La ville. Pièces de terre cuite, estampage de dix modules différents répétés une dizaine de fois,

Transcription

1 Perception?

2 Perception? Mon travail se base sur la déformation de la perception visuelle qui m est propre : celle de ma forte myopie. De cette myopie (-7,50 à gauche ; -5,75 à droite), plus un peu d astigmatisme ainsi qu un gros problème de convergence (autre déformation : plus je dois concentrer mon angle de vue sur un point très précis, plus l angle de chaque oeil converge vers l autre), découlent diverses anomalies de perception (et même si mes yeux sont corrigés). Je suis incapable d avoir une notion exacte de la profondeur de champs, elle est toujours faussée. J ai tendance, pour ce qui est loin, à synthétiser et abstraire au maximum, les choses ne sont formées que de masses, de tâches et de lignes géométriques qui me permettent d imaginer le volume. Au contraire, pour ce qui est près, je vais aller jusqu à l extrême détail, grâce à mon oeil loupe. Je suis incapable d avoir des proportions et une perspective juste, car ce que mon cerveau me retranscrit comme vision, c est une moyenne de ce que mes deux yeux voient, mais si je décompose ce que mes deux yeux voient un à un, les angles de vue sont quasi à l angle de 45 (comme si je louchais, les yeux allant vers le nez). Quant à la lumière, j ai eu l occasion de faire une expérience assez troublante. Sans aucune correction, dans un bois par une belle journée ensoleillée, je me suis aperçue qu avec mon oeil gauche, je voyais tous les bleus avec une lumière très terne, et mon oeil droit voyait tous les jaunes avec une lumière plus vive! Cela voulait dire, d une part, que mon oeil gauche (plus faible) percevait moins la lumière que le droit, donc que plus la vue diminue plus les choses sont sombres ; d autre part, que tous les paramètres qui rentrent en compte dans la retranscription d une image, sont extrêmement complexes et variés, et que cette retranscription d une image ne reste que la somme de tous ces paramètres, sans oublier le paramètre le plus influent finalement, celui de la personne en elle-même, qui n est pas quantifiable, raisonnable ou rationnel. Car, avec toutes les déformations visuelles que j ai, comment puis-je arriver à produire ou reproduire des couleurs aussi riches et variées? D où viennent-elles? De mon imagination, de mon monde intérieur, ou bien de la réalité sensible?

3 La ville La ville me fascine depuis un moment déjà, par la profusion et la juxtaposition de plans, de profondeurs, de lignes et de rythmes qui se font et se défont sans cesse, d accumulations de formes géométriques, de contrastes prononcés, et par les jeux de lumière qui créent encore d autres formes avec tous ces éléments. Le travail qui suit est donc la continuation de recherches que j ai développées l année dernière avec le modelage et la reproduction de terres, ainsi qu avec la photographie argentique et la sérigraphie. Pièces de terre cuite, estampage de dix modules différents répétés une dizaine de fois,

4 La sérigraphie Je reste très attachée au domaine textile, d où je viens avant d avoir bifurqué vers la sculpture. C est un domaine que je souhaite d ailleurs intégrer petit à petit complètement à mon travail de sculpture. La sérigraphie sur tissu a été pour moi un des médiums d expérimentation, au cours de l année passée, sur mon questionnement quant à la perception de la ville. Ce médium me laisse plus de liberté que la sérigraphie sur papier, par exemple (beaucoup plus exigeante et contraignante au niveau de la qualité des cadres), ou que la gravure ou la lithographie au niveau de la richesse des couleurs et de la matière. De plus, le tissu a déjà sa propre emprunte de par son tissage, ce qui amène autre chose à l impression. Le processus Le départ, ce sont des photos de rues, où les façades se succèdent, se juxtaposent, s organisent pas toujours de manière ordonnée et où le cadrage se focalise sur les perspectives et les profondeurs de champ créées par ces rues. J ai pris ces photos fin 2010 en me baladant dans Bruxelles, surtout à Etterbeek, ou bien à partir de la vue que m offrait le velux de mon appartement. Puis j ai retranscrit ces photos en motif, en me basant sur les masses et tâches crées par les contrastes de lumière. Ces différents motifs, je les ai gravés sur un cadre de sérigraphie dans une certaine organisation, une certaine répétition. Enfin, sur un support noir, j ai expérimenté cinq type d organisation différente, en incluant les paramètres de la couleur, du rythme et de l alliance des lignes.

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8 Les couleurs Ma gamme colorée est issue de mes expérimentations sur le métal, notamment le cuivre, qui peut prendre d incroyables couleurs après l avoir travaillé au chalumeau ou au découpeur plasma, et qui révèle de très belles nuances de bleu et de vert après oxydation avec du vinaigre. Cheminement La première pièce se caractérise par la densité d impression et de couleur. Les motifs se chevauchent sans cesse, recréant d autres formes, d autres couleurs. On ne peut plus distinguer ce qui est l origine de ce qui a «muté». La surcharge visuelle peut être, au choix selon l humeur : chamarrée et séduisante, ou bien indigeste et écoeurante (ce qui caractérise pour moi ce que je ressens quotidiennement en vivant à St Gilles). La deuxième prend le parti de s estomper légèrement. Plus d étalement, moins de surimpressions, des zones de vide se créent entre les zones plus denses. La troisième pièce décide carrément de se répartir de manière plus équilibrée sur la surface impartie. Evolution graduelle des couleurs et des surimpressions. Un certain ordre s installe, une respiration se met en place. La quatrième cherche un centre, un rayonnement plus diffus. La cinquième pièce se conclut par la vision la plus minimaliste que je puisse avoir : un seul motif, une seule surimpression, seulement quelques couleurs, juste quatre axes de rayonnement, et beaucoup de vide. Il n en aurait pas fallu une sixième, j aurais eu du mal à enlever d autres paramètres, cela serait devenu un peu ennuyeux, de plus...

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19 Perception? Mon questionnement sur la perception m a amenée à découvrir celui de Platon, puis celui de la phénoménologie, qui sont absolument opposés, m a-t-on dit, et inconciliables. Le monde des Idées ou bien la réalité sensible? Je dois choisir entre les deux, m a-t-on dit. Pourtant, je pense que le monde des Idées existe bien, mais je pense aussi que l on peut le trouver dans la réalité sensible. Il y a cent ou cent cinquante ans, sans les moyens techniques et modernes que nous avons actuellement, j aurais littéralement été jugée handicapée par ma déficience visuelle. Tout un tas d activité, de métier, et tout simplement de simples gestes quotidiens, m auraient été impossibles à faire. Pourtant, cet handicap est pour moi un cadeau. Je vois les choses tellement déformées que je suis obligée de les réinventer à loisir, et surtout, je les réinvente comme je les perçois, non pas avec mes yeux, mais avec tous les autres sens et bien sûr mon monde intérieur. Quitte à ce que cela n ait plus rien à voir avec l apparence des choses... C est tout de même plus intéressant ainsi! Pour moi, le simulacre, c est lorsque je mets mes lunettes ou mes lentilles, pour coller à une réalité que personne ne voit de la même manière.