de Lekol Haïti Malade...

Transcription

1 Au de Lekol Céline en Haiti avec Février 2016 Haïti Malade... Haïti est malade... Je ne sais pas s il faut dire «de nouveau malade» ou «encore et toujours malade», je ne m étendrai pas sur la gravité de la crise politique actuelle, qui inquiète, qui plombe, qui décourage, qui énerve... Sur la corruption qui continue à faire rage à tous les échelons de la société et qui appauvrit toujours plus les plus pauvres... sur les 1001 actes de banditisme qui épuisent et qui questionnent... Sur tous ces enfants que je côtoie au quotidien dans les classes et et dont le ventre hurle famine... Je constate que les personnes qui m entourent ont une incroyable capacité à accepter ce qui est, avec toutes les horreurs que cela comporte. Malgré les «problèmes qui ne finissent jamais», malgré la faim, le stress de la survie, les injustices qui s accumulent, ils gardent un appétit de vivre, une énergie, une force et un sourire qui me touchent profondément. Mais j ai l impression que cette acceptation se déteint parfois en un phénomène de «résignation» face à une médiocrité dont on décide de se satisfaire, alors qu on pourrait peut-être penser certains changements. C est contre cela que nous essayons de lutter avec mon équipe, c est au service de cela aussi que nous souhaitons utiliser l arme de l éducation. Faire la distinction entre ce qu on peut changer ou pas, et trouver la force d essayer de changer ce qui peut l être, ensemble avec d autres qui y croient aussi. Lorsque, lors d un débat, un collègue me dit «mais Céline, tu sais bien que l école a toujours été et qu elle sera toujours élitiste, c est comme ça, il faut l accepter!», j ai envie de déplacer des montagnes pour lui prouver que NON, rien n est une fatalité... J imagine bien qu avec mes conditions de vie, il est plus facile de trouver l énergie (la naïveté?) pour penser le changement. Quoi qu il en soit, cette énergie, je tente de la partager, et plein de choses marchent... Alors bien sûr, tout ne marche pas encore... Voici quelques anecdotes vécues ces derniers temps, qui peuvent énerver et même décourager, mais vous verrez pourquoi je décide de voir en elles des raisons de se battre encore et encore :

2 Déplacer des montagnes - Un matin de décembre, Jean-Robert, ancien restavèk (enfant esclave) qui se bat actuellement contre cette pratique en Haïti, allait me rejoindre pour travailler sur la question de la violence avec un groupe d enseignants. A un carrefour, au volant de sa voiture, il ralentit et un taxi-moto fait semblant d être renversé, rameutant tous les passants pour s attaquer à ce soi-disant «méchant chauffard». Mon ami Jean-Robert se trouve obligé de redémarrer, mais voilà que le taxi-moto en question se met à le poursuivre et crie à toutes les motos croisant leur chemin de pourchasser ce malotru qui a déjà «tué 3 personnes» au fameux carrefour. Et, c est là que le bât blesse, tout le monde se met à le poursuivre. A lui lancer des cailloux dessus. A le menacer avec leurs machettes. Sans rien avoir vu, sans rien savoir de ce qu il a fait ou pas. Sans avoir besoin de savoir. On nous dit qu il a tué 3 personnes, eh ben ok, on va le tuer aussi... Au bout d une folle poursuite, ils croisent la police qui sauve Jean-Robert mais, surexcités, les 40 motards présents à ce moment démolissent littéralement sa voiture à coups de pierres et de bouts de fer trouvés en route. Sans savoir que ce brave homme venait juste offrir des cadeaux aux écoles et lutter pour diminuer la violence exercée aux enfants. Juste parce qu on «leur a dit». Des événements comme celui-ci, lorsque la colère est retombée, me donnent la force de déplacer des montagnes pour changer à tout prix ce mode d éducation où on n apprend pas aux élèves à PENSER par eux-mêmes. On pense à leur place pendant toute leur enfance et, du coup, ils ont besoin de quelqu un qui leur dicte quoi faire sans aucun esprit critique. - Pour la gestion de notre lessive familiale, comme tout se fait à la main ici, j engage mon amie Jossie, ravie de trouver un mini-job pour l aider à nourrir ses 4 enfants. Mais, comme la quantité de travail est dérisoire, on s est arrangées pour que je la paye 5 mois d un coup, ce qui lui a permis d avoir une somme conséquente (100 francs) pour démarrer un petit «bizness» : elle frit des bananes, des pâtés et autres denrées locales, ça marche à merveille. Mais voilà-t-il pas que ça éveille des jalousies. Quoi, Jossie peut maintenant nourrir ses enfants au quotidien, et moi je galère toujours? Au jour le jour, Jossie apprend que des gens sont allés voir des prêtres vaudous pour lui jeter des sorts et effondrer son petit bizness. Si ces sorts marchent, la vie des autres ne sera pas plus belle mais, au moins, Jossie n ira pas mieux qu eux... Là encore, je veux avoir la force de déplacer ces fameuses montagnes, pour que l école créée une société plus solidaire, où on soit juste content de la réussite de l autre, où on puisse même imaginer comment le succès d autrui peut m être aussi profitable à moi... Mais ça, ça commence par l éducation.

3 - L autre jour, Wedson était au volant de notre voiture. Il se fait arrêter par un policier, dont le salaire ne suffit apparemment pas... Le policier se met à chercher une raison de faire payer Wedson... et il trouve finalement sa salvation : Wedson a les vitres arrière teintées (comme toutes les voitures circulant ici, sic), alors qu un vague article de la loi de la circulation stipule que c est interdit. Bien évidemment, il propose à Wedson de lui donner discrètement la moitié de la valeur de la contravention, et il pourra repartir... Mais Wedson refuse d entrer dans ce jeu. Déjà 20 voitures aux vitres teintées sont passées à côté d eux, mais le policier s en fiche. Il veut sa petite recette personnelle. Finalement, Wedson refusant mordicus, il lui donne une vraie contravention, avec en supplément une obligation à aller suivre un cours de recyclage dans un bureau d Etat à Port-au-Prince, sans quoi son permis sera définitivement retiré! Wedson se rend à Port-au-Prince pour le cours qui commence à midi. A l heure du rendez-vous, il se retrouve avec une trentaine de chauffeurs, venant de tout le pays suite à des contraventions (eh oui, même si tu habites à 8 heures de route de Port-au-Prince, c est là que tu vas devoir suivre ton cours et récupérer ton permis!), mais aucun formateur. Une heure passe, deux heures passent, toujours personne... et c est finalement à 15h que le cours commence, pour terminer à 16h!!! Tout ça pour une vitre teintée... et pour un policier qui avait juste envie de s offrir une petite bière supplémentaire... Eh ben là aussi, ces montagnes, on va trouver la force pour les déplacer. Grâce à l éducation. Ça prendra du temps, beaucoup de temps, mais mon équipe et moi, on veut y croire. Un monde avec moins de corruption et juste un peu plus de respect pour autrui, on y arrivera.

4 Un sens indefini Après mon congé maternité, voilà 3 mois que j ai repris concrètement mon travail, mes visites d écoles, mes cours, mes séminaires de formation, mon accompagnement de formateurs en formation... De jour en jour, je sens une incroyable énergie circuler dans notre grand et beau réseau. Dans l école normale où je donne des cours, les enseignants font des sacrifices incroyables pour venir chaque jour et repartent à chaque fois avec un sourire si touchant en chantant tous ensemble que le cours était «foooooormidable»... Plus de 200 enseignants ont participé à nos 6 jours de séminaires durant les vacances de février, malgré les 5 francs demandés pour participer aux repas. 5 francs qui veulent dire beaucoup quand on ne touche aucun salaire (ou quelques miettes...) depuis des mois... Des témoignages de reconnaissance et de transformation bouleversants à l issue de chacun de ces séminaires, des chansons créées par les groupes d enseignants pour nous remercier... Une équipe de formateurs en formation qui acceptent de donner bénévolement leurs 6 uniques jours de vacances pour former les enseignants sans formation de leur commune et qui font ça avec tout leur cœur, avec une compétence incontestable, avec un engagement indescriptible... Oui, c est sûr, quand je visite ensuite les salles de classe, je me rends compte que rien n est gagné, et j en ressors parfois avec une certaine frustration: chaque petit changement prend un temps et une énergie énorme! Mais quand on voit ces dizaines d enfants serrés comme des sardines sur ces bancs, beaux comme des cœurs, on a envie de leur offrir même ces micro-changements, à n importe quel prix. Rien qu une petite explication interactive avant de donner toutes ces lignes à étudier par cœur, c est déjà ça de mieux... Un petit exercice en groupe à la place de 30 minutes à observer un seul élève faire l exercice seul au tableau devant le reste de la classe en silence... Une petite chanson que l enseignant aura apprise en séminaire, pour mettre un peu d ambiance et remobiliser l énergie des élèves entre deux leçons... Une félicitation en plus, et quelques critiques dénigrantes en moins... Un essai de dialogue avec l enfant qui est arrivé en retard au lieu d un coup de fouet... Le jeu en vaut la chandelle. Et, simplement, si après nos séminaires, chaque enseignant se sent un peu plus considéré, un peu plus concerné, un peu plus convaincu par ce qu il fait, avec une flamme qui a pu se rallumer, eh bien on n est pas là pour rien! C est aussi dans ce genre de témoignage qu on puise une force infinie!

5 De l Amour, encore et toujours Et puis «nous», dans notre nouvelle jolie maison, on s éclate avec nos petits bouts! Nolam continue à croquer la vie à pleines dents, accompagné avec tendresse et bienveillance par tous les enfants de notre voisinage, qu ils aient 3 ou 12 ans. Ils ne se lassent pas de pousser à toute allure Nolam sur son vélo, de bavarder avec lui et de partager avec lui leur canne à sucre achetée à la marchande du coin. Tout cet amour qu il a reçu, Nolam le transmet sans compter à son petit frère Taomé, avec qui une magnifique complicité se crée de jour en jour. Nolam peut faire semblant de tomber 50 fois de suite, Taomé éclatera de rire 50 fois de suite! Les 1001 petits bonheurs vécus en famille, ça aussi, ça donne la force de déplacer des montagnes, pas vrai? Comme vous le savez, c est Eirene qui me permet d accompagner avec passion ce merveilleux travail qui est en train d être réalisé dans cette si touchante vallée haïtienne. Un tout petit bout de pays, mais un petit bout de pays qui bouge, qui avance, malgré tous les énormes obstacles du quotidien, notamment grâce à vous. Si ce projet vous parle, n hésitez pas à consulter le site d Eirene Et vos dons nous aident évidemment à agir. Le CCP d Eirene : , mention «Céline Haïti».