QU EST-CE QUE LA NEPHROPROTECTION ET COMMENT LA REALISER? Jacques POURRAT et Dominique CHAUVEAU
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- Mathilde Sergerie
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1 QU EST-CE QUE LA NEPHROPROTECTION ET COMMENT LA REALISER? Jacques POURRAT et Dominique CHAUVEAU Service de Néphrologie et Immunologie Clinique CHU Rangueil 1 Qu est-ce que la néphroprotection? La néphroprotection vise à protéger le rein contre les mécanismes d autodestruction qui se mettent en œuvre dès qu une partie importante de la masse rénale a été lésée par une agression. Dans ces situations de réduction néphronique, les néphrons restés sains adaptent leur fonctionnement aux besoins de l organisme, avec une augmentation de la filtration glomérulaire dans chaque unité fonctionnelle intacte. Ce processus, qui repose en grande partie sur l activation du système rénine-angiotensine local, rétablit un débit de filtration glomérulaire global plus proche de la normale et peut être considéré comme bénéfique, à court terme. Cependant cet hyperfonctionnement met aussi en jeu divers systèmes cellulaires et humoraux qui vont progressivement entraîner des lésions de sclérose glomérulaire et de fibrose tubulo-interstielle. A moyen et à long terme, ces lésions irréversibles vont entraîner le déclin de la fonction rénale restante, même si l agression initiale a cessé. 2 Historique Modèle expérimental Il est depuis longtemps d expérience que les insuffisances rénales chroniques ne sont jamais stables très longtemps, et qu une aggravation au cours des années qui passent est inéluctable. C est la meilleure connaissance des maladies parenchymateuses rénales, et les progrès dans leur traitement qui ont permis de faire la part dans cette évolution entre ce qui revient à la maladie rénale causale,
2 et ce qui revient aux mécanismes d autodestruction non spécifiques des néphrons restant, secondairement mis en jeu. Un modèle expérimental simple, la néphrectomie des 5/6 chez le rat, a beaucoup contribué à la compréhension de ces phénomènes, et à la conception des études thérapeutiques chez l homme. Dans ce modèle, on réalise l ablation chirurgicale d une masse rénale croissante chez des rats : l ablation d un rein sur deux, ou même d un rein et demi sur deux se révèle sans conséquence notable sur la fonction rénale même à long terme. Dès que la masse rénale est réduite à 1/6 (ablation d un rein, et des 2/3 de l autre), on observe l apparition d une insuffisance rénale, qui s aggrave progressivement jusqu à l insuffisance rénale terminale, dans un contexte d hypertension artérielle et de protéinurie, et en relation avec des lésions de glomérulosclérose et de fibrose tubulointerstitielle. Ces expérimentations sont particulièrement convaincantes, dans la mesure où la partie du rein laissée en place chez le rat est initialement strictement normale, et ne reçoit d autre agression que les conséquences de la réduction néphronique. Elles ont aussi permis de jeter les bases d un abord préventif : il a été démontré dans ce modèle que la restriction en protéines de l alimentation du rat, et/ou l utilisation de drogues bloquant le système rénine-angiotensine ralentissait l apparition de la protéinurie, de la fibrose rénale, et la progression de l insuffisance rénale chronique. Les intermédiaires physio-pathologiques entre le processus initial (hyperfiltration glomérulaire dans les néphrons restant) et les conséquences lésionnelles (fibrose par accumulation de matrice extra-cellulaire, et glomérulosclérose) sont incomplètement identifiés, et font l objet de recherches intensives. La mise en jeu de cytokines profibrogéniques, telles le TGF β, apparaît essentielle. Beaucoup de ces mécanismes apparaissent liés à l excès de production locale d angiotensine II, qui est la cible principale de l intervention thérapeutique.
3 3 Les moyens de la néphroprotection Parmi l ensemble des moyens dont un rôle néphroprotecteur a pu être démontré en pathologie expérimentale ou humaine, on peut envisager : a - la restriction alimentaire en protéines Son efficacité chez le rat après néphrectomie des 5/6 est démontrée. Chez l homme, les restrictions protéiques sévères s accompagnent d un risque de dénutrition, et les restrictions plus modérées n ont montré qu une faible efficacité. En pratique, on se limite à des conseils diététiques visant à assurer un apport protéique de 0,8 à 1,0 gramme de protéine par kilo de poids corporel et par jour. b la restriction sodée Une restriction sodée sévère n a pas d effet néphroprotecteur, mais un régime trop riche en sodium réduit l effet anti-protéinurique des IEC ou des ARA II. On propose un régime de l ordre de 6 gr Cl Na/24 heures. c les médicaments du système rénine-angiotensine Des IEC et/ou des ARA II sont l élément essentiel de la néphroprotection. Leur efficacité a été démontrée directement par de nombreuses études dans les néphropathies diabétiques de type I ou II, et dans les néphropathies non diabétiques. Cette efficacité est plus clairement démontrée pour les IEC dans le diabète de type I et les néphropathies non diabétiques, et pour les ARA II dans la néphropathie du diabète de type II. L intérêt possible de l association d IEC et d ARA II pour rendre plus complet le blocage du système rénine-angiotensine a été souligné par des études récentes. Le point important est que, dans tous les cas, l effet de néphroprotection (diminution de la vitesse de décroissance du débit de filtration glomérulaire en fonction du temps) est corrélé à la réduction de la protéinurie et au contrôle de l hypertension artérielle. Les objectifs intermédiaires ont pu être bien définis par l ensemble des études : protéinurie inférieure à 0,5 g/24 heures, et pression artérielle inférieure à 130 / 80 mm Hg (objectif ramené à 125 / 75 mm Hg si la protéinurie reste supérieure à 1 g/24 heures).
4 d autres moyens D autres éléments thérapeutiques peuvent participer à la néphroprotection. Le rôle de certains est assuré (arrêt d un tabagisme éventuel) ; pour d autres il paraît probable (contrôle d une hyperlipidémie, d une hyperhomocystéinémie) ou possible (contrôle d une hyperuricémie) sans être encore démontré. Dans le futur, on peut espérer l émergence de thérapeutiques directement anti-fibrotiques (en particulier antagonisant les effets du TGF β). 4 Comment réaliser la néphroprotection Les objectifs sont bien identifiés : réduire la protéinurie à moins de 0,5 g/24 heures par l utilisation d IEC, d ARA II ou de leur association, et obtenir une pression artérielle inférieure à 130 / 80 mm Hg (ou 125 / 75 si l objectif n est pas atteint pour la protéinurie). Les difficultés dans la réalisation pratique sont de trois ordres : a l efficacité et la tolérance rénale de ces médicaments est difficilement prévisible : on conseille donc une procédure de titration, avec prescription de doses croissantes, et vérification à chaque palier de la tolérance (créatininémie et kaliémie après une semaine) et de l efficacité (pression artérielle et protéinurie des 24 heures après un mois). On tolère une ascension de la créatinine de 20 % et une élévation de kaliémie de 0,5 à 1,0 mmol/l. La posologie du médicament initialement choisi (ARA II pour la néphropathie du diabète de type II, IEC dans les autres cas) est progressivement augmentée jusqu à l obtention des objectifs. Si ceux-ci ne sont pas atteints à la posologie maximale, on associe IEC et ARA II, avec la même procédure de titration. Si des problèmes d hyperkaliémie gênent l ascension de doses, on associe un diurétique (hydrochlorothiazide ou furosémide) qui majore l effet anti-protéinurique aussi bien que l effet antihypertenseur. Des réactions d intolérance peuvent être en relation avec une sténose d une artère rénale, qui sera alors recherchée. Ces situations sont en fait rares, et ne justifient pas une échographie doppler des artères rénales systématique avant la mise en œuvre d une néphroprotection.
5 b les risques liés à des évènements intercurrents : le blocage du systéme rénine-angiotensine, bénéfique à long terme, prive les malades d un système d auto-régulation rénale qui se mettrait en jeu en cas de déshydratation (fièvre, diarrhée, vomissements ). Il faut dans ces cas-là interrompre transitoirement, ou alléger le traitement de néphroprotection. De même, en cas de prescription d autres médicaments interférant avec la fonction rénale (AINS par exemple). c l acception par les malades de cette démarche de néphroprotection : les notices contenues dans les boîtes d IEC ou d ARA II font toutes état de «précautions d emploi» au cours de l insuffisance rénale chronique, susceptibles de créer des doutes. 5 Conclusion Nous avons aujourd hui les moyens d une néphroprotection efficace. On a pu calculer que l atteinte des objectifs intermédiaires pendant 10 ans permettait d allonger de 3 à 5 ans l autonomie rénale, avant la prise en charge en dialyse. La néphroprotection suppose une démarche simple mais précise qui doit associer au quotidien médecins spécialistes et généralistes. Elle a fait l objet de recommandations professionnelles de l ANAES en Septembre 2004.
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