Mesdames et Messieurs en vos titres, grades et qualités, Chers collègues, Chers étudiants,

Transcription

1 Mesdames et Messieurs en vos titres, grades et qualités, Chers collègues, Chers étudiants, A l Université de Mons, tout n est pas que symbole, mais celui-ci en est un, un fort. Si la rentrée académique marque le début d un nouveau cycle universitaire, elle est aussi un événement d extériorisation, un moment où l université s adresse à la société civile, lui montre ce qu elle lui apporte en échange de son financement. Or, aujourd'hui, lors de cette rentrée , un représentant du personnel administratif, technique et ouvrier (en abrégé le PATO) est invité à prendre la parole. C'est la première fois que cela se produit depuis la création de l université, soit, si l on prend l âge de sa plus vieille faculté, près de 175 ans! C'est donc un moment historique, révélateur d'un nouveau climat qui règne désormais entre les autorités et le PATO. Il est vrai que sans ceux au nom desquels je m'exprime ici, l Université de Mons n aurait pu réussir sa fusion. Pour prendre une métaphore guerrière, à côté des stratégies des généraux de l'umh et de la FPMs, la ligne de front de la fusion, c est essentiellement le PATO qui l a assumée : - c est nous qui avons vu nos services regroupés avec leur équivalent de l autre université, - nous qui avons vu débarquer de nouveaux collègues, pétris d une autre culture d entreprise, - nous qui avons dû composer avec de nouvelles procédures, de nouveaux chefs et de nouveaux modes de gestion. Ça n a pas été simple, ça ne l est toujours pas mais nous n avons pas rechigné à la tâche. C est aussi pour cette raison, je pense, que le PATO s'exprime devant vous aujourd hui. 1

2 Rassurez-vous, Monsieur le Recteur, nous n allons pas profiter de ce moyen d expression nouveau que vous nous avez accordé pour établir publiquement une liste de revendications ou transformer l événement en tribune militante. Je vais plutôt vous raconter une histoire Lundi dernier mystérieusement, tout le PATO a disparu Et voici comment la semaine s'est déroulée: Lundi 26 septembre, 7h45 Les premiers étudiants arrivent sur le campus pour y assister, courageusement, aux premiers cours de la journée. Les portes des amphithéâtres sont closes. Les premiers professeurs et scientifiques arrivent et essaient d ouvrir les portes avec leur carte magnétique, mais pas de chance elles sont fermées à clé et, bizarrement, ni les concierges, ni les techniciennes de surface ni les huissiers ne sont venus les ouvrir comme à leur habitude. Le Doyen de la Faculté de Sciences, prévenu, téléphone à l Administrateur, qui lui indique qu il a déjà reçu plusieurs appels du même ordre : pas de nouvelle des agents du PATO, nulle part à l université. Même sa secrétaire n est pas là (pas de café, donc!) Il lui faut trouver le numéro de téléphone d un serrurier extérieur, car le service infrastructure est aux abonnés absents. 8h15 : le Recteur est attendu au FNRS à 10h. Son chauffeur, censé l y conduire, n arrive pas. 15 minutes qu il l attend, ce n est pourtant pas son genre, et il ne répond même pas au téléphone... 2

3 8h20 : l entreprise «allô serrure 30minutes» débarque sur les campus et commence à ouvrir les portes. Quelques alarmes sonnent mais heureusement, l Administrateur a retrouvé les codes de chacune d elle et court derrière les serruriers pour les éteindre une à une. 8h40 : le Recteur décide d aller en train à Bruxelles 10h : les premiers cours commencent à se donner, avec quelques difficultés par-ci par là, car certains projecteurs et amplificateurs sonores ne fonctionnent plus. Impossible de joindre les techniciens de la cellule audio-visuelle Quelques extinctions de voix en perspective 11h : les techniciens de laboratoire ne sont pas arrivés, les assistants sont inquiets pour l organisation des laboratoires de l après-midi. Ils préviennent leur chef de service, dont l un téléphone au Recteur. Celui-ci est dans le métro entre les stations Louise et Namur, en approche du FNRS avec une heure de retard (ben oui, vous savez, les trains parfois, le lundi matin ) Il est TRES énervé. 11h30 : l Administrateur, exténué, achève la tournée d ouverture des serrures. Le serrurier lui remet les clés de toutes les nouvelles serrures installées, ainsi qu une facture salée (tarif d urgence oblige). Il téléphone à la police pour signaler la disparition des 587 agents PATO de l université. Une enquête est ouverte. 12h : les professeurs et assistants décident, sur demande du Recteur, d organiser les laboratoires. Ils se chargeront de l encadrement des étudiants sans l aide des techniciens. 50% d encadrement en moins on espère que tout se passera bien 12h15 : une file d étudiants désirant s inscrire à l UMONS se forme devant le service des inscriptions, qui reste désespérément fermé. 3

4 12h30 : vu la fermeture des restaurants universitaires, les étudiants de l UMONS prennent d'assaut les sandwicheries de la ville, tandis que la Fédé Polytech improvise un méchoui dans la cour de Houdain. 14h30 : ce qui devait arriver est arrivé : alors que l assistant et le professeur de chimie sont dans un coin du labo, deux étudiants dans l autre coin se brûlent avec de l acide. Les premiers soins sont donnés et les étudiants sont envoyés à l hôpital. Il faut faire une déclaration d accident, mais le service des assurances ne répond pas. On verra bien 15h : le Recteur revient de Bruxelles en train, fatigué et inquiet. 18h : l Administrateur décide, en concertation avec le Recteur, de fermer l Université pour cette journée. L Administrateur prend le nouveau trousseau de clés et commence sa longue tournée. Mardi 27 septembre : Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l université est fermée. Ça tombe bien, toujours aucune nouvelle du PATO. Le Recteur et l Administrateur organisent la résistance, on pare au plus pressé. Il faut ouvrir le service des inscriptions le lendemain et trouver, parmi les centaines de classeurs, les données statistiques à envoyer impérativement au Conseil des Recteurs pour le 30 septembre. Faute de quoi, le financement de l Université risque de sérieusement diminuer l année prochaine Le Doyen de la Faculté Waroqué accepte de s en occuper avec quelques professeurs et scientifiques. Mercredi 28 septembre : 5h30 L Administrateur commence sa tournée pour ouvrir les portes des campus 4

5 9h le service des inscriptions ouvre enfin. En plus du Doyen, il y a aussi le 1 er Vice-Recteur Bernard Harmegnies derrière un guichet. Tout le monde doit s y mettre, c est la guerre! Il y a déjà 50 personnes qui attendent! 9h30 : l Administrateur est très inquiet. Le service du personnel devrait normalement calculer les salaires et faire la déclaration trimestrielle à l ONSS Pas de nouveaux engagements possibles non plus, alors que 16 nouveaux chercheurs devaient rejoindre l'université au 1 er octobre. La comptabilité devrait lancer les ordres de paiement des salaires. Personne ne sera donc payé ce mois-ci, pas même le Recteur... 10h : à la suite d une défaillance électrique, deux des principaux serveurs de l université tombent en panne. Personne pour les réparer. Conséquences désastreuses: plus de courrier électronique, plus d application informatique. - Le répertoire téléphonique en ligne : sans réponse. - Les horaires de cours et la planification des auditoires : inaccessibles - L application du service des inscriptions, qui permet d'envoyer les statistiques au Conseil des Recteurs : en panne. - Les bons de commande électroniques: bloqués, plus moyen de faire des achats - Les cours en ligne ne sont plus accessibles - Le site Web de l'université est hors ligne, à 2 jours de la rentrée académique! 11h : toujours aucune distribution de courrier depuis lundi, alors que le Recteur attend un pli urgent du Cabinet du Ministre. Il va falloir aller fouiller dans les gros sacs de jute de la Poste! 5

6 15h, heure de Las Vegas : un professeur de la Faculté de médecine et pharmacie s apprête à lancer un scoop mondial au congrès dans lequel il doit faire une allocution. Il a trouvé une molécule capable de rendre inactif le virus du SIDA. A lui la gloire! Il a un peu hésité avant de préparer son speech. Il croit en effet se souvenir qu on lui a dit, un jour, de ne jamais publier une découverte avant de la protéger. Il a bien essayé de téléphoner au département Administration et valorisation de la recherche, où des conseillers en propriété intellectuelle auraient pu l aider, mais personne n a répondu. C est dommage car après son speech, sa découverte tombe dans le domaine public et ne pourra jamais être brevetée. Avec les royalties d un tel brevet, l'umons aurait certainement pu construire deux ou trois nouveaux bâtiments. Jeudi 29 septembre : 8h : le téléphone du Recteur sonne. «Allô, Calo, c est Elio, c est quoi cette histoire? On me dit qu il y a une centaine de jeunes «indignés» qui campent sur la place du parc. Des indignados à la Puerta del Sol, d accord, mais à Mons, non, surtout en pleine négociation communautaire, ça fait mauvais genre!» Il faut vous dire que la veille, mercredi, c est le jour où on accueille les 200 étudiants internationaux (les erasmus) qui viennent passer un quadrimestre ou deux à l université. Evidemment, personne du service des relations internationales n était présent pour les accueillir, et personne du personnel des cités étudiantes n était là pour leur donner les clés de leurs chambres Heureusement, comme ces jeunes gens sont plein de ressources, ils ont décidé de s installer sur la place du parc, où les pelouses sont parfaites pour accueillir tentes et sacs de couchage et y faire des feux de camps. 6

7 9h : l Administrateur s inquiète du prochain conseil d administration qui ne peut être préparé vu l absence du secrétariat du Conseil. Pas moyen d approuver les budgets 2012, pas moyen de nommer les nouveaux chargés de cours et les assistants, aucune promotion de professeur. 13h : des plaintes parviennent chez l Administrateur : on dénombre 33 toilettes bouchées, et 7 locaux sans lumière. Pas de plombier ni d électricien pour réparer tout ça. Partout ailleurs, la saleté s installe. Aucun auditoire, aucune toilette, aucun bureau, aucun couloir n a été nettoyé, aucune poubelle n a été vidée. Les cités estudiantines sont dans état pitoyable. Ça commence à sentir partout et demain, c est la rentrée académique 17h : Il a fallu fermer un des guichets du service des inscriptions. M. Harmegnies est en effet bloqué dans l ascenseur et pour le libérer, il faut trouver la société qui a le contrat d entretien. Du coup, la file des étudiants atteint la place du parc où une espèce de fraternité se noue avec les Erasmus indignés qui y campent. Une grande «fiesta de la indignación» se prépare. Des étudiants de Bruxelles débarquent à Mons, en signe de solidarité. On dit même que Gembloux et Liège pourraient débrayer Minuit: la fête bat son plein sur la place du Parc, tandis que l Administrateur ferme sa dernière porte. Exténué, il décide de dormir là, sur une banquette. Ainsi, il sera sur place pour ouvrir le lendemain. Vendredi 30 septembre, aujourd'hui donc 5h30 : l Administrateur se réveille et entame sa tournée. Il a mal au dos, l épuisement le guette. 7

8 9h : le Recteur arrive dans son bureau. Les parents des étudiants accidentés du labo de chimie l y attendent. Pourquoi aucune déclaration d accident n a été faite, est-on sûr que l université est assurée??? Il ne sait que répondre... Pendant ce temps, les indignés se réveillent place du parc, après une soirée TRES festive. Ils ont mal aux cheveux, et la place n a plus vraiment le même aspect que la veille. 14h: le Doyen de la Faculté polytechnique a réquisitionné des assistants pour préparer l auditoire pour la rentrée académique. On nettoie comme on peut les travées, les couloirs, les toilettes, le parking. Le traiteur n arrive pas, normal, le bon de commande n est pas parti. Tant pis pour le verre de l amitié, on mettra des bouteilles d eau et des gobelets en plastique! Mais qui ira les chercher? 15h : le Recteur termine de répéter son discours. Il se rend à pied à l'amphithéâtre Stiévenart, en sortant par la porte de derrière pour éviter la presse. En chemin, il croise l Administrateur qui erre, hagard, sur le campus, un trousseau de clés à la main, ouvrant et fermant frénétiquement toutes les portes qui se présentent à lui. Pauvre Dany, se dit le Recteur, un burn out à trois ans de la retraite, c est moche 16h30 : rentrée académique. La moitié d entre vous n est pas présente, car tous les cartons d invitation n ont pas été envoyés par le service communication. L auditoire n est pas aussi beau, il n y a pas de fleur, pas de photographe, pas de régie. Les musiciens ne sont pas là, non plus. Et puis bien sûr, il n y a pas de son (couper le son et couper la lumière). (En criant) Il n y a pas de lumière non plus. (en criant) que la lumière soit! (rallumer et remettre le son). (normalement) Et la lumière fut Vous avez vu le pouvoir d un agent PATO??? 8

9 Rassurez-vous, ceci n est qu une fiction. Elle montre que le pire cauchemar hypothétique de l UMONS ne réside peut-être pas dans une réorganisation de l'enseignement supérieur. Son pire cauchemar, c est peut-être, tout simplement, de ne plus avoir de personnel PATO pour la faire fonctionner correctement. Le PATO est bien l un des 4 piliers de l université, à côté du corps académique, du corps scientifique, et des étudiants bien sûr. Ce pilier, nous essayons de le faire tenir du mieux que nous pouvons. Oh, sous ne sommes pas parfaits, bien sûr, nous commettons des erreurs. - Mais pas pire qu une deuxième session pour un étudiant, - Pas pire, pour un professeur, qu'un projet de recherche recalé par des experts internationaux, - Pas pire, pour un chercheur, que le dépôt de sa thèse reporté d un an... Vous devez savoir qu on nous demande toujours plus. Il y a la fusion, il y a aussi la législation qui ne cesse de se compliquer et que nous sommes chargés d appliquer ou de faire appliquer Nous sommes mis à toutes les sauces Pour autant, ni grève, ni revendication inconsidérée, ni mauvaise volonté, juste le désir de bien faire et d être fier de soi. Vous avez pu voir défiler sur l'écran derrière moi une partie d'entre nous. Mais nous sommes nombreux aussi dans cette salle. Je voudrais demander à tous les agents administratifs, techniques et ouvriers qui sont dans la salle de lever la main (allez-y n ayez pas peur, pour une fois qu on peut sortir de notre anonymat, il faut en profiter). 9

10 Regardez toutes ces mains levées, regardez-nous. Nous ne demandons pas grand-chose, en échange de notre bonne volonté. - Nous ne demandons pas qu on nous remercie à tout bout de champ, même si de temps en temps, ça fait plaisir - Nous ne demandons pas qu on nous applaudisse à tout rompre, même si de temps en temps, ça fait plaisir - Nous ne demandons pas qu on augmente nos salaires de manière déraisonnable, (j'ai bien dit déraisonnable, Monsieur l'administrateur) Ce que nous demandons, c est que notre travail reçoive toujours la reconnaissance qu il mérite. Ce que nous demandons, c est que l une des principales valeurs de l université continue à s appliquer sans restriction, tous les jours, à nous comme aux autres membres de l université. Cette valeur, c est tout simplement, le respect! 10