Connaissance d objets/ connaissance de vérités ; savoir que/ savoir comment

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1 Connaissance d objets/ connaissance de vérités ; savoir que/ savoir comment deux distinctions : 1) savoir que P/ connaître x 2) savoir que/ savoir comment savoir (Wissen, knowing that) p où «p» est une proposition savoir que Paris est une grande ville savoir que l aubergine est un légume connaître x ( Kennen, knowing ) où «x» est un objet ou une propriété connaître Paris connaître le goût du Nuit Saint Georges 1996 dans les deux cas factivité : savoir que P p est vrai connaître x x existe trois problèmes : a) ontologique : si savoir que P est une relation à une proposition vraie, qu est-ce qu une proposition vraie? est-ce un contenu de pensée ou le sens d une phrase? ou bien est-ce un fait, une entité complexe dans le monde? notez qu on ne dit pas : je sais le fait que p, mais je connais le fait que p ( où le fait que dénote une certaine entité, ou un objet complexe) si connaître est une relation à un objet de quelle sorte d objets s agit-il? b) qu est ce qu un savoir de vérités? qu est-ce qu une connaissance d objets? c) quelle est la relation entre ces deux types de savoir? l un peut-il se réduire à l autre? a) ontologique. Le fait que nous rapportions couramment les contenus de savoir au moyen de phrases gouvernées par que n implique pas que le savoir soit une relation à des entités particulières, qu il s agisse de faits, de propositions, ou d objets. Cela dépend de l ontologie que l on adopte. certains philosophes ont une ontologie de substances et de propriétés ( Aristote, Leibniz, Spinoza), d autres une ontologie de faits et d états de choses (Husserl, Russell, Wittgenstein). Certains philosophes ( les idéalistes, y compris transcendantaux) n ont pas d ontologie du tout. Ils considèrent alors la connaissance comme une propriété des jugements, ou de pensées. Cela dépend aussi de la théorie de la vérité que l on adopte. On peut défendre une théorie de la vérité comme correspondance ( et alors se pose la question de savoir si la correspondance est entre des phrases, des jugements ou des énoncés d une part et des objets ou des faits d autre part), une théorie de la vérité comme cohérence (auquel cas on défend vraisemblablement une forme d idéalisme), ou une forme quelconque de théorie éliminativiste de la vérité (indéfinissable, pure assertion, ou déflationnisme). Rien ne contraint notre ontologie. Il n en reste pas moins que l on peut trouver mystérieuse l idée que nous aurions une connaissance d objets du fait que le verbe connaître se construit habituellement au moyen d un complément d objet direct. On dit : «il connaît Paris». Mais connaître Paris, est-ce connaître un seul et gros objet, ou bien est-ce connaître un ensemble de vérités ou de propositions au sujet de la ville? En revanche quand on dit : «il connaît le goût du Nuits Saint Georges 1996», cela ne semble pas être la connaissance d une quelconque vérité, mais plutôt d une certaine propriété singulière, ou d un certain objet. Le type de connaissance semble bien distinct d un savoir propositionnel.

2 b) mais quelle que soit l ontologie que l on adopte, la question est de savoir s il y a une différence entre connaître comme relation à un contenu propositionnel vrai ou faux et connaître comme relation à des contenus qui ne soient pas vrais ou faux. Or il semble bien y avoir une différence entre ces deux sortes de connaissance. C est la différence entre connaissance par perception directe d objets ou de propriétés, d une part, et la connaissance par l intermédiaire de jugements. La première est supposée fondée sur l expérience directe, la seconde passer par la médiation de concepts articulés dans des jugements. L empirisme classique suppose que nous avons une connaissance directe, par expérience immédiate de nos sensations, qui sont donc les objets immédiats de notre connaissance sensible, laquelle fonde l ensemble de notre connaissance. La question se pose alors ensuite de savoir comment ces sensations peuvent représenter des entités du monde, des substances et leurs propriétés. Le rationalisme classique suppose que nous avons une connaissance directe des propriétés des choses, et des natures simples. Dans les deux cas le modèle de la connaissance est une forme de perception. cf. Locke. On retrouve la même conception chez les empiristes contemporains. Dans ses Problèmes de philosophie, Russell distingue la connaissance directe par expérience ou «acquaintance» et la connaissance par description. Selon lui nous connaissons directement ( par expérience sensible) nos sensations et les données sensorielles, et indirectement, par une connaissance propositionnelle, des objets. Toute connaissance indirecte ou par descrption doit être, en dernière instance, fondée sur une connaissance directe, même si les deux types de connaissance ne sont pas les mêmes. Au contraire le rationalisme critique suppose que la connaissance passe par des jugements, et que l intuition sensible, quand elle n est pas pure, est liée par l entendement par des concepts qui figurent dans des jugements. Cette question est la question classique : le contenu de la perception est-il essentiellement de nature propositionnelle et conceptuel ( au sens où ce que je perçois c est que a est F) ou bien de nature non propositionnel ( ce que je perçois c est une certaine qualité phénoménale, non articulable dans des concepts). Pour des analyses contemporaines cf Bouveresse et Rosat 2003, philosophies de la perception ). Mais cette question ne se réduit pas à la question : connaît-on des objets ou des propositions? Car les corrélats ontologiques des contenus non propositionnels sont plutôt des propriétés, propriétés phénoménales ou sensibles. Mais que ce sont ces propriétés? des qualités sensibles singulières, des universaux, ou des universaux particularisés ( tropes)? Il n y a pas de chemin direct de l épistémologie à l ontologie, et en ce sens la théorie de la connaissance est indépendante d une théorie de l être ou d une théorie métaphysique de la nature des choses. Mais il ne s ensuit pas que l épistémologie puisse se passer de l ontologie. Par exemple on peut se demander s il peut y avoir une connaissance directe ou expérientielle de faits, ou s il peut y avoir une connaissance perceptuelle de vérités composées de concepts. Un empiriste et un rationaliste classique auront tendance à distinguer les deux types de connaissance ( vérités vs objets) ; un criticiste ou un idéaliste post-kantien auront tendance à réduire la connaissance d objets à la connaissance de vérités et la connaissance perceptive à une connaissance conceptuelle, ou, dans les versions contemporaines, à une connaissance articulée linguistiquement ( versions de l herméneutique, Habermas, Brandom). Mais toute théorie selon laquelle la connaissance est connaissance de vérités n est pas nécessairement une théorie idéaliste : on peut soutenir que les vérités sont des propositions, et que les propositions vraies sont des faits.

3 savoir que/ vs savoir comment La distinction connaissance d objet/ de vérités est en partie liée une autre distinction savoir que/ savoir comment, bien qu elle ne s y réduise pas. -savoir que : savoir propositionnel, conceptuel, en principe articulable linguistiquement, théorique - savoir comment : non propositionnel, non conceptuel, non articulable linguistiquement, pratique ( savoir faire) le premier est une relation à des propositions vraies, le second n est pas une relation à une proposition. Nombre de philosophes ont défendu l idée 1) qu il y a une différence fondamentale entre les deux types de savoir, théorique et pratique, et 2) 2) a) que le savoir comment se réduit au savoir que ( intellectualisme) 2 b) que le savoir que se réduit au savoir comment (anti-intellectualisme) Les deux thèses ne sont pas équivalentes, ni ne s impliquent l une l autre. Nombre de philosophes soutiennent la thèse intellectualiste : tout savoir est un savoir théorique. on peut dire alors que le savoir pratique n est pas vraiment une forme de savoir. Mais on peut aussi soutenir la thèse plus forte selon laquelle tout savoir pratique, toute aptitude repose en dernier lieu sur un savoir théorique ou propositionnel. Platon, Descartes, Leibniz, Chomsky, sont supposés avoir défendu cette thèse. Les philosophes anti-intellectualistes sont : Aristote, l Aquinate, Hume, les pragmatistes, Ryle, Wittgenstein, un sociologue comme Bourdieu Il est clair que la thèse réductionniste 2) dans un sens ou dans un autre ( toute connaissance pratique est une connaissance théorique, ou toute connaissance théorique est une connaissance pratique) dépend 1. Critique de Ryle 1) Il y a deux espèces de savoir 2) le savoir que se réduit au savoir comment 1) est intuitivement plausible : savoir faire du vélo n implique pas la possession de connaissances théoriques, mais d aptitudes pratiques 2) la seconde thèse va moins de soi : parler une langue est une aptitude pratique, savoir se diriger dans une ville est une aptitude pratique argument de la régression...i rely largely on variations of one argument. I argue that the prevailing doctrine leads to vicious regresses, and these in two directions. (1) If the intelligence exhibited in any act, practical or theoretical, is to be credited to the occurrence of some ulterior

4 act of intelligently considering regulative propositions, no intelligent act, practical or otherwise, could ever begin...(2) If a deed, to be intelligent, has to be guided by the consideration of a regulative proposition, the gap between that consideration and the practical application of the regulation has to be bridged by some go-between process which cannot by the presupposed definition itself be an exercise of intelligence and cannot, by definition, be the resultant deed. (1971, p. 213) (1) est mieux articulé dans The concept of mind The crucial objection to the intellectualist legend is this. The consideration of propositions is itself an operation the execution of which can be more or less intelligent, less or more stupid. But if, for any operation to be intelligently executed, a prior theoretical operation had first to be performed and performed intelligently, it would be a logical impossibility for anyone ever to break into the circle. (1949, p. 30) According to Ryle, if knowledge-how were a species of knowledge-that, then, to engage in any action, one would have to contemplate a proposition. But, the contemplation of a proposition is itself an action, which presumably would itself have to be accompanied by a distinct contemplation of a proposition. If the thesis that knowledge-how is a species of knowledge-that required each manifestation of knowledge-how to be accompanied by a distinct action of contemplating a proposition, which was itself a manifestation of knowledgehow, then no knowledge-how could ever be manifested. L agument de Ryle a deux premisses: Premisse 1: si quelqu un fait x, il emploie son savoir comment faire x. Premisse 2:si l on emploie la connaissance que p, on contemple la proposition que p L argument est supposé montrer que la premisse de 2 et la premisse 1, si on suppose que le savoir comment présuppose le savoir que, conduisent à une regression à l infini. Mais la prémisse (1) est fausse dans de nombreux cas (i) Si Marie digère son petit déjeuner, elle sait comment digérer son petit déjeuner (1) doit donc être restreint aux actions intentionnelles

5 de même la prémisse (2) (ii) je sais que l on peut ouvrir la porte semble bien une espèce de savoir que, mais n implique pas que l on contemple une proposition ( il me suffit d ouvrir la porte pour vérifier ce savoir, ie de faire une certaine action, ou d être capable de la faire). Savoir comment, selon Ryle implique des aptitudes ou des dispositions. Le savoir théorique que n implique aucune aptitude ou disposition. Savoir comment faire x = être capable de faire x ( ex savoir comment faire du vélo, être capable de faire du vélo). Mais nombre de cas de savoir comment ne semblent pas dépendre de la possession d aptitudes. On peut savoir comment faire x tout en étant incapable de le faire. Je sais comment devenir bon pianiste, mais je suis incapable de le devenir, un pianiste qui a perdu la main droite comme Paul Wittgenstein, pour qui Ravel composa le concerto pour la main gauche, peut savoir comment jouer le concerto avec la main droite, sans avoir la main en question. Le savoir comment n est pas exclusif de savoir que propositionnel. Savoir comment se repérer dans une ville peut être une savoir composé d aptitudes ( en sens Ryle a raison), mais aussi de savoir que ( ie d informations). Il est douteux que des savoirs pratiques tels que savoir faire une ricochet soient des savoir propositionnels, mais on peut supposer qu ils présupposent un certain savoir propositionnel.