PROLOGUE «Et si on regardait un film porno pour voir à quel point c est nul?»

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1 PROLOGUE «Et si on regardait un film porno pour voir à quel point c est nul?» «Regarde bien. Je te parie qu elles vont coucher ensemble. Elles viennent de dire qu elles sont sœurs. Et dans les films porno, les sœurs, elles couchent toujours ensemble!» Et c est ce qui s est en effet passé. Je suis incapable de me rappeler du titre du film, mais je me souviens très bien des circonstances dans lesquelles je l ai regardé. J étais avec ma cousine. Je devais avoir dix ou onze ans et elle quatorze ou quinze. Nos parents nous avaient laissées seules pour la soirée. Ce qui signifiait que nous étions libres de faire ce qui était habituellement interdit : fumer des cigarettes, boire de l alcool, écouter très fort de la musique, et regarder la télévision. «Regarde ça. Tu en as déjà vu?» Je n avais jamais vu de film pornographique. «Tu vas voir, c est super nul!» Nous avons passé un quart 11

2 d heure à regarder le film en répétant chacune notre tour à intervalles réguliers que le film était nul. C était fascinant. Dire que c était nul était déculpabilisant. C était une manière de nous prouver mutuellement que l on ne prenait pas de plaisir à regarder ces images. Puis on a changé de chaîne... pour toujours revenir sur la même! En changeant de chaîne on se donnait bonne conscience, on montrait que l on était pas intéressées, que l on ne trouvait pas ça bien. «Tu peux rezapper sur le film de cul? Je veux voir à quel point c est nul.» C était en fait instructif et terriblement intrigant. «Le porno, c est fait pour les garçons!» La consommation de matériel pornographique est très répandue chez les adolescents. C est en général une seule personne qui se dévoue pour se procurer un magazine ou une cassette qui circulera dans toute son école. Il m est arrivé à plusieurs reprises de me retrouver avec des photos pornographiques entre les mains en plein cours d histoire ou d espagnol. En général, il n y a pas encore de jugement de valeur face à la pornographie à cet âge-là. Les documents porno font partie de l éveil 12

3 sexuel des garçons. Les filles doivent les tolérer, sans pour autant en faire consommation. Telle est leur place. En vieillissant, les filles, devenant jeunes femmes, rangent au placard leur tolérance. Il est dans les normes que les femmes s offusquent face au sexe explicite. «Non à la femme objet», se doit-on de répéter pour adhérer au politiquement correct. On le dit partout : à l école, à la télévision, à la maison, dans les magazines... Le porno c est mal. C est sexiste. Et même si on n y connaît rien, à force de le répéter on finit par le penser. On éprouve de la pitié pour ces pauvres femmes exploitées dans l industrie du X. On ne sait absolument rien, mais on condamne, car on nous a dicté de penser ainsi. Certaines femmes se radicalisent face au porno : activité militante, scène de ménage si le partenaire exprime un intérêt pour le matériel érotique... L ignorance est parfois dangereuse. «Non à la domination masculine!» Qu ils soient libertaires ou bien à tendance fascisante, la plupart des groupes politiques se retrouvent au moins sur ce point : ils luttent tous contre la pornographie. 13

4 14 J ai été active au sein de plusieurs groupes libertaires/gauchistes/antisexistes entre 1994 et Ce que l on appelait antisexisme était en fait une sorte de féminisme MLF plus souple vis-à-vis des hommes. Les mots d ordre étaient très classiques : «Non à la femme objet, non à la femme esclave, non à la femme potiche, non à la femme bonniche...» et autres variantes. La plupart des militantes que j ai connues appliquaient ces slogans là où cela les arrangeait. Le «non aux normes de beauté» leur permettait de se négliger sans complexe. Si une militante prend du poids, elle ne doit pas fléchir face à la pression sociale qui lui dicte de mincir. Elle reste grosse, par conscience politique, même s il est bien évident qu elle souffre de son apparence. Se mettre au régime, c est se comporter comme une esclave. Tout comme soigner sa peau ou ses cheveux, se maquiller, montrer son corps. Les militantes se soutiennent entre elles dans leur laisser-aller. Toute femme travaillant son apparence et ayant du sex-appeal est considérée comme soumise. La structure classique du couple n est pas vraiment modifiée chez les militants antisexistes. L homme demeure celui qui pense, qui a la force, et qui s intéresse au sexe. La femme, elle, a plus de problèmes à régler avec sa sexualité. Certaines

5 vont même jusqu à prohiber certaines pratiques, telle que la position dite de la levrette, les considérant comme rentrant dans le cadre d un rapport de soumission. Parfois les principes politiques ont plus de poids que les désirs. L investissement militant nécessite parfois de s auto-réprimer. Ce qui est reprochable à beaucoup de groupes militants est qu ils s inscrivent souvent dans une démarche répressive. La femme qui veut prendre soin de son corps, se libérer sexuellement, et être à l écoute de ses désirs, n est pas forcément en accord avec ses discours. Si elle suit ses envies, est-ce parce qu elle est conditionnée pour agir de la sorte et se positionner comme une esclave? Il ne semble pas que le propre de l esclave soit de s épanouir dans ce qui lui apporte du plaisir. Jenna Jameson C est dans ce contexte militant que je suis devenue fan de Jenna Jameson. Jenna est tout ce qu il y a de plus détestable d un point de vue antisexiste. Pornstar, californienne, blonde, aux seins sursiliconés, bronzée aux UV avec la marque de son bikini : la «bimbo» dans toute sa splendeur. Elle était fascinante car elle représentait tout ce 15

6 que j étais sensée condamner. Elle correspondait totalement au portrait type de la femme-objet. Pourtant, j ai eu beau l observer dans de nombreux films, elle ne m a jamais semblée soumise. Elle dégageait une gigantesque puissance sexuelle. Son charisme et ceux de ses nombreuses consœurs actrices X m ont fait prendre conscience de l enjeu politique qui réside dans la pornographie.