DIVISION DU TRAVAIL ET MOBILISATION QUOTIDIENNE DE LA MAIN-D OEUVRE
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- Élodie Paquette
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1 DIVISION DU TRAVAIL ET MOBILISATION QUOTIDIENNE DE LA MAIN-D OEUVRE Les cas Renault et Fiat Volume 1 Michel FREYSSENET 1979 CENTRE DE SOCIOLOGIE URBAINE Équipe de Recherche Associée, CNRS, n Rue de la Tombe Issoire 75014, Paris, Tél
2 Le présent document constitue le rapport scientifique d une recherche financée par la DGRST. Décision d'aide n A.T.P. Socio-Économie des Transports. Composition et mise en page, Lucette R. MORCH
3 2 SOMMAIRE 1. INTRODUCTION 2. LES CONDITIONS GÉNÉRALES 2.1. Quels sont les travailleurs à mobiliser quotidiennement, combien et quand? 2.2. L'évolution des catégories de main-d oeuvre 2.3. Le volume de l'emploi et son mode de variation 2.4. Les horaires de travail 2.5. L'exactitude et l'horaires flexible 3. LES CONDITIONS PARTICULIÈRES 3.1. Nombre, localisation et taille des établissements, types de main-d oeuvre et étendue des aires de recrutement 3.2. La division spatiale du travail à la RNUR de 1945 à Les sources utilisées Perspectives 3.3. La division spatiale du travail à la Fiat de 1945 à Les développements de Turin et de Fiat La formation de la population, des classes sociales et de la structure urbaine de Turin Le nombre, la taille et la structure des établissements 3.5. L'étendue de l'aire de recrutement 4. LES CONDITIONS CONCRÈTES 4.1. Les flux quotidiens de travailleurs, les moyens de mobilisation, et la stade actuel de la division du travail dans les entreprises étudiées 4.2. Les conditions concrètes de déplacement domicile-travail Temps de déplacement, horaires postés et retards La place du ramassage par car parmi les moyens de transports utilises Le confort des cars Le prix du transport 4.3. Le ramassage ouvrier à Flins, Cléon, Sandouville et Billancourt
4 Les déplacements domicile-travail des salariés Fiat et des autres salariés dans la région turinoise 5. LES REVENDICATIONS ET LES LUTTES SUR LES TRANSPORTS 5.1. La prise de conscience collective de la relation de dépendance entre organisation du travail et conditions de transports 5.2. Les revendications et les luttes en matière de transport domicile-travail à la RNUR jusqu'en La lutte sur les transports à Usinor-Dunkerque de novembre 1972 à mars Les revendications et les luttes à la Fiat et à Turin 6. CONCLUSION 7. ANNEXES - Cartes des communes de résidence des salariés de quatre établissements Renault selon leur catégorie et leur nationalité, en Carte des communes de résidence des travailleurs de Renault Billancourt en LISTE DES TABLEAUX, GRAPHIQUES, CARTES, ENCADRÉS, PLAN ET PHOTO
5 4 1. INTRODUCTION
6 5 Le projet d'étudier les relations entre la division du travail, la localisation industrielle, la mobilisation quotidienne des différentes catégories de main-d oeuvre et les conflits de transport est né d'une «demande sociale» et d'une série de constatations faites sur la période précédant La «demande sociale», exprimée par le Ministère des transports par l'intermédiaire de «l Action Thématique Programmée Socio-Économie des Transports», était d'analyser les facteurs d'évolution des flux quotidiens de main-d oeuvre et des moyens de transport utilisés. Les constatations faites concernaient les grandes entreprises, notamment dans l'industrie automobile, et leurs grands établissements industriels. On pouvait y observer la multiplication des revendications en matière de transport, et même l apparition d'une revendication radicale, à savoir le paiement de tout ou partie du temps de transport en temps de travail. Les conflits en matière de transport se déplaçaient du terrain local à celui de l'entreprise, notamment en France et en Italie. Les moyens de transport domicile-travail utilisés étaient en revanche très différents entre ces deux pays : «cars de ramassage» organisés par l'employeur dans le cas de la France, services publics et moyens privés en Italie. De même, les politiques menées par les grandes entreprises en matière de localisation des nouveaux établissements industriels étaient à l opposé les unes des autres au moins jusqu en 1970 : extension décentralisée dans les zones rurales ou en reconversion industrielle en France, croissance sur place en Italie, Renault et Fiat étant les représentants typiques de ces politiques opposées. Ces constatations permettaient de toucher à des points éminemment pratiques : conflits, moyens de transport, personnes transportées, générateurs de trafic; et de poser quelques questions théoriques : y a-t-il un lien entre les conflits d'un type nouveau observé en matière de transport quotidien de main-d oeuvre et l'évolution de l'organisation du travail qui caractérise les entreprises considérées? En d'autres termes, est-ce qu'à partir d'un processus social, considéré comme essentiel, on peut rendre compte d'un phénomène particulier : l'apparition d'un nouveau type de conflit? Plus précisément, est-ce que la tendance au déplacement de la revendication «transport» du terrain local au terrain de l'entreprise, est-ce que la revendication du paiement du temps de transport en temps de travail sont les signes d'une emprise croissante, et de la conscience croissante de cette emprise, de l'organisation du travail sur la vie hors travail? Est-ce que le fort développement des luttes «transport» en Italie préfigurait ce qui risquait de se développer en France, le décalage dans le temps entre les deux pays n'étant dû qu'à la
7 moindre capacité des organisations syndicales françaises de se saisir des revendications nouvelles? Si oui, quelles sont les raisons de cette moindre capacité? Si non, y a-t-il en Italie des facteurs matériels d'extension et d'amplification de ces revendications? Est-ce que le ramassage par car organisé par l'employeur est rendu nécessaire, en l'absence de moyens publics ou privés de transport adéquats, par les formes nouvelles d'utilisation de la main-d oeuvre (travail posté, établissement «décentralisé», maind oeuvre non qualifiée nombreuse..), liées au stade actuel de la division du travail, et à la répartition spatiale de cette division? S'il en est ainsi, pourquoi le phénomène n'a pas la même ampleur en Italie, dans des entreprises de même type, se situant au même niveau de développement? Est-ce dû à des contextes régionaux et urbains différents, à des initiatives publiques ou privées plus adéquates, à une capacité des employeurs à imposer à leurs salariés des conditions plus difficiles d'emploi? Est-ce que l'extension décentralisée pratiquée par de nombreuses entreprises en France, tout particulièrement dans le secteur automobile, brisant un processus de concentration urbaine indéfinie, a été rendue possible par l'évolution de l'organisation du travail, et nécessaire économiquement et socialement, ou bien n'est-ce que le produit de contraintes de l'élévation des prix fonciers, de la possibilité d'exploiter la main-d oeuvre rurale, des avantages financiers accordés, etc.? En d'autres termes, y a-t-il un lien entre division du travail et division spatiale du travail? Si oui, pourquoi en Italie, l'extension décentralisée des entreprises n'est apparue que depuis le début des années 1970, et en reste à un niveau modeste? Ce décalage et cette différence entre la France et l'italie, sont-ils les produits directs des efficacités très différentes des politiques étatiques italiennes et françaises en matière d'aménagement du territoire? Au cours de la recherche, le travail s'est progressivement centré sur deux cas : Renault pour la France, Fiat pour l'italie, parce que, tout en présentant le maximum de différences sur les phénomènes à étudier (conflits, moyens de transports, flux de maind oeuvre, politiques de localisation industrielle), ils ont un grand nombre de caractéristiques communes : grandes entreprises de l'automobile, ayant connu une forte expansion depuis 1945, la même évolution de la division du travail en leur sein, et constituant des lieux importants de l'histoire ouvrière de leurs pays respectifs. Ces deux cas étaient donc susceptibles de permettre de faire apparaître la nature du lien entre la division du travail et la mobilisation quotidienne de la main-d oeuvre, si lien il y a. L'enquête montra rapidement en effet que plusieurs conditions et modalités de la mobilisation quotidienne de la main-d oeuvre chez Fiat et chez Renault n'ont pas été et ne sont pas les mêmes. Au sein de ces deux entreprises, on observe également des différences importantes entre usines. Les deux cas retenus donnaient donc les moyens de trouver ce qui dans les conditions de mobilisation relève directement du processus social de la division du travail, ce qui est susceptible de variations et pourquoi. La démarche adoptée pour traiter les questions précédentes est historique. Elle consiste à rechercher ce qui a conduit les directions d'entreprises et d'usines à mettre en oeuvre telle ou telle politique de mobilisation. La présentation du document patronal (textes, circulaires, entretiens, etc.) qui permettrait d'affirmer que c'est bien pour telle ou telle raison que telle politique a été choisie n'est pas toujours possible soit que le document n'est pas disponible (refus de communication en raison du caractère récent des phénomènes étudiés), soit qu'il n'existe tout simplement pas (tout n'étant pas mis sous une forme transmissible, ou bien les raisons de leurs actions échappant souvent à la conscience des acteurs). La reconstitution historique permet cependant de réduire le 6
8 nombre des interrogations qui restent ouvertes, d'étayer solidement des hypothèses et dans certains cas de parvenir à des conclusions. L'objectif a-t-il été atteint? Comme nous allons le voir l'analyse de l'évolution des conditions de mobilisation quotidienne de la main-d oeuvre conduit à effectuer un travail considérable de traitements de données qui ne peut prétendre être aussi précis sur tous les points, compte tenu du temps disponible pour le faire. Je précise jusqu'où il a été possible d'aller dans l'analyse, en introduction de chaque chapitre. Trois catégories de conditions de mobilisation de la main-d oeuvre sont distinguées : les conditions générales, les conditions particulières, les conditions concrètes. Elles permettent de répondre aux questions : qui doit être mobilisé? combien? quand? d'où vers où? comment? et à quel prix? Les conditions générales sont les catégories de main-d oeuvre à mobiliser quotidiennement, leur volume respectif, le mode de croissance ou de régression de l'effectif de chacune de ces catégories, et le type d'horaire de travail. Pourquoi les qualifier de générales? Parce que pour un stade donné dominant de division du travail dans les entreprises concernées, on observe, quel que soit par ailleurs le contexte social et national (le mode de production capitaliste étant dominant), les mêmes catégories de main-d oeuvre, le même mode de croissance ou de diminution des effectifs, les mêmes types d'horaire. Pour le stade de la mécanisation généralisée qui est celui des entreprises étudiées, les catégories de main-d'oeuvre sont les OS de fabrication, les ouvriers qualifiés d'entretien et d'outillage, les techniciens et les ingénieurs. Le mode de croissance ou de diminution des effectifs est un mode «par bond» et non un mode régulier. L'horaire de travail est celui des 2x8 pour les secteurs de fabrication et du traitement informatique, et l'horaire "normal" pour les secteur d'entretien, d'outillage et pour les bureaux. Les catégories (qualification) de main-d oeuvre à mobiliser, leur volume, et les heures de mobilisation découlent donc du stade dominant de division du travail dans l'entreprise. Mais l'on observe simultanément que le passage au stade considéré, (de même qu'aux stades antérieurs coopération, manufacture, machinisme) ne s'est fait qu'à travers des luttes sociales intenses et une résistance quotidienne. Il est arrivé que les travailleurs fassent obstacle efficacement à l'accentuation de la division du travail, donc à la transformation de la composition de la main-d oeuvre et à l'accroissement de la productivité, jusqu'au jour où la modernisation est devenue une nécessité de survie de l'entreprise qui les emploie sous le coup de la concurrence des autres entreprises ayant pu, elles, imposer une division du travail accrue à leurs travailleurs. Donc, même pour les «conditions générales» de mobilisation, l'histoire sociale est au coeur de leur détermination. Cependant, le passage au stade suivant de la division du travail étant une nécessité pour la perpétuation du capital qui achète la force de travail dans un système économique qui continue à être par ailleurs de type capitaliste, les travailleurs sont finalement contraints de céder, à moins d'être capable de modifier les règles de fonctionnement du système économique. Ils peuvent au maximum obtenir que le passage d'un stade à un autre se fasse pour eux dans les moins mauvaises conditions. On pourra voir des exemples de ce qui précède dans l'histoire de Renault et de Fiat. Viennent ensuite les «conditions particulières» : localisation industrielle, types de main-d oeuvre pour une qualification donnée, taille des établissements et des bassins de main-d oeuvre. Pourquoi «particulières»? Parce que pour un même stade de division du travail, on observe que ces conditions varient dans la forme. Renault applique dès la Libération un modèle de développement spatial éclaté au niveau national (extension décentralisée, sous-traitance), alors que Fiat concentre toutes ses activités automobiles 7
9 dans l'aire urbaine turinoise jusqu'en Renault utilise comme OS, selon ses usines, des immigrés, des ruraux, des jeunes, des femmes, alors que Fiat fait appel exclusivement à la main-d oeuvre nationale masculine du sud de l'italie. Renault tend à fractionner son procès de travail en établissements de salariés au maximum et à les spécialiser, alors que Fiat jusqu'en 1970 concentre toute sa production automobile dans trois usines seulement : Lingotto, Mirafiori, Rivalta. On peut constater donc des politiques franchement opposées. Cependant, ces politiques, bien que différentes, ne sont pas contradictoires avec les «conditions générales». Elles visent toutes, mais chacune à leur manière, à recruter des OS en grand nombre acceptant de travailler en 2x8. Elles sont donc liées au stade dominant de division du travail, sans que celui-ci en détermine leurs formes précises. Ces formes varient dans la limite où elles restent des réponses compatibles avec les "conditions générales". Bien plus, le stade dominant de division du travail rend possible certaines formes «particulières» de mobilisation quotidienne qui ne l'étaient pas auparavant. On verra que ce n'est qu'à partir du moment où le travail de fabrication a pu être réalisé par de la main-d oeuvre sans qualification que l'implantation en région rurale ou en reconversion industrielle est devenue possible. À l'intérieur des limites fixées par les «conditions générales», qu'est-ce qui fait varier les «conditions particulières»? D'après les cas étudiées, ce sont le mode de déroulement de la lutte sociale au moment du passage à la mécanisation généralisée et les leçons tirées par les employeurs, le patronat en général et l'etat, qui ont conduit au choix de tel ou tel modèle de développement spatial. Après la déroute complète du mouvement ouvrier à la Fiat ( ), la direction a crû pouvoir imposer un modèle hyper concentré en faisant venir massivement de la main-d oeuvre du sud sans se préoccuper de ses conditions d'habitat, et parvenir ainsi aux économies maximales d'échelle. Par contre, la Direction de la RNUR tirant les leçons des grèves de 1947, inspirée par une idéologie réformiste qui estimait que le «malaise» ouvrier tenait à ses conditions de travail et de vie et non à l'état de salarié, a d'emblée considéré que la concentration était à terme néfaste malgré les surcoûts entraînés à court terme par les échanges inter-usines, les infrastructures faisant double emploi, etc. Elle a estimé également qu'il fallait diversifier les types de main-d oeuvre pour une même catégorie, particulièrement pour les OS ; et qu'enfin la limitation de la taille des établissements était une mesure prudente. Il est hors de doute que le choix de localisation précise par la RNUR a fait intervenir de nombreux autres facteurs (incitations étatiques, réseau de transports, etc.) classiquement évoqués. Par contre, il semble que le choix d'un modèle de développement spatial relève de la stratégie sociale. La révolte contre le travail parcellisé des années , et les leçons nouvelles tirées par le patronat, chez Fiat comme chez Renault (adoption du modèle éclaté par Fiat, réduction de la taille des établissements, spécialisation, duplication, etc.) confirment ce point de vue. Enfin, les «conditions concrètes» regroupent le salaire, le logement, les moyens de transport, le temps de transport, le prix du transport. Pourquoi? Parce que pour une même entreprise, elles se différencient selon les usines et pour une même usine selon les catégories et les types de main-d oeuvre. Elles sont donc le produit du rapport social le plus visible, le plus immédiat, celui des conditions d'emploi que le salarié accepte au moment de son embauche. «Conditions concrètes» enfin, parce que ce sont celles que vivent quotidiennement les travailleurs. Comme les «conditions particulières», les «conditions concrètes» varient dans certaines limites que fixent les «conditions générales» et les «conditions particulières». 8
10 Au stade de la mécanisation généralisée, elles doivent permettre d'assurer deux types de flux : le flux massif des travailleurs postés sans qualification au rythme des 2x8, le flux des travailleurs de la «normale» (journée continue de jour) composé de catégories diversifiées (ouvriers qualifiés, employés, techniciens, cadres), vers des établissements, dont les plus petits dépassent encore à l'heure actuelle les salariés (sauf exception), à partir d'un bassin de main-d oeuvre d'autant plus large que le turn over l'absentéisme, la concurrence sur le marché du travail sont importants. La négociation entre salariés et employeur sur les conditions concrètes de mobilisation (salaire, logement, modalités de transports) se fait alors d'une part sur la base de la position que confère la place dans la division du travail (un travailleur hautement qualifié a d'emblée un pouvoir de négociations plus grand qu'un OS parfaitement substituable à un autre) et des acquis obtenus par la catégorie d'appartenance sur cette même base, d'autre part en fonction du marché local de l'emploi pour la catégorie concernée. Il est toujours théoriquement possible d'imposer aux travailleurs des conditions telles, que l'entreprise peut ne pas se soucier de leur logement et de leur déplacement, tout en étant assurée d'être pourvue chaque jour du nombre de travailleurs nécessaires. Il en a été ainsi pour la Fiat jusqu'en Il est toujours théoriquement possible que les travailleurs parviennent à imposer des conditions optimales de logement et de transport. Et effectivement, des cas semblables s'observent. Fondamentalement donc, les conditions concrètes de mobilisation quotidienne de chaque type ou de chaque catégorie de maind oeuvre dépendent du rapport concret, local, des travailleurs de ce type ou de cette catégorie avec la direction de l'établissement concerné, rapport qui est la résultante d'un état du marché de l'emploi, du niveau de qualification, du niveau d'équipement local de logement et de transport auquel peuvent accéder ces travailleurs, du degré de leur organisation et de leur unité. L'existence du «ramassage» en car par l'entreprise de tout ou partie de ses salariés ne découle obligatoirement ni de l'éloignement de la main-d oeuvre, ni du manque de moyen individuel de transport, ni de l'absence d'un réseau public de transport, ni d'un manque de logements à proximité de l'usine, ni du travail en équipe, ni d'une branche d'activité, ni d'une taille d'usine, ni d'un type de main-d oeuvre (femmes, immigrés, ruraux, jeunes, etc.), ni d'une catégorie de main-d oeuvre (ouvriers professionnels, OS, employés, etc.), ni d'un stade de la division du travail, etc., mais du rapport concret entre travailleurs et direction. Il reste cependant que, compte tenu d'un état du rapport de force social général où ni le pire ni l'optimal n'est possible pour les travailleurs comme pour le patronat, certains moyens de mobilisation sont adoptés plus que d'autres, parce qu'ils répondent, au meilleur coût social et financier, dans ce contexte, aux exigences de conditions de mobilisation du stade dominant de division du travail. Ainsi le ramassage par car se révèle en France la formule «socialement la plus adaptée» dans le contexte actuel, pour mobiliser massivement à des heures précises en un point donné des travailleurs postés dispersés dans une aire large, dont ou souhaite qu'ils conservent les mêmes conditions de vie, et dont on peut être amené à accroître brusquement le recrutement lorsque la "chaîne" de production est doublée. Nous sommes face à un cas intéressant sur le plan théorique, d'un lien structurel entre un processus social fondamental (la division du travail au stade de la mécanisation généralisée) et l'extension considérable d'un phénomène particulier (la mobilisation quotidienne d'une catégorie de main-d oeuvre au moyen de cars de ramassage), sans qu'il y 9
11 ait lien obligatoire, mécanique, parce que d'autres moyens de mobilisation sont toujours possibles selon le rapport de force social. Le déplacement des revendications «transport» du terrain local au terrain de l'entreprise, dans le type d'entreprise étudié, l'apparition de la revendication "paiement en temps de travail du temps de transport" sont clairement le résultat, comme nous le verrons, de la prise de conscience de l'emprise croissante de l'organisation du travail sur la vie hors de travail, et de l'impossibilité d'améliorer substantiellement les conditions de transport sans transformation de l'organisation du travail. Les conflits en matière de transport domicile-travail ont eu une extension beaucoup plus grande à la Fiat qu'à Renault pour deux raisons. La première est que la Fiat avait réussi à imposer des conditions concrètes de mobilisation (salaires, logements, transports) nettement plus mauvaises que celles de la RNUR. La révolte a été à la hauteur de l'accumulation des motifs de mécontentement. La deuxième raison est que le mouvement social général à la Fiat a été de 1968 à 1974 plus profond, plus généralisé qu'il ne l'a été à Renault, et que les organisations syndicales y ont été plus transformées dans leur mode de fonctionnement et de recrutement, et par conséquent y ont été plus réceptives aux revendications et aux formes d'actions nouvelles. 10
12 11 2. LES CONDITIONS GÉNÉRALES
13 QUELS SONT LES TRAVAILLEURS À MOBILISER QUOTIDIEN- NEMENT, COMBIEN ET QUAND? Ce sont les trois questions concrètes auxquelles tente de répondre ce chapitre en établissant un lien entre d une part les caractéristiques de la mobilisation quotidienne de la main-d œuvre et d autre part la nature du rapport social qui régit les relations entre employeurs et salariés et le type de division du travail propre à ce rapport. Les réponses qui sont détaillées dans les sections 2.2 à 2.5. sont résumées ici par une série ordonnée de propositions. - À partir du moment où le travailleur ne peut vivre qu'en vendant sa force de travail et où le capital ne peut s'accumuler qu'en achetant celle-ci, c'est-à-dire à partir du moment où il y a séparation du capital et du travail, un rapport de force s'instaure que chaque partie tente de modifier à son profit, dans certaines limites, pour fixer les conditions d'achat et de vente de la force de travail. - Le capital et le travail sont chacun constitués de fractions qui n'ont pas les mêmes stratégies. Ces fractions peuvent entrer en concurrence, et telle ou telle d'entre elles peut en profiter. - Le rapport de force capital-travail, la concurrence intercapitaliste et la «consommation de masse» font que les conditions les plus mauvaises de mobilisation ne peuvent être que ponctuellement appliqués. Pour mobiliser la main-d oeuvre nécessaire, l'employeur utilise une gamme de moyens dont les principaux sont le niveau de salaire, les plus ou moins grandes facilités de logement, et les moyens de transport. - Le nombre de ces moyens utilisés et leur niveau ne sont pas les mêmes suivant la catégorie de main-d oeuvre visée. On ne peut mobiliser de la même façon un ouvrier de métier, un ouvrier qualifié d'entretien, et un OS, un employé et un technicien. Le rapport de force de chacune de ces catégories avec l'employeur est en effet différent : compte tenu de leur pouvoir différent dans la production (niveau de qualification), de leur plus ou moins grands substituabilité, de leur degré de rareté sur le marché du travail, de leur niveau d'organisation revendicative.
14 - Les catégories de main-d oeuvre évoluent, ainsi que leur volume et leur rapport de force. Elles évoluent en fonction de la division capitaliste du travail. La division capitaliste du travail se développe à des rythmes différents selon les branches d'activités; pour une même branche d'activité, selon les phases du procès de travail; pour une même phase, selon les opérations. - Dans l'industrie automobile, quatre étapes de la division du travail peuvent être distingués, auxquels correspondent quatre compositions différentes de la main-d oeuvre a) un ingénieur-inventeur, deux ou trois dessinateurs, des employés d'écriture, des ouvriers de métier et leurs apprentis, des manoeuvres. b) Ingénieurs, dessinateurs, employés, des chefs d'équipe-contremaîtres, des ouvriers de métier, rectifieurs et finisseurs, des ouvriers sur machines (tourneurs...), des ouvriers qualifiés d'entretien (mécaniciens, électriciens), des apprentis, des manoeuvres. c) Ingénieurs, techniciens, dessinateurs, employés, contremaîtres, OS de fabrication, ouvriers qualifiés d'entretien et d'outillage. d) Ingénieurs-cadres, analystes programmeurs, employés d'enregistrement de données, surveillants de fabrication, OS d'entretien, techniciens d'entretien et d'outillage. - Ces stades ne se substituent pas brutalement. Ils co-existent dans des volumes différents pendant de longues périodes, rendant plus complexe l'analyse des conditions de mobilisation. Le stade de la division du travail auquel appartient chaque catégorie de main-d oeuvre constitue la base sur laquelle se forme son rapport de force avec l'employeur. Le rythme de la division du travail dépend de la concurrence intercapitaliste, des capitaux disponibles, du niveau de combativité ou de résistance ouvrière. Même pour comprendre des phénomènes aussi "techniques" que le déplacement quotidien de main-d œuvre, l'histoire sociale ne peut être évacuée. Nous verrons qu'elle apparaît à tous les niveaux. - Cette combativité, ou bien cette résistance peut amener à prendre préventivement ou peut contraindre postérieurement l'employeur à prendre des mesures touchant aux conditions "particulières" et "concrètes" de mobilisation quotidienne, visant à faciliter socialement le passage d'un stade à un autre de la division du travail : localisation industrielle, type d'usine, recours à de nouveaux types de main-d oeuvre pour une même catégorie de main-d oeuvre 1, etc. - À un instant donné, le volume nécessaire de chaque catégorie de main-d oeuvre, donc le volume des flux de personnel générés par une entreprise, dépend de la proportion des différents stades de division du travail présents dans cette entreprise. Pour chaque catégorie de ce "volume nécessaire" varie manière spécifique. Plus la division du travail est poussée et généralisée, plus ce volume varie par "bond" important, aussi bien en progression qu'en régression, suivant la situation économique. À situation économique constante, plus le travail est parcellisé, vidé de toute activité intellectuelle, plus le turn 13 1 Par catégorie de main-d oeuvre, on entend ici la différenciation de la main-d oeuvre selon sa qualification. Par type de main-d oeuvre, on veut parler de la différenciation de la maind oeuvre selon des critères «sociaux» : immigrés, femmes, ruraux, jeunes, etc..
15 over et l'absentéisme sont élevés, plus donc le "volume nécessaire" doit être affecté d'un coefficient correcteur. - Cette croissance ou cette diminution par bond, le turn over, l'absentéisme ont d'évidents effets sur les flux de travailleurs et leur orientation, et supposent des bassins de main-d oeuvre de capacité et d'élasticité en proportion. - Le passage au stade de la mécanisation généralisée du travail a entraîné la formation de deux types d'horaires de flux de travailleurs totalement distincts : les flux des travailleurs postés, sans qualification, au rythme des 2x8, les flux des travailleurs de la 'normale' (journée continue de jour) : ouvriers qualifiés de l'entretien et de l'outillage, employés, cadres La possibilité de rendre flexible l'horaire de travail, donc de diversifier les flux dépend, elle aussi, du stade de la division du travail. Moins la production est segmentée, c'est-à-dire plus les différentes phases sont mécaniquement dépendantes l'une de l'autre, plus les travailleurs doivent se mettre au travail exactement à la même heure. Le temps m'a manqué pour analyser, en plus de l'évolution de la composition de la main-d oeuvre au fur et à mesure que Fiat et Renault passent d'un stade de division du travail à un autre, les processus sociaux qui amènent ou qui retardent une division du travail toujours plus poussée, notamment la concurrence intercapitaliste et la résistance des travailleurs. J'esquisse seulement ici l'étude de ces processus, espérant pouvoir la développer plus tard dans d'autres publications. De même, la reconstitution précise des conditions de mobilisation de chaque catégorie de main-d oeuvre à chaque stade de la division du travail reste à faire, par l'analyse des contrats de travail, des accords d'entreprises, des documents patronaux concernant le personnel, des textes syndicaux, des témoignages ouvriers. Une présentation historique des conditions de mobilisation aurait été très instructive. Je n'ai pu commencer à les étudier que pour la période récente L'ÉVOLUTION DES CATÉGORIES DE MAIN-D OEUVRE La simplification des tâches pour le plus grand nombre et la concentration l activité qualifiée sur un petit nombre Depuis la fin du siècle dernier qui voit naître l'industrie automobile, la part de la maind oeuvre mobilisée par cette industrie n'a fait que croître jusqu'à aujourd'hui. L'augmentation considérable de l'effectif employé pour la construction automobile ne s'est pas faite par l'embauche de travailleurs identiques à ceux qui avaient été embauchés précédemment. Elle s'est faite à travers et grâce à la division du travail de construction automobile qui a permis de passer d'un stade où tous les travailleurs étaient des ouvriers de métier et étaient dépositaires chacun d'un savoir-faire et de connaissances indispensables pour parvenir au produit fini, au stade actuel où la grande masse de travailleurs est affectée à des tâchesparcellaires manuelles ou de surveillance, et où la conception du produit et des machines, et l'organisation et la préparation du travail est concentrée sur un petit nombre. Les conditions pour mobiliser un mécanicien de métier, un ajusteur
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