Claire Butard. La Preuve par trois. Publibook

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1 Claire Butard La Preuve par trois Publibook

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3 À mes parents, merci d'y croire À ma princesse, merci de veiller sur moi

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5 Acte I Scène 1 Noir. On entend deux voix off dans la pénombre. Des sanglots. La lumière tamisée se tamise. Une pièce vide. On aperçoit les contours d une chaise. On ne sait ni le temps, ni le lieu. VOIX OFF FEMININE : (des larmes dans la voix) Non, je n y arriverais pas. Je ne peux pas faire ça. ARTHUR : Si tu ne le peux pas, tant pis pour toi, moi j irais. VOIX OFF FEMININE : Non! La chaise se renverse. ARTHUR : Tu sais qu on doit le faire à deux, elle nous attend. Si nous ne venons pas, en sachant pertinemment qu elle sera là, on va passer à côté de la meilleure occasion qu il nous été donné de réaliser. Elle devient folle. Chaque jour qui passe lui fait se créer une réalité qui n est pas la nôtre. Elle a perdu le sens profond de l existence, elle ne vit que ce pour quoi elle cru être née. Elle se prend pour ce qu elle n est pas, et malheureusement, c est ce qu on lui demande chaque jour de faire. Elle est passée maître en l art de se fondre dans les divers personnages qu elle crée. Je ne sais même plus qui elle est vraiment. VOIX OFF FEMININE : Elle me fait peur. Elle est trop forte pour moi, je ne pourrais même pas soutenir son regard. 9

6 ARTHUR : Oh que si tu le pourras. Et tu le feras. Tu le feras pour toi, pour enfin cesser de n exister qu au travers de cette relation détruite. Nous vivrons enfin au grand jour, plus jamais nous n aurons peur d elle. Plus jamais elle ne pourra nous séparer. VOIX OFF FEMININE : Plus jamais? ARTHUR : C est une promesse. VOIX OFF FEMININE : (timidement) Alors allons-y! ARTHUR : (il prend une grand inspiration) N oublie pas qu une fois là-bas, tu ne seras plus tout à fait toi. Je sais qu elle ignore tout de ce que nous sommes devenu après l implosion du groupe. Elle ignore que nous nous sommes revus depuis. Elle ignore tout de nos moindres sentiments. Il faut qu elle reste dans cette ignorance jusqu à la fin. N oublie pas, une fois là-bas, tu ne seras plus VOIX OFF FEMININE : Chut, je sais. Je sais. ARTHUR : (après un temps) Mais si tout se déroule bien, je te promets que je pourrais à nouveau très vite te serrer dans mes bras VOIX OFF FEMININE : Alors serre-moi une dernière fois! (silence, elle soupire) Et maintenant, allons-y! Donne-moi ta main et promets de ne jamais la lâcher. La lumière prend petit à petit une couleur rouge sang qui envahit la pièce. ARTHUR : Jamais. Jamais, je te le promets. Tout sera bientôt fini! VOIX OFF FEMININE : Tout sera bientôt fini 10

7 Acte I Scène 2 Lennie fait son entrée, cachée sous de larges lunettes noires. Elle porte une longue écharpe, un foulard lui sert de coiffe. Elle fait de grands gestes en admirant démesurément l intérieur de la pièce. Elle est blonde, exubérante, et parle fort. Soudain, elle se calme, stoppée dans son élan en plein milieu de son chemin, dans cette grande chambre réaménagée dans un style années Elle se tourne vers la porte jusqu à l arrivée de Jérémy, qui apporte ses valises. Elle continue son inspection, observant chaque recoin de la salle, presque envieuse. Jérémy, derrière elle, semble avoir quelques difficultés avec les nombreux paquets de Lennie. Il est jeune, mais son visage est marqué, comme s il faisait partie inhérente de la demeure ancienne depuis la fondation de cette dernière. JEREMY : Voilà Madame, tout est là (plus bas, pour lui) Enfin, je l espère (reprenant un air distingué) Le dîner sera servi à dix-neuf heures. Je reviendrai chercher les invités logés à votre étage pour vous conduire à la salle de réception. LENNIE : Bien merci JEREMY : J espère que madame se plaira durant son séjour ici LENNIE : (prenant un vase ancien posé sur une table devant elle) Je n en doute pas une seconde. Laissez mes valises ici, je m en charge désormais JEREMY : Bien madame. 11

8 LENNIE : Merci Jérémy, vous pouvez (elle se retourne, il n y a plus personne. Surprise, elle achève) disposer Lennie passe en revue une dernière fois la pièce, émerveillée. Elle repose délicatement le vase, et ose à peine toucher le reste. Après cette minutieuse inspection, elle se dirige vers une large valise et la tire avec effort jusqu au milieu de la pièce. Une grande armoire en bois se trouve à sa gauche. Un lit à baldaquin est situé à droite. Elle sort de magnifiques robes qu elle étale sur le lit avant de les disposer dans l armoire. Une fois ce premier rangement achevé, elle vient s allonger quelques instants. Tout devient silencieux durant quelques minutes. Soudain, un bruit sourd se fait entendre. Lennie s assoit au bord du lit et tend l oreille. On entend des fragments de voix à l extérieur, quelques bruits de pas qui s approche. Puis le silence à nouveau. Lennie s apprête à se recoucher quand quelqu un frappe à la porte. LENNIE : (légèrement inquiète) Jérémy? La porte s ouvre en grand et un jeune homme brun aux yeux bleus translucides fait son apparition. Il porte un jean déchiré aux genoux et une large chemise blanche. Il observe la salle et son regard tombe sur Lennie. Il semble surpris, mais essaye de le cacher. LENNIE : (se levant d un bond) Arthur! ARTHUR : Hey Lennie! LENNIE : Mon Dieu, j ai eu tellement peur qu il n y ait que des visages inconnus à cette soirée ou que je sois la seule invitée ARTHUR : Et tu n aurais eu aucun mal à mettre de l ambiance, même seule Nous sommes visiblement les premiers arrivés et nous serons donc les premiers au buffet! (Lennie s approche de lui, mais il a un pas de re- 12

9 cul. Elle le regarde, peinée) Où donc a lieu la grande fête? LENNIE : À vrai dire, je n en ai pas la moindre idée. Jérémy m a fait savoir qu il passerait nous chercher juste avant le début de la réception. ARTHUR : Pareil pour moi. Alors patientons Il entre complètement dans la pièce, sans un regard pour Lennie. Observe d un œil distrait les nombreux bagages de cette dernière. ARTHUR : Tu es venue pour deux semaines ou tu as caché ta sœur jumelle sous ton lit? LENNIE : (riant) Je préfère être prévoyante. Et puis, je n ai pas eu d indication quant à la tenue demandée pour la soirée, donc j attends de voir les autres invités pour choisir une tenue accordée aux leurs. ARTHUR : Et si c est un bal costumé? LENNIE : Mais ce n est pas un bal co ARTHUR : Un peu d imagination, que diable (Ironique) Tu viendrais déguiser en quoi, avec tout cet amas de vêtements trop chers pour toi? En princesse guettant désespérément le beau et riche prince charmant? Un rôle qui t irait à merveille. LENNIE : Moi aussi je suis ravie de te revoir Arthur, mais je te prierais de mettre plus de nuances dans tes propos de retrouvailles quand nous serons en public, j aimerais éviter le scandale ce week-end ARTHUR : Alors j espère que nous serons nombreux ce soir LENNIE : Tu n as toujours pas oublié, à ce que je vois ARTHUR : Comment aurais-je pu, dis-moi? 13

10 LENNIE : Arthur, je ARTHUR : Chut, ce soir, c est pour Rose que nous sommes réunis. Ce soir seulement. On ne va pas redevenir les meilleurs amis du monde après sept ans d absences et de silences LENNIE : Les silences ne viennent pas de moi ARTHUR : C est le moins qu on puisse dire (il se dirige vers le lit et s y allonge) LENNIE : Je mentirais en disant que cela ne me convient pas que vous preniez ainsi vos aises chez moi jeune homme, mais n avez-vous pas un autre lieu pour vous avachir comme ça plutôt que sur mon lit? ARTHUR : (souriant) Ma chambre est à côté de la tienne, si tu veux savoir LENNIE : (bas) Ce qui explique les bruits de pas ARTHUR : Pardon? LENNIE : Non, rien Mais dis-moi, comment as-tu su que j étais là? ARTHUR : Mais je n en savais rien (Lennie s apprête à répliquer, un rien surprise, mais il la coupe) Quand je suis arrivé à l étage, j ai entendu du bruit dans la chambre mitoyenne à la mienne (il se relève, la jauge) La tienne LENNIE : J avais compris, merci ARTHUR : (poursuivant dans un sourire) Alors comme je ne suis pas ce qu on pourrait appeler communément un asocial, j ai décidé d aller frapper à cette porte. Histoire de faire de nouvelles connaissances, c est toujours sympa LENNIE : (s approchant de lui) Et de retrouver les anciennes, c est comment? 14

11 ARTHUR : De retrouver les anciennes ou de te retrouver toi, Lennie? LENNIE : Y a-t-il une différence? ARTHUR : Et même plus que ça LENNIE : Bien Jouons franc-jeu alors De me retrouver, moi? ARTHUR : Et bien, c est (il se lève et se dirige vers l armoire, qu il commence à inspecter) LENNIE : Oui? ARTHUR : Pour tout te dire, c est étrange. LENNIE : (s asseyant à son tour sur le lit) Etrange? Mais comment ça, étrange? ARTHUR : C est juste que (soupire) Non, oublie ce que je viens de dire LENNIE : Voilà qui ne devrait pas être bien difficile puisque tu n as encore rien dit (elle le regarde fixement) Qu est-ce qu il y a d étrange selon toi dans le fait de nous retrouver ici ce soir? ARTHUR : (la défiant du regard) Je crois que tu le sais aussi bien que moi LENNIE : (même temps) Je n en ai pas la moindre idée. ARTHUR : (après un temps) C est étrange que les deux premiers invités de cette soirée se retrouvent ainsi dans cette salle sept ans après. C est étrange que ces deux invités soient justement toi et moi. LENNIE : (minaudant) Arthur, chéri, ne voudrais-tu pas enfin passer à autre chose? 15

12 ARTHUR : (changeant soudainement de sujet) Est-ce qu elle vient ce soir? LENNIE : Qui donc? ARTHUR : Tu le sais aussi bien que moi LENNIE : Donc, imaginons que je parle ton langage et que je vienne exactement de comprendre ce que tu as essayé de me dire comment veux-tu que je sois au courant si (plus haut) «elle» vient ce soir? ARTHUR : (la regarde attentivement pendant quelques instants) Tu le sais Je suis sûre que tu le sais. Quelque chose ne me semble pas clair dans cette soirée. LENNIE : (avec une voix bien plus aiguë que d ordinaire) Excuse-moi, mais la seule chose pas vraiment claire ici, c est ton attitude envers moi. ARTHUR : Je préfère te prévenir dès maintenant. Si tu t approches trop près de Cécilia, que tu lui fais du mal, je LENNIE : (ironique) Et que fera-t il donc, le valeureux prince charmant? ARTHUR : Ne me défie pas, Lennie! Tu sais très bien jusqu au je suis capable d aller LENNIE : (s approchant dangereusement de lui) Justement non Mais je serais plus qu intéressée de le découvrir. ARTHUR : Je ne suis pas venu pour me battre avec toi une nouvelle fois. LENNIE : (commençant à se révéler) Mais moi non plus, si tu veux tout savoir, bien au contraire. Et puis, je n aurais pas la prétention de pouvoir tirer mon avantage de toi deux 16

13 fois de suite. Un couronnement, c est la gloire. A la fin du deuxième, tu finis décapité. L opinion publique t a lynché. ARTHUR : (décidant de jouer franc-jeu à son tour) L opinion de tout le monde s est faite très rapidement lorsque tu as décidé de te mettre entre nous. J ai payé le prix de notre relation et j en ai souffert. Mais vois-tu, je te plains encore. Je te plains parce que pour agir comme tu l as fait, tu as vraiment dû être très malheureuse, Lennie. Quelqu un a dû te faire beaucoup plus de mal que tu ne nous en as fait. On ne naît pas avec le vice au cœur. LENNIE : Non, mais c est bien mieux Le vice, c est un poison. C est mortel et c est ça qui est excitant. Tu n as pas vécu si tu ne connais pas le vice et la perversité. Le vice, ça s insinue, ça se glisse dans tes veines et ça tape, ça hurle tellement fort en toi que si tu ne le fais pas sortir très vite, ça implose et ça te détruit de l intérieur ARTHUR : (dégoûté) Ma pauvre Lennie, peut-être auraitil mieux fallu que l implosion ait déjà lieu LENNIE : Oh non, son heure n est pas encore venue. Ils se défient du regard. Arthur cherche à s enfuir, à respirer, mais quelque chose semble le retenir, l attirer et le garder prisonnier du lieu. LENNIE : Que s est-il donc passé pendant ces sept dernières années pour que tu sois aigri à ce point? Iras-tu encore jouer les victimes quand tout sera fini? ARTHUR : Ta cruauté ne me touchera pas ce soir, je suis plus fort que toi à ce jeu là LENNIE : (perverse) Etrange comme cette phrase me rappelle exactement les mots que tu as prononcé il y a sept ans Laisse-moi te dire une chose, Arthur 17

14 ARTHUR : Je t écoute C est la seule chose que je peux encore t accorder ce soir Un voile traverse soudain le regard de Lennie, et elle se transforme radicalement. Elle semble soudain déroutée, déstabilisée, presque fragile. Elle se voûte légèrement et cherche ses mots. LENNIE : Je ARTHUR : (la coupant violemment) Bien. Laisse-moi te dire quelque chose à mon tour. J espère sincèrement que nous serons nombreux ce soir. Si nombreux que plus jamais je n aurai à voir ton visage devant le mien. Si nombreux que plus jamais nos chemins ne se recroiseront. Plus jamais, tu m entends? (il se dirige vers la porte, l ouvre et s apprête à sortir. Il hésite un moment, puis se tourne vers elle et la regarde étrangement). Tu n as donc pas changé ma pauvre Lennie Il sort. Lennie, dépitée, s allonge sur le lit, cache son visage dans l oreiller et hurle. Puis elle se calme petit à petit et se relève, l oreiller toujours entre ses mains. Elle va s asseoir en tailleur, tristement, sur l un des deux fauteuils de la pièce, observant face à elle une fenêtre ouverte. Le tonnerre gronde. LENNIE : (doucement) Et à quoi tu t attendais? Tu ne pourras jamais imaginer combien j ai pu changer pour toi. Avant qu elle n arrive et ne détruise tous mes espoirs. On était heureux sans elle, tous les trois, on avait des rêves et des projets plein la tête. Et elle est arrivée, insouciante, et elle t a arraché à nous A moi. Elle vous a tout de suite plus à vous deux, j étais la seule à la voir telle qu elle était. Mais il était déjà bien trop tard. Elle est arrivée et plus jamais je n ai existé pour toi. Et il y a eu cette dispute, l implosion sans retour de notre petit groupe trop bien soudé. Je t ai demandé de choisir. Bien avant que tu ne me répondes, je savais déjà J étais sûre que tu la 18