LE BURN-OUT, UNE MALADIE DE L IDEALITE. Contribution analytique et empirique aux psychodynamiques narcissiques en entreprise

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1 Clinique du travail et des organisations (Nicole Aubert et Catherine Besse) LE BURN-OUT, UNE MALADIE DE L IDEALITE Contribution analytique et empirique aux psychodynamiques narcissiques en entreprise Clélia Kestemont : psychosociologue du travail et des organisations (UCL), spécialisée dans la gestion des RPS au travail (interuniversitaire - ULG). Double casquette : assistante à l ULG au sein du PSGO et CPAP au sein d un service de prévention des risques au travail. C est donc avec une casquette de théoriciennepraticienne que j interviens aujourd hui. Cadre : cette communication s appuie sur une base théorico-pratique : Théorique : sur base des mémoires réalisés pour mes études. Pratique : depuis ces recherches, j ai développé une expérience professionnelle dans le domaine des RPS et plus précisément dans la prévention et l intervention psychosociale. Ma recherche théorico-clinique sur l épuisement professionnel se situe à l articulation de la sociologie clinique et de la psychanalyse. Dans sa dimension clinique, mon étude portait sur l analyse de 5 cas. J ai choisi de vous en présenter un qui me paraît bien illustrer le concept de contrat narcissique tel que Nicole Aubert et V. de Gaulejac le proposent. Je vais vous raconter l histoire de Michel, informaticien et chef de projet dans un grand organisme bancaire. Il y a 3 grands chapitres dans l histoire que je vais vous raconter. Chapitre I : la dépression Michel est fils unique. Son père était ouvrier et sa mère ne travaillait pas. Lorsque je le rencontre, il m évoque souvent son côté «matérialiste», qu il explique par les frustrations matérielles de son enfance dues aux limitations financières de ses parents (jouets..). Ses parents éprouvaient des difficultés à lui payer ce dont il avait envie et donc il s est toujours dit qu il allait faire des études. Michel a su qu il voulait travailler dans l IT dès l âge de son premier PC, vers 11 ans. Ses parents l ont toujours poussé à la réussite et au dépassement permanent. Michel commence des études d ingénieur à l Université qu il échoue, notamment en raison de trop nombreuses virées qui avaient pris le pas sur l étude. Mais également suite à un accident de vélomoteur qui l a empêché de terminer l année. L année suivante, Michel opte pour un graduat qu il a réussi aisément, bien qu il lui restait une frustration (surtout salariale) de ne pas avoir réussi à l Université. Michel débute sa carrière dans une banque (où il est d ailleurs toujours). Quand il commence à travailler il fait tout ce qu il faut pour monter les échelons et réussi malgré le barème salarial. Il réalise une rapide ascension professionnelle pour arriver proche du grade de direction. Tout commence à dégringoler 5 ans avant que je le rencontre, «le corps n a plus tenu le coup me dit-il». Cela s est passé suite à une maladie bactérienne contractée lors d un VTT en buvant de l eau de source. Mais ce mal-être physique a été suivi d un épisode dépressif. Sur le conseil de son médecin, Michel a débuté une thérapie individuelle. Ce travail thérapeutique a fait surgir certains souvenirs refoulés. Pour la première fois, Michel a révélé l abus agit par son oncle entre 6 et 11 ans, période qu il avait toujours gardée secrète. Il a pris conscience que le sport (moto vélo) qu il faisait de manière excessive lui permettait d évacuer un stress lié à son travail mais aussi une énorme colère contenue à l égard de cet oncle. De manière paradoxale, le travail lui permettait de tenir le coup face à son mal-être mais en même temps, il le pratiquait «dans la défonce». Comment tenait-il? A coup d anxiolytiques, antidépresseurs et alcool à la maison. Petit à petit, l alcool aidant (de 2 verres de vin à une bouteille de whisky/jour), sa situation physique a commencé à se dégrader : 30 kg en 4 ans. 1

2 Chapitre II : le burn-out Le mal-être de Michel a donc d abord commencé par une dépression avec comme élément déclenchant un problème physique, le travail étant ce qui lui permettait de tenir le coup. Alors que Michel retrouvait un équilibre tant physiquement que psychologiquement, le contexte professionnel dans lequel il évoluait et les contradictions dans lesquelles il se trouvait ont commencé à le mettre en difficulté. Michel s est arrêté 4 mois pour burnout car il sentait qu il allait recommencer à boire. Je souhaite vous faire part de quelques points d analyse qui font suite aux entretiens que j ai eu avec Michel à l époque. Pour des raisons pédagogiques, je séparerai dans un 1 er temps les sources d ordre internes (histoires personnelle) et celles d ordre externe (contexte professionnel) bien que tout soit imbriqué et lié. v Sources internes Pour Michel, 80% des sources de son burnout sont des éléments «internes» : «c est lié à mon passé, au fait que je ne me connaissais pas assez, que j ai accepté beaucoup de choses et que j ai mis cette énergie-là dedans» (p.138). «J avais un terrain prédisposé à cela, de par mon caractère et de par mon passé» Michel considère sa dépression comme étant une cause de son burnout, celle-ci étant essentiellement due à son passé. Dès lors, comme cela n allait plus sur le plan de sa vie personnelle, Michel a commencé à s investir de manière excessive dans le travail : «je me mettais tout seul dedans puisque c était ce qui me permettait de tenir». 3 éléments pour moi ressortent : 1) Blessure narcissique archaïque - - Michel est enfant unique mais on apprend que sa mère ne voulait pas d enfant, contrairement à son père. Lorsqu elle apprend qu elle est enceinte, elle se console en se disant que ce sera peut-être une petite fille, celle-ci ayant même dit «si c est un garçon, je le mettrai dans la cuvette du WC et je le ferai partir». Lorsqu il est né, son père a dit «alors, tu veux que je le mette dans la cuvette du WC?» c est une «boutade «qui circule dans la famille encore aujourd hui. La mère de Michel n a pas pu faire les études qu elle aurait souhaiter faire. Son mari ouvrier ne peut pas être considéré par elle comme un faire valoir sur le plan narcissique. Elle semble avoir projeté toutes ses attentes de réparation narcissique sur son fils : Michel devra être premier de classe, il devra faire de grandes études. - Michel comprendra avec sa thérapie qu il réalise cette problématique dans son milieu professionnel : il est dominé dans son besoin de satisfaire l organisation mère : performer, grimper les échelons, exceller, en contrepartie de biens matériels (salariaux) et de reconnaissance. «C est assez agréable pour l ego quand même, être capable de faire des choses que les autres reconnaissent, etc. mais je pense que cela revient à courir au fait d être le meilleur.» - Son travail thérapeutique lui permet de prendre conscience qu aussi bien dans sa vie professionnelle que dans le sport (vélo, moto) ou dans ses hobbies (le tir), il se comporte toujours dans un esprit de compétition et de performance, le but étant de dépasser les autres mais également de se dépasser luimême. 2) La répression du conflit bien présente chez Michel qui étouffe toute possibilité de conflictualité jusqu au moment de la dépression où les souvenirs reviennent. Cette répression des affects se révèle également vis-à-vis du burnout, Michel se souvenant que les symptômes étaient présents depuis déjà quelques temps mais il n y avait pas prêté attention jusqu alors. 3) Les idéaux d excellence et de perfection Sont très présents chez Michel, que ce soit dans le milieu professionnel, le sport ou les hobbies. Ces valeurs lui ont été inculquées par sa mère «c est peut être bien dommage qu elle m ait inculqué cette manière de toujours faire plus, parce que cela me coûte cher dans la vie de tous les jours». (p.146). 2

3 v Sources «externes» Tout en accordant beaucoup d importance aux facteurs d ordre interne, les éléments organisationnels prennent beaucoup d importance dans le témoignage de Michel. 1) Le Contexte que nous connaissons tous de la crise financière 2008 : Les conditions de travail se sont fortement dégradées suite à l introduction en bourse de la société. La fusion de sa société avec une société étrangère a également augmenté la pression (plusieurs plans de restructuration avec départs), charge de travail qui augmente «tant qu ils savent presser les gens ils le font.». Michel se rend d ailleurs compte que sa société a profité de son investissement dans le travail, qu il qualifie, pour reprendre ses mots, d «utilisation maximale des ressources à leur disponibilité». 2) Réorganisations, pression et méthodes de management: - Compte tenu de la fusion, l entreprise devait réorganiser la manière de travailler pour gagner en efficacité et ce de manière très rapide. De plus, Michel évoque les nouvelles méthodes de gestion avec lesquelles il avait été réquisitionné comme animateur et qui le mettaient en contradiction par rapport à ses propres valeurs, tel que le «Lean manufactoring» et les méthodes «Kaizen». «Comme c était un projet transversal, il y avait plusieurs équipes différentes et si on impose les choses comme un responsable l aurait fait il y a 10 ans d ici, cela ne marche pas donc il fallait «leur faire décider ce qu on voulait qu ils décident» J avais l impression de les tromper, de les manipuler alors qu ils étaient mes collègues directs.» Michel évoque qu il s était beaucoup investi dans ces techniques qui ont commencé à le faire douter de lui- même jusqu au moment où il a lâché. - Outre cela, il y a eu quelques éléments liés à des déceptions professionnelles (notamment la reprise par un collègue d un projet qu il avait porté jusqu alors). à Selon michel, son entreprise n est pas LA responsable principale du burnout, mais elle a contribué à accentuer la pression et donc l épuisement de chacun. Michel a été manipulé, abusé en tant qu enfant. Comme beaucoup de personnes abusées, Michel se replace inconsciemment dans cette position victimaire. Les managers ont vite fait de repérer sa difficulté à dire non, son besoin de confirmation narcissique. Chez les 5 cas : points communs (aux 5 cas) 1) primauté du psychique : blessure narcissique archaïque (sa mère ne veut pas d enfant, après elle peut se consoler si c est une fille mais manque de bol c est un garçons, elle a lui même un besoin de valorisation narcissique qu elle ne sait pas avoir par son mari, elle va projeter tout cela sur son fils) à cela entraîne un besoin d amour et de reconnaissance inassouvi à trouble du rapport à l idéal. ANNEXES 1 : Œuvre de Bellini : Chez Bellini, qui pour la petite histoire n a pas été reconnu et a été déshérité par sa mère, représentation de la carence affective de la mère en image : le «petit étrangleur» semble dire à sa mère : «regarde moi, j ai besoin de ton regard» (Kristeva). Cette quête du regard, n est-ce pas elle qui motive le travailleur en manque de reconnaissance? Alors qu à la même époque chez L. De Vinci, on est dans autre chose : confirmation narcissique (regard de la mère) 2) sollicitation du système managérial : crises, restructurations, difficultés relationnelles, déceptions professionnelles, techniques de management, conflit de valeurs, contrat narcissique ANNEXE 2 : approche sociologique clinique : les organisations hypermodernes offrent aux travailleurs une illusion en leur proposant d atteindre un idéal de perfection. L individu en quête de reconnaissance et de valorisation s engouffre dans ce contrat narcissique jusqu à s y brûler (épuisement, burn-out) 3) répression de la conflictualité : dans le but d éviter la douleur, jusqu au moment où il ne peut plus le faire. 3

4 Chapitre III : le burnout, une solution existentielle Michel a entrepris une thérapie d orientation analytique existentielle lorsqu il est «tombé» en dépression, il y a maintenant cinq ans. Durant les trois premières années, le travail thérapeutique a surtout porté sur la situation d abus qu il avait refoulé jusqu alors. La thér apie lui a appris à ne plus fuir la situation d abus, à extérioriser la colère qu il avait par rapport à son oncle et à ne plus se sentir coupable ni honteux (notamment grâce à une thérapie de groupe menée conjointement à la thérapie individuelle). Les deux dernières années précédent l entretien (et encore aujourd hui), la psychothérapie l a particulièrement aidé à trouver un meilleur équilibre vie privée vie professionnelle. Je lui laisse les mots pour terminer : «Maintenant, c est différent. J ai refusé une promotion il y a 15 jours, même si ca a été très difficile pour moi. J ai fait un choix : je me fais passer d abord, avant le job, tandis qu avant, j aurais directement sauté sur la proposition 4

5 Blessure narcissique en image I. Giovanni Bellini, Vierge à l enfant, 1470 Pinacothèque de l Académie, Bergame 5

6 Blessure narcissique en image II. Giovanni Bellini, La Madone aux deux arbres, 1487 Gallerie de l Académie, Venise 6

7 Blessure narcissique en image III. Giovanni Bellini, Vierge à l enfant, 1487 Musée des Beaux-Arts, Sao Paulo 7

8 Confirmation narcissique en image IV. Léonard de Vinci, Vierge à l enfant, 1490 Artiste : Giovanni Antonio Boltraffio (d après un dessin préparatoire de Léonard de Vinci) Musée de l Ermitage, Saint-Pétersbourg 8

9 Confirmation narcissique en image V. Léonard de Vinci, La vierge, l enfant Jésus et Saint-Anne, Musée du Louvre, Paris 9

10 Système psychique managérial (Aubert et De Gaulejac, 2007, p.265) 10

11 Système psychique organisationnel (Aubert & de Gaulejac, 2007, p.257) Mode de Fonctionnement Organisationnel Système Psychique Organisationnel Mode de Fonctionnement Psychique 11