«La Guerre» de Otto Dix, , triptyque, peinture sur bois (204X204 cm), Dresde Stradtmuseum.

Transcription

1 «La Guerre» de Otto Dix, , triptyque, peinture sur bois (204X204 cm), Dresde Stradtmuseum.

2 L artiste Otto Dix ( ) est un artiste peintre allemand qui a connu la Première Guerre Mondiale ( ), en tant que soldat. De retour du front, il s est par la suite, consacré au travers de son art, à la dénonciation des horreurs de la guerre. Peintre de l expressionisme allemand, il s attire plus-tard les foudres des nazis en créant la Nouvelle Objectivité. En représailles, ceux-ci le qualifient «d artiste dégénéré», et ne manquent pas de lui confisquer pas moins de 250 de ses œuvres. Otto Dix préférera par la suite s exiler sur le lac de Constance (à la frontière entre l Allemagne, la Suisse et l Autriche) où il finira ses jours. L Expressionnisme est mouvement artistique de la fin du XIXème siècle à 1925, principalement européen, fortement individualiste, dans lequel les artistes expriment leur émotion et leur subjectivité. La nouvelle Objectivité est un mouvement artistique qui, de 1920 à 1930, succède à l expressionisme en se consacrant à la représentation de l ambiance berlinoise d après-guerre. Il évoque durement les aspects de désordre moral, de violence et d hypocrisie de cette période.

3 Le contexte historique La première guerre mondiale : De 1914 à 1918, se déroule un conflit d'une violence extrême marquée par la guerre des tranchées. Jamais des combattants n'ont eu à subir une telle épreuve : la longueur de cette guerre, les conditions d'existence des «poilus» (boue, absence totale d'hygiène, les poux, les rats, le manque de sommeil), l'attente d'assauts toujours plus meurtriers, l'utilisation d'armes destructrices (baïonnettes, gaz, obus...) semant le chaos, provoquant la mort, les mutilations. Le souvenir de cette «boucherie marquera à tout jamais les anciens combattants qui témoigneront à travers leurs lettres, leur art ; c'est le cas d'otto Dix dans sa peinture mais aussi dans la littérature. Lorsque l on demanda à Dix pourquoi il avait peint ces œuvres, il répondit : «Je voulais me débarrasser de tout ça! ( ) En fait, on ne s aperçoit pas, quand on est jeune, que dans son for intérieur, on souffrait malgré tout. Car pendant de longues années, pendant au moins dix ans, j ai rêvé sans cesse que j étais obligé de ramper pour traverser des maisons détruites et des couloirs où je pouvais à peine avancer. Les ruines étaient toujours présentes dans les rêves. Non que le fait de peindre ait été pour moi une délivrance!».

4 Description Cette œuvre est un triptyque réalisé entre 1929 et Un triptyque est une œuvre peinte ou sculptée réalisée sur un support composé de trois panneaux, dont les deux volets extérieurs peuvent se replier sur le panneau central. Au Moyen-âge, la présentation des œuvres sous forme de triptyque se développe au sein de l art religieux européen. Le chiffre trois (trois panneaux) représente la Sainte Trinité (Père, Fils et Saint-Esprit). En dépit de ces similitudes, le triptyque «La Guerre» ne présente aucun lien religieux : le thème des tranchées est représenté froidement. Otto Dix en effectue une parodie qui vise à mettre en avant la déshumanisation des soldats.

5 Le panneau central Dans la zone des Cieux (la partie supérieur) où sont représentés en général les dieux et angelots, le rôle de l angelot semble ici joué par un cadavre lourdement suspendu à une poutre métallique ; il porte un linge grisâtre et en lambeaux. Il pointe d un doigt raidi l arrière plan, le passage obligé, la mort cruelle et douloureuse, représenté par ce paysage dévasté. Tout n y est que ruine, calme, et désolation. La couleur dominante de ce panneau est le jaune, lequel jaune en se mêlant au coin de ciel bleu délavé prend une teinte d un vert maladif. On peut également constater que la partie céleste est en grande partie occultée par la partie terrestre. Dans la partie centrale, un soldat avec son masque à gaz et de son casque, est une figure symbolique de la 1e guerre mondiale, ainsi qu une dépouille criblée de balles et rongée par la vermine. La plupart des personnages représentés ne voient rien ou presque rien : yeux fermés par la mort ou le sommeil, regards obturés par les bandages ou les masques à gaz Le corps de droite a les pieds en avant vers les cieux. Il dénonce la cruauté dans le contexte guerrier : tout son corps est criblé de balles, comme si l on s était acharné sur lui. Le premier plan (la partie inférieure) présente les ravages de la guerre. Des corps décharnés gisent ça et là, des membres épars sont éparpillés : une main frappée par la mort au centre de monticule de chairs humaines. On n y retrouve pas une figure humaine reconnaissable.

6 La prédelle Ce triptyque est composé d une prédelle, c est-à-dire la partie inférieure d un polyptique, ou retable (œuvre composée de plusieurs panneaux). La prédelle est «murée» de planches, ce qui établit à nouveau le calme et la stabilité par leurs lignes régulières. Des soldats sont allongés endormis ou morts; proprement alignés, ce qui renvoie à un vestige d humanité, une prise de conscience (trop) tardive. La couleur dominante est cette fois-ci le rouge. Sombre, il fait songer à de la terre gorgée de sang. Le principal paradoxe du triptyque est que la couleur chaude se concentre dans le monde souterrain des morts, tandis que la couleur froide se concentre au dessus ; sur la terre, chez les «vivants».

7 Le panneau de gauche A l extrême gauche, une roue apparait au premier plan, tandis que des soldats, au second plan, tournant le dos au spectateur partent au combat, équipés de leur paquetage. Ils forment une masse compacte qui se presse contre le bord droit du panneau; renforçant ainsi l impression d entrée en force sur le champ de bataille annoncé par des volutes de fumée noires. Ces volutes font écho aux quelques nuages déchirés et saignants du ciel. En effet, en arrière-plan, le conflit fait rage. Les lumières rougeoyantes des combats et la fumée qui s en dégagent présentent la réalité de la guerre. La partie supérieure et la partie inférieure du panneau sont toutes deux sombres ; suggérant ainsi une bouche ouverte : La guerre ne fera qu une bouchée de ces soldats. Dans cette position, les soldats ont pour but de représenter le spectateur et de l inviter à entrer dans l atmosphère de la toile et à «vivre» la Première Guerre Mondiale. Cette situation implique davantage le spectateur qui peut se sentir plus concerné par des événements qu il n a pas vécu.

8 Le panneau de droite Tandis que des corps inertes sont présentés au premier plan, un seul homme vivant parmi les décombres apparaît. Dans ses bras, il tente en vain de soutenir un compagnon inerte à la tète ensanglantée bien que bandée, peut-être déjà mort Le regard fixe, il scrute le spectateur, tel un appel qu il sait déjà vain L arrière-plan présente une fournaise infernale. Le ciel s est considérablement réduit, jusqu à être totalement oblitéré par les voraces langues de feu. Tout espoir a disparu. On a ici un témoignage important du sentiment de fraternité qui unissait les soldats et qui était indispensable à la survie : le soldat blessé au sol n a aucun moyen de s en sortir s il n est pas assisté par un compagnon.

9 Les couleurs "Pluie, boue et sang" : les récits des anciens poilus mettent souvent en avant ces trois éléments comme les souvenirs les plus marquants de cette période d horreur. Les couleurs sont contrastées et oscillent principalement entre le gris, le marron et le rouge vif, orangé (ocre) : Le gris marque les soldats, leur casque, leurs vêtements, leurs armes. Le blanc présente le néant consécutif au carnage, la mort. Le brun, représente la terre, la vie dans les tranchées, sous la pluie et dans le froid. La terre parfois sanglante. Le rouge est telle une fournaise, il souligne l horreur de la guerre, son côté dramatique, le sang que la guerre fait couler, la fureur humaine déchaînée. La lumière Les trois panneaux principaux du triptyque sont éclairés d une lumière blafarde. On découvre avec horreur les crimes commis pendant la Grande Guerre. Il pourrait s agir de la lumière de la mort : indifférente, froide, elle paraît éclairer en priorité le cadavre pourrissant et accueille les soldats montant au front. La composition La chronologie impliquée dans le tableau implique également un cercle vicieux, infernal : à gauche les soldats partent au front, au milieu, ils subissent l'horreur, à droite, blessés, ils rentrent chez eux ou rejoignent le camp. La prédelle (panneau situé tout en bas) peut indiquer le repos ou la mort. Mais dans tous les cas, le tableau dénonce l'éternel retour au front des soldats. On ne retrouve aucune ligne permettant de trouver le point de fuite, ce qui interdit toute impression de stabilité. Tout le tableau inspire donc le chaos.

10 Analyse du tableau Une expérience vécue : Ce tableau est réalisé dix ans après la première guerre mondiale. L expérience de la guerre a bouleversé l artiste. Ainsi c est avec un réalisme extrême qu il représente des cadavres pourrissants, un squelette et un paysage dévasté. Tout cela illustre sa propre expérience traumatisante du conflit. Il déclare à ce propos : «J ai avant tout représenté les suites terrifiantes de la guerre. Je crois que personne d autre n a vu comme moi la réalité de cette guerre, les déchirements, les blessures, la douleur». Le but de cette œuvre n'est pas de provoquer angoisse ou panique, mais «simplement transmettre la connaissance du caractère redoutable de la guerre, pour éveiller les forces destinées à la détourner». Comment la guerre est-elle représentée dans cette œuvre? Il est possible de "lire" dans le tableau de Dix : Comme nous l avons observer dans la composition de l œuvre, la lecture du tableau est circulaire, on revient toujours au point de départ. Il s agit donc là d un cercle vicieux et infernal, d un éternel recommencement de l enfer : des soldats montent au front, combattent et meurent pour certains, reviennent à l arrière, se reposent, repartent au front avec des effectifs nouveaux, combattent à nouveau et se font en partie à nouveau décimer. Otto Dix pointe ici du doigt la dimension cauchemardesque de la première guerre mondiale mais aussi les gigantesques pertes humaines (la troupe représentée sur le premier panneau à droite s étire hors-champs, elle peut donc regrouper des centaines d hommes seuls deux parviennent à s en tirer). Dans «La Guerre», l Homme est représenté comme de la chair à canon. La vie du tableau : Ce triptyque est présenté une seule fois dans une exposition à Berlin en Il est ensuite interdit par les autorités nazies. Tout au long de sa carrière, Otto Dix a peint des sujets religieux et cette œuvre est précisément présentée sous forme de triptyque. Traditionnellement les triptyques avaient une fonction religieuse. On les plaçait dans les églises, au-dessus des autels. Les peintures ou les sculptures qui y prenaient place avaient des sujets religieux. Au moment où Otto Dix réalise ce triptyque, il habite et travaille à Berlin où sa peinture critique atteint son apogée. Il est alors un artiste du mouvement de la Nouvelle Objectivité, dont il est un des pères fondateurs. Ce mouvement se développe dans plusieurs grandes villes d'allemagne et réunit alors beaucoup de grands artistes et intellectuels qui ont fortement pris conscience de leur responsabilité politique et de leur «devoir contestataire». Il se caractérise par une volonté de représenter le réel sans fard. L'art lui sert d'arme. En peinture, les mêmes préoccupations sociales aboutissent à des œuvres parfois aux limites de la caricature. Les artistes de la Nouvelle Objectivité seront nombreux à être pointés du doigt comme «artistes dégénérés» par le régime Nazi. C'est pourquoi d'ailleurs le mouvement s'éteint en 1933, avec l'arrivée d'hitler au pouvoir. De nombreux artistes partent en exil.

11 Voici quelques une des nombreuses représentations de la Guerre et des tranchées, réalisées par Otto Dix

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16 Otto Dix s est aussi beaucoup intéressé à «l aprèsguerre» Dans son style très reconnaissable, Otto Dix s est également évertué à montrer les conséquences de la guerre sur les corps brisés des soldats ; ceux qu on a appelé en France les «Gueules cassées» :

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18 Esquisse préparatoire

19 Références artistiques

20 Parallèle entre «La guerre» de Otto Dix et avec «Le Jugement dernier», de Jérôme Bosch. 1. La technique de la tempera sur bois est un procédé de peinture utilisant le jaune d œuf pour lier les pigments. 2. Sur le panneau de gauche de «La Guerre», les soldats semblent «motivés» pour aller au front. Cependant, le ciel gronde. Il en est de même pour le panneau gauche du triptyque de Bosch : les hommes y vivent sereins, mais à nouveau le ciel est menaçant et peuplé de démons. La lumière, chez Dix comme chez Bosch, provient du coin supérieur gauche. Le panneau de droite, chez Dix, représente les soldats au combat, unis dans l horreur, livrés à eux-mêmes. Chez Bosch, ce panneau fait référence à l Enfer et y est peint un monde de douleurs et de péchés. À nouveau, le ciel est en feu. De plus, La peinture de Bosch cultive elle aussi l'illusionnisme, jusqu'au morbide insupportable des chairs putréfiées, des vers et de la gangrène. Les jambes d'un mort sont constellées de pustules ou de blessures purulentes.

21 Œuvres pouvant être mises en rapport : On ne peut pas parler de l expressionisme sans citer l œuvre fétiche de ce mouvement : «Le Cri», de Edvard Munch, Un personnage, les mains posées sur sa tête, semble crier devant l effondrement de son monde intérieur. Le cri, immense, part de la bouche du personnage et envahit, déforme tout le paysage environnant. Deux autres personnages énigmatiques sont visibles dans le fond. Ce tableau symbolise l homme moderne emporté par une crise d angoisse. «Le Cri», Edvard Munch, Huile, tempera, pastel sur toile x 66 cm, National Gallery à Oslo.

22 Quand le surréalisme dénonce la guerre Quelques années plus-tard, en 1940, semblant s inspirer du visage du soldat mort, Salvador Dali peint «Le Visage de la Guerre». «Le Visage de la Guerre», Salvador Dali, 1940, huile sur toile. Le but manifeste est là aussi de dénoncer la Guerre en la rendant aussi repoussante que possible.