ASSOCIATION DES JURISTES SENEGALAISES A.J.S S/c Boutique de droit de la Médina Avenue Blaise DIAGNE X Rue 25 Médina-Dakar
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- Marie-Rose Labranche
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1 COMMUNICATION SUR LES RAVAGES DE L INTERDICTION DE L INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE (IVG) AU SENEGAL «L Interruption volontaire de grossesse est interdite sauf lorsqu elle est autorisée par la loi. En aucun cas, elle ne saurait être considérée comme une méthode contraceptive». Ainsi est libellé l article 15 de la loi sur la Santé de la reproduction adoptée, en 2005, au Sénégal. L avortement n est autorisé que lorsque la vie de la mère est menacée. Il s agit de l avortement thérapeutique. La législation sénégalaise considère l avortement provoqué comme une infraction pénale. Et les dispositions de l article 305 du Code pénal prévoient contre leurs auteurs des peines d emprisonnement allant de six mois à trois ans et/ou des amendes de à un million de F.CFA. A cause de cette interdiction, de nombreuses femmes recourent aux avortements provoqués clandestins notamment en cas de viol et d inceste, ce qui cause de grands drames. Il convient, partant du constat d une situation dramatique causée par l interdiction de l avortement (I), d exposer les causes et les effets des ravages (II). Afin de démontrer la nécessité de légaliser l avortement au Sénégal (III), I. LE CONSTAT La société sénégalaise vit des situations dramatiques liées aux décès maternels, aux infanticides, avortement à risque, emprisonnement, ce qui placent la société sénégalaise dans des situations peu favorables. Il s agit là de véritables ravages qui gangrènent la vie des populations et portent particulièrement atteinte aux droits des femmes. Lorsque pour une raison ou pour une autre la femme se retrouve porteuse d une grossesse non désirée elle est désemparée, elle ne
2 trouve d autres solutions pour mettre un terme à cette grossesse que de recourir à des avortements dangereux, clandestins. N ayant que l avortement clandestin comme ultime recours, la femme qui porte une grossesse non désirée bascule ainsi dans la criminalité par la pratique de l infanticide qui devient de plus en plus récurrente. Cependant il faut préciser que nous n avons pas réussi à avoir les statistiques séparées de l avortement et de l infanticide parce que la Division de la législation des Statistiques et de l Instruction de la Direction de l Administration Pénitentiaire nous ont signalé qu ils ne font pas toujours la différence entre l avortement et l infanticide. Selon les statistiques obtenues auprès de la Direction de l Administration Pénitentiaire cas 86 cas 39 cas soit 10 cas d avortement et 29 cas d infanticides 40cas pour le 1 er semestre de l année 2013 soit 0,32%infractions Pour le rapport semestriel 2013 : Prison des femmes de liberté 6 : 9 cas d infanticides et 7 cas d avortement Prison des femmes de Saint-Louis : 6 cas d infanticides Prison des femmes de Thiès : 2 cas d infanticides Prison des femmes de Ziguinchor 3 cas d infanticides et 1cas d avortement Prison des femmes de Matam : 3 cas d infanticides Ces femmes pourtant victimes de la société sont condamnées à des peines allant de 5 à 10 ans selon les dispositions de l article 285 du code pénal.
3 II. Les ravages dus à l interdiction de l avortement et leurs causes La répression de l IVG entraine une situation déplorable qui se manifeste à différents niveaux (A) dont les causes peuvent être évoquées Pour combattre la situation catastrophique liée à la répression de l IVG, il convient d en connaitre les causes (B) A. Manifestation des ravages dus à l interdiction de l IVG Les victimes porteuses de grossesse non désirés n ont souvent d autre solution que le recours à l avortement qui ne peut être que clandestin car prohibé donc s exposant à ainsi à des risques certains. N ayant pas d autre solution les femmes porteuses de grossesse non désirée, se!tournent vers l avortement clandestin, ce qui les expose à des dangers certains. Les conséquences de cet avortement sont d ordre divers: - Médicales Le Docteur Fatim Tall Thiam, gynécologue, conseillère en santé de la reproduction à l Organisation Mondiale de la Santé, a identifié des complications médicales immédiates et des complications médicales à long terme (les séquelles) du non accès à l avortement médicalisé. Décès de la femme, de la fille ou de la jeune fille enceinte, des études estiment que 55 femmes, 3.6% des décès maternels, sont liés aux avortements à risque. Hospitalisation : les avortements à risque constituent 50% des motifs d admission urgence dans les maternités de référence (Mballo 2010, Cisse et al. 2007). Blessures (hémorragie grave, lésions intra abdominales ) stérilité beaucoup de femmes deviennent infertiles par suite de complications dues à l avortement) grossesse extra utérines, douleurs pelviennes chroniques invalidantes. infections localisées à l appareil génital ou généralisées (septicémie, tétanos, ) ; intoxication médicamenteuse
4 - psychologiques : il s agit de troubles, de dépression, de traumatisme sexuel chez la femme qui s est fait avorter - Economiques les avortements à risques constituent inévitablement un coût pour la femme et pour l Etat. - Sociales : la femme qui s est procurée l avortement risque de perdre son estime de soi, d être victime de stigmatisation, de marginalisation. Il arrive aussi que la femme qui n a pu mettre fin à sa grossesse non désirée commette un infanticide. Elle s expose alors au regard de la société et à l emprisonnement. - Juridiques : Le code pénal réprime l avortement. La femme qui recourt à cet acte s expose à des peines d emprisonnement et d amende. La femme aussi bien la personne qui l aide à avorter sont sévèrement punies par la loi. Elles s exposent à des peines de prison selon l article 305 du code pénal. Souvent lorsqu elle n a pas pu se procurer à temps cet avortement, elle cache tant bien que mal cette grossesse pour «s en débarrasser» dés l accouchement commettant encore un autre crime celui d infanticide, une infraction criminelle prévue dans le code pénal sénégalais en son article 285. Les causes de l avortement à risque peuvent être nombreuses mais la situation pénible que vivent principalement les femmes reste principalement liée à la répression légale de l avortement. Cependant les violences faites aux femmes et la loi actuelle semblent avoir une incidence indiscutable sur ce phénomène. B. Les violences faites aux femmes Les violences faites aux femmes sont les violations de droits humains les plus répandues et les plus graves. Il s agit de violences basées uniquement sur leur statut de femme, de fille
5 Les femmes qui ont cherché à se faire avorter ont pour la plupart été victimes de viols, d inceste, forcées d une manière ou d une autre à porter une grossesse qu elles n ont nullement désirée. C est de ces violences que surviennent les grossesses non désirées. Une jeune fille qui se retrouve enceinte suite au viol commis par son père, de surcroît ne saurait désirer cette grossesse qui ne lui inspirerait que rejet. Les médias nous rapportent quotidiennement des faits de violences basées sur le genre, violence conjugal, agression sexuelle, viol, pédophilie, inceste, crime. Ces violences aux formes multiples sont dues aussi à de nombreux facteurs dont l ignorance A la Boutique de Droit, l AJS a enregistré cas de violences basées sur le genre entre décembre 2009 et septembre 2010 dont plusieurs viols sur mineures suivis de grossesse. Cette déplorable situation est tout à fait évitable. Afin de d éliminer ces ravages et de rendre effectif le droit des femmes à la santé de la reproduction, il est nécessaire de procéder à une légalisation de l avortement médicalisé. III.Le plaidoyer pour l Accès à l Avortement médicalisé au Sénégal Pour mettre fin à la recrudescence de la mortalité maternelle et à l infanticide dans notre pays et compte tenu des études qui ont montré la forte corrélation entre ce taux élevé et le recours aux avortements à risque et à l infanticide, il est urgent de modifier notre législation nationale, c est-à-dire le code pénal sénégalais qui est d ailleurs l une des lois les plus restrictives dans le monde et de les harmoniser avec les différentes conventions internationales que le Sénégal a signé et ratifié.
6 A- Modification de l article 305 et Abrogation de l article 305 bis du Code Pénal : «sera punie d un emprisonnement de six mois à deux ans et d une amende de à francs, la femme qui se sera procurée l avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet» Le code pénal sénégalais à l instar des autres pays africains réprime sévèrement la femme qui se fait avorter. Cette volonté de réprimer aussi sévèrement la femme qui veut interrompre une grossesse non désirée malgré les multiples conventions internationales signées et ratifiées a toujours outré les organisations féminines notamment l Association des Juristes Sénégalaises en la personne de sa présidente qui qualifie ces lois de fémicides (tueuses de femmes). Selon ces associations de femmes et les défenseurs des droits et libertés cette possibilité pour la femme de disposer librement de sa maternité n a rien d extraordinaire c est un droit tout à fait naturel. Pourtant la quasi-totalité de ces femmes qui pratiquent l avortement ou l infanticide sont des victimes de mariage forcé ou bien mariage dont le consentement a été arraché, ou victimes de viols, d inceste, d accidents de la contraception ou de défaut d accès aux moyens de contraception. Mais le constat regrettable qui est fait est que souvent les juges ne vont pas jusqu au bout de la logique de recherche de vérité qui doit animer tout juge pour pouvoir comprendre l auteur de ces délits et si possible de leur faire bénéficier des circonstances atténuantes qui sont dans l ordre normal des procédures judiciaires.
7 Pourtant chaque jour des auteurs de violences basées sur le genre au lieu d être sanctionnés bénéficient souvent d une requalification de ces violences en un rapprochement sexuel.la décision de la Cour d appel de Dakar du 28 mars 2009 (tirée du mémoire de maitrise, Faculté des Sciences juridiques et politiques, université Cheikh Anta Diop de Dakar, année académique 2009 /2010, intitulé L avortement au senegal analyse des textes, de la jurisprudence, Monsieur Saidou MBALLO) en est une parfaite lustration alors que les victimes des agressions sexuelles se voient tous les jours privées du droit d avorter. Nous savons qu au Sénégal les principales causes d avortement sont le viol et l inceste qui laisse chez la victime des séquelles d ordre physique mais surtout morale qui la suivront toute sa vie Cependant malgré cette souffrance existentielle, le juge et l Etat sénégalais exigent à la femme ou à la fille porteuse de cet acte odieux de garder cet enfant de gré ou de force sous peine de la condamner à la prison. Le principal argument avancé au Sénégal contre la légalisation de l avortement est d ordre religieux mais en réalité beaucoup de pratiques interdites par la religion sont légalisées par notre Etat comme la prostitution alors qu une question aussi personnelle que l avortement continue de faire l objet d interdiction, il serait mieux pour une éradication des avortements à risque et de l infanticide de modifier l article 305 du CP Proposition de modification de l article 305 L Association des Juristes Sénégalaises a eu à proposer une modification de l article 305 du code pénal pour : Réprimer l avortement forcé, avortement fait sans le consentement de la femme ou de la fille enceinte
8 Réprimer l avortement exécuté par une personne non qualifiée Exclure la femme portant une grossesse non désirée de toute poursuite pour avortement ou tentative d avortement. Abroger l article 305 bis du code penal qui reprime les discours et les textes informant sur le droit à l interruption volontaire de grossesse. Modifier la loi sur la santé de la Reproduction de 2005 pour : Inclure l avortement médicalisé dans la liste des soins et services de santé de la reproduction Autoriser l avortement médicalisé gratuit et sans conditions jusqu à la fin de la 12 ème semaine (avant que l embryon devienne fœtus) A partir de la 12 ème semaine (une fois que l embryon est devenu fœtus), autoriser l avortement médicalisé aux conditions posées par l article 14 du Protocole de Maputo (en cas de viol, d inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale ou physique de la mère ou du fœtus) Préciser les établissements et les personnels qualifiés pour procéder à l interruption volontaire de grossesse Le Sénégal se réclame grand défenseur des Droits Humains. Il se glorifie d avoir ratifié toutes les conventions. Il faut donc lui rappeler la nécessité d exiger l application de ces conventions comme il se doit. B Obligation d Harmoniser la législation nationale avec les conventions internationales L avortement tel que sanctionné par les articles précités montre que le Sénégal est en complète déphasage avec un monde où le strict respect des droits des femmes est une exigence à travers la mise en
9 place d un certain nombre de conventions qui lient les Etats signataires. L Etat du Sénégal a ratifié les conventions sur les droits de la personne humaine sans réserves et il faut l en féliciter. Toutefois, il doit aller jusqu au bout de son engagement proclamé pour les droits de la personne humaine. Il le fera en appliquant ces traités sans réserves : Le Protocole à la Charte africaine des droits de l homme et des peuples relatif aux droits de la femme, adopté à Maputo le 11 juillet 2003, entrée en vigueur le 25 novembre 2005, ratifié par la Sénégal le 2 Décembre 2004 et intégré dans la constitution du Sénégal dispose en son article 14 intitulé : Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction exige aux Etas signataires d assurer le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent : Le droit d exercer un contrôle sur leur fécondité ; Le droit de décider de leur maternité, De même l alinéa 2 du même article exige que les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l avortement médicalisé, en cas d agression sexuelle, de viol, d inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère. Pour éradiquer de manière quasi-totale les avortements à risque et la pratique de l infanticide au Sénégal il faut suivre l exemple de certains pays comme la Tunisie en1973, le Cap-Vert en 1986 et l Afrique du Sud en 1997 qui ont libéralisé l avortement. En Afrique du Sud, le chiffre annuel des décès liés à l'avortement est tombé de près de 90 % dans les trois ans qui ont suivi la libéralisation, selon une étude intitulée «Les avortements dangereux en augmentation» publié dans
10 Pour y arriver il faudra Un Accès legal à l avortement médicalisé Qui soit Pratiqué gratuitement à la demande de la femme jusqu à trois mois (12 à 13 semaines de grossesse). Un Accompagnement par programme de planification familiale. Le juge ne doit pas attendre cette harmonisation pour prendre ses responsabilités et faire valoir son indépendance conformément aux dispositions de l article 88 de la constitution du 22 janvier 2001 qui dispose que «le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.il est exercé par le Conseil constitutionnel, le Conseil d Etat, la Cour de Cassation, la Cour des Comptes et les Cours et tribunaux.» Cette indépendance devrait leur permettre d assurer le respect de la hiérarchie des normes par le biais du contrôle de la constitutionnalité des lois qui constitue un moyen de protéger les libertés les plus élémentaires contre les excès du législateur qui est souvent dicté par un raisonnement de politicien toujours à la recherche de potentiels électeurs même si il doit légiférer au détriment du respect des Droits Humains des populations. RECOMMANDATIONS Modifier l article 305 et abroger l article 305 bis du code pénal sénégalais afin que la femme puisse jouir pleinement de ses droits a la santé tels que prévus par le protocole de Maputo.
11 Cette révision du Code pénal est la seule alternative pour régler définitivement le problème de l avortement à risque et de l infanticide. Dans son mémoire de maitrise, Faculté des Sciences juridiques et politiques, université Cheikh Anta Diop de Dakar, année académique 2009 /2010, intitulé L avortement au senegal analyse des textes, de la jurisprudence, Monsieur Saidou MBALLO rapporte que la majeure partie des juges qu il a eu à interroger «disent ne pas être liés par les conventions internationales mais plutôt par les lois nationales» Ce qui est à la limite scandaleux parce qu au Sénégal, en vertu de l article 98 de la Constitution, les conventions internationales légalement signées et ratifiées ont une valeur supérieure aux lois nationales. Les normes internationales qui visent spécifiquement la protection des Droits de l Homme doivent être appliquées directement une fois ratifiées et signées, si l Etat partie est réellement animé par un souci d assurer le bien-être de sa population.
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