Titre: Culte et servitude
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- Rachel Lebrun
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1 Matière: Houmach - Rubrique: Sefer Devarim - Paracha: Ki Tavo, Ch. 28 Thème: Bénédictions et malédictions (2) - Auteur: Eric Smilevitch Titre: Culte et servitude L alternative irréductible à laquelle se réduisent les choix humains entre obéir à la voix divine et lui désobéir, et qui structure une bonne partie des énoncés de la Tora, est le cœur de l alliance. Le chapitre des bénédictions et des malédictions en porte la marque indélébile. Pourtant, au fil des versets, l évidence d une alternative simple et équilibrée entre bien et mal cède la place à un déséquilibre essentiel. La malédiction n a aucune commune mesure avec la bénédiction, elle l emporte énormément sur elle en extension et en intensité. Le portrait de la providence divine qui en ressort est tout le contraire d un harmonieux système de récompenses et de punitions. Cette seconde étude consacrée au chapitre 28 du Deutéronome aborde les derniers versets de la section (45 à 69). Ils comptent parmi les versets les plus cruels de la Bible. Comme tels, ils interpellent la nature même d une alliance avec Dieu. Ils font surgir le visage terrible d une providence qui n a rien de providentiel pour les humains, qui écrase la désobéissance dans le sang et provoque les situations les plus odieuses. La disproportion appelle une question. Il faut ici rechercher l axe autour duquel tourne l ensemble du problème soulevé par les malédictions, et qui est explicite dans cette section. D une erreur sur le sens des préceptes, Israël fait depuis longtemps les frais. C est cette erreur, qui modifie le sens de la Tora, qui fait fonction de cause des malédictions sanglantes qui frappent Israël. Puis nous parcourrons les différentes situations décrites par la Tora pour en saisir les conséquences, dont certaines esquissent des problématiques très actuelles. TEXTES ET ETUDES: 1. GRANDEUR ET SERVITUDE D ISRAËL La première partie de l étude s est efforcé de montrer la pertinence du discours articulant bénédictions et malédictions, récompenses et punition. Les versets font partie de la section précédente, nous les mentionnons ici comme transition. A partir du verset 47, une autre problématique apparaît, qui projette une lumière incomparable sur la notion d obéissance, et sur la tragédie qui guette l acception commune de l idée d observance. Le pivot autour duquel bascule l ensemble de la section est celui du rapport des hommes aux préceptes divins. Il n est pas reproché aux hommes de ne pas accomplir les préceptes de la Tora. L accusation est plus intime et plus sournoise. L homme pieux, respectueux, religieux est durement questionné sur le fond de son désir. Or, cette question est explicitement articulée à la servitude qui assujettit Israël parmi les peuples. Parce qu Israël n a pas servi Dieu avec joie, il servira un peuple d esclavagiste. Cette étude a été réalisée dans le cadre du programme Melamed, dirigé par Akadem Multimedia, initié par le FSJU et la FMS. Elle est mise gracieusement à la disposition des enseignants à des fins strictement pédagogiques et à l'exclusion de toute exploitation commerciale. Elle peut être librement reproduite. Les idées présentées ici n'engagent que leur auteur, le site étant largement ouvert à toutes les composantes du judaïsme. Tout renseignement et de nombreux autres outils pédagogiques sont disponibles sur
2 כח' ה מההה'''' דברים נאאא''''א מה ב א ע ל י ל- ה ל לו ת ה א ה ר ד פ ו ה יג ע ד ה מ ד. ר צ יו א מ ר מ צ ו ת יו ו ח ת ל י קו ל ה א ה מ ע י- א מו ו ה י ב ל או ת ל מו פ ת ב ז ר ע ע ד-עו ל ם. מז ח ת א ר א- ע ב ד א ת-ה א ה י מ ח ה ב ט ב ל ב ב מ ר ב ל. מח ו ע ב ד א ת-א י ב י א ר י ח ה ר ע ב ב צ מ א ב ע יר ם ב ח ס ר ל ו נ ת ן ע ל ר ז ל ע ל-צ אר ע ד ה מ ידו א ת. מט י א ה ע ל י ו י מ ר ח ק מ ק צ ה ה ר ץ א ר י ד א ה ה ר ו י א ר א- ת מ ע ל נו. נ ו י ע ז נ ים א ר א-י א פ נ ים ל ז ק ן ו נ ע ר א י ח ן. נא ו כ ל ר י ב ה מ פ ר י- ד מ ת ע ד ה מ ד א ר א-י א יר ל. ד ה א ב ידו א ת ע ר ת צ אנ ע ו ג ר א ל פ י י צ ה ר ו ירו ג ן Pentateuque Deutéronome ch. 28, v. 45 à 51, (דברים (Devarim Deutéronome 28, Et toutes ces malédictions s abattront sur toi, te poursuivront et t'atteindront jusqu'à ta ruine, parce que tu n'as pas obéi à la voix de l'éternel, ton Dieu, en gardant les préceptes et les lois qu'il t'a prescrites. 46 Elles s'attacheront, tel un symbole et un prodige, à toi et à ta postérité, pour toujours. 47 Parce que tu n'as pas servi l'éternel, ton Dieu, avec joie et contentement de cœur, au sein de l'abondance. 48 Tu serviras tes ennemis, suscités contre toi par l'éternel, en proie à la faim, à la soif, à la nudité, à une pénurie absolue; et ils te mettront sur le cou un joug de fer, jusqu'à ce qu'ils t'aient anéanti. 49 L Éternel lancera contre toi une nation lointaine, venue des confins de la terre, rapide comme l'aigle en son vol; nation dont tu n'entendras point la langue,50 peuple impudent, qui n'aura point de respect pour le vieillard, point de merci pour l'adolescent! 51 Elle se repaîtra du fruit de ton bétail et du fruit de ton sol, jusqu'à ce que tu succombes. Elle enlèvera, sans t'en rien laisser, le blé, le vin et l'huile, la progéniture de tes bovins et la portée de tes ovins, jusqu'à ta ruine entière. Expression idiomatique signifiant "tant que tu disposais encore de tout :מ ר ב ל le bien être" (Rachi). Ou encore "tant que tu disposais de tout ce que tu désirais ou dont tu avais besoin" (Ibn Ezra). : א "Comme l aigle vole" (Ibn Ezra). Selon Rachi, le terme ר י ד א ה ה ר connote l idée de rapidité et de réussite: ses cavaliers déferleront. INTERPRETATION: La Tora met en avant deux causes différentes du châtiment: l obéissance et le manque de joie dans l accomplissement des commandements. Pourtant, dans les deux cas, il s agit bien de la même "discipline". Il faut donc préciser les choses: primo, de quelle sorte de joie parle-t-on? Secundo, de quelle nature est la discipline "heureuse" dont il est question ici? La littérature de hala ha connaît pertinemment ce problème, puisque la Tora nous prescrit précisément la joie lors des fêtes, telles Pessa h et Soukot. Cela nous aidera à répondre à la première question: MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 2/15
3 הלכות שביתת יום טוב פרק ו הלכה כ רמב"ם כשאדם אוכל ושותה ושמח ברגל לא יימשך ביין ובשחוק ובקלות ראש ויאמר שכל שיוסיף בזה ירבה במצוה, שהשכרות והשחוק הרבה וקלות הראש אינה שמחה אלא הוללות וסכלות. ולא נצטווינו על ההוללות והסכלות אלא על השמחה שיש בה עבודת יוצר הכול שנאמר "תחת אשר לא עבדת את ה' אלוהיך בשמחה ובטוב לבב" (דברים כח, מז). הא למדת שהעבודה בשמחה. ואי אפשר לעבוד את ה' לא מתוך שחוק ולא מתוך קלות ראש ולא מתוך שכרות. Rambam Lorsqu un homme mange, boit et se réjouit pendant la fête, il ne doit pas se dévoyer dans le vin, la plaisanterie et la futilité en pensant que plus il en rajoute et mieux il accomplit le commandement. Car l ivresse, la plaisanterie immodérée et la futilité ne sont pas une joie, mais une divagation et une sottise. Or, il ne nous est pas prescrit la divagation et la sottise mais la joie comme mise en pratique de l idée du Créateur de tout, selon les mots "Parce que tu n'as pas servi l'éternel, ton Dieu,avec joie et contentement de cœur". Tu apprends de là que la pratique doit être accompagnée de joie; alors qu il est impossible de servir Dieu ni dans la plaisanterie ni dans la futilité ni dans l ivresse. Rambam Rabbi Moché ben Maïmon ( ). Le plus grand codificateur du Talmud et l'un des plus grands penseurs du judaïsme, notamment à travers son "guide des égarés". S'il ne fait pas un commentaire systématique de la Torah, son œuvre est emplie de références aux versets bibliques. Il suit le sens littéral qui s'accorde avec la raison Dans une autre circonstance, Rambam insiste sur le fait que la lourdeur d esprit et la vanité, qui font obstacle à la simplicité de la joie, sont des attitudes punissables: הלכות לולב פרק ח הלכה טו רמב"ם שהשמחה שישמח אדם בעשיית המצוות ובאהבת האל שציווה בהן עבודה גדולה היא. וכל המונע עצמו משמחה זו ראוי להיפרע ממנו שנאמר "תחת אשר לא עבדת את ה' אלוהיך בשמחה ובטוב לבב" (דברים כח, מז). וכל המגיס דעתו וחולק כבוד לעצמו ומתכבד בעיניו במקומות אלו חוטא ושוטה. Rambam Car la joie qu éprouve l homme à accomplir les préceptes dans l amour de Dieu qui nous les prescrits, est une pratique élevée. Et quiconque se retient de cette joie est punissable, selon les mots "Parce que tu n'as pas servi l'éternel, ton Dieu, avec joie et contentement de cœur". Quiconque se prend au sérieux, se soucie de son honneur et veut se valoriser à ses propres yeux en ce genre de circonstances est un fauteur et un fou. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 3/15
4 Est-ce à dire, cependant, que la joie de pratiquer les préceptes de la Tora n est commandée qu en certaines occasions, tels les jours de fête, mais qu elle n est guère de mise dans les autres circonstances de la vie? On voit bien que notre verset enseigne précisément l inverse. Il faut donc plutôt considérer le problème par degrés: dans certaines circonstances, la joie et le contentement sont prescrits parce qu ils sont matériellement effectuables. On peut commander la joie si on lui offre les moyens concrets de sa réalisation. En général, il suffit de prescrire un festin en bonne compagnie pour générer l atmosphère et le sentiment voulus. Telle est la joie requise les jours de fête. Dans les autres circonstances de la vie, ce genre de joie n est évidemment pas de mise. Mais le goût de la pratique des commandements de la Tora reste la dimension essentielle de leur mode d accomplissement. C est de cette sorte de joie et de contentement qu il s agit ici. Si obéir signifie "faire ce que l on nous demande", alors non seulement Dieu ne requiert pas notre obéissance, mais en plus il la punit par des malédictions d une violence inouïe, comme le montre la suite." Obéir à la voix divine" signifie donc "répondre à son appel". D ailleurs, le terme שמע que l on traduit par "obéir" signifie simplement "écouter, entendre". Et la "joie" dont il est question ici n est autre que le goût et le désir d honorer des exigences dont on partage, sinon le sens ou l idée, du moins l élévation, la noblesse et la grandeur. On comprend maintenant que le goût pour les préceptes de la Tora est un axe et un pivot explicite: parce que tu n as pas servi Dieu avec joie, tu serviras tes pires ennemis et tu deviendras leur esclave. Ironie divine et logique inexorable. Dépourvu de joie et de goût, la pratique des préceptes n est plus en effet qu une lourde servitude, supportée malgré soi, par peur ou par habitude. Une sorte de contrat mesure pour mesure, mené jusque dans l abjection, prend alors le relais de cette sujétion. Ce pacte ou cette alliance stipule que si tu pratique la Tora en esclave, comme si la tutelle divine était une servitude, tu vivras désormais sous ce régime, auprès de ceux qui affectionnent de traiter les êtres humains comme des bêtes de somme. Le dénuement qui guette alors Israël n est pas uniquement d ordre économique ou social. Les châtiments touchent désormais des points de plus profonds, ils remettent en question les évidences les plus enracinées, comme le fait, par exemple, d être homme raisonnable, pourvu d esprit et pensant. Le Talmud se demande, en effet, ce que signifie l expression être "en proie à une pénurie absolue" (V. 48), une fois précisé déjà qu ils souffriront de "la faim, la soif, la nudité". Quelle "pénurie" peut encore les frapper? MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 4/15
5 נדרים מא' אאאא' מסכת (דברים כח) בחוסר כל א"ר אמי אמר רב בלא נר ובלא שלחן רב חסדא אמר בלא אשה רב ששת אמר בלא שמש רב נחמן אמר בלא דעה (... ( אמר אביי נקטינן אין עני אלא בדעה במערבא אמרי דדא ביה כולא ביה דלא דא ביה מה ביה דא קני מה חסר דא לא קני מה קני. Talmud Nédarim 41 a "En proie ( ) à une pénurie absolue" Rabi Ami dit au nom de Rav: ils n ont plus ni chandelle ni table. Rav Hisda dit: ils n ont plus d épouse. Rav Chechet dit: ils n ont plus de serviteur. Rav Na hman dit: ils n ont plus d esprit ( ). Abayé dit: on considère qu il n y a d autre pauvreté que celle de l esprit. A l ouest [i.e. en terre d Israël], les gens ont un proverbe à ce sujet: "Qui l a possède tout, qui n en a pas que possède-t-il? Qui l acquiert, que lui manque-t-il? Qui ne l acquiert pas, qu a-t-il acquis? " 2. LA VIE MAUDITE Puisque la conscience et l esprit se perdent, la logique cède la place à la folie. L ennemi assiège les villes d Israël et toute forme d humanité déserte progressivement le cœur des assiégés. Un peuple de tyrans, dont notre obséquiosité et notre soumission sans joie à la volonté divine a provoqué la venue, conduit les hommes aux pires extrémités: dévorer la chair de ses propres enfants. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 5/15
6 כח' ב נבבב'''' סאאא''''א דברים נב ו ה צ ר ל כ ל- ע ר י ע ד ר ד ת ח מ ת י ה ב ה ת ו ה צ רו ת א ר א ה ט ח ה ן כ ל- ר צ ו ה צ ר ל כ ל- ע ר י כ ל- ר צ א ר נ ת ן ה א ה י ל. נג ו כ ל פ ר י-ב ט נ ר נ י ב נ ת י א ר נ ת ן-ל ה א ה י מ צו ר ב מ צו ק א ר-י צ יק ל א י ב. נד ה א י ה ר ו ה ע נ ג מ א ד ר ע ע ינו ב ח יו ב א ת ח יקו ב י ת ר נ יו א ר יו ת יר. נה מ ת ל ח ד מ ה ם מ ר נ יו א ר י אכ ל מ ל י ה א יר-לו ל מ צו ר ב מ צו ק א ר י צ יק ל א י ב כ ל- ע ר י. נו ה ר ה ב ו ה ע נ ה א ר א-נ ת ה כ ף-ר ג ל ה ג ע ל-ה ר ץ מ ה ת ע ג מ ר ר ע ע ינ א י ח יק ב ב נ ב ב. נז ב ל י ת ה ו צ ת מ ין ר ג ל יה ב ב נ יה א ר ל ד י-ת אכ ל ם ע ר י. א י ב ר י צ יק ל מ צו ק א מ צו ר ב ת ר ח ס ר- ל נח א ם- א ת מ ר ל ע ו ת א ת- ל- ב ר י ה ו ר ה ה את ה ת ב ים י. א ת ה א ה ה א ה ו ר ד ו ה כ ם ה א ת-ה ה ל י ר ה פ ר ה נט ו ה פ ל א ה א ת-מ ת ו א ת מ ו ת ז ר ע מ ו ת ד ת ו נ א מ נו ת ו ח ל י ם ר ע ים ו נ א מ נ ים. ס ו ה יב א ת ל-מ ד ו ה מ צ ר י ם א ר י ג ר מ נ יה ם ו ד ב ק. סא ם ל-ח ל י ו כ ל-מ ה א ר א כ ת ב ס פ ר ה ו ר ה ה את י ע ל ם ה ע ל י ע ד ה מ ד. Pentateuque Deutéronome ch. 28, v. 53 à 61, (דברים (Devarim Deutéronome 28, Cette nation mettra le siège devant toutes tes portes, jusqu'à ce que tombent, dans tout ton pays, ces murailles si hautes et si fortes en qui tu mets ta confiance; elle t'assiégera dans toutes tes villes, dans tout ce pays que l'éternel, ton Dieu, t'aura donné. 53 Et tu dévoreras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles, ces présents de l'éternel, ton Dieu, par suite du siège et de la détresse où t'étreindra ton ennemi. 54 L'homme le plus sensible parmi vous et le plus délicat verra d'un œil hostile son frère, sa compagne et les enfants qui lui restent, 55 ne voulant donner à aucun d'eux de la chair de ses enfants, qu'il mangera faute d'autres ressources, tellement tu seras assiégé et cerné par ton ennemi dans toutes tes villes. 56 La femme la plus sensible parmi vous et la plus délicate, au point qu'elle n'aurait jamais risqué de poser la plante de son pied directement sur le sol, verra d'un œil hostile l'homme qu'elle serrait dans ses bras, et son fils et sa fille, 57 jusqu'au placenta expulsé de ses flancs, jusqu'aux jeunes enfants dont elle est la mère, car, dénuée de tout, elle se cachera pour les dévorer du fait de la détresse où te réduira ton ennemi, t'assiégeant dans tes murs. 58 Si tu n'as soin d'observer toutes les paroles de cet enseignement, écrites dans ce livre, de craindre ce nom auguste et redoutable: l'eternel ton Dieu, 59 l'éternel donnera une valeur exceptionnelle à tes plaies et à celles de ta postérité: plaies intenses et tenaces, maladies cruelles et persistantes. 60 Il déchaînera sur toi tous les fléaux de l'egypte, objets de ta terreur, et ils t habiteront en permanence. 61 Bien d'autres maladies encore, bien d'autres plaies non consignées dans ce livre d enseignement, l Éternel les fera monter contre toi, jusqu'à ce que tu sois exterminé. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 6/15
7 conquête. Ce terme, dit Rachi, connote l assujettissement et la :ר ד ת ה ע נ ג ( ) ה ר :ו Ces deux termes sont synonymes d après Rachi. Il en donne deux explications: soit ils désignent une personne "raffinée", soit ils désignent une personne "émotive, sensible aux autres". ל י ת : ב Selon Ibn Ezra, il s agit du placenta; c est le sens de ce terme dans la langue de la Michna. Mais Onkelos et Rachi comprennent qu il s agit des enfants en bas âge. commun. Rendre exceptionnel, stupéfiant, hors du :ו ה פ ל א est employé ici pour signifier la נאמן Le terme :מ ו ת ד ת ו נ א מ נו ת constance, la ténacité. A l image de serviteurs "fidèles" à remplir leur mission (Avoda Zara 55 a).. (causatif). au hifil עלה C est la racine :י ע ל ם INTERPRETATION: Le fait de se nourrir de chair humaine en dernière extrémité n est pas interdit. Seules trois choses demeurent interdites même en cas de force majeure: le meurtre, l idolâtrie et les unions sexuelles illicites. On sait bien que les hommes peuvent être réduits à manger leurs propres cadavres, y compris le cadavre de leurs amis, de leurs frères. La difficulté du problème soulevé est uniquement d ordre psychologique. Mais elle touche deux domaines distincts: le premier concerne les conditions dans lesquelles un être humain est réduit à consommer la chair humaine; le second concerne la signification de cet acte en regard de l importance des cadavres consommés. Commençons par ce dernier point. La Tora insiste sur cette dimension de "sensibilité". Pourtant, elle n expose qu indirectement le drame de devoir consommer la chair de ses propres enfants. Elle met d avantage l accent sur la difficulté, pour l affamé, de devoir partager cette nourriture avec ses autres enfants survivants. Comme s il ne leur suffisait pas de manger leurs cadavres, ils refusent en outre de les partager avec les autres. Et l on parle de leurs propres enfants. Cette insistance inquiète. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 7/15
8 Rachi donne deux explications du phénomène: רששש""""ש פרק כח פסוק נד דברים י אף על פי שהוא מפונק ודעתו קצה בדבר מאוס, ימתק לו לרעבונו בשר בניו ובנותיו עד כי תרע עינו בבניו הנותרים מתת לאחד מהם מבשר בניו אחיהם אשר יאכל. דבר אחר: הרך בך הרחמני ורך הלבב, מרוב רעבנותם יתאכזרו ולא יתנו מבשר בניהם השחוטים לבניהם הנותרים. Rachi "Le plus sensible parmi vous et le plus délicat": Bien qu il soit raffiné et qu il éprouve du dégoût devant une chose répugnante, la chair de ses fils et de ses filles lui paraît si délectable, tant il souffre de la famine, qu il regardera méchamment ses enfants survivants en ne partageant pas avec eux la chair de leur frère qu il est en train de manger. Autre explication: "Le plus sensible parmi vous et le plus délicat" désigne: "celui empli de commisération et qui a le cœur tendre". Il deviendra cruel tant il souffrira de la famine, et il ne partagera pas la chair de ses enfants égorgés avec ses enfants survivants. Rachi Rabbi Chelomo Ben Yits haq, Né à Troyes en 1040, mort à Troyes en Le plus éminent commentateur de la Tora et du Talmud. Chef et modèle de l'école française (10ème au 14ème siècle). Il suit le plus généralement le sens littéral, mais cite souvent le Midrach. Selon la première explication, la Tora insiste sur la férocité de l appétit des affamés, qui provoque un tel plaisir lorsqu enfin ils mangent, que même la chair de leurs propres enfants morts leur est délectable. Le comble de l horreur est atteint lorsque, conscients de cet ineffable plaisir, ils sont tellement serfs de leur appétit qu ils refusent de partager cette odieuse nourriture avec leurs enfants vivants. Se voyant agir ainsi, les hommes se maudissent eux-mêmes. Pourtant, et nous reviendrons sur cette question, ils ne maudissent pas leur vie et conservent leur attitude antérieure. Selon la seconde explication, toute forme de compassion disparaît du cœur humain, chacun dévore sa part en cachette des autres, pour ne pas avoir à partager. Cruauté décisive: ils ne partagent pas le cadavre de leurs enfants avec leurs autres enfants. Et là encore, ils gardent leur attitude antérieure et poursuivent leur guerre. Il faut, en effet, s attarder à l examen du premier problème psychologique soulevé: les conditions dans lesquelles un être humain est réduit à consommer la chair humaine. Le cas des assiégés n est pas exactement un cas de force majeure. Il est provoqué par l obstination des habitants de la ville qui refusent la perte de leur liberté. Chacun des assiégés est donc la proie d un débat psychologique et moral entre son obstination à se battre pour ses biens et sa liberté, et la déchéance morale à laquelle il est réduit. Allons plus loin: supposons qu ils résistent pour sauver leur vie, supposons que l ennemi veut leur mort. Ils risquent donc leur vie s ils se rendent aux assiégeants. Il leur faut pourtant supporter leur choix moral et accepter l abjection qui les brise. Problème infernal que les juifs survivants des camps, Sonderkommando et autres nettoyeurs, vécurent il n y a guère sous la botte nazie. Jusqu à quel point d abjection un être humain peut-il moralement être réduit pour sauver sa vie? Il est révélateur que la Tora ait choisi l exemple de parents mangeant la chair de leurs enfants. Image inversée du vivant: leurs propres besoins vitaux retournent la générosité initiale des parents en MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 8/15
9 cruauté et en horreur. Donner la vie conduit à l abjection. La vie elle-même semble maudite. Alors surgissent les maladies, les épidémies. La vie se rétracte, s abîme. La chair devient répugnante. Toutes les plaies d Egypte, "objet de ta terreur" (v.60), se réalisent. Alors que la vie s accrochait à l espérance, elle s effondre. Suprême menace, les plaies d Egypte, instrument de leur délivrance, se retourneront contre eux. דברים פרק כח פסוק ס רשששש""""י אשר יגרת מפניהם: מפני המכות כשהיו ישראל רואים מכות משונות הבאות על מצרים היו יראים מהם שלא יבואו גם עליהם ( ) אין מיראין את האדם אלא בדבר שהוא יגור ממנו. Rachi "Objet de ta terreur": il s agit des plaies. Quand les enfants d Israël voyaient des plaies inouïes s abattre sur l Egypte, ils avaient peur qu elles ne s abattent sur eux aussi ( ) On ne menace quelqu un que de ce qui le terrorise. 3. EXIL ET ANGOISSE Les villes d Israël finissent par être prises. La confiance qu ils plaçaient dans leur armée et leur fortification est vaine. Ils sont vaincus et le pays est occupé. Les enfants d Israël sont alors déportés en captivité. Avant même leur entrée en terre promise, la Tora les menace de les exiler. Il ne suffit pas, en effet, d habiter le pays et de bâtir des forteresses. Il faut savoir y vivre la parole divine. Car leur occupation du pays n a d autre sens ni d autre cause que celle-là. Tout comme les précédents occupants du pays furent expulsés du fait de leurs mauvaises mœurs, les enfants d Israël, à leur tour, sont prévenus des conditions de leur entrée dans la terre promise. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 9/15
10 כח' ב סבבב'''' דברים סטטט''''ט סב ו נ ר ם מ ת י מ ע ט ח ת א ר ה י ית ם כו כ ב י ה מ י ם ל ר ב י- א מ ע קו ל י הו ה א ה י. סג ו ה י ה א ר- י ה ו ה ע ל יכ ם ל ה יט יב א ת כ ם ל ה ר ו ת א ת כ ם ן י י ה ע ל יכ ם ל ה א ב יד א ת כ ם ל ה מ יד א ת כ ם ו נ ח ם מ ע ל ה א ד מ ה א ר- א ה ב א- ה ל ר. סד ו ה פ יצ ה כ ל-ה ע ים מ ק צ ה ה ר ץ ו ע ד-ק צ ה ה ר ץ ו ע ב ד ם א קים א ח ר ים א ר א- י ד ע א ה ו א ב ת י ע ץ ו ב ן. סה ב ו י ם ה ה ם א ת ר יע ו א- י ה י ה מ נו ח ל כ ף-ר ג ל ו נ ת ן ה ל ם ל ב ר ז ו כ ל יו ן ע ינ י ם ו ד א בו ן נ פ. סו ה י ח י ל א ים ל מ ג ד פ ח ד ל י ל ה ו יו מ ם ו א ת א מ ין ח י. סז ק ר אמ ר מ י-י ן ע ר ב ב ע ר ב אמ ר מ י-י ן ק ר מ ח ד ל ב ב א ר פ ח ד מ ר א ה ע ינ י א ר י ל ר ר מ א ר א נ ו ת ה מ צ ר י ם יב ר א ה. סח ו ה א-ת ס יף עו ד ל ר א ת ו ה ת מ ר ם ם ל א י ב י ל ע ב ד ים ו ל פ חו ת ו א ין ק נ ה. סט א ה ד ב ר י ה ר ית א ר-צ ה ה א ת- מ ה ל כ ר ת א ת- נ י י ר א ל א ר ץ מו ב מ ב ד ה ר ית א ר- ר ת א ם ח ר ב. Pentateuque Deutéronome ch. 28, v. 62 à 69, (דברים (Devarim Deutéronome 28, Et vous serez réduits à une poignée d'hommes, après avoir égalé en multitude les étoiles du ciel, parce que tu auras été sourd à la voix de l'éternel, ton Dieu. 63 Alors, autant l Éternel s'était plu à vous combler de ses bienfaits et à vous multiplier, autant il se plaira à consommer votre perte, à vous anéantir; et vous serez arrachés de ce sol dont vous allez prendre possession. 64 Et l'éternel te dispersera parmi tous les peuples, d'une extrémité de la terre à l'autre; et là tu serviras des dieux étrangers, jadis inconnus de toi comme de tes pères, faits de bois et de pierre. 65 Et parmi ces nations mêmes tu ne trouveras pas de repos ni d endroit où poser la plante de ton pied; là, l Éternel te donnera un cœur effaré, il consumera tes yeux, l'angoisse dans ton âme. 66 Ton existence flottera incertaine devant toi, tu trembleras nuit et jour, et tu ne croiras pas à ta propre vie! 67 Tu diras chaque matin: "Que ne fût-on encore hier soir! " Chaque soir tu diras: "Que ne fût-on encore le matin!" Si horribles seront les terreurs de ton cœur et le spectacle qui frappera tes yeux. 68 Et l Éternel te fera reprendre, sur des navires, le chemin de l'egypte, cette route où je t'avais dit que tu ne repasserais plus; et là vous vous offrirez en vente à vos ennemis comme esclaves et servantes, mais personne ne voudra vous acheter! 69 Tels sont les termes du pacte que l'éternel ordonna à Moïse d'établir avec les enfants d'israël dans le pays de Moab, indépendamment du pacte qu'il avait conclu avec eux au Horeb. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 10/15
11 Au sens d être arraché à quelque chose, Rachi et Ibn Ezra renvoient :ו נ ח ם tous deux à Proverbes 15, 25. : א Selon Saadia Gaôn, tu ne trouveras aucune confiance, aucune ת ר יע assurance; selon Rachi, tu ne trouveras pas de repos. épouvanté". Selon Rachi et Onkelos, "un cœur :ל ב ר ז "Tu espères une délivrance qui ne vient pas" (Rachi); voir le :כ ל יו ן ע ינ י ם vocabulaire dans la première partie de l étude. Nous suivons l explication de Rachi, selon laquelle le matin on :ע ר ב מ י- י ן regrette le soir d hier et le soir on regrette le matin passé; "car les souffrances ne font que s aggraver et chaque heure qui passe la malédiction grandit". Mais selon Rachbam, il s agit du sentiment des gens souffrants et malades, qui attendent que passe rapidement le temps. C est donc l inverse: le soir il attend le matin suivant, et au matin il attend que le soir vienne. C est une forme réfléchie: "vous vous vendrez". Rachi et Ibn Ezra :ו ה ת מ ר ם insistent qu il serait incorrect de traduire par "vous serez vendus" (malgré Onkelos), puisqu il est écrit ensuite que "personne ne voudra vous acheter". INTERPRETATION: Curieuse notation: Dieu se réjouit désormais du malheur des juifs, il en rajoute pour les anéantir. Il s agit, certes, d une image Dieu ne s amuse pas du malheur des hommes. Et Rachi explique avec raison qu il faut lire ce verset dans une perspective causale et non au niveau direct: Rachi רששש""""ש דברים פרק כח פסוק סג' י כן ישיש ה': את אויביכם עליכם להאביד וגו'. "Autant l Eternel se plaira": Il réjouira vos ennemis à votre sujet en causant votre perte, etc. Mais la notation demeure. Selon Rachi, il reste que Dieu façonne le cœur des persécuteurs. Il leur rend joyeux le malheur de leurs victimes, qu ils violentent et tuent dans la joie. Il ajoute ainsi la dérision aux souffrances, et rend plus cruel le destin des persécutés. Drôle de retour d une joie évincée sous la pesanteur des attitudes religieuses et des poses pieuses. Toute joie a déserté Israël, il ne lui reste plus qu une servitude rendue plus implacable par le plaisir qu en tirent leurs persécuteurs, heureux de voir le peuple élu mortifié et humilié. Ibn Ezra amortit un peu la violence de ce propos. La Tora ne mentionne ici la joie divine que pour faire bien entendre que rien ne peut l atteindre, et qu il ne punit pas Israël par colère ou ressentiment. Il n est pas atteint par les actes humains. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 11/15
12 דברים פרק כח פסוק סג' ראב"ע וטעם כאשר שש: שלא תחשוב כי יזיק לשם או יתאבל, כטעם אם צדקת מה תתן לו. Ibn Ezra Abraham ibn Ezra ( ) Un des plus éminents érudits juifs de l Âge d Or espagnol. Il suit le sens littéral. La signification de "autant l Eternel se plaira" est que tu n imagines pas que cela nuirait à Dieu ou qu il s en endeuillerait, comme l expriment les mots: "Si tu es juste, qu est-ce que cela lui apporte? " (Job 35, 7) En fait, Ibn Ezra a rendu le problème plus profond encore. La "logique" dénuée de passion qui impose la servitude, la terreur et l exil aux hommes, est celle d un entendement qui n a rien d humain. La démesure dont use la Providence montre bien la difficulté d une entreprise d alliance entre Dieu et les hommes. Rien n est plus compréhensible que la fuite éternelle des hommes devant un pacte conduit dans une telle disproportion, non seulement des moyens mais aussi des fins. Il y a deux niveaux d interprétation de ce passage, mais ils finissent par se croiser et se rejoindre. Le premier niveau est celui de la démesure littérale exprimée par les versets: terreur, effarements, angoisse. Ce niveau de lecture est aussi littéralement celui de certaines périodes historiques de l histoire juive, dans lesquelles domine la persécution. C est ainsi que Rachi explique le doute existentiel qui s exprime par les mots "ton existence flottera incertaine devant toi" (V.66): "peut-être vais-je périr aujourd hui par l épée? " Mais il rapporte aussi à ce propos et à propos de l expression qui la suit, l interprétation du Talmud: רששש""""ש דברים פרק כח פסוק סו' י חייך תלואים לך (... ( רבותינו דרשו זה הלוקח תבואה מן השוק. ולא תאמין בחייך: זה הסומך על הפלטר. Rachi "Ton existence flottera incertaine devant toi": nos maîtres ont expliqué qu il s agit de celui qui achète son blé au marché (traité Mena hot 103 b). "Tu ne croiras pas à ta propre vie": cela désigne celui dont le pain dépend du boulanger (ibid.). Les sages veulent réduire l effet "littéraire" des prédictions de la Tora. Ils entendent donner aux malédictions divines une portée quotidienne, qui n est pas réservée aux MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 12/15
13 seules situations de persécutions violentes. Le sentiment d incertitude n est pas un événement extraordinaire. Il découle de l absence des garanties auxquelles un homme aime se fier. Il ne s agit plus ici des illusions de garanties prises sur le compte de la providence divine, à coups de forces armées et de forteresses blindées. Il s agit de l assurance tranquille qui fonde la confiance d un homme en lui-même, et le rend libre à l égard des autres. Un homme n est libre que s il peut compter sur son pain quotidien sans le besoin des autres. Sinon, il tombe forcément dans servilité et la bassesse. L esclavage n est pas uniquement le fait d un maître s emparant d un homme et le traitant comme une bête de somme. Etre esclave c est aussi dépendre quotidiennement de la bonne volonté des autres pour manger chaque jour. Tel est le sort de celui qui n a plus de terre à cultiver, qui achète le blé dont il a besoin au marché. Pire encore, le sort de celui qui ne peut qu acheter le pain du boulanger. En regard de la famine et des actes d anthropophagie décrits plus haut, il s agit de peu de choses. Mais ces choses sont quotidiennes, durables et elles fixent les conditions matérielles de la vie. L industrialisation et la prolétarisation ont aujourd hui vidé les campagnes dans de nombreux pays du monde. Ce mode de vie est donc devenu aujourd hui la norme de la plupart des hommes. On n imagine plus aujourd hui l individualisme d antan ni la tranquille assurance du paysan, certes dépourvu de moyens face à la nature, mais très attaché à sa liberté individuelle face aux autres hommes. La malédiction que décrivent les sages est moins bruyante et moins brutale que la Tora ne semble le dire, mais elle est davantage consistante. Elle dénonce à l avance la servitude sociale qui naît inexorablement des sociétés de masse, dans laquelle l existence de chacun dépend du bon vouloir des autres. Ce que met en relief la conclusion étrange, par laquelle se concluent les malédictions: "vous vous offrirez en vente à vos ennemis comme esclaves et servantes, mais personne ne voudra vous acheter" (V.68). On voit que l interprétation des sages rejoint le sens littéral de la Tora: même un esclave peut ne pas trouver d acheteur. Le pire, quand on n a plus rien, est que le besoin ou le désir des autres gouverne toute notre existence, sans rémission, sans possibilité de fuite. Lorsqu un être humain est réduit au rang de simple composant dans une société de masse ce qui, dans les sociétés antiques, se limitait au seul statut d esclave, et touche tous les hommes sans exception dans les sociétés modernes il ne lui reste, en propre, littéralement rien. 1. A plusieurs reprises dans la Bible, les malédictions de la Tora échappent à leur matérialité et à leur seule dimension de punition pour devenir une sorte de témoignage symbolique. Par exemple, ici, le verset 46: "[Ces malédictions] s'attacheront, tel un symbole et un prodige, à toi et à ta postérité, pour toujours". Sa signification est différente de celle du verset 37 plus haut, stipulant que "tu deviendras l'étonnement, puis la légende et la risée de tous les peuples chez lesquels te conduira l Éternel". Certes, les deux énoncés font référence au regard des nations sur le destin d Israël. Ils expriment l étonnement des peuples devant un destin particulièrement cruel. Mais le verset 37 exprime seulement l exemplarité du destin d Israël aux yeux du monde. Le verset 46 va plus loin: il implique que cette MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 13/15
14 exemplarité recèle une valeur symbolique, dérivant d une causalité non naturelle. Comme si les peuples du monde percevaient la providence divine à travers le destin historique brutal et sanglant du peuple juif. Ce trait donne l occasion de réfléchir à la notion de "peuple maudit". Même si nous éprouvons une grande réticence à nous percevoir ainsi, c est pourtant le portrait de nous que dresse la Tora. 2. La causalité liant un rapport obséquieux aux préceptes de la Tora et l assujettissement à un peuple de maître impudent et cruel pose un problème. La Tora se montre ici sans pitié pour le pauvre homme qui agit sous l emprise de la crainte ou de la tradition, et ne peut ou ne veut faire de ses préceptes l occasion d une rencontre vraie et d un enseignement. Comme si la réquisition de la Tora exigeait une grandeur de l humanité dont on sait à l avance qu elle échappe à la majorité des hommes. Les sections Netsavim et Haazinou sont en germe ici. 3. Au verset 64, il est écrit que "tu serviras des dieux étrangers, jadis inconnus de toi comme de tes pères, faits de bois et de pierre". Il est étrange que l idolâtrie, qui est reproché à Israël et constitue l une des causes, sinon la principale raison, des châtiments qui les frappent, devienne ici une punition. Il faut un grand sens moral pour être peiné par l idolâtrie de ces "dieux inconnus" qui fascinent régulièrement les jeunes et les sots, et pour comprendre que le goût de la nouveauté et la fascination de l étrange est une malédiction. Rachi rapporte une interprétation midrachique à ce sujet: רש"י דברים פרק כח פסוק סד' ועבדת שם אלוהים אחרים: כתרגומו, לא עבודת אלוהות ממש אלא מעלים מס וגולגליות לכומרי עבודה זרה. Rachi "Tu serviras des dieux étrangers": il ne s agit pas, selon le Targoum Onqelos, d une véritable idolâtrie, mais de l imposition de taxes et de capitations au profit des prêtres du paganisme. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 14/15
15 Nous avons voulu lire soigneusement cette section, en détail, pour en saisir l enjeu global. Celui-ci se formule d une seule manière: le mode d être de la providence ou de l ordre instauré par Dieu en regard du respect de son enseignement, ne laisse aucune place possible à la dérobade. C est ce qui fait son côté "odieux" auprès des hommes, qui ne peuvent accepter pareille tarification du péché. On tire ici l impression que les hommes sont futiles, tout leur est occasion de jouer, seul Dieu est sérieux. L alliance est terriblement sérieuse. Au point d être aussi, pour une part, illustrée par les malédictions, absolument inhumaine. Cet aspect repoussant doit perdre son affect psychologique pour être analysé en tant que tel, c est-à-dire, en tant que symptôme inexorable de la transcendance divine. Face aux énoncés qui se déploient ici, il n est en effet que deux attitudes possibles. Celle, effrayé et repoussé, de l homme qui, craignant pour son sort, récuse l idée même d une alliance de cette sorte. C est globalement l attitude du monde moderne et de la plupart des juifs contemporains. Et celle qui, dans les abîmes de la malédiction, observe encore la démesure divine qui signe la splendeur noire de sa transcendance. Ce fut le choix des juifs de l époque du désert, qui acceptèrent et scellèrent cette alliance pour eux et tous leurs descendants. On sait comment la philosophie contemporaine se divise relativement à l humanisme: l être se déploie-t-il pour l homme, le monde lui fait-il place, ou bien ne compte-t-il pour rien (ou presque) dans le déploiement de l être, de la nature et du cours du monde? L homme de Tora ne peut pas plus que le philosophe se dérober au dilemme et il lui faudra nécessairement porter ce chapitre de la Tora au registre d un antihumanisme rigoureux. Que la Tora ne se réduise pas à cela est une évidence, mais elle emporte cependant avec elle, dans son discours le plus explicite, une part d antihumanisme incontournable et lourd de conséquences. La démesure divine apparaît ici dans son évidence inhumaine, pour définir un pacte et une alliance entre Dieu et les hommes. L oubli de cette démesure, la censure moderne de l antihumanisme de la Tora, appartiennent aux errements dénoncés par ce chapitre. Il importait avant tout de restituer cette démesure, car elle précède toute réflexion sérieuse sur la providence et la bonté divine. MELAMED - HOUMACH - KI TAVO - BÉNÉDICTIONS ET MALÉDICTIONS (2) - 15/15
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