapport aux données de la littérature, biais possibles ou évités Justification des paramètres utilisés (validité clinique, critères internationaux) Justification des méthodes multivariées utilisées (classes, de quantiles,..., interactions) Ecarts à la représentativité, ajustements éventuels Impact des résultats Validité du résultat par rapport aux patients inclus Impact des écarts au protocole (levées d aveugle, données manquantes...) Ecarts à la comparabilité des groupes à l inclusion, ajustements éventuels Ecarts à la comparabilité des groupes au cours du suivi (biais de surveillance) Puissance effective Intérêt médical
33 Complémentarité Epidémiologie et recherche clinique ont montré leur complémentarité dans de nombreux domaines de la médecine Exemple célèbre : l étude des Seven Countries a dégagé l aspect protecteur d une alimentation de type méditérannéen, a servi de base à l essai de Serge Renaud à Lyon, qui a montré la réduction de 75 % des récidives d infarctus grâce à des mesures d hygiène alimentaire par rapport à une prise en charge classique
34 En résumé L épidémiologie et la recherche clinique recourent aujourd hui au même ensemble de méthodes au service de la santé publique Celles-ci ont d abord répondu aux besoins des épidémiologistes, confrontés aux effets combinés de facteurs multiples Il n existe pas de frontière entre les deux disciplines, qui appartiennent toutes les deux au monde de la recherche associent scientifiques et médecins et qui avancent désormais ensemble
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