Politique monétaire de la BCE et taux d intérêt directeur négatif
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- Caroline Normandin
- il y a 7 ans
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1 Politique monétaire de la BCE et taux d intérêt directeur négatif Le jeudi 10 mars 2016, le Conseil des Gouverneurs de la BCE à francfort/main (ALL) sous la présidence de l italien Mario Draghi a pris de nouvelles mesures pour tenter de relancer la croissance économique trop faible en zone euro et l inflation (- 0.2 % en février 2016 après % en janvier). Il porte le programme de rachats mensuels d actifs (Quantitative Easing ou QE) à 80 milliards d euros au lieu de 60 précédemment (article du 25 mars 2015 sur ce blog) et il baisse encore un peu les taux d intérêt directeurs. Le taux de refinancement devient nul (emprunter à la BCE devient gratuit pour les banques) et le taux de rémunération des dépôts des banques à la BCE est de plus en plus négatif ( %). Placer des liquidités à la BCE est une sanction. C est «le monde à l envers». Dans un premier temps, nous montrerons la signification de cette mesure puis dans un second temps, nous évoquerons certaines limites. I) Rappel : le rôle de la BCE dans la politique monétaire. A) Dans la zone euro, chacun des 19 Etats membres reste maître de sa politique budgétaire sous 2 conditions (traité de Maastricht : le déficit budgétaire ne doit pas dépasser 3% du PIB et la dette publique totale ne doit pas dépasser 60 % du PIB (en 2015, France : 3.5 % et 95,7 %, selon l Insee, 25 mars 2016). Par contre, chaque pays délègue sa politique monétaire à la BCE (la Banque de France n est plus qu un intermédiaire auprès de la BCE). L objectif affiché de la BCE est de maintenir le taux d inflation autour de 2%. Or depuis la crise de 2008, et surtout depuis la chute des cours des matières premières et notamment du pétrole, l inflation est quasi nulle en zone euro (- 0.2 % en février 2016) et la déflation menace. De plus la reprise est faible, la croissance économique reste insuffisante, en particulier en France (+ 1.2 % en 2015 selon l Insee) pour baisser durablement le chômage. Du fait des faibles marges de manœuvre de la politique budgétaire (politiques d austérité appliquées pour réduire les déficits et l endettement), il faut donc jouer sur la politique monétaire. La BCE dispose d instruments traditionnels tels qu agir sur le taux du refinancement des banques sur le marché monétaire interbancaire (voir le paragraphe B2) ou agir sur les taux plafond et plancher du refinancement direct des banques auprès de la BCE (voir le paragraphe B3) ou agir sur le montant et le taux des réserves obligatoires que les banques doivent constituer à la BCE (point non évoqué ici). Cependant, elle a mis en œuvre aussi en 2015 la politique de «Quantitative Easing» (article du 25 mars 2015). B) L action sur le taux d intérêt 1) Qu est-ce qu un taux directeur de la banque centrale, à quoi sert-il? D une façon générale, le taux d intérêt a deux visages. D une part, c est le prix à payer pour «louer», emprunter de la monnaie (court terme) ou des capitaux (long terme) à une banque. C est le «loyer de l argent» ou coût du crédit bancaire pour l emprunteur (ménage, entreprise). Mais c est aussi pour l épargnant, la rémunération des fonds placés à la banque. La banque sert d intermédiaire entre prêteurs et emprunteurs et se rémunère sur la différence entre le taux demandé à l emprunteur et le taux versé à l épargnant. Cependant, les banques ne peuvent fixer ces taux tout à fait librement. D une part, elles doivent tenir compte de la concurrence donc du marché, et d autre part, elles sont «guidées» par la politique monétaire de la banque centrale. Celle-ci «donne le ton» en fonction de son objectif du moment : relever les taux si l objectif est de lutter contre l inflation, baisser les taux si l objectif est de relancer l activité économique et lutter contre le chômage. La BCE se sert pour cela de son taux directeur ou plutôt de ses taux directeurs, car il y en a trois, taux qu elle fixe elle-même
2 en fonction de l objectif recherché. Et, par ricochet, les banques commerciales devront s aligner sur ces taux directeurs. Si les taux directeurs baissent, les banques doivent à leur tour baisser leurs taux ce qui rend le crédit moins cher, et inversement, si les taux directeurs montent, les banques relèvent leurs taux et le crédit est plus cher. Les taux directeurs fixent donc des limites aux fluctuations des taux d intérêt sur le marché monétaire interbancaire (voir ci-dessous) et aux fluctuations des taux d intérêt demandés par les banques à leurs clients. Quels sont ces trois taux directeurs? Il y a un taux principal («central») et deux taux extrêmes (plancher et plafond). Le taux «central» est le taux de refinancement sur le marché monétaire interbancaire. Le taux plancher est le taux de «facilité de dépôt» et le taux plafond est le «taux de facilité de prêt marginal» (voir plus bas). 2) le refinancement des banques Chaque jour ouvrable, il y a des banques qui ont trop de liquidités et d autres qui ont besoin de liquidités (monnaie). S agissant de ces dernières, on dit qu elles doivent se refinancer. Ces banques se rencontrent sur le marché monétaire interbancaire pour procéder à l échange. Cet échange se fait à un taux d intérêt appelé TJJ (taux au jour le jour). La loi de l offre et de la demande commande ce marché. Si offre de monnaie > demande de monnaie => taux baisse Si demande de monnaie > offre de monnaie => taux monte Note : dans la pratique, le taux au jour le jour revêt deux appellations possibles : EONIA (Euro Overnight Index Average) et EURIBOR (Euro Interbank Offered Rate) Marché monétaire interbancaire sans intervention de la BCE Banques ayant besoin de monnaie Demande de monnaie (offre de titres) BCE Marché monétaire interbancaire Banques ayant Trop de monnaie Offre de monnaie (demande de titres) tjj Demande de monnaie > offre de monnaie => tjj monte jseco22 (tjj = taux au jour le jour) Cette méthode de refinancement des banques s effectue de leur propre initiative. Mais la BCE contrôle ce marché et ce taux (l œil couleur fuchsia sur le schéma). Ce marché est ouvert à la BCE. C est l open market. En effet, l évolution de ce taux TJJ ne doit pas contrarier la politique monétaire de la BCE. Si la BCE lutte contre l inflation, il ne faut pas que le TJJ
3 baisse. Inversement, si la BCE souhaite relancer l activité, il ne faut pas que le TJJ monte. C est pourquoi la BCE intervient sur ce marché. Si la demande de monnaie est supérieure à l offre de monnaie, la BCE prend l initiative d injecter des liquidités sur le marché. Elle crée de la monnaie. Mais cette injection de monnaie se fait en échange d actifs non monétaires (titres, effets de commerce) qui constituent le «collatéral». De plus, elle propose ses liquidités à un «prix» ou taux d intérêt appelé taux de refinancement. Le 10 mars 2016, ce taux a baissé de 0.05 % à 0%. Cela signifie que les banques peuvent se refinancer gratuitement auprès de la BCE (cela ne leur coûte rien). Marché monétaire interbancaire avec intervention de la BCE Taux de refi Banques ayant besoin de monnaie Demande de monnaie (offre de titres) BCE Marché monétaire interbancaire Injection de monnaie (contre des titres) au taux de refinancement Banques ayant trop de monnaie Offre de monnaie (demande de titres) tjj jseco22 Le marché se rééquilibre car l offre augmente Demande de monnaie = offre de monnaie => TJJ se stabilise ou redescend un peu Graphique : le taux de refinancement de la BCE (principal taux directeur) en rouge (Source du graphique : BCE) (En bleu, le taux directeur de la FED aux USA) (source BCE)
4 3) les 2 taux directeurs du «corridor» de fluctuation du taux de refinancement Le taux de refinancement de la BCE est le principal taux directeur de la BCE. Mais l évolution de ce taux de refinancement est encadrée par 2 autres taux : un taux plancher et un taux plafond. Cela forme un «corridor» ou zone de fluctuation pour le taux de refinancement. Ces 2 autres taux directeurs concernent la politique monétaire des «facilités permanentes» (à la journée). Il y a 2 «facilités permanentes», qui se font, cette fois à l initiative de la Banque centrale : - les prêts accordés à la journée par la BCE aux banques commerciales, à un taux d intérêt appelé «taux de facilité de prêt marginal». Ce taux est le taux plafond du «corridor». - les dépôts de liquidités effectués par les banques commerciales auprès de la BCE pour une journée. Ces dépôts sont rémunérés au «taux de facilité de dépôt». Ce taux est le taux plancher du «corridor». Sur le graphique ci-dessous, on voit bien le «corridor» de fluctuation du taux de refinancement de la BCE : le taux de refinancement, rouge, évolue entre le taux jaune en haut (taux prêt marginal) et le taux orange en bas (rémunération des dépôts) (en bleu : USA) (source BCE) II) Le taux directeur de «facilité de dépôt» est devenu négatif en juin 2014 Le tableau ci-dessous recense les décisions de la BCE concernant les taux directeurs liés aux facilités permanentes : Taux directeurs de la Banque Centrale Européenne Date de valeur des taux des appels d'offres Dernière décision du Conseil des Gouverneurs : 10 mars 2016 Prochaine décision du Conseil des Gouverneurs : 21 avril 2016
5 A taux fixe (En pourcentage) Opérations principales de Facilités permanentes Date de valeur (a) refinancement Appels d'offres à taux fixe Dépôt au jour le jour Prêt marginal au jour le jour 16 mars décembre septembre juin novembre mai juillet décembre novembre juillet avril mai avril mars janvier décembre novembre octobre (source : Banque de France) Le taux des dépôts au jour le jour est tombé de 2.75 % en novembre 2008 à 0% en juillet 2012 puis à 0.10 en juin 2014 et à 0.40 % en mars 2016 (tableau) Le fait que le taux soit devenu négatif est le résultat d une évolution depuis la crise financière et économique de En 2009, il était légèrement positif ( %). Il baisse depuis dans le cadre de la politique monétaire de la BCE. Celle-ci souhaite relancer l activité (et l inflation trop basse). Elle doit donc baisser ses taux directeurs pour rendre le crédit moins coûteux aux entreprises et aux ménages. Or, à force de baisser, ce taux est devenu négatif. Cela signifie que la BCE décourage les banques à déposer leurs excès de liquidités auprès d elle : elles doivent payer pour faire de tels dépôts! C est une sanction. Donc elles sont encouragées à conserver leurs liquidités et si possible à les prêter sur le marché interbancaire ou aux entreprises et ménages pour faire repartir la consommation et l investissement donc l activité économique (ce qui leur rapportera des intérêts). La BCE n est pas la seule à agir ainsi (la banque centrale du Danemark, de Suède, de Suisse, du Japon le font aussi). Schéma des effets de la baisse des taux directeurs sur l économie :
6 Taux directeurs BCE Coût du refinancement des banques auprès BCE Coûts des banques Coût du crédit bancaire aux ménages et entreprises Plus de crédits distribués Relance de la consommation et de l investissement Relance de la croissance économique Jseco22 III) Une décision qui suscite des réserves : A) la baisse des taux relance t-elle nécessairement l activité? la théorie économique nous enseigne que ce n est pas toujours le cas. Le modèle keynésien de la courbe IS - LM tendrait à répondre «non» à cause de la formation d une la «trappe à liquidités» ce qui conduirait la politique économique de la zone euro dans une l impasse. En effet, dans le modèle keynésien IS-LM, la crise économique correspond à la zone de «trappe à liquidités» en rouge sur le graphique ci-dessous.
7 Taux d intérêt r Courbe IS LM1 LM2 Courbe LM (demande et offre de monnaie) r1 r2 r trappe à liquidités Revenu national Y Jseco22 Y1 Y2 En rouge, la zone de «trappe à liquidités» sur la courbe LM (L = L1 + L2 = demande de monnaie de transaction + demande de monnaie de spéculation). Faire varier r en ordonnée donnera deux points différents d intersection avec LM donc 2 valeurs d Y différentes, partout, sauf au niveau de r, niveau de la trappe à liquidités. Exemple : si r tombe de r1 à r2, le revenu national augmente de Y1 à Y2. Raisonnement impossible au niveau de r en rouge car la courbe LM est une droite horizontale sur cette portion. En effet, la politique monétaire est inefficace car le taux d intérêt est déjà tellement bas, qu il ne peut plus baisser pour relancer l investissement et qu au contraire tous les acteurs anticipent une remontée du taux d intérêt donc conservent une demande de monnaie de spéculation (L2) en trésorerie (c est la trappe à liquidités), afin d effectuer un placement dès que les taux remontent. Cependant, ce raisonnement n est pas toujours admis par Keynes. Il considérait que certaines anticipations (dans des «circonstances favorables») pouvaient avoir un effet positif sur l investissement (selon Joan Robinson, Hérésies économiques, Calmann-Levy, octobre 1972, repris par Janine Brémond dans Keynes et les keynésiens aujourd hui, Hatier, 1987 p 112). Par contre, pour Keynes, la politique budgétaire est très efficace dans cette zone de trappe à liquidités (par une politique de relance par de grands travaux publics, voir l article du 23 février 2016 sur ce blog). Mais dans la zone euro, la relance budgétaire est incompatible avec la règle des 3% pour les pays qui ont déjà atteint ce seuil (France par ex, Espagne, Portugal, Italie, Grèce ) D où la question que certains économistes (opposés à la politique d austérité) se posent : l euro conduirait-il certains pays de cette zone à une impasse, compte tenu du contexte de crise économique? Faudrait-il supprimer temporairement, la règle des 3 % ou l assouplir (vu le contexte depuis 2009)?
8 B) les petits épargnants sont perdants Si les taux directeurs de la BCE baissent, le taux bancaires baissent à leur tour : taux des emprunts bancaires, taux de rémunération de l épargne. Ainsi le taux de rémunération du livret A (placement populaire par excellence) est devenu voisin de zéro (il est tombé à % /an, en août 2015, graphique ci-dessous) (mais l inflation aussi, donc le pouvoir d achat de la monnaie est préservé). Cependant, les placements rapportent moins et les épargnants et rentiers sont désavantagés. Keynes lui-même évoquait la «disparition des rentiers» consécutive à la «baisse du taux de rendement afférent à la richesse accumulée» (John Maynard Keynes, Théorie générale de l emploi, de l intérêt et de la monnaie, Payot, 1971 p 228). Toutefois, cela peut inciter les épargnants à dépenser leur épargne sous forme de consommation ou d investissement et à faire repartir l activité économique, ce qui est finalement le but recherché ici. (Source Banque de France) De même, les emprunteurs d aujourd hui sont avantagés, mais les emprunteurs «d hier» (à taux fixe) ne le sont pas puisque, en pratique, l inflation allège la dette (le poids en % des remboursements fixes baisse dans le revenu mensuel si ce dernier suit l inflation). C) pour les banques : une entrée dans l inconnu? Quant aux institutions financières (banques et compagnies d assurance), elles pourraient également voir leur rentabilité diminuer si les taux de leurs dépôts à la BCE restaient négatifs durablement (mais rien ne les oblige à utiliser cette voie) et si les taux demandés aux particuliers emprunteurs restaient très bas. Mais en sens inverse, elles peuvent se refinancer gratuitement auprès de la BCE. L impact est donc a priori ambivalent, mais cependant l entrée dans un monde d incertitude n est pas très rassurante. Conclusion : la BCE cherche depuis 2014 et surtout 2015 par de nombreux moyens (forte baisse des taux d intérêt, quantitative easing) à relancer l activité économique et à créer un peu d inflation dans la zone euro. Cependant elle n y parvient pas ou pas suffisamment et pas assez vite. Cela devient même une sorte de mystère concernant l inflation, au vu des sommes considérables injectées dans le circuit économique depuis la crise de 2008 (mais il est vrai que
9 la baisse du prix du pétrole joue beaucoup en sens inverse). Une solution préconisée par certains économistes consisterait à injecter directement de la monnaie auprès des agents économiques (la BCE créerait et distribuerait directement de la monnaie aux ménages et entreprises), pour relancer la demande et l inflation. Mais relancer l inflation peut aussi se retourner contre l économie si la décision est mal contrôlée et pourrait conduire à l hyperinflation. Une autre solution consisterait à «relâcher» les contraintes de la politique budgétaire dans la zone euro (règle des 3 %), mais il s agirait là d une décision de nature politique puisqu elle remettrait en cause certaines clauses du traité de Maastricht. Jseco22 le 28 mars 2016
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