Dans la chambre jaune où séchaient les noix dans la chambre jaune elle s en souvient les livres parlaient.»

Transcription

1 Arlette Chaumorcel «Née le 20 mai 1935 à Châteaubourg en Ille- et- Vilaine, c est donc demain votre anniversaire et je suis très heureuse que celui-ci coïncide avec le prix de poésie Yves Cosson. Vous avez quitté notre Bretagne dès la sortie du lycée, vous aviez choisi l enseignement, le Nord avait des postes à pourvoir, vous êtes donc partie pour cette région : «Je n ai pas facilement apprivoisé le Nord ( ) aujourd hui j adore cette région.» Vous vivez dans le village de Caudescure, non loin de Beuvry où est le siège de la Maison de la Poésie du Nord- Pas- de- Calais dont vous avez été la Co-Fondatrice, vous en êtes actuellement Présidente d honneur. Là où vous vivez, c est un pays de terre, à l air marin comme votre Bretagne natale. Votre poésie est traversée par la terre et le ciel du Nord, par ses vents et ses pluies : «Terre Ô ma terre ma ressemblance mon miroir gris mon double d ambre ma tant aimée ma sœur mourante mon oubliette de prairie 1

2 aux vignes rouges de septembre nous avons terreau de bruyère terrain de paille et de poussière une étonnante affinité.» Pour vous la poésie est bien comme le disait René Guy Cadou dont vous vous sentez proche : «Ce grand élan qui nous pousse vers les choses usuelles». Votre œuvre a sa source dans votre enfance, elle en est imprégnée : «Petite enfance camélia blanc la procession des hortensias passait en bleu sous la fenêtre.» Luc Vidal l un de vos éditeurs le souligne dans la revue Chiendents N 57 qui vous est consacrée : «Dans son œuvre l enfance est sa pierre de vie et de touche.» Jean-Claude Coiffard votre ami et complice en poésie le confirme : «Nous connaissions une même source, elle s appelait l enfant.», écoutons la voix de l enfant avec un extrait du recueil Ressac : «Poésie c était l enfant d une voix 2

3 Dans la chambre jaune où séchaient les noix dans la chambre jaune elle s en souvient les livres parlaient.» De cette enfance en Bretagne pendant la guerre, votre écriture s en souvient : «Petite enfance heureuse au bord de la Vilaine, malgré la présence, pendant quatre ans, des troupes occupantes à la maison. Maison en laquelle mon père, percepteur, et ma mère, tous deux résistants, tiennent à inculquer à mon frère, à ma sœur et à moi-même le sens du partage par l hospitalité offerte dès 1939 aux réfugiés jetés sur les routes.» Vous gardez de votre enfance le bruit des bottes et ne cessez de dénoncer les injustices, le mal et donc les guerres, celles d hier et celles d aujourd hui : «la longue nuit déjà découpe ses effets pointillés bottés d ombre des soldats alignés arpentent la mémoire.» ( Echanges) «Ici le blé là-bas les bombes dans les deux camps meurtris l heure aux lamentations.. 3

4 Dis quel mur offre aux prières la nuit qui nous revient la mort qui les retourne?» ( Echange) Etre poète pour Arlette Chaumorcel, c est aussi parler pour les sans voix : «Je parle au nom de ceux auxquels On a tranché la langue.» ( En lisière d ombre) Vivre en poésie, c est prendre le chemin de la fraternité ; nombreux sont les poètes amis qui font partie de cette fraternité, je ne peux ici tous les nommer ; je citerais cependant le poème de André Peragallo, car chacun des amis peut le faire sien : «Nous nous sommes rencontrés à l angle d un poème éclairé par les mots J ai reconnu ta voix près d une étoile d encre qui tremblait sur un cœur.» Il est bien sûr un poète ami dont la rencontre est belle connivence créative, je veux nommer Jean- Claude Coiffard qui en ce jour reçoit lui aussi le prix de poésie Yves Cosson. Ensemble vous avez 4

5 fait œuvre en une trilogie : Echanges- Ressac et Dialogue. Je crois savoir qu un quatrième recueil est sur le point d être publié ; un recueil qui sera enrichi de photographies de Francis Chaumorcel, votre époux. Votre voix croisée à celle de Jean- Claude Coiffard a produit des poèmes en écho, une création originale et singulière, loin de la poésie contemporaine trop souvent abstraite et parfois il faut bien le dire «pédante». «Nous sommes je crois de même argile» dit Arlette en parlant de Jean-Claude. Jean-Claude, lui nous dit : «Nos voix étaient à la fois différentes et semblables. Nous puissions nos images dans un même vivier.» Ce sont ces voix «différentes et semblables» en un duo poétique qui ont particulièrement retenu l attention de notre jury. De votre collaboration, votre ami à tous deux, le poète Yves Cosson a dit : «Pour mieux se connaître et se reconnaître, ils s amusèrent à s envoyer des poèmes dans un jeu subtil de demandes et de réponses.» Jean-Claude dit d Arlette qu elle est «une voix qui compte» et les artistes le savent, ils sont nombreux à avoir collaboré à son œuvre. Je veux citer ici le peintre Arthur Van Hecke dont Arlette et Francis Chaumorcel furent très proches ainsi que le musicien Roger Lahaye qui a mis en musique l essentiel de cette œuvre. 5

6 Gabriel Mwéné Okoundji nous le rappelle : «la poésie depuis les Grecs est un chant.» Je vais conclure avec ces mots que j ai écrits pour le N 57 de la revue Chiendents des éditions du Petit Véhicule : «La poésie d Arlette nous parle en plein cœur, c est une voix qui appelle à la fraternité, elle sait se faire passeur ; ce que le poète a reçu, elle le donne en partage, toute sa vie est engagée en Poésie sans angélisme, elle croit que la poésie contribue à changer l homme et donc à changer le monde et à le rendre meilleur.» Ghislaine LEJARD (Remise du prix de poésie Yves Cosson le 19 mai 2015) 6