L Institut Pasteur a été inauguré il y a 120 ans...

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1 Magazine trimestriel de l Institut Pasteur Pasteur Le Mag N 4 UNE ÉPOPÉE REGARDS SUR L HISTOIRE PASTEURIENNE L Institut Pasteur a été inauguré il y a 120 ans...

2 AU SOMMAIRE DANS CE NUMÉRO Un message de Federico Mayor, ancien directeur général de l Unesco UNE CERTAINE IDÉE DE LA SCIENCE UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE Maladies infectieuses, connaître pour combattre En toute immunité, les explications d un pionnier Biologie moléculaire, une révolution française Neurosciences, ouvrir des voies DEUX GUERRES MONDIALES LES PASTEURIENS PRIX NOBEL SCIENCE ET SANTÉ : DES APPORTS PASTEURIENS TRANSMETTRE LES SAVOIRS ET SAVOIR-FAIRE LA SANTÉ PUBLIQUE AU QUOTIDIEN ESSAIMER DANS LE MONDE L ARBRE ET LES FRUITS, LES APPLICATIONS DE LA RECHERCHE PERSPECTIVES Ce numéro a été conçu et réalisé par Hugues Fleury. N 4 - Éditeur Institut Pasteur Directrice de la publication Alice Dautry Directeurs de la rédaction Sylvain Coudon, Nadine Peyrolo Rédacteur en chef Hugues Fleury Direction artistique, réalisation technique BRIEF Impression Stipa (Montreuil-sous-Bois) ISSN Direction déléguée à la Communication Institut Pasteur 25-28, rue du docteur Roux Paris cedex 15 Tél. (33) Remerciements à Annick Perrot, conservateur du Musée Pasteur ; Stéphane Kraxner et Daniel Demellier, Archives de l Institut Pasteur ; Prs Françoise Barré-Sinoussi et Pierre-André Cazenave. Sources : Entretiens (HF) avec les Prs Claude Lapresle (1980) ; Yves Chabbert (1981) ; Jean Bernard (1981) ; Jacques Oudin (1982) ; François Jacob (1982 et 2004) ; Agnès Ullmann (1982 et 2007) ; Georges Cohen, Jean-Pierre Changeux et Elie Wollman (2007). Archives du Musée Pasteur et fonds du service des Archives de l Institut Pasteur. Crédits photos et illustrations : Institut Pasteur ; Marie Guivert pour l Institut Pasteur (schéma anticorps) ; Franck Brunel ; Jacques Grison.

3 PASTEUR LE MAG ÉDITO Célébration des 120 ans de l inauguration de l Institut Pasteur La figure emblématique de Louis Pasteur a dépassé les frontières géographiques, disciplinaires, intellectuelles, scientifiques et socio-sanitaires pour devenir vraiment universelle, associée à celle de l Institut qui porte son nom. En 1888, l Institut Pasteur a été inauguré, berceau de la microbiologie, de l immunologie et, plus tard, de la biologie moléculaire et en partie des neurosciences. À l avant-garde d un combat sans relâche contre le sida, le paludisme, la tuberculose, la méningite, la fièvre typhoïde toujours des fléaux pour la santé publique mondiale et aux avant-postes de la lutte contre les maladies émergentes transmissibles. Nombre de vaccinations généralisées représentent un hommage permanent rendu au savant, à ses disciples passés et présents. Par sa vision d ensemble et sa persévérance, son sens profond de l éthique scientifique, par son dévouement inlassable à appliquer la connaissance pour éviter ou réduire la souffrance humaine, Louis Pasteur demeure une référence pour la communauté scientifique. L Institut Pasteur a été le lieu où de nombreux êtres humains ont trouvé l attention dont ils avaient besoin, une réponse à leurs préoccupations de santé. Se souvenir ici du passé permet d envisager l avenir de l Institut. Que les jeunes générations sachent que, comme Pasteur, il faut toujours avoir l autre présent à l esprit, pour un regard nouveau que l on doit porter, à l échelle planétaire, à l aube du siècle et du millénaire. Comme écrit dans la médaille Unesco/Institut Pasteur, gravée en 1995, La science n a pas de patrie, parce que le savoir est Patrimoine de l Humanité. Le cancer et, la longévité croissant, les maladies neurodégénératives, ainsi que la protection périnatale et infantile, entrent dans les préoccupations de recherche et de santé publique de l Institut Pasteur. À son image, le Réseau international des Instituts Pasteur, fort d une trentaine de centres, les derniers à Montevideo et au Laos, bénéficie d une qualité reconnue par tous dans le monde. Institut Pasteur, une chance pour notre époque, une chance pour vous. Merci de l œuvre déjà accomplie et meilleurs vœux pour les années à venir. Le futur doit voir notre engagement suprême de lutter sans cesse en faveur d une dignité humaine pour tous. Federico Mayor Ancien Directeur général de l Unesco Président de la Fondation Culture de la Paix 1

4 Une certaine idée de la Science Extraits du discours de Louis Pasteur lors de l inauguration, le 14 novembre 1888, en présence de Sadi Carnot, président de la République. Il était tellement ému qu'il dut en confier la lecture à son fils. LA RECOMMANDATION La voilà donc bâtie, cette grande maison dont on pourrait dire qu'il n'y a pas une pierre qui ne soit le signe matériel d'une généreuse pensée. Toutes les vertus se sont cotisées pour élever cette demeure du travail... Cet enthousiasme que vous avez eu dès la première heure, gardez-le, mes chers collaborateurs, mais donnez-lui pour compagnon inséparable un sévère contrôle. N'avancez rien qui ne puisse être prouvé de façon simple et décisive. Ayez le culte de l'esprit critique. Réduit à lui seul, il n'est ni un éveilleur d'idées, ni un stimulant de grandes choses. Sans lui tout est caduc. Il a toujours le dernier mot. Ce que je vous demande là et ce que vous demanderez à votre tour aux disciples que vous formerez est ce qu'il y a de plus difficile à l inventeur LA VISION Il est donc certain que, pour la France, un seul établissement [l'institut Pasteur] peut suffire. Pour l'amérique du Sud, le Chili, le Brésil, l'australie il faudra évidemment former, dans l'établissement de Paris, de jeunes savants qui iront porter la méthode dans ces lointains pays 2

5 PASTEUR LE MAG >François Mitterrand, président de la République, et François Jacob, prix Nobel. Centenaire de la création de l Institut Pasteur (1987). LA LEÇON Pour constituer un Institut Pasteur, il ne suffit pas de construire les laboratoires de recherche et d enseignement, munis de l outillage le plus perfectionné, il faut encore y introduire l esprit pastorien, c est-à-dire la foi scientifique qui donne l ardeur au travail, l imagination qui inspire les idées, la persévérance qui les poursuit, la critique qui les contrôle, la rigueur expérimentale qui les prouve et aussi l indépendance et le désintéressement qui sont une conséquence de l amour passionné de la vérité. Émile Roux (1898) Savant et administrateur de premier plan, Émile Roux dirigera l Institut Pasteur pendant 29 ans. LA DÉFINITION Depuis sa création, l'institut Pasteur s'est distingué des autres organismes de recherche et d'enseignement par certaines particularités. Particularité de peuplement d'abord. Avec les premiers collaborateurs qu'il s'était choisis, Pasteur avait engendré une espèce nouvelle de chercheur : "le pasteurien". Le pasteurien se recrutait un peu partout dans le monde. Il venait parfois de loin, comme le grand Élie Metchnikoff, accouru du fond de l'ukraine pour travailler au côté de Pasteur. De formation scientifique ou médicale, le pasteurien est longtemps resté en marge des structures et des carrières officielles. Médecin sans clientèle, pharmacien sans officine, chimiste sans industrie, universitaire sans chaire, son statut ne se définissait que par un style et surtout un lieu de travail, il fonctionnait à l'institut Pasteur. Cette diversité de formations et de talents réunis en un même lieu pour y étudier un même matériel sous ses aspects les plus divers, c'était avant la lettre ce que l'on appelle maintenant la recherche interdisciplinaire. François Jacob (1987) 3

6 UNE CERTAINE IDÉE DE LA SCIENCE L ADMIRATION >Jacques Chirac, président de la République, Bernard Esambert, président du Conseil d administration, Federico Mayor, directeur général de l'unesco, le Pr Maxime Schwartz, directeur général de l Institut Pasteur. François Mitterrand président de la République (Centenaire de la fondation de l Institut Pasteur, 1987). Louis Pasteur fut l une des personnalités les plus compétentes que la France ait connue. Quand je dis la France, c est parce qu il était Français, mais le monde entier se reconnaît dans l œuvre de Pasteur. Et puis cette tradition qui s est créée autour de lui, de son vivant, puis après jusqu à ce jour, et qui fait, on l a remarqué, que le Pasteurien est un personnage, sinon à part, du moins singulier. Des Pasteuriens se reconnaissent partout dans le monde, à la fois par leurs méthodes de réflexion, d investigations, par leur souci d allier toujours et la recherche et la pratique, le chercheur et le praticien, de développer les réussites de la science en les associant à leur traduction industrielle. Bref, de ne pas se cantonner dans la connaissance d un savoir et dans son perfectionnement, et de parvenir à partager, à faire connaître et à développer, non seulement ici, chez nous, mais partout où les Pasteuriens sont allés, où on retrouve la trace solide de cette tradition. Jacques Chirac président de la République (Centenaire de la disparition de Louis Pasteur, 1995) Le Président a notamment fait référence à la solidarité liée à la tradition pasteurienne : Cet objectif de solidarité, de cohésion planétaire doit s'illustrer dans les grands programmes à vocation scientifique universelle et dans toutes les actions destinées à réduire les fractures entre les grands ensembles des nations du monde. C'est là qu apparaît la santé Et l'institut Pasteur, par les centres qu'il a créés dans le monde entier, figure au premier rang des acteurs. Il constitue une référence. Jacques Chirac a souligné la nécessité d'accorder une souplesse à la recherche, d'introduire de la liberté dans les organisations, voire une «certaine marge de désordre». Le président a conclu en citant Pasteur : «Par la persévérance dans la recherche, on finit par acquérir ce que j'appelle volontiers l'instinct de vérité.» C'est cet instinct de vérité que cultive l'institut Pasteur, et qui vous permettra, j'en suis sûr, d'écrire demain quelques-unes des plus belles pages de l'aventure humaine». 4

7 PASTEUR LE MAG L ÉMOTION >Élodie, 13 ans (1996). LA RÉVOLUTION Claire Salomon-Bayet - Bernard Lécuyet. (Pasteur et la révolution pastorienne, préfacé par André Lwoff, Payot. 1986). La révolution pasteurienne se déclenche au cœur de la science, associe le laboratoire du biologiste à la pratique médicale, débouche sur la médicalisation de la société, une nouvelle législation de santé publique, des enseignements bouleversés à l école, à l université, dans les casernes. Après Pasteur, ce ne sont plus seulement le monde de la science et celui de la santé qui ne sont plus les mêmes, c est le monde tout court. 5

8 Un creuset pour la biologie Louis Pasteur et Robert Koch furent les pères de la Microbiologie. L Institut Pasteur en fut l un des berceaux et bénéficie toujours d une renommée internationale dans ce domaine. L Immunologie aussi y est née et s y est développée pour partie. Elle demeure une clef de voûte de l activité scientifique pasteurienne. Des pasteuriens furent les artisans français de la Biologie moléculaire. D autres furent des pionniers, particulièrement de la Neurobiologie. Ce sont, parmi d autres, quatre champs d intervention majeurs de l Institut Pasteur depuis sa création. Voici quelques éclairages sur les principaux épisodes de cette histoire féconde. MALADIES INFECTIEUSES PAGE 8 IMMUNOLOGIE PAGE 34 BIOLOGIE MOLÉCULAIRE PAGE 40 NEUROBIOLOGIE PAGE 54 6

9 PASTEUR LE MAG L a microbiologie est la science qui portait sur la biologie des êtres microscopiques, bactéries, virus, protozoaires, algues, champignons Une science à part entière dont les contributions furent initialement surtout d'ordre pratique. Elle s est scindée en la bactériologie, la virologie, la parasitologie, la mycologie L immunologie aussi en est issue. À partir des années cinquante, la biologie moléculaire révolutionne toutes ces branches de la microbiologie originelle, entre autres. Plus généralement, nombre de découvertes qui ont contribué à la compréhension de la cellule, de l'hérédité, de la biochimie, de la nutrition et de la génétique des fonctions et lois du vivant, se sont faites grâce aux travaux sur les microbes. Des pasteuriens ont apporté leur contribution à certaines de ces évolutions marquantes. Souvent engagés dans des recherches buissonnières, hors des sentiers battus, hommes de laboratoires et de terrain, leurs travaux ont parfois fait l objet de controverses avant que leur bien fondé ne soit reconnu. Les pasteuriens eurent à faire face à différentes formes d adversité, des fléaux qu ils côtoyaient aux certitudes de contradicteurs. Et ce depuis Louis Pasteur lui-même... Les pasteuriens ne furent pas des saints, encore moins des faiseurs de miracles, bien que certains soient entrés en Science comme on entre en religion. André Lwoff, avec humour, allait jusqu à comparer le Nobel à un sacrement, ajoutant : «La recherche scientifique est une religion qui demande la foi, une foi rationnelle. Comme toute religion, elle exige des prophètes, un collège d'apôtres, l'âme et le cœur de tout un peuple. Elle exige également des martyrs». Le lot de la recherche est aussi de conduire parfois à des impasses. Cependant, celles-ci ne sont pas des échecs dès lors qu elles permettent de suivre de nouvelles orientations et d en informer la communauté scientifique. L important est de faire bénéficier le plus grand nombre des avancées. Tour d horizon 7

10 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE Maladies infectieuses Connaître pour combattre L immense majorité des micro-organismes est utile à la biosphère, dont elle constitue un précieux composant. La vie sur terre, y compris celle de l homme, dépend d eux. Considérés initialement uniquement comme des propagateurs de maladies infectieuses, ils sont devenus, au fil du temps, des objets d étude en tant que tels et même des alliés parce que les scientifiques ont su les utiliser au bénéfice de la santé. Tous les microbes dangereux n ont cependant pas été vaincus, loin de là. Contrer des bactéries tueuses en série >Auguste Chaillou (1894). Sous la direction d Émile Roux et avec Louis Martin, il a travaillé à la mise au point du sérum antidiphtérique. Tous trois l appliqueront avec succès en 1894 à 300 enfants de l hôpital des Enfants-Malades dont le service de la diphtérie sera confié à Chaillou. Roux, Martin et Chaillou ont signé, toujours la même année, la communication du Congrès de Budapest relative à l application de la sérothérapie antidiphtérique. Diphtérie Traiter avec des sérums L a diphtérie, due à une bactérie, faisait des ravages chez les enfants, plusieurs dizaines de milliers de décès en France chaque année, parfois dans des conditions d asphyxie horribles. En 1888, Émile Roux et Alexandre Yersin, ayant injecté à des animaux le liquide de filtrats de cultures dépourvus de bactéries, observent qu il leur confère cependant les >Corynebacterium diphteriæ, bactérie agent de la diphtérie, également appelée bacille de Klebs-Löffler. symptômes de la diphtérie. Ils découvrent alors la première toxine bactérienne, le premier poison susceptible à lui seul de donner la maladie. En 1890, Emil von Behring et Shibasaburo Kitasato montrent que des doses appropriées de culture de diphtérie associées à des désinfectants divers, injectés à des animaux, généraient une production de contrepoison, d une antitoxine (on apprendra plus tard qu il s agissait d anticorps). En 1894, Émile Roux, Louis Martin et Auguste Chaillou mettent au point le traitement de la diphtérie par des sérums. Ils adaptent la méthode de Behring à de 8

11 PASTEUR LE MAG >Caricature d'émile Roux illustrant ses travaux sur la diphtérie. (Dessin de Moloch, 1908) >Émile Roux (à gauche) accompagnant Raymond Poincaré, président de la République, lors d une visite de l Institut Pasteur, en grands animaux. Ils immunisent ensuite des chevaux à grande échelle avant d injecter leur sérum aux malades pour leur apporter l antitoxine. Appliquée la même année dans les hôpitaux parisiens, la sérothérapie antidiphtérique fait considérablement diminuer la mortalité infantile due à cette maladie, qui passe alors de 45 % à 24 % (de victimes entre 1890 et 1894, elle chute à 354 entre 1895 et 1899). Une souscription lancée par Le Figaro permet à l Institut Pasteur d acheter des chevaux et de les accueillir à Marnes-la-Coquette dans un domaine qui avait été mis à la disposition de Louis Pasteur. La sérothérapie était née ; elle sera appliquée aussi au tétanos puis à d autres grandes maladies infectieuses. Ce fut le premier traitement spécifique d une maladie infectieuse. Albert Calmette l adaptera pour mettre au point la sérothérapie contre les venins de serpents. Entre-temps, Ehrlich établira une procédure de normalisation (titrage) de la toxine. À ces voies d immunisation passive (par un apport d anticorps produits par les chevaux), succéderont les voies d immunisation active (pour inciter l organisme lui-même à produire ses anticorps spécifiques). De 1922 à 1926, les bases des vaccinations modernes vont voir le jour. Gaston Ramon s attachera à préparer des anatoxines, toxines détoxifiées. Il était venu initialement pour s occuper des chevaux à Marnes-la- Coquette. Le soir, après ses heures de travail, il mélangeait de la toxine et du sérum, élaborait ses propres manipulations, suivant ses intuitions. Avec Zoeller, il sera également à l origine des vaccinations associées, dont le fameux vaccin contre la dipthérie et le tétanos (lire le dossier Vaccinologie de Pasteur Le Mag n 0 2). Des règles strictes Tout sérum, avant d'être livré aux pharmaciens ou aux établissements hospitaliers, devait être testé, puis stérilisé. L'essai consistait à évaluer, par des inoculations aux animaux, le pouvoir antitoxique du sérum (méthode d'ehrlich) et ses effets thérapeutiques. Les microbes qui auraient pu pénétrer dans le sérum ou dans le flacon durant les manipulations étaient détruits par stérilisation, avec chauffages répétés à 56 degrés. Une fois que l immunisation des chevaux était avancée, elle n avait besoin d'être entretenue que par des inoculations de toxines, entre deux saignées. 9

12 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE BACTÉRIES E Peste Le fléau ntré à l'institut Pasteur en 1888, Alexandre Yersin devient l'assistant d'émile Roux. Il s'engage ensuite dans les Messageries maritimes qu'il quittera en 1892 pour explorer l'arrière-pays indochinois alors très peu connu. Au début de 1894, la peste atteint Canton, puis Hong Kong, puis Amoy. D'emblée la situation est dramatique : en quelques mois, Canton ville de 1,6 million d habitants, déplore plus de morts. La mort survient en quelques jours, parfois en moins de vingt-quatre heures et la mortalité atteint 96 % des malades. Les structures hospitalières sont débordées et l'on construit des installations sanitaires de fortune. La peste inquiète à juste titre car ses ravages sont restés dans les mémoires (25 millions de morts en Europe entre 1348 et 1350, Londoniens morts en 1665, Marseillais en 1720). Yersin souhaite aller étudier l épidémie mais se heurte au refus des autorités. Finalement, c'est grâce à l'appui de Calmette que Yersin peut se rendre à Hong Kong, où il s'installe provisoirement à l'hôpital Kennedy Town. Quelques jours à peine après son arrivée, Yersin découvre l agent de la peste ; il raconte sa découverte à sa mère (voir lettre ci-contre). >Présence de Yersinia pestis dans un crachat de malade atteint de peste pulmonaire. Henri Mollaret, Avec Jacqueline Brossollet, le Pr Mollaret, pasteurien grand spécialiste des Yersinia, a écrit plusieurs ouvrages sur Yersin. 10

13 PASTEUR LE MAG Une lettre pour une découverte Chère maman, Hong Kong 24 juin 1894 >Alexandre Yersin. Je suis sûr que tu dois être un peu anxieuse de recevoir cette lettre, me sachant dans un endroit où l on n irait pas précisément faire aujourd hui un voyage d agrément! Après être resté quelques jours à l hôtel, je me suis fait construire une paillote à côté de l hôpital des pestiférés, et j ai établi là mon domicile et mon laboratoire. Tout cela n a pas été sans peine, et si je n avais pas eu le bonheur de découvrir un brave missionnaire catholique qui a bien voulu m accompagner partout et me servir d interprète, je ne sais pas comment je me serais tiré d affaire! Ce missionnaire s appelle le Père Vigano. Voilà 30 ans qu il réside à Hong Kong aussi il connaît tout le monde. Les Japonais ont aussi envoyé une mission pour étudier la peste. Cette mission est composée de six membres. Ils sont arrivés quelques jours avant moi et se sont imaginés être les seuls à avoir le droit d étudier la maladie! Pour m empêcher de bien faire ils ont acheté le personnel de l hôpital de façon à ce qu on ne me fournît aucune autopsie! Je me suis plaint au Gouverneur et aujourd hui j ai les mêmes facilités de travail qu eux. J ai déjà pu étudier une douzaine de cas, et il ne m a pas été difficile de trouver le microbe qui pullule dans le bubon, dans les ganglions lymphatiques, la rate, etc. C est un petit bâtonnet un peu plus long que large et qui se colorie difficilement. Il tue les souris, les cobayes avec les lésions de la peste. Je le retrouve toujours ; pour moi il n y a pas de doute. J envoie à l Institut Pasteur par ce courrier un certain nombre de petits tubes scellés contenant de la pulpe de bubon de peste. On va pouvoir donc commencer à Paris l étude de la maladie. Ici, je suis très limité dans mes expériences car mon laboratoire est fort mal monté. Hong Kong est une ville très pittoresque, bâtie au bord de la mer sur le flanc d une montagne abrupte de 600 mètres, les maisons sont étagées jusqu au sommet. La population chinoise est de plus de âmes. Elle est aujourd hui réduite de moitié à cause de l émigration provoquée par la peste. On est en pleine saison des pluies, il tombe de vrais déluges d eau et, à la suite de chacune de ces violentes averses, il y a un redoublement de l épidémie. La mortalité est très forte. 95 % des cas. Jusqu à présent 3 Anglais seulement ont été frappés. Je ne compte pas les Portugais, il y en a beaucoup plus. Je tâcherai, un de ces jours, de faire une petite photographie de ma paillote avec moi devant, et je te l enverrai. Je continue à me très bien porter, un peu fatigué seulement, car étant seul je dois suffire à tout [ ] J aurais encore bien des choses à te raconter, mais il y a deux cadavres qui m attendent, et ces Messieurs sont fort pressés paraît-il d aller au cimetière. Adieu chère maman, lave-toi les mains après avoir lu ma lettre pour ne pas gâgner* la peste!! Ton fils aff. * Gâgner était autrefois utilisé en Français dans le sens de contracter une affection (Jean-François Féraud, Le Dictionnaire critique de la langue française. 1787). 11

14 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE BACTÉRIES Peste Le fléau LES PREMIÈRES LUTTES Un sérum antipesteux fut mis au point par Calmette et Borrel, à l'institut Pasteur, à partir des souches expédiées par Yersin. Il l'expérimentera tout d'abord à Amoy et Canton (Chine) puis Simond l'utilisera aux Indes et Calmette et Salimbeni à Porto. Ce traitement a incontestablement représenté un progrès pour l'époque, d'autant plus que la chimioprophylaxie par les sulfamides et les antibiotiques - n'existait pas encore. D'autre part, en 1895, Waldemar Haffkine, pasteurien lui aussi, mettra au point le premier vaccin contre la peste, avec des bacilles tués par la chaleur. Mais la peste ne confère qu'une mauvaise immunisation contre elle-même et ce vaccin tué ne fut guère efficace. En revanche, celui mis au point par deux autres pasteuriens, Girard et Robic (1933), vaccin vivant mais atténué par des successions de passages, assura une meilleure protection. Mais sa conservation posait problème. Ce sont les Soviétiques qui, à partir de la souche de Girard et Robic, fabriqueront un vaccin antipesteux lyophilisé, qui pouvait donc être conservé plus facilement. La souche d'origine du bacille de Yersin a donné lieu à plusieurs souches dérivées toujours entretenues dans le monde. Les mesures prophylactiques avaient pu être renforcées dès la découverte par le pasteurien Paul-Louis Simond, que la puce transmet la bactérie responsable de la peste bubonique. (On savait déjà, Yersin notamment, que le rat était l hôte principal de ce vecteur.) Bien après les premiers vaccins, l antibiothérapie permettra de renforcer la lutte contre la peste. >Peste dans le quartier des chiffonniers, à Paris. En 1920, une épidémie de peste frappe une population de chiffonniers, à Paris et dans sa banlieue Nord. E. Joltrain, médecin chef des épidémies à la préfecture de Police, et le pasteurien Dujardin-Beaumetz vaccinent environ personnes ayant été au contact des malades, et examinent plus de rats. Ils prennent des mesures prophylactiques. Après l'extinction de cette peste, un laboratoire du Rat est créé à la Préfecture de Police. 12

15 PASTEUR LE MAG >Dr Georges Girard, directeur de l'institut Pasteur de Madagascar de 1922 à (photo de 1940). En 1932, après six ans d'efforts, il met au point avec Jean Robic, médecin commandant des Troupes coloniales, un vaccin antipesteux efficace sur l'animal, en utilisant une souche dont la virulence atténuée de manière permanente a conservé son pouvoir vaccinant. Pour démontrer qu il est sans danger pour l'homme, G. Girard, J. Robic et F. Estrade s'inoculent plusieurs fois le nouveau vaccin. Il est rapidement utilisé avec succès à Madagascar, puis dans d'autres régions du monde : Afrique du Sud, Congo, URSS. >Paul-Louis Simond injectant du sérum antipesteux à un malade (Inde, vers 1900). La peste, le rat et la puce Bien qu ayant réussi à isoler la bactérie responsable de millions de morts dans l histoire de l Humanité, Yersin ne parviendra jamais à résoudre le problème de la transmission de la maladie du rat à l homme. C est en juin 1898 qu un autre pasteurien, Paul-Louis Simond, établit avec certitude à Karachi que c est la puce qui transmet le bacille par sa piqûre. Son expérimentation, réalisée dans les dépendances de l hôpital Reynolds, fit l objet d un mémoire publié dans le numéro d octobre des Annales de l Institut Pasteur. Il fut aussi à l'origine de découvertes de premier plan pour deux grandes endémies-épidémies tropicales, le paludisme et la fièvre jaune (dont il fut lui-même atteint, sous une forme atténuée). On lui doit également des contributions importantes à l'étude de diverses maladies infectieuses comme le choléra (Constantinople) et la fièvre de Malte (Marseille) et à l'amélioration de l'hygiène publique. Comme celui de Yersin, l'apport de Paul-Louis Simond ne fut que tardivement reconnu dans la communauté scientifique internationale, après avoir été l'objet de discussions et polémiques. Un phénomène fréquent dans l histoire pasteurienne, Louis Pasteur lui-même ayant eu à lutter contre des contradicteurs. 13

16 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE BACTÉRIES L Typhus Chercher le pou es guerres, les catastrophes naturelles, les grandes migrations de population, les désastres sanitaires ont toujours fait le lit du typhus. Si la peste est longtemps demeurée mystérieuse, le mode de transmission du typhus ne l était pas moins. En 1909, Charles Nicolle fit une découverte capitale sur le typhus exanthématique, la forme humaine de la maladie. Il obtiendra d ailleurs le prix Nobel de Physiologie ou médecine en 1928, pour l'ensemble de ses travaux sur le typhus. Dès 1903, Charles Nicolle commence à étudier cette maladie, les périodes et localisations de la progression des épidémies. Il faillit d'ailleurs en être victime. En juin, le typhus s'était déclaré dans un pénitencier du Djouggar, à 80 km de Tunis. Charles Nicolle devait s'y rendre en compagnie du médecin de l'établissement. À la suite >Pou vestimentaire. Pediculus humanus var corporis, vecteur du typhus exanthématique par la transmission interhumaine de la bactérie Rickettsia prowazekii. Maurice Lesourd, 1970 >De nombreux animaux constituent le réservoir naturel des bactéries responsables du typhus, les rickettsies. C est accidentel chez l homme, à l exception de Rickettsia prowazekii (photo), agent du typhus exanthématique. 14

17 PASTEUR LE MAG 1909 Le récit de Charles Nicolle >Pou de tête adulte. Pediculus capitis. Paul Grenier, service d Entomologie médicale, d'une indisposition, la veille du jour fixé, il est contraint de remettre son projet. Il apprend, peu de temps après, que le médecin et son infirmier, ayant contracté le typhus auprès des prisonniers, en sont morts. Plus tard, il déclarera d'ailleurs : «Mon premier contact avec le typhus eut été sans doute le dernier. La plupart des médecins de l'administration tunisienne, surtout ceux de la campagne, ont contracté le typhus et un tiers environ en est mort. Si j'ai eu la chance d'échapper à la contagion malgré un contact fréquent, parfois quotidien, c'est que j'ai deviné comment elle procédait». Son premier objectif fut d'obtenir un modèle expérimental animal. Après divers essais infructueux, Charles Nicolle met au point un modèle animal sur lequel la transmission de l infection est réalisée (en juin 1909). En août, Charles Nicolle élucide le mode de contamination du typhus. Il l écrivit dans les Annales de l Institut Pasteur. «Comme tous ceux qui, depuis de longues années, fréquentaient l'hôpital musulman de Tunis, je voyais, chaque jour, dans ses salles, des typhiques couchés auprès de malades atteints des affections les plus diverses. Comme mes devanciers, j'étais le témoin quotidien et insoucieux de cette circonstance étrange qu'une promiscuité, aussi condamnable dans le cas d'une maladie éminemment contagieuse, n'était cependant point suivie de contaminations. Les voisins de lit d'un typhique ne contractaient pas son mal. Et, presque journellement, d'autre part, au moment des poussées épidémiques, je constatais la contagion dans les douanes, dans les quartiers de la ville et jusque chez les employés de l'hôpital, préposés à la réception des malades entrants. Les médecins, les infirmiers se contaminaient dans les campagnes, dans Tunis et point dans les salles de médecine. Un jour, un jour comme les autres, un matin, pénétré sans doute de l'énigme du mode de contagion du typhus, n'y pensant pas consciemment toutefois (de cela, je suis bien sûr), j'allais franchir la porte de l'hôpital lorsqu'un corps humain, couché au ras des marches, m'arrêta. C'était un spectacle coutumier de voir de pauvres indigènes, atteints de typhus, délirants et fébriles, gagner, d'une marche démente, les abords du refuge et tomber, exténués, aux derniers pas. Comme d'ordinaire, j'enjambais le corps étendu. C'est à ce moment précis que je fus touché par la lumière. Lorsque, l'instant d'après, je pénétrais dans l'hôpital, je tenais la solution du problème. Je savais, sans qu'il me fût possible d'en douter, qu'il n'y en avait pas d'autre, que c'était celle-là. Ce corps étendu, la porte devant laquelle il gisait, m'avaient brusquement montré la barrière à laquelle le typhus s'arrêtait. Pour qu'il s'y arrêtât, pour que, contagieux dans toute l'étendue du pays, à Tunis même, le typhique devînt inoffensif, le bureau des entrées passé, il fallait que l'agent de contagion ne franchît pas ce point. Or, que se passait-il en ce point? Le malade y était dépouillé de ses vêtements, de son linge, rasé, lavé. C'était donc quelque chose d'étranger à lui, qu'il portait sur lui, dans son linge, sur sa peau, qui causait la contagion. Ce ne pouvait être que le pou. Ce que j'ignorais la veille, ce que nul de ceux qui avaient observé le typhus depuis le début de l'histoire - car il remonte aux âges anciens de l'humanité - n'avait remarqué, la solution indiscutable, immédiatement féconde, du mode de transmission, venait de m'être révélée.» Jamais il n'y aura assez de gloire et de gratitude pour ces hommes - tel Charles Nicolle - qui, sans faire couler le sang humain, ont su changer le cours de l'histoire. Jean Rostand 15

18 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE BACTÉRIES Charles Nicolle confirmera expérimentalement chez l animal ce qu'il venait de découvrir. La lutte contre les épidémies de typhus paraît dès lors évidente : il faut détruire les poux. Son fils, Pierre Nicolle, lui-même pasteurien, en rappelait les conséquences. «En trois ans, la ville de Tunis est débarrassée d'un fléau millénaire, et, en même temps, les prisons, les pénitenciers et les mines de Tunisie, foyers permanents d'où la maladie se répandait dans le pays à chaque printemps... Partout dans le monde la méthode est appliquée...» Et, faisant allusion à la première guerre mondiale, Pierre Nicolle ajoutait : La lutte contre les épidémies de typhus paraît dès lors évidente : il faut détruire les poux. Typhus Chercher le pou «Partout où l'on put appliquer les mesures prophylactiques qui découlaient directement des travaux de Charles Nicolle : la quarantaine des troupes venant des pays à typhus et leur épouillage, le typhus fut empêché d'apparaître. Cette découverte, faite à la veille de la guerre de 1914, a sauvé les armées du front occidental d'un fléau habituel aux longues guerres. >Épouillage en 1920 à Madras (Inde) Elle a protégé ainsi des millions d'hommes. Au contraire, les nations qui, désorganisées par la défaite ou la révolution, ne purent pas prendre les précautions édictées : la Serbie lors de la meurtrière retraite de 1915, la Russie, la Pologne, la Roumanie, subirent cruellement la contre-épreuve». Charles Nicolle poursuivra ses travaux sur le typhus : maladie de laboratoire chez le cobaye ; protection des médecins et des infirmiers, en pleine épidémie, par le sérum de convalescents ; découverte de l'infection inapparente ; étude comparative du typhus de l'afrique du Nord et de celui de l'europe avec d'autres maladies analogues, entre autres le typhus endémique chez les rats, le typhus murin... Il passera l essentiel de sa vie à l Institut Pasteur de Tunis (lire page 112). >Épouillage en 1920 en Bretagne 16

19 PASTEUR LE MAG L e Conseil d'hygiène et la municipalité de Lille avaient demandé, en novembre 1894, la création d'une annexe de l'institut Pasteur dans cette ville, avec un Centre antirabique et un Bureau d'hygiène. Calmette acceptera cette mission ; il restera 25 ans à Lille. Dans le nouvel institut, il mettra tout d'abord en place les services pratiques répondant aux besoins des médecins, des hygiénistes, des industriels de la région. Outre des laboratoires de microbiologie médicale, microbiologie vétérinaire et microbiologie agricole, il créera un laboratoire d'hygiène et de chimie appliquée pour assurer les analyses microbiologiques et chimiques des eaux de boisson. De plus, il s'attaquera aux problèmes les plus divers concernant l'hygiène publique : recherches sur l épuration biologique des eaux usées des villes et des industries agricoles, création d un laboratoire d'hygiène et de chimie appliquée pour assurer les analyses Tuberculose et médecine sociale >Albert Calmette. La vaccination contre la tuberculose fait partie des grandes vaccinations humaines. Le premier numéro de Pasteur Le Mag a consacré un dossier à cette maladie, y compris à la situation actuelle. Avant même la mise au point du BCG, Albert Calmette s est révélé un pionnier de la médecine sociale. Il avait entrepris une lutte contre la tuberculose qu il n aura de cesse de renforcer et d étendre à d autres pathologies. Le fondateur des Instituts Pasteur de Saigon, puis de Lille, sera aussi un pionnier de la médecine sociale. microbiologiques et chimiques des eaux de boisson, lutte contre les taudis, assainissement des logements ouvriers dans les quartiers surpeuplés, évacuation et destruction des ordures ménagères... Pour Émile Roux : «En propageant par l'exemple et par de nombreuses conférences les procédés d'épuration biologique des eaux résiduaires, Calmette a contribué à l'assainissement des villes, des rivières polluées et à la protection des eaux de sources. Il a fait surgir en France une industrie sanitaire nouvelle et rendu aux industriels et aux agriculteurs un signalé service.» Parallèlement, Calmette travaillera sur des maladies atteignant préférentiellement les mineurs (ankylostomiase ou anémie des mineurs), fondera des dispensaires d'hygiène sociale dans les centres miniers et les usines, et s'intéressera de près à la tuberculose, non seulement à la maladie en tant que telle mais aussi à l'environnement et aux conditions de vie des tuberculeux. Calmette écrivit que la lutte >Institut Pasteur de Lille. scientifique et sociale contre la tuberculose devenait pour lui une véritable obsession. Il œuvrera dans ce sens toute sa vie. Calmette a été à l'origine de la création du premier dispensaire antituberculeux, le Préventorium Émile Roux de Lille, en 1901, destiné à la prophylaxie de cette maladie, tant par l'éducation hygiénique, que par la surveillance sanitaire des familles >Mycobacterium tuberculosis, le bacille de la tuberculose. 17

20 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE LA VISION DE CALMETTE «Si l'amélioration des conditions matérielles de la vie, les lois susceptibles de développer les institutions de prévoyance ou d'assurances obligatoires, d'accroître les salaires et le bien-être des travailleurs, de supprimer l'alcoolisme, d'assainir les villes et les habitations, peuvent contribuer, dans une large mesure, à restreindre les sources et les occasions d infection, notre but essentiel doit être de les tarir. On ne verra jamais un enfant, fut-il condamné à vivre dans le taudis le plus malsain, dans les conditions de misère les plus affreuses - ni un veau dans l'étable la plus insalubre - contracter la tuberculose si, dans ce taudis ou dans cette étable, des germes virulents ne sont pas introduits d'une façon intermittente ou continue par des hommes ou des animaux malades. C'est donc bien avant tout, par-dessus tout contre ces apports de germes, et principalement contre ces apports fréquents et abondants, que doivent être concentrés nos efforts de lutte antituberculeuse.» de tuberculeux. Pendant de longues années, il étudiera aussi la maladie elle-même et les moyens de la prévenir. C'est en 1920, avec Camille Guérin, l'un de ses proches collaborateurs, qu'il aura enfin la conviction de disposer d'un moyen efficace de vaccination à partir du bacille bovin vivant atténué, le "bacille de Calmette et Guérin" ou BCG, qu'ils avaient découvert en En 1921, les premiers essais de vaccination contre la tuberculose sont entrepris à l'hôpital Pasteur. La vaccination par le BCG connaîtra une extension mondiale, y compris lors de campagnes de vaccination de masse dans de nombreux pays d'europe, d'afrique, d'asie, d'amérique. Dans certains d'entre eux, associée aux progrès de l hygiène et à l antibiothérapie, la maladie diminuera considérablement. Ce vaccin évoluera au fil des ans et il a permis de protéger des millions de vies humaines. Observer Banc optique mis au point par Émile Roux vers 1887 ; il participa à la naissance de la microphotographie. De nombreux pasteuriens mirent au point outils, instruments, colorants, et techniques, boîtes de culture, milieux, filtres et évidemment des techniques et méthodologies. 2.Photomicrographie de Bacillus anthracis, agent du charbon, et de globules rouges contenus dans le sang d'un "animal charbonneux" (travaux de Louis Pasteur et Émile Roux). 3.Entré à l'institut Pasteur en 1932, Jean Comandon (à droite) créa le service de microcinématographie avec Fonbrune. Ici, ils réalisent un tournage de cinémicrographie dans leur laboratoire de Marnes-la-Coquette. Élève du Pr Dastre, Jean Comandon fut l inventeur du dispositif permettant de cinématographier ce que l on appelait les infiniment petits. 18

21 PASTEUR LE MAG Les agents de maladies parasitaires débusqués PALUDISME Avec Félix Mesnil, Alphonse Laveran fut l un des maîtres de la parasitologie à l Institut Pasteur. Avant de rejoindre l Institut Pasteur, il avait découvert à l hôpital de Constantine, en 1880, ce qu il pensait être l agent du paludisme, un protozoaire infectant les globules rouges des malades. Il le décrit dans diverses publications de 1880 à Alphonse Laveran avait suivi le cours de microbiologie de l Institut Pasteur en Cinq ans plus tard, il le rejoint en tant que chercheur bénévole. De 1900 à 1903, Laveran s'intéresse au raport éventuel entre les moustiques anophèles et le paludisme. Il se rend en Corse et en Camargue pour y étudier ces moustiques et examine ceux qui lui sont adressés du monde entier. Il a l idée qu il pourrait exister un lien entre ces moustiques et la propagation du paludisme. D autres scientifiques le démontreront et montreront également que le parasite suit un cycle chez cet insecte. LEISHMANIOSES En 1900, Laveran et Mesnil étudient les trypanosomes, agents de diverses épizooties et de maladies humaines comme la maladie du sommeil. Quatre ans plus tard, ils publient un traité sur ce sujet, qu ils compléteront en En 1903, les deux pasteuriens démontrent que le parasite responsable d'une fièvre sévissant en Inde, le Kala-azar, déjà observé par Sir William Boog Leisham, est un protozoaire nouveau, indépendant des trypanosomes et de l'hématozoaire du paludisme. Ils le nomment provisoirement Piroplasma donovani, en référence à Charles Donovan qui travaillait lui aussi sur la leishmaniose. Pour ce parasite, Ronald Ross a créé le genre Leishmania ; il sera baptisé ensuite Leishmania donovani. >Félix Mesnil. Laveran dut surmonter le scepticisme de nombreux collègues. Le bien fondé de ses travaux sera >Félix Mesnil. reconnu et même couronné par le Nobel en 1907, décerné : «Pour ses travaux sur le rôle des protozoaires comme agents de maladies». Il affectera la quasi-totalité du montant de son prix au développement de locaux consacrés à la parasitologie à l Institut Pasteur. En 1907, Charles Nicolle, avec d'autres médecins, établit les éléments de diagnostic de plusieurs cas de splénomégalie (augmentation du volume de la rate) fébrile. À cette occasion, il découvre une nouvelle forme de leishmaniose. Le parasite qu'il étudie s'avère voisin de Leishmania donovani, mais, contrairement à ce dernier, il n'entraîne pas de pigmentation particulière de la peau (Kala-azar, en hindou, signifie fièvre noire, en raison de cette pigmentation) et s'attaque préférentiellement aux jeunes enfants. Il dénomme cette nouvelle maladie : le Kala-azar infantile. Un an plus tard, avec Charles Comte, il découvre le Kala-azar spontané du chien. Il montre que c'est le chien qui est le réservoir de parasites pour la maladie méditerranéenne et non l'homme, >Alphonse Laveran. 19

22 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE PARASITES pour les leishmanies et que sa morphologie différait de celle des leishmanies. Ils l'appelèrent finalement Toxoplasma gondii. Des travaux pasteuriens ultérieurs montrèrent que l'on retrouvait ce parasite chez d'autres animaux et, en 1917, Édouard Chatton et Georges Blanc montrèrent que les gondis n'étaient pas naturellement infectés par les toxoplasmes. Les gondis de l'institut Pasteur de Tunis étaient en fait contaminés par l'intermédiaire d'autres animaux de l'institut, vraisemblablement les chiens. Sans le savoir - ce ne fut confirmé qu'en , en découvrant ce nouveau parasite, Charles Nicolle venait de découvrir l'agent d'une maladie humaine grave et fréquente, la toxoplasmose. qui l'est pour la maladie indienne. Toujours en 1908, il trouve le moyen de simplifier un milieu de culture de Leishmania donovani déjà existant ; ce procédé est adopté alors pour la culture de nombreux protozoaires. Il réussit à infecter expérimentalement le chien. La même année, avec Charles Comte, il parvint à cultiver sur son milieu, un autre parasite, Leishmania tropica, responsable du bouton d'orient, ou clou de Gafsa. Félix Mesnil déclara que les travaux de Charles Nicolle et de ses collaborateurs furent à l'origine de toutes les connaissances expérimentales sur les leishmanioses. TOXOPLASMOSE Avec Louis Manceaux, autre collaborateur, Charles Nicolle découvrit un parasite nouveau dans le sang d'un petit rongeur tunisien, le gondi, qu'ils dénommèrent tout d'abord Leishmania gondii. Mais ils s'aperçurent que ce parasite n'était pas cultivable sur le milieu utilisé >Pigmentation sombre exceptionnelle de la peau dans le Kala Azar, Madras. Note manuscrite (traduite) et signature de C. Donovan. (Peinture à l aquarelle de V. Veeraperonnall.) Collection d Alphonse Laveran. >Leishmania donovani. 20

23 PASTEUR LE MAG Des insectes en lumière >Anopheles gambiæ, vecteur du parasite responsable du paludisme. Avec le montant de son prix Nobel, Alphonse Laveran n avait pas seulement créé des laboratoires de Protozoologie et de Microbiologie, il avait inclus un service d Entomologie médicale. Une activité traditionnelle à l Institut Pasteur, portant sur les insectes et les acariens vecteurs et sur les moyens de les combattre. Nombre de pasteuriens ont rendu ainsi de grands services, par exemple, les frères Edmond et Étienne Sergent. En 1900, ils montrent la présence d'anophèles dans certaines régions de France où il n'existe cependant pas de paludisme. Ils formulent la notion d'anophélisme sans paludisme. Trois ans plus tard, ils découvrent en Algérie, à l'examen microscopique du sang de chamelles, un trypanosome, Trypanosoma berberum, qui est l'agent étiologique de la principale maladie du dromadaire. Ils confirment que la transmission de la maladie s'effectue par les piqûres de taons, et formulent les règles prophylactiques et thérapeutiques permettant de la combattre. De 1913 à 1932, des recherches sont menées, notamment sur les piroplasmoses bovines, dont cinq formes existant en Algérie sont bientôt découvertes. Différentes espèces de tiques ont été désignées comme leurs agents vecteurs. Ces travaux ont abouti à la mise en place de règles prophylactiques et thérapeutiques efficaces. De 1914 à 1916, ils expérimentent un micro-organisme isolé par Félix d'herelle, Coccobacillus acridiorum, pour la destruction des bandes de sauterelles pèlerines qui envahissent l'algérie de manière régulière. Plus tard, en collaboration avec d autres scientifiques, ils font apparaître le rôle des phlébotomes, insectes piqueurs nocturnes, dans la transmission de la leishmaniose cutanée, appelée aussi bouton d'orient ou clou de Biskra. En Algérie, ils appliquent avec succès des méthodes prophylactiques pour lutter contre le moustique vecteur du paludisme, Anopheles gambiæ. Parallèlement à l'entomologie médicale, s'était développée la lutte biologique contre les insectes nuisibles, qu'il s'agisse de ceux qui ravagent les récoltes ou des vecteurs d'agents de maladies. En 1936, Alfred Balachowsky publie avec Louis Mesnil : «Les insectes nuisibles aux plantes cultivées. Leurs mœurs, leur destruction». C'est la première fois que la lutte biologique à grande échelle est évoquée pour la préservation des cultures. Il est nommé plus tard chef du nouveau service de parasitologie végétale de l'institut Pasteur, qu'il doit organiser avec Georges Remaudière. En 1956, il devient le premier président de l'organisation internationale de lutte biologique contre les insectes nuisibles qu il a créée. À l'invitation de la FAO, il fonde et dirige le Centre d'information et de coordination sur la punaise des céréales à l'institut Pasteur, et coordonne la lutte contre l'insecte nuisible au Moyen-Orient. L étude des insectes a largement bénéficié des progrès accomplis par la biologie depuis plus de 40 ans. Des pasteuriens s intéressent sous des angles moléculaires à leur biochimie, leur génétique et leur génomique. En 2002, à partir de travaux préliminaires du Génoscope et de l Institut Pasteur, un consortium international a pu séquencer le génome du moustique Anopheles gambiæ, vecteur de l agent du paludisme. Évidemment, des unités pasteuriennes et des groupes se consacrent plus particulièrement aux maladies infectieuses transmises par des insectes, comme le paludisme, la peste ou encore diverses maladies virales, dont les arboviroses. >Récolte de tiques à jeun, par la méthode de la couverture, en Alsace. Les tiques sont vecteurs d'encéphalites et de la maladie de Lyme. (François Rodhain, 1984) >Tri de moustiques récoltés à Soalala (Madagascar). Tri effectué par espèce avant congélation. Ce matériel sera utilisé pour rechercher des arbovirus. (F. Rodhain, 1988) >Centre de Production et infection des Anophèles de l Institut Pasteur (2007). >En 1996, le Pr François Rodhain, qui dirigeait l'unité d'écologie des Systèmes vectoriels rappelait l importance de l entomologie : «Nous avons toujours fait de l'entomologie médicale à l'institut Pasteur, depuis sa création et depuis la naissance de ce qui est devenu le Réseau international des Instituts Pasteur. En témoigne d'ailleurs notre collection de référence qui remonte à des insectes recueillis par Laveran et où sont conservés notamment les moustiques étudiés depuis les débuts de l'institut Pasteur». 21

24 UN CREUSET POUR LA BIOLOGIE D autres figures de la microbiologie Alexandre Taurelli Salimbeni LE FONDATEUR DU PREMIER SERVICE DES VACCINS Alexandre Taurelli Salimbeni est entré au laboratoire de Metchnikoff à l'institut Pasteur en 1895, l'année de la mort de Pasteur. En 1898, à 21 ans, il publie avec Roux et Metchnikoff un premier travail portant sur la toxine et l'antitoxine cholériques. En 1908, il expérimentera à l'hôpital Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg la valeur thérapeutique du sérum anticholérique que tous trois ont préparé. Il effectua notamment des missions au Portugal (1899), avec Calmette pour étudier l'épidémie de peste ; au Brésil ( ), avec Marchoux et Simond, pour l'étude de l'étiologie et de la prophylaxie de la fièvre jaune. En Russie, il accompagnera l'expédition bactériologique de 1910 organisée par Metchnikoff pour étudier le choléra à Moscou, la tuberculose et la peste dans les steppes. L année suivante, il participe avec Charles Dopter à la mission d'étude de l'épidémie de choléra qui sévit à Marseille. Pendant la guerre de 14-18, à la demande de Roux, il fonde le premier service des Vaccins. Pr Yves Chabbert LA RÉSISTANCE AUX AGENTS INFECTIEUX La bactériologie, activité traditionnelle de l Institut Pasteur, a constamment évolué. Suivant ou influençant les avancées de la biologie et des connaissances, elle a également connu des diversifications liées aux évolutions technologiques. Ceci permit notamment d étudier les plasmides et la résistance aux antibiotiques. Le Pr Yves Chabbert en fut l un spécialistes émérites. Découverts dans les années soixante, les plasmides ont été rapidement mis en cause dans la résistance des bactéries aux antibiotiques. Les bactéries contiennent, en guise de noyau, un long chromosome circulaire d ADN. Les plasmides sont des mini-chromosomes distincts de ce chromosome, notamment capables de transférer d une bactérie à de nombreuses autres le caractère de résistance à un antibiotique. À l Institut Pasteur, l équipe de bactériologie médicale du Pr Chabbert, également centre national de référence sur la résistance aux Agents antibactériens, se focalisait sur ces thèmes d investigation. Les plasmides constituaient alors une espèce d objet biologique nouveau. Il fallait en établir l histoire naturelle, étudier les enzymes dont ils conditionnaient la fabrication, explorer les mécanismes génétiques fondamentaux permettant leur réarrangement, etc. Leurs propriétés se sont également avérées précieuses pour le génie génétique. Ils sont toujours l objet d études - et d exploitation - approfondies. 22

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