DANS LES COULISSES DES TOURNAGES

Transcription

1 CINEMA MUNDI Quand Hollywood ferme de plus en plus ses portes au nez des photographes, Bollywood, mais aussi les cinémas chinois, russe ou africain, ouvrent leurs plateaux en grand. Stefano De Luigi les a parcourus, saisissant des scènes de tournage en décor naturel. Une libre visite dans les studios du cinéma mondial STEFANO DE LUIGI CHINE, SHANGHAI, NOVEMBRE 2006 «Sur le plateau du long-métrage Tian Tang Kou à Shanghai, la neige est encore faite à l ancienne donc c est de l ammoniaque. Du coup, j ai un souvenir très olfactif de cette photo. L odeur âcre de l ammoniaque permet de rester seulement quelques minutes sur le plateau; après il faut... s éloigner pour respirer.» DANS LES COULISSES DES TOURNAGES

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3 STEFANO DE LUIGI CHINE, PÉKIN, NOVEMBRE 2006 «Dans les studios 1 er août à Pekin c est souvent la guerre. Les studios appartiennent à l armée chinoise, on y tourne beaucoup de films de propagande militaire. Ici, je me suis retrouvé au milieu de la Longue Marche. Un figurant-soldat, après m avoir braqué son fusil sous le nez, s est mis à jouer, une rose à la bouche.» STEFANO DE LUIGI NIGERIA, KADUNA, JANVIER 2008 Tournage du film «Zam Zam». Etre actrice dans le nord du Nigeria comporte des risques car les musulmans radicaux condamnent la production des comédies musicales qui en sont devenues la spécialité. Dans le sud chrétien, à Lagos, on produit des histoires plus sociales ou des films policiers. 112 I polka magazine #8

4 STEFANO DE LUIGI RUSSIE, MOSCOU, JANVIER 2007 Tournage de «Trust service» d Elena Nikolaeva. «L hiver russe, 20 C, un beau ciel mais surtout l image de l église du Christ Sauveur que j avais souvent vue dans des films de propagande anticommuniste sauter en mille morceaux sur ordre de Staline, et reconstruite par Eltsine dans les années 90. Comme un télescopage temporel.» STEFANO DE LUIGI INDE, HYDERABAD, MARS 2008 La star de Tollywood (films produits à Tollygunge et à Hyderabad) est une star comme celles de Hollywood ou de Bollywood. Ici Shena avec ses multiples assistants pendant une pause sur le tournage du film Aadi Vishnu dans les studios les plus grands de toute l Asie, Ramoji Film Studios à Hyderabad. printemps 2010 I 113

5 Le projecteur était transporté en char à bœufs aux villages de terre rouge par Shirley Abraham, correspondance de Mumbai Pusegaon, Etat du Maharashtra. Un bourg situé à plus de 200 kilomètres de Mumbai (Bombay), l usine à rêves de l Inde. Les récoltes ont été rentrées et la saison des jatras, les fêtes religieuses, a commencé en octobre*. En fin de matinée, au moment où une foule venue des alentours envahit Pusegaon, une déesse de l écran fait une arrivée discrète. Il s agit d Alkal Kubal, véritable vedette dans le pays, célèbre pour ses rôles dans des comédies dramatiques mahrates, devenue productrice. Elle se dirige vers la guérite près des chapiteaux qui se déploient devant des camions aux couleurs vibrantes. AMIT MADHESHIYA INDE, MAHARASTRA, JAT, 2008 Dans les villages, les femmes ne pouvaient regarder les films que de derrière l écran en toile. Avec les années, elles ont pu s installer dans la salle avec les hommes. A plein volume, un vieux haut-parleur annonce son arrivée. En quelques minutes, ils sont des centaines à se bousculer devant le guichet. Les hommes accourent, les femmes se pressent, les enfants se faufilent entre les jambes des anciens. Tous la dévorent des yeux, convoitant les photos gratuites qu elle distribue avec les tickets. Si l incursion d icônes de l écran dans le monde des divinités religieuses est relativement récente, le cinéma itinérant a pris son essor dans les années 40. Parmi les premiers films projetés figuraient des comédies mythologiques en hindi et en marathi tournées à Bombay. Il y avait aussi quelques bobines en mauvais état de films comme «Sanyasi» (l ascète), «Ayodhecha Raja» (le roi d Ayodhya), «Sant Tukaram» (saint Tukaram). Le projecteur était transporté en char à bœufs jusqu aux villages de terre rouge. A la suite des pionniers fermiers, électriciens, instituteurs... qui ont introduit ce cinéma dans l univers mystique des jatras, des villages entiers se sont reconvertis à cette activité: les peintres des temples sont devenus directeurs artistiques de panneaux publicitaires, les techniciens radio ont pris en main les projecteurs fabriqués à l étranger, d autres ont trouvé à s employer comme ouvreurs, assistants, cuisiniers... Les chapiteaux-cinémas sont devenus une affaire familiale florissante et, qui plus est, l attraction principale des fêtes religieuses. Les jatras, vieille tradition hindoue, ont toujours été des événements sociaux. Ces rassemblements étaient aussi l occasion d échanges commerciaux : foires aux bestiaux, marchés... Ils déclenchaient également une frénésie de mariages arrangés. Venant s ajouter aux spectacles vivants théâtre tamashaet exhibitions de danse, les images animées ont reçu un accueil sans précédent. L univers des fêtes n offrait pas seulement un espace physique au cinéma sous chapiteau mais aussi une résonance thématique aux films mythologiques. Et c est bien l amalgame entre jatras et cinéma itinérant qui assure la pérennité de ces projections un brin désuètes dans l Etat du Maharashtra. Les cinémas itinérants préservent une tradition de spectacle public, collectif, tradition qui remonte à l origine du 7 e art et à sa présence dans différents contextes géographiques, au cours de la dernière décennie du XIX e siècle. En outre, l arrivée des films mythologiques projetés sous les chapiteaux a permis la présence et la participation des femmes, alors que le spectacle vivant était réservé au public masculin. Quand la programmation s est élargie aux comédies dramatiques, genre très apprécié du public féminin, Alka Kubal a fait son apparition dans ce monde. Elle a souvent interprété des personnages de femmes battues, de filles infortunées, de belles-sœurs opprimées, ce qui lui vaut aujourd hui sa grande popularité. L un de ses films, le drame social «Maherchi Sadi» (qui signifie à peu près: le sari de la famille de la mère), sorti en 1991, est considéré comme le plus grand succès du circuit du cinéma itinérant. Un exploitant chevronné, Laxmanrao Kasare, raconte : «Les jours où il était projeté, on ne savait pas comment éviter les bousculades parmi les femmes. Elles campaient devant la tente apportant leur repas. Elles avaient toutes dans les bras des bébés qui gigotaient. Nous avons dû engager deux hommes pour faire franchir la barrière aux tout-petits.» Le film attirait même les femmes enceintes et les exploitants rapportent des cas d accouchements et des scènes de panique. C est peut-être une légende, mais il est sûr que l afflux des femmes a contribué à perpétuer les projections sous chapiteau. Bien que le public soit désormais moins nombreux, de nouveaux intervenants sont entrés dans le circuit pour lui redonner de la vigueur. La sélection comprend maintenant des comédies, des superproductions bollywoodiennes et même des films d action produits par l industrie cinématographique tamoule en Inde du Sud. Les f ilms sont toujours projetés en continu à partir de l aprèsmidi jusqu à 6 heures du matin, chaque séance étant facturée 10 à 15 roupies (environ 2 centimes d euro). Alors que le système se maintenait en réutilisant le matériau longs-métrages et publicités provenant de l industrie cinématographique traditionnelle (Bollywood), certains films sont maintenant produits spécialement pour ce circuit. Alka Kuba, devenue l un de ses principaux producteurs, vient de lancer un film sur le thème de la dot. Et sa présence sur les lieux de projection pendant les jatras a été un coup de maître. Le chapiteau de son coproducteur a été le premier à trouver un sponsor, une marque de lessive populaire. Les nouveaux intervenants se sont aussi alliés avec la branche chapiteau de l organisation cinématographique d Etat, afin de créer un lobby pour obtenir des subventions. Alors qu il doit se battre pour survivre d eva n t l o ff e n s ive d u c â bl e e t d e s DV D, l e cinéma itinérant résiste fermement en se réinventant sans cesse. * La saison dure jusqu en juin. AMIT MADHESHIYA INDE, MAHARASHTRA, PUSEGAON, 2008 Pas de chapiteaux ambulants sans débrouille et bricolage. Ici un appareil mécanique de rembobinage, inventé dans les années 50 et encore largement utilisé. 114 I polka magazine #8

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