Ingénieurs Territoriaux de France et Trésorier de Plante & Cité. Correspondance :

Transcription

1 Innovations Agronomiques 45 (2015), Aménagement et gestion des espaces verts pour produire, sous contraintes réglementaires, des bouquets de services écosystémiques : témoignage de la ville de Rennes Martin B. 1,2, Gutleben C. 2, Colson F. 2 1 Direction des Jardins et de la Biodiversité de la ville de Rennes F-35000, représentant Association des Ingénieurs Territoriaux de France et Trésorier de Plante & Cité 2 Plante & Cité, Maison du Végétal, 26 rue Jean Dixméras, F Angers Correspondance : b.martin@ville-rennes.fr Résumé Depuis le début des années 1980, la ville de Rennes a fait le choix d une politique en faveur de la nature en ville. Initialement mise en œuvre pour des raisons budgétaires, la gestion différenciée des espaces communaux s est renforcée à des fins environnementales. Des jardins fleuris aux parcs de nature, héritage des approches hygiénistes du XIXème, Rennes offre un cadre de vie composé d une grande variété d aménagements et d ambiances paysagères. Les contraintes réglementaires actuelles en matière de pesticides ont été devancées. Vingt ans auront été nécessaires pour consolider une approche écologique de l entretien des espaces verts. Ces changements ont imposé une communication soutenue pour l acceptation de la flore spontanée par les habitants. La gestion écologique des eaux pluviales a aussi créé de nouvelles opportunités d implantation pour le végétal. A l échelle du territoire, le SCOT de la «ville archipel» défini et protège des espaces de nature pour l agriculture péri-urbaine, la trame verte et bleue. Le choix de la ville de Rennes est aussi celui de l engagement pour la construction de Plante & Cité, centre technique national sur les espaces verts et la nature en ville créé en 2005 pour constituer une interface entre la recherche et les professionnels des collectivités et entreprises du paysage. Mots-clés : Services écosystémiques, Nature en ville, Gestion écologique, Gestion différenciée, Aménagement du territoire. Introduction L objet de cette présentation est de revenir sur les déterminants et choix politiques de la ville de Rennes en faveur de la nature en ville et de la gestion écologique des espaces verts, au cours des 40 dernières années. Les contraintes et pressions actuelles exercées sur les collectivités territoriales ne portent pas seulement sur la réglementation, avec l interdiction des pesticides dans les espaces publics d ici 2017 (Loi du 28 février 2014 dite «Loi Labbé» et ses amendements dans le cadre de la Loi sur la Transition énergétique), elles sont aussi de nature économique et sociétale. Economique car la tendance à la réduction des budgets alloués à la gestion des espaces verts est bien réelle et impacte le fonctionnement des services techniques municipaux. Sociétale car les attentes en matière d espaces verts et d aménagements urbains sont poussées par les idéaux et le besoin des habitants de se reconnecter à la nature.

2 B. Martin et al. 1. La ville de Rennes et le choix des élus pour la gestion écologique de ses espaces verts 1.1 Le patrimoine et les moyens en quelques chiffres Les espaces verts de la ville de Rennes représentent environ 20% du territoire communal, soit 850 ha et près de 120 ha supplémentaires d ici Les aménagements se composent par ailleurs d un patrimoine arboré de arbres, ainsi que 355 aires de jeux et de nombreux mobiliers urbains à entretenir. Le budget alloué aux espaces verts constitue 3,40% du budget global de la ville de Rennes, loin derrière la politique culturelle ou les Transports. Malgré l augmentation des surfaces et du patrimoine à entretenir depuis plus de 40 ans, les moyens sont en stagnation, voire en diminution. A titre indicatif, les surfaces actuelles d espaces verts représentent l équivalent de 40 m 2 par habitant. La comparaison avec d autres collectivités territoriales a ses limites car ces chiffres ne recoupent pas toujours les mêmes réalités et il faudrait alors pouvoir les positionner au regard d autres indicateurs (proximité des parcs et jardins, multiplicité, usages concernés ). Le service des parcs et jardins mobilise une régie de 400 personnes qui participent aussi à l entretien des aménagements privés collectifs (bailleurs sociaux). Cette spécificité rennaise permet une plus grande cohérence dans la mise en œuvre de la politique communale en matière de gestion écologique et de non-utilisation de pesticides. 1.2 Diversité et multifonctionnalité des parcs et jardins à Rennes La ville de Rennes comprend une certaine diversité de parcs et jardins, du plus horticole comme le parc du Thabor (1865) ou le parc de Maurepas (1936), au plus naturel comme le parc des Gayeulles créé en 1976 pour donner un accès à la nature à «la masse laborieuse». Ce parc incarne l héritage du courant hygiéniste du début du XIX ème qui consacre le végétal dans son rôle régénérateur et donne une plus grande place à la nature en ville. Dans les années 80, la ville de Rennes a initié une véritable rupture dans les pratiques d entretien de l espace public. Plusieurs années auront été nécessaires pour faire accepter socialement ces changements de pratiques qui ont modifié les paysages. Habitués aux espaces verts horticoles très entretenus, le changement du regard des habitants et des jardins sur la flore spontanée a aussi pris du temps. Dans la période de transition, la ville de Rennes a eu besoin d outils sur la façon de concevoir les espaces verts pour permettre une gestion plus écologique mais aussi pour mieux communiquer auprès des habitants sur les changements dans leur cadre de vie. C est notamment ce qu a permis le référentiel de gestion écologique des espaces verts et son label Ecojardin, mis en œuvre par Plante & Cité et les représentants des collectivités territoriales. Avec aujourd hui plus de 250 sites labellisés, Ecojardin incarne la référence de gestion écologique pour les collectivités territoriales. 2. La gestion différenciée, le «zéro pesticide» et les méthodes de gestion alternatives Dans de très nombreuses villes françaises, et en particulier à Rennes, les trente dernières années ont été le théâtre d évolutions profondes en faveur d une plus grande prise en compte des principes du Développement Durable dans les pratiques d entretien et de conception des espaces verts. Le changement de regard sur la flore spontanée est l une des manifestations de ces évolutions. Il s est réalisé grâce au volontarisme des élus, jardiniers et habitants, désormais plus enclin à tolérer «les 96 Innovations Agronomiques 45 (2015), 95-99

3 Aménagement et gestion des espaces verts, l exemple de la Ville de Rennes mauvaises herbes». Pour cela, il a fallu un accompagnement scientifique, technique et pédagogique pour proposer de nouveaux outils de gestion et d acceptation de la flore spontanée. 2.1 La gestion différenciée : le premier virage de Rennes en faveur d une gestion écologique des espaces verts A Rennes, la gestion différenciée est née en Les codes de gestion actuels ont été définitivement adoptés depuis le début des années Les motivations initiales étaient principalement budgétaires car la ville de Rennes avait été amenée à gérer de nouvelles surfaces sans moyens supplémentaires. Il n était donc plus possible de gérer le merlon d une autoroute comme le jardin des plantes. Les élus ont donc pris la mesure des changements à prendre et ont fait un choix stratégique précoce en faveur de la gestion écologique des espaces verts. Le principe de la gestion différenciée est de différencier les pratiques d entretien pour que les différents aménagements soient bien identifiables, en termes d ambiances rendues. A Rennes, on distingue 5 codes 5 pour autant d ambiances différentes. 2.2 Le «zéro pesticide» : nouvelle rupture dans les pratiques d entretien de l espace public La seconde grande rupture a eu lieu dans les années avec la suppression progressive des pesticides dans les espaces publics. Les mesures de la contamination de l eau en pesticides en amont et en aval de Rennes sont à l origine de ces changements de pratiques. Les analyses ont mis en évidence de plus fortes concentrations de polluants dans les échantillons en aval de Rennes, pointant ainsi du doigt la contribution des pratiques de désherbage sur le territoire communal. La problématique de la qualité de l eau étant très parlante en Bretagne, les réflexions ont donc rapidement progressé pour supprimer l utilisation des pesticides sur l espace public. Cependant, il aura fallu presque 20 ans pour supprimer l usage des pesticides avec beaucoup d efforts pour lutter contre un imaginaire social valorisant «le propre» et des paysages formatés sans «herbes» gérés de façon intensive. Il a fallu inventer des trésors de pédagogie : «Rallye des herbes folles» pour apprendre aux habitants à la reconnaitre, slogan et logo affirmés «Entretenir au naturel» ainsi que de nombreux supports de communication pour progressivement faire changer le regard des habitants sur la flore spontanée. Tout cela a eu pour effet une baisse significative des pesticides avec en point d orgue la suppression complète des pesticides dans les cimetières en La dernière étape symbolique fut l enlèvement de tous les stocks et armoires phytosanitaires début Désormais, il n y a donc plus aucune botte secrète au sein des services techniques! 2.3 Une réflexion sur la place de l herbe en ville et les nouvelles formes de végétalisation La logique s est poursuivie avec une réflexion plus globale sur la place du végétal en ville, toutes strates comprises. La ronce et le lierre ont fait leur réapparition, avec leurs lots de courriers de plainte arrivant en mairie. Il a fallu réfléchir à accompagner les espaces laissés au naturel par un fleurissement «plus extensif» (présence de digitales, d euphorbes dans les massifs). Même en apparence «moins horticole», ce fleurissement requiert un savoir-faire et des connaissances au moins aussi importants qu un fleurissement plus traditionnel. La palette végétale des jardiniers s est développée avec de nouvelles compétences. Innovations Agronomiques 45 (2015),

4 B. Martin et al. Les habitants ont également été associés à la création de petits espaces jardinés au pied des murs. L action «Embellissons nos murs» a ainsi été mise en place depuis 1998 pour inviter les riverains à être acteurs du fleurissement de leur environnement proche. Des conventions sont passées avec les habitants pour encadrer ces pratiques mais les conditions à respecter sont simples : absence de pesticides dans l entretien et respect d un passage de 1,40 m pour les personnes à mobilité réduite. 3. Des parcs et jardins à la gestion des services écosystémiques 3.1 La gestion écologique à toutes les échelles du territoire Par touche, les espaces verts aménagés ont permis de créer de véritables corridors au sein de la ville. La gestion écologique s est progressivement imposée à l ensemble des pratiques d entretien. C est ainsi que tout le bois coupé est désormais broyé pour obtenir du paillage. Les feuilles ramassées sur la voirie sont compostées pour créer un terreau de feuilles qui enrichi chaque année les massifs. La gestion de l eau est par ailleurs un des défis majeur auquel la ville de Rennes doit faire face. En effet, les milieux urbains artificialisés et imperméables modifient le régime hydrique. De nombreux aménagements ont ainsi été pensé pour recréer le pouvoir tampon du sol en ramenant de la matière organiques (avec notamment entre 400 et 500 tonnes de compost par an introduits dans les massifs et les espaces enherbés) et en re-perméabilisant certaines surfaces. Après le «zéro phyto», c est le «zéro tuyau» qui a également permis de créer de nouveaux paysage en offrant de nouvelles opportunités d implantation du végétal en ville. Sur certains sites, ce sont toutes les eaux pluviales qui sont collectées et infiltrées naturellement par des dispositifs végétalisés et systèmes de noues adaptés. La gestion écologique peut aussi faire intervenir des méthodes plus originales comme le pastoralisme urbain qui offre par ailleurs une réponse sociale aux attentes de nature en ville des habitants. La ville de Rennes s y est employée en développant une gestion éco-pastorale dans certains sites où cela était possible. 3.2 Une organisation et des aménagements à l'échelle de la Métropole L essor de l agriculture urbaine au niveau national a aussi touché la métropole rennaise : agriculture de ceinture verte mais aussi essor des pratiques de jardinage partagé. Dans les groupes scolaires, le service des espaces verts de Rennes accompagne la création de potagers éducatifs, de mares ou de zones humides pour sensibiliser les enfants à l environnement. Les réflexions sur la nature à l échelle du territoire ont accompagné l élaboration du Schéma de Cohérence Territoriale qui précise les grands principes de la ville archipel : espaces de proximité et comblement de «zones blanches». La trame verte a également été pensée avec des spécifications sur le maintien des grandes liaisons naturelles ou la mise en réseau de sites majeurs, tous entretenus par Rennes. Des outils ont ainsi été élaborés d une part pour permettre de définir les lignes directrices sur la place de la nature sur le territoire de la métropole, et d autre part pour influencer les services en charge l urbanisme. 4. Des enjeux de recherche et d'expérimentation le rôle de Plante & Cité auprès des services des espaces verts des villes et des entreprises du paysage Aux côtés des réseaux professionnels des collectivités territoriales (Centre National de la Fonction Publique Territoriale, Hortis, Association des Ingénieurs Territoriaux de France, Association des techniciens Territoriaux de France), la ville de Rennes a participé à la création du centre technique 98 Innovations Agronomiques 45 (2015), 95-99

5 Aménagement et gestion des espaces verts, l exemple de la Ville de Rennes national Plante & Cité. Né du constat partagé de l absence de structure d interface entre le monde professionnel (Collectivités territoriales et entreprises du secteur du paysage) et la Recherche, Plante & Cité a été créé en 2005 pour prendre en charge les attentes des professionnels en termes d innovation dans la conception et la gestion d espaces verts et de nature en ville. Dans le processus de transfert de connaissances et de mutualisation des pratiques, la spécificité de Plante & Cité est son ancrage scientifique avec un conseil scientifique mis en place à sa création. Aujourd hui, Plante & Cité compte plus de 500 membres parmi lesquelles la quasi-totalité des grandes collectivités territoriales et métropoles françaises, grâce au parrainage de l Association des Maires de France et à un travail intense de structuration. Plante & Cité met en œuvre chaque année une trentaine de programmes d études et d expérimentations autour de six thématiques : Agronomie, sols et conduite des végétaux ; Protection Biologique Intégrée et gestion de la flore ; Innovation et choix des végétaux ; Economie et management ; Ecologie et biodiversité ; Végétal, paysage et urbanisme, approches intégrées. Pour accompagner les évolutions territoriales et les problématiques techniques, économiques et sociétales, les travaux de Plante & Cité s orientent sur des enjeux émergents : impacts du végétal sur le cadre de vie et la santé, effet des espaces verts sur le climat, sols urbains et recyclage de matériaux, la gestion écologique des espaces verts, diversification des gammes végétales et nouveaux usages urbains, la participation des habitants à la planification et la gestion des espaces publics. La valorisation des services «écosystémiques» de la nature en ville au regard des coûts de gestion du patrimoine végétal occupe désormais des préoccupations centrales. Si l on sait dire combien coûte un aménagement et son entretien, il faut encore progresser sur l évaluation scientifique de ce que les espaces verts rapportent en termes de bénéfices induits et indirectes. Dans les prochaines années, ces éléments seront pourtant déterminants pour l évaluation objective des projets dans les décisions d aménagements de l espace public et du cadre de vie. Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0) Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue «Innovations Agronomiques», la date de sa publication, et son URL) Innovations Agronomiques 45 (2015),