Jeudi 27 septembre Séance n 2 La Grande Guerre (1) : un conflit des nations

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1 Jeudi 27 septembre Séance n 2 La Grande Guerre (1) : un conflit des nations + Dissertation : L engrenage diplomatique de l été 1914 suffit-il à expliquer le déclenchement de la Grande Guerre? + Explication de document : Texte de François Furet, Le passé d une illusion, page 8 de la brochure. Dissertation L engrenage diplomatique de l été 1914 suffit-il à expliquer le déclenchement de la Grande Guerre? Lectures complémentaires pour ce sujet : TRAVERSO, Enzo, La Violence nazie. Une généalogie européenne, La Fabrique, Paris, 2002, 192 pages. Cet ouvrage revient sur les origines de la violence du régime nazi et de l extermination, montrant qu il est totalement impossible de réduire les causes de celle-ci à une particularité allemande un Sonderweg, chemin particulier qu aurait suivi l Allemagne. Cette violence puise ses origines dans un fond commun européen, qui se nourrit à plusieurs mamelles : la violence coloniale, la rationnalisation économique du capitalisme, l eugénisme du darwinisme social et enfin, l univers carcéral du XIXe siècle. Un essai court et dense, qui permet de tisser les liens entre la période , et celle qui l a, à bien des égards, précédé. POLANYI, Karl, La Grande transformation, aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, Paris, 1983 [1944], 419 pages. Un ouvrage plus difficile, et pourtant fondamental : Polanyi y entreprend une histoire économique et engagé du XIXe et du XXe siècle, et donne à la gauche européenne quelques uns des fondements du rejet du capitalisme sauvage. Pour notre sujet, le chapitre intéressant est le premier La paix de cent ans, où Polanyi décrit avec précision les raisons de l absence de guerre du XIXe siècle ( ), et le pourquoi du basculement dans l affrontement généralisé des années suivantes.

2 I) Analyse du sujet Objectif : délimiter le sujet, éviter le hors-sujet, trouver la problématique L engrenage diplomatique de l été 1914 suffit-il à expliquer le déclenchement de la Grande Guerre? + Grande Guerre Première Guerre mondiale, août novembre 1918, faire le point sur les belligérents et les alliances. Pas de problème a priori pour cette notion. + Déclenchement de la Grande Guerre Attention! Toujours se demander, pour borner un sujet, ce que le sujet n est pas! Le sujet n est pas : les causes de la Grande Guerre Le sujet n est pas : les origines de la Grande Guerre Le mot déclenchement a une signification plus immédiate. Il implique que des forces étaient accumulées, et qu une étincelle est venue y mettre le feu. + Engrenage diplomatique de l été 1914 Ce terme fait référence à la période qui court de l assassinat de l archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d Autriche-Hongrie, à Sarajevo, le 28 juin 1914, jusqu à la guerre elle-même, en août. Il embrasse les différents ultimatums successifs (Serbie, Russie, Autriche- Hongrie), et l emballement de la diplomatie secrète qui conduit au conflit mondial. + L engrenage diplomatique de l été 1914 suffit-il à expliquer le déclenchement de la Grande Guerre? Si on se contente de laisser le sujet à l état de question, la réponse est simple : oui, ou non. Si on transforme se sujet en problématique, c est-à-dire qu on en tire l enjeu, le problème, alors on peut répondre par une démonstration argumentée. Ici, si on interprète de manière trop précise le terme déclenchement, sur le très court terme, alors on peut répondre à la question : oui. C est effectivement l engrenage diplomatique de l été 1914 qui sert de déclencheur au conflit. Mais le sujet invite à s interroger de manière plus large : les causes de la Grande Guerre sont-elles uniquement diplomatiques? La problématique de ce sujet peut être résumée ainsi (il n y a pas qu une manière) : Quelles sont les causes de long terme sur lesquelles viennent se greffer la crise de 1914 et qui expliquent la guerre? Travailler un plan : I) L importance capitale de l emballement de juillet (court terme) 1) L embrassement de l Europe centrale 2) La diffusion aux autres pays européens II) III) qui révèle le poids des tensions impérialistes accumulées (moyen terme) 1) Les crises qui précèdent 1914 : des crises coloniales (Fachoda, Tanger, Agadir) 2) L impérialisme, stade suprême du capitalisme? L analyse marxiste en question. Une guerre inévitable? Un concert européen désequilibré par la poussée nationaliste (long terme) 1) L émergence de deux nouvelles puissances européennes : l Italie et l Allemagne 2) Le nationalisme radical comme moyen d affirmation (balkans, service militaire ) Conclusion : terminer sur une analyse plus fine des éléments culturels, comme l inconscience des acteurs de l impact de la Révolution industrielle sur la guerre (guerre courte) et l irresponsabilité de la prise de risque, lié à une perception de la guerre comme fatalité (la guerre va arriver, la seule question est de savoir qui la déclenche et quand?).

3 Explication de document : Texte de François Furet, Le passé d une illusion, page 8 de la brochure. François Furet, Le passé d une illusion. Essai sur l idée communiste au XXe siècle, Robert Laffont, Calmann- Lévy, Paris, 1995, pages La guerre de 1914 a été la première guerre démocratique de l histoire. L adjectif ne renvoie pas à ses enjeux, ou aux passions qu elle a mobilisées, s il est vrai que depuis l époque de la Révolution française, au moins, les sentiments nationaux des peuples, et l idée de la patrie, ont été inséparables de tous les conflits armés. Ce qui distingue celui de 1914 de ceux qui l ont précédé est ailleurs : c est qu il touche l universalité des citoyens, dans chacun des pays concernés, c est-à-dire dans l Europe entière. En effet, la Première Guerre mondiale ne met pas aux prises davantage de pays que les guerres napoléoniennes ; ni des conflits d idées plus aigus que l interminable affrontement de la Révolution française avec les monarchies européennes. Mais elle précipite dans un malheur inouï des millions d hommes, pendant plus de quatre années pleines, sans aucune intermittences saisonnières que présentaient les campagnes militaires de l époque classique : comparé à Ludendorff ou à Foch, Napoléon a fait encore la guerre de Jules César. Celle de 1914 est industrielle et démocratique. Elle a meurtri tout le monde, au point qu il est peu de familles, en Allemagne ou en France, qui n y aient perdu un père ou un fils. À ceux qui ont survécu, elle a laissé des souvenirs inoubliables, destinés à hanter leur activité de citoyens dans les années qui allaient suivre. Or ces souvenirs n ont pas été faciles à maîtriser tant ils étaient à la fois puissants et contradictoires. La guerre n est pas moralement familière au citoyen moderne, comme elle l était au citoyen de l Antiquité ou au chevalier du Moyen Âge. La course à l enrichissement, le goût de la liberté individuelle, l obsession du bonheur privé sont si caractéristiques de la société moderne que beaucoup des meilleurs esprits de l Europe ont salué la naissance de cette société, voici cent cinquante ou deux cent ans, comme l annonce de la fin des guerres. Le but unique des nations modernes, écrit par exemple Benjamin Constant, c est le repos, avec le repos l aisance, et comme source de l aisance l industrie. La guerre est chaque jour un moyen plus inefficace d atteindre ce but. ( ) Pourtant, l histoire des pays démocratiques n a donné raison à Constant et pour combien de temps? qu au terme d un siècle qui a connu deux guerres gigantesques, inédites et par leur dimension et par leurs ravages matériels et humains. L observateur d aujourd hui est frappé et par la vérité de l analyse de constant et par la fausseté des implications qu il en tire. L européen moderne est en effet animé depuis deux siècles par l obsession du travail, de l enrichissement et du bien être. Mais il est aussi l homme du 4 août Il existe une manière toute simple de tirer au clair cette espèce d énigme. Elle consiste à affirmer que, loin d obéir ou de conduire à une logique de paix entre les hommes et les nations, la société capitaliste porte la guerre dans ses flancs, comme la nuée porte l orage, selon la formule de Jaurès. De cette idée commune à la tradition socialiste, Lénine a fait le centre de sa théorie de l impérialisme, stade suprême du capitalisme. À l en croire, le capitalisme européen, de plus en plus concentrés en grands monopoles, à la recherche constante de nouveaux marchés à taux de profits élevés, avait achevé au début de ce siècle l universalisation du monde par la colonisation ; dans un univers désormais fermé, la compétition devenue féroce entre les grands États capitalistes pour l appropriation de territoires et de marchés devait et allait conduire inexorablement à la guerre mondiale. Cette théorie a mal vieilli avec le siècle. 1) Numérotez impérativement le texte 2) Lire le texte deux fois 3) Analysez les éléments en dehors du texte (source, auteur). + Date d édition : 1995 Un texte largement postérieur, puisqu il analyse la Grande Guerre a presque cent ans de distance. Attention donc, à prendre en compte la manière dont le conflit a été analysé entre sa fin (1918) et la date du texte (1995). Cela peut toujours avoir un intérêt pour savoir comment l auteur se positionne par rapport aux analyses antérieures. + Éditeur : Robert Laffont, Calmann-Lévy, Paris Rien à signaler de particulier. Une maison d édition peut parfois vous renseigner sur l orientation idéologique de l auteur.

4 + Auteur : François Furet il est facile d aligner des dizaines et des dizaines de détails biographiques sur cet historien français très connu. Ce qui peut-être plus intéressant, c est de comprendre comment il se positionne dans le débat historien. Furet est un historien qui a déchaîné les foudres : en effet, longtemps engagé dans la lutte communiste, son trajet politique est symbolique d une certaine partie de l intelligentsia française, de la fascination pour l idéal révolutionnaire à son rejet, ou du moins sa critique. Furet est le premier à dépeindre la Révolution de 1789 comme une révolution faite par les élites. + Ouvrage : Le passé d une illusion. Essai sur l idée communiste au XXe siècle. Le titre n a pas grand rapport avec la Grande Guerre, mais dans le premier chapitre de l ouvrage, Furet revient sur les causes de 1914, car cette guerre est la mère de 1917, la révolution d Octobre. À travers ce livre, c est Furet et plus largement une partie de la gauche qui, six ans après la chute du mur et du communisme en Europe, tire le bilan des 74 ans de pouvoir soviétique. 4) Soulignez, griffonez, écorchez chaque détails du texte! (voir ci-dessus pour les mots essentiels qu il faut impérativement expliquer). (se reporter à la conférence de méthode). Quelques exemples par écrit : + Ligne 13 : souvenirs inoubliables. Il n y a, a priori, pas grand chose à expliquer. Pourtant, outre le fait que Furet, ici, fait référence aux différents séquelles de la guerre, physiques (comme les millions de blessés, les gueules cassées ) et psychologiques (le fameux Shell Shock, lié à l utilisation massive d obus, ou autres Post Traumatic Stress Disorder), il pointe du doigt ce que l historien George Mosse a appelé la brutalisation, dans son ouvrage très lu, et certainement par Furet aussi, Fallen Soldiers : Reshaping the Memory of the World Wars [1990], titre improprement traduit en français par De la Grande Guerre aux totalitarismes. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, Paris, Pour Mosse, la brutalisation est la continuation, en temps de paix, des attitudes agressives de la guerre. + Lignes 16 à 18 : La course à l enrichissement, le goût de la liberté individuelle, l obsession du bonheur privé sont si caractéristiques de la société moderne que beaucoup des meilleurs esprits de l Europe ont salué la naissance de cette société, voici cent cinquante ou deux cent ans, comme l annonce de la fin des guerres. À quoi fait référence Furet? Il parle évidemment de ce mélange inséparable entre les conséquences du siècle des Lumières (liberté individuelle) et l évolution plus prosaïque des différentes révolutions industrielles (enrichissement, obsession du bonheur privé). La référence à cent cinquante ou deux cent ans (en se plaçant du point de vue de l auteur, soit 1995) fait référence aux rythmes très différents des premières révolutions européennes : pour l Angleterre, pour la France, pour l Allemagne, et encore un peu plus tard pour l Empir russe. Vous pouvez comparer un certain nombre des affirmations de Furet avec les tableaux de l annexe. Dans l ensemble, les chiffres des différentes mobilisations durant le XIXe siècle lui donne entièrement raison.

5 Proposition de plan I) Le dernier épigone de la nation en arme? 1) La deuxième grande guerre démocratique? 2) La deuxième grande guerre européenne? 3) La première grande guerre industrielle II) Les paradoxes de la paix de cent ans 1) Le capitalisme, c est la paix 2) Le capitalisme, c est la guerre 3) L aporie nécessaire des causes de la rupture

6 Annexe : quelques données intéressantes pour comparer XIXe siècle et Population, soldats mobilisés et pertes durant la Grande Guerre (en millions) Population 1914 Mobilisés % de la population masculine Morts % des mobilisés Allemagne ,8* 2 15,4 France 41 8,5 41,5 1,4 16,5** Royaume-Uni 46 5, ,4 Russie ,8 12 * attention, en réalité, pour la population mobilisable (entre 17 et 50 ans, en Allemagne), ce chiffre représente 85% des hommes! ** Côté français, soldats provenaient des colonies, dont combattirent sur le sol de la métropole (les autres sur les fronts africains). Parmi ces , moururent, soit une proportion de 22,7% Source : David Stevenson, Der Erste Weltkrieg, Artemis & Winkler, Düsseldorf, 2006, p. 243 et suivantes. Nombre de soldats tués par jour pendant les deux guerres mondiales Allemagne * France 2 737** Royaume-Uni USA Russie *** * Prend en compte les soldats mort en captivité. Si uniquement combat : par jours. ** pour août-novembre 1914, par exemple, durant la guerre de mouvement. *** Morts en camp exclus! Source : Audoin-Rouzeau, Stéphane, Au coeur de la guerre : la violence du champ de bataille pendant les deux conflits mondiaux, in : Audoin-Rouzeau, Stéphane, Becker, Annette, Ingrao Christian, La Violence de guerre Approches comparées des deux conflits mondiaux, IHTP/Complexess, Bruxelles, 2002, pages Quelques éléments sur le bilan des guerres napoléoniennes et la guerre francoprussienne de 1870/71 Campagnes napoléoniennes : ,4 millions de français mobilisés. + Total armées : 2,5 millions de morts dont 1,5 de soldats dont 1 million de civils Guerre de 1870/71 : côté Prusse et alliés. + 1,4 million d allemands mobilisés dont 1,1 envoyés France chevaux hommes sur le sol français au 1er mars mort (dont 50% de maladie), blessés Source : Jan Ganschow, Olaf Haselhorst, Maik Ohnezeit, Der Deutsch-Französische Krieg 1870/71, Ares Verlag, Graz, 2009.