Des moments d éternité

Transcription

1 Édith Bacquet-Desreumaux Des moments d éternité Publibook

2 Retrouvez notre catalogue sur le site des Éditions Publibook : Ce texte publié par les Éditions Publibook est protégé par les lois et traités internationaux relatifs aux droits d auteur. Son impression sur papier est strictement réservée à l acquéreur et limitée à son usage personnel. Toute autre reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par les textes susvisés et notamment le Code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d auteur. Éditions Publibook 14, rue des Volontaires PARIS France Tél. : +33 (0) IDDN.FR R.P Cet ouvrage a fait l objet d une première publication aux Éditions Publibook en 2014

3 «L amour seul a un sens. Il donne à nos plus petites actions, les dimensions de l infini.» Sœur Faustine

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5 «On ne peut que donner deux choses à ses enfants : des racines et des ailes.» Proverbe juif Merci à Papa et Maman qui grâce à leur amour nous ont donné des racines et des ailes. Valérie, François, Géraldine, Wilfrid

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7 décembre Samu, pompiers et hospitalisation janvier Jean-Claude répète souvent qu il n est pas guéri. Nous insistons pour qu une IRM pousse les investigations. Nous attendons les résultats. Jean-Claude comprend qu il a un cancer ; moi, pas du tout. Je trouve l entretien sec, froid. En fait le docteur A. est vraiment mal à l aise pour annoncer l effrayante vérité. Quelques jours plus tard, Jean-Claude a la confirmation de ce qu il avait deviné. Il est allé seul chez le médecin. Je m en veux encore de ne pas l avoir accompagné. Une fibroscopie et une coloscopie sont prévues pour découvrir le cancer primaire. Nous prenons rendez-vous avec un gastro-entérologue. Le spécialiste nous raconte qu une patiente était venue en consultation et qu il avait réussi à lui redonner le moral ; le cancer dont elle était censée être atteinte n existait pas. Le diagnostic était erroné. Nous sortons de son cabinet déboussolés. 11

8 L échographie nous permet de rencontrer le docteur Antoine S. qui, devant notre découragement, nous aide à obtenir un rendez-vous avec un autre gastro-entérologue. Ce dernier nous reçoit longuement, chaleureusement. Son cabinet est propre, accueillant, alors que celui du précédent me met mal à l aise et surtout peu en confiance due à cette sensation de malpropreté. Les voilages des fenêtres semblent s écrouler, voire se tenir raides au vu de l épaisseur de crasse et de poussière ambiantes. Mars Après la coloscopie donc l anesthésie et la pose de la chambre d injection donc nouvelle anesthésie, début de la chimio. Avant de partir au cours de la prière du matin, Jean- Claude s exclame : «Ce jour de combat, enfin là, déjà là.» Une opération est prévue après six cures de chimio. Après chaque séance, Jean-Claude rentre épuisé, nauséeux ; il faut composer de nouveaux repas : crêpes, pamplemousse, même la soupe maison ne passe plus, vive les sachets! Pour les crêpes, c est ma voisine Yvonne qui me ravitaille régulièrement, avec beaucoup de générosité et de discrétion. Une aide particulièrement précieuse. Juillet Nous passons dix jours à Lille pour l opération : résection iléo-colique et lobectomie hépatique. Août Le rétablissement semble difficile. Jean-Claude se traîne douloureusement. C est au médecin à qui j en parle deux mois plus tard, qui me répond : «Il faut bien six se- 12

9 maines après une telle intervention, avant de pouvoir sortir.» Pourquoi généraliste et chirurgien ne nous ont rien dit? Cela aurait épargné à Jean-Claude quelques sacrés coups de blues, des angoisses, des soucis et de lancinants moments de découragement. Septembre Une constante fièvre rend impossible une deuxième cure de chimio qui ne débutera qu en octobre pour se terminer le 10 décembre. Nous vivons au jour le jour, dans l attente de la seconde opération. Je passe les détails des nombreuses communications téléphoniques que nous avons car il semble bien que le dossier de Jean-Claude soit tombé aux oubliettes. Ce lundi 10 novembre, dans l évangile du jour, je lis : «La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : Déracine-toi et va te planter dans la mer et il vous obéirait.» (Saint Luc, 17-6) Ma prière n est qu un cri : «Seigneur, un appartement pour mon fils Wilfrid, qui cherche à se loger, c est urgent.» Nous partons faire les courses et dans l ascenseur Jean- Claude me dit : «Si Wilfrid pouvait avoir l appartement du sous-sol!» Au rez-de-chaussée, nous croisons le locataire du sous-sol avec des valises. Je l interpelle : Vous partez en vacances? Et il me répond : Non, je déménage. Nous nous précipitons pour obtenir la location de ce sous-sol. Le soir même, j écris sur mon livre de prières : «Seigneur, merci pour le sous-sol.» 13

10 J aime beaucoup cette pensée du jour trouvée dans «La Voix du Nord» et collée sur le bureau de Jean-Claude : «Le hasard? Mais c est Dieu qui garde l anonymat.» (E. Pailleron) 2009 Janvier Jean-Claude veut absolument m épargner des démarches douloureuses et il règle tous les problèmes difficiles : concession, caveau, choix du cercueil. Nous faisons semblant d en sourire. Nous parlons d acquérir un «piedsous-terre» jusqu à ce que Jean-Claude me demande comment je vis cela et nous nous écroulons en pleurs dans les bras l un de l autre. 9 mars Jean-Claude rentre en salle d opération Nous savons par le docteur Antoine S. que les lésions du foie sont importantes, mais dans notre esprit le segment 4 est sain. L opération dure une dizaine d heures et la suite ne se passe guère comme prévu. 16 mars Jean-Claude est toujours en soins intensifs, il délire ; c est vraiment impressionnant. Un interne, à qui je fais remarquer que Jean-Claude n est vraiment pas bien, me répond : «S il est encore en soins intensifs, c est qu il ne va pas bien du tout.» Jean-Claude est transféré en soins semi-intensifs. Il va de plus en plus mal. Obtenir un rendez-vous avec un des trois chirurgiens est un rude combat. «Il va falloir vous 14

11 préparer à une issue fatale», me dit l un d eux. Je prends, suite à cette remarque, contact avec l aumônerie et en la Saint-Joseph, le 19 mars, Jean-Claude reçoit le sacrement des malades : «Je suis content d être avec toi», me murmure-t-il en fin de journée. Chaque soir, avant de partir, je trace une petite croix sur le front de Jean-Claude en disant : «Que le Seigneur te bénisse et te garde» et nous nous embrassons très tendrement. Le quitter m est tristement difficile. Jean-Claude est de plus en plus faible. Voici quelques expressions de son découragement : «Je suis de plus en plus pessimiste», 20 mars. «Cette maladie, c est dur», 22 mars. «Je suis foutu, je ne sais plus prier», 23 mars. Je le devine tellement à bout de forces que je lui suggère : «Laisse-toi porter par la prière des autres, comme le paralytique.» Et le 24 mars : «J en ai marre.» Il est tellement épuisé qu il peut rester au lit jour et nuit. Personne n exige qu il se lève, alors qu aux soins intensifs, je l ai souvent retrouvé sur la chaise percée, livide, épuisé, crispé de douleur. Devant mes questionnements sur ce procédé qui me paraît être une torture, un aide-soignant m a déclaré : «C est le protocole pour une bonne convalescence.» Je me souviens de ce jour où j avais sonné pour que quelqu un vienne le remettre au lit : «On arrive», m avait-on répondu et une heure après, toujours personne. Mais lorsque les enfants annoncent leur arrivée à l entrée du service, les aides-soignants viennent enfin coucher Jean-Claude qui sombre dans un sommeil profond. Il ne verra pas les enfants. 27 mars J ose dire à Jean-Claude : Tu m as fait peur, je te voyais mourir. 15

12 Moi, aussi. Valérie et Géraldine sont là, Jean-Claude dort profondément ; une fois de plus, il ne les verra pas. Avant de le quitter, je lui pose cette question : Es-tu en forme? Je suis loin, très loin. Merci de tout ce que tu fais pour moi. 31 mars Jean-Claude est transféré dans une unité normale. Nous sommes au vingt-troisième jour d hospitalisation alors que nous avions pensé à un maximum de douze à quinze nuits. Jean-Claude est à bout de forces. La nuit, je me dis que de la kiné lui ferait du bien. C est le souhait que j émets le lendemain lorsque l équipe d internes et de stagiaires débarque dans la chambre. La première séance aura lieu deux jours avant la sortie. Étonnement de la kiné d être contactée si tard. «Vous avez laissé une vanne ouverte, toutes mes forces s en vont», dit Jean-Claude qui se sent de plus en plus faible. À partir de ce jour-là, je me bats pour que Jean-Claude puisse sortir. Une sonde gastrique le nourrit la nuit et dans la journée, les plateaux-repas trop copieux l écœurent. Comment stimuler un peu l appétit si ce n est en lui offrant de petites quantités et surtout selon ses goûts? Ce n est pas l hôpital et de plus un service de chirurgie qui peut lui offrir ce luxe indispensable à un rétablissement en douceur. À la maison, je pourrais lui confectionner ce dont il a envie, à n importe quel moment de la journée. Ne sachant comment obtenir le sésame de sortie, je téléphone au généraliste qui me conseille vivement de ne pas signer une décharge ; d après lui, le service attend que Jean-Claude se réalimente correctement. J interpelle les internes qui me 16