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1 INCIDENCES DE LA LOI DU 26 AVRIL 2007 SUR LE FONCTIONNEMENT DE LA COUR D APPEL DE BRUXELLES Henry Mackelbert Conseiller à la cour d appel de Bruxelles 1. INTRODUCTION A en croire les déclarations de la ministre de la Justice et d éminents représentants du Conseil supérieur de la Justice, il paraît qu il n y aurait plus d arriéré judiciaire ou qu à tout le moins, il est en très bonne voie de résorption dans toutes les juridictions du Royaume sauf à la cour d appel de Bruxelles. Contrairement à une idée reçue, l arriéré se résorbe aussi à la cour d appel de Bruxelles, puisqu en 2002, le délai d attente pour qu une affaire puisse être plaidée était en moyenne de 31 mois, qu en 2005 il était de 22 mois et qu en 2006 il n était plus que de 18 mois. Je puis vous dire que l effet de la nouvelle loi sera catastrophique pour notre cour, car il est à craindre que le délai d attente pour les affaires qui seront fixées à partir du 1er septembre 2007 sera de 20 à 24 mois. 2. BONNES PRATIQUES ACTUELLES Si nous sommes parvenus à réduire l arriéré judiciaire de 58% en cinq ans, c est grâce, d une part, au travail important réalisé par les magistrats et, d autre part, à la restructuration de la chambre d introduction élaborée par notre premier président M. Delvoie. Traiter les magistrats de «paresseux» témoigne de l ignorance du personnel politique qui ne lit pas nos rapports de fonctionnement. S ils s en étaient donnés la peine, ils sauraient que depuis 5 ans, à la cour d appel de Bruxelles, le rapport entre les affaires «sortantes» et les affaires «entrantes» est de 150%, ce qui démontre les efforts accomplis. Unité de droit judiciaire - - 1

2 Ce que la nouvelle loi met à mal, ce sont les bonnes pratiques de la mise en état, en vigueur depuis l année judiciaire , qui ont permis d atteindre les résultats dont je viens de faire état. Je crois qu il n est pas inutile de les rappeler. A l audience d introduction, les parties sont invitées à remplir un formulaire dans lequel elles indiquent le calendrier d échange de conclusions qu elles ont arrêté de commun accord et la durée de plaidoiries qu elles souhaitent. Celui-ci est immédiatement encodé par un employé du greffe. Le procès-verbal est dressé et envoyé séance tenante. Les avocats peuvent envoyer ces calendriers avant l audience et donc faire acter leur accord «sans déplacement». Le président n intervient que s il y a des difficultés au niveau du calendrier. S il y a une contestation sur le principe ou sur la durée des délais, il tranche. Une partie ne peut pas imposer un renvoi au rôle en s abstenant de venir à l audience d introduction. Ce n est qu en cas d absence des deux parties que l affaire est renvoyée au rôle. Même dans ce cas, les parties peuvent, à tout moment, soumettre à la cour, par simple lettre, un calendrier d accord, qui sera entériné «sans déplacement» des avocats, lors de la première audience utile. Tout est donc mis en œuvre pour éviter du travail inutile aussi bien pour les parties et leurs avocats que pour la cour, ce qui évite ainsi de devoir rédiger et notifier des centaines, voir des milliers d ordonnances selon la procédure lourde prévue à l article du Code judiciaire. L affaire n est pas immédiatement fixée mais inscrite sur la liste d attente de la chambre spécialisée à laquelle elle sera distribuée dès que les délais pour conclure sont expirés. Il est alors possible de consulter sur Internet l époque probable à laquelle elle pourra être plaidée, par exemple «octobre 2008». Il en est de même pour les affaires fixées en application des autres procédures de fixation ( 750 1, 750 2, 751 ), ceci pour garantir un traitement égal (application de l article 4 du CJ) indépendamment de la procédure suivie pour obtenir la fixation. Il n est fait exception que pour les affaires urgentes (débats succincts et autres) qui sont fixées «dans le circuit rapide», sans transiter par la liste d attente et donc dans les semaines, voir même les jours qui suivent la date d expiration des délais pour conclure. Lorsque toutes les conclusions ont été échangées, c est le président de la chambre spécialisée qui fixe les affaires en fonction de leur ordre d inscription dans la liste d attente ou du degré d urgence, et rectifie, au besoin, le temps de plaidoiries demandé en prenant en considération l ampleur réelle des débats. Unité de droit judiciaire - - 2

3 Les rôles ne sont remplis que pour 4 mois. Le rôle reste libre au-delà de cette période, ce qui permet donc de fixer les affaires urgentes, notamment celles qui sont visées à l article 1066 du Code judiciaire ou de mettre rapidement en continuation une affaire préalablement plaidée. Ce système a fait incontestablement ses preuves. 3. NOUVELLES CONTRAINTES IMPOSEES A LA COUR Il est vrai qu avec notre système les parties ne connaissent pas, à l introduction, la date précise à laquelle leur affaire sera plaidée. Mais en consultant la liste d attente, ils savent, à un mois près, quand ils pourront plaider. Est-ce tellement différent? Un avantage réel du système est que la prévision de la date de plaidoirie n est pas vraiment figée : si les choses évoluent favorablement (comme c est actuellement le cas) ou, par exemple, lorsque tout d un coup intervient une augmentation du cadre ou une diminution du nombre d affaires à traiter (par exemple le transfert de la compétence en matière de règlement collectif de dettes), la date de plaidoirie peut être avancée. En revanche, quels sont les problèmes que nous allons rencontrer dans l avenir? i. Chaque chambre devra dans les prochaines semaines et avant le 1er septembre fixer les quelques affaires qui sont en état d être plaidées et qui se trouvent sur les listes d attente. Il s agit d un travail administratif considérable. ii. La loi n a pas pris en compte l obligation prévue à l article 1066 du Code judiciaire de fixer en priorité les affaires urgentes. Cela implique qu il faudra réserver un certain nombre d audiences par mois pour ce type d affaires, sans avoir l assurance qu elles seront remplies. Il sera impossible de combler les trous en avançant la fixation d une affaire ordinaire puisque, par définition, ces affaires seront en cours de mise en état, les dernières conclusions ne devant être déposées que trois mois avant la date de plaidoiries. Il y a donc un risque important d audiences blanches, ce qui allongera d autant le délai d attente. iii. Si l on suit scrupuleusement la loi, les réouvertures des débats et les mises en continuation ne pourront avoir lieu que dans les deux ans. Or, que fait-on actuellement? On fixe une réouverture des débats très rapidement pour 10 ; à l audience les parties conviennent d un calendrier de conclusions et estiment le temps de plaidoiries complé- Unité de droit judiciaire - - 3

4 mentaire ; l affaire est alors fixée dans les quatre mois puisque les rôles ne sont pas encore remplis au-delà de cette période. Il en est de même pour les mises en continuation. Si on veut conserver ce système souple, ce type d affaire ne pourra être fixé qu à des audiences qui seront spécialement réservées à cet effet, ce qui retardera d autant la fixation des affaires ordinaires. iv. Il n existe actuellement pas de système informatique permettant au magistrat présidant la chambre d introduction d indiquer la première date utile au cours de laquelle les parties pourraient disposer du temps de plaidoirie demandé. L application de l article 747 1er nouveau du Code judiciaire est donc rigoureusement impossible. v. Quant à la mise en état prévue au 2, pour les mêmes motifs, il appartiendra au président de la chambre d introduction qui doit rendre l ordonnance de fixation, soit de prendre préalablement contact avec le président de la chambre spécialisée afin de lui demander la première date utile, soit de consulter lui-même le rôle de celle-ci. A défaut d adaptation du système informatique, la recherche de cette date sera particulièrement fastidieuse, car le système ne permet pas actuellement de dire quand il y aura, par exemple, 30 de libre. Le greffier sera contraint de passer en revue toutes les fixations, jour par jour. vi. Le nouveau système ne permet plus au président de la chambre spécialisée d adapter la durée de plaidoirie demandée par les parties puisque la fixation doit intervenir avant la rédaction des conclusions. Et que dire lorsque la fixation interviendra d autorité en l absence des parties, ce qui risque de devenir le quod plerumque fit, dès lors que les parties n ont plus aucun intérêt à se déplacer à l audience d introduction. Comment évaluer ainsi, à l aveugle, sur le simple acte d appel (qui peut tenir en deux trois lignes) le temps nécessaire pour entendre utilement les parties? Il existe donc un risque certain qu il faudra prévoir des mises en continuation ; mais aucune date ne sera plus libre avant deux ans, à moins de les fixer en même temps que les affaires urgentes, pour lesquelles les audiences préalablement prévues ne sont cependant pas extensibles. vii. Actuellement, seul un PV d audience est rédigé, valant ordonnance. Il contient le calendrier d échanges de conclusions. La nouvelle loi impose en outre l établissement d une ordonnance. Le travail administratif est ainsi multiplié par deux. Par ailleurs, cette ordonnance devra être notifiée aux parties, alors qu aujourd hui on se contente d envoyer aux avocats une copie du PV. Nouvelle surcharge pour le greffe. Et que dire lorsqu il y a parties, comme c est le cas dans un dossier récent. Unité de droit judiciaire - - 4

5 Ces quelques exemples démontrent que l application de la nouvelle loi aura un effet pervers et aggravera très certainement l arriéré judiciaire. Je crois savoir que notre Premier Président étudie actuellement des solutions alternatives et pragmatiques qui pourraient s inscrire dans le cadre très contraignant de la loi. Mais il est encore trop tôt pour vous dire ce qu il en est. 4. DELAI DU DELIBERE Dans une chambre collégiale, il est, en règle, strictement impossible de prononcer un arrêt dans le mois. En effet, après un pré-délibéré, qui peut parfois prendre plusieurs jours, le dossier est confié à un des membres du siège qui est chargé de rédiger un avant-projet. Le dossier complet est ensuite transmis successivement aux deux autres membres du siège qui ne manquent pas de formuler leurs observations. Il n est pas rare qu à l issue de ce premier tour, un nouvel avant-projet doive être rédigé. Le tout doit ensuite être correctement mis en forme, collationné, signé et prononcé à une date où la chambre siège. Comment faire tout cela en un mois, tout en continuant à siéger dans les autres affaires? Il faudra donc s attendre à ce que ce délai soit systématiquement reporté à deux ou à trois mois et que les magistrats utiliseront la faculté qui leur est réservée de «retarder» d emblée le prononcé, en motivant les causes du retard. Mais cette motivation deviendra inévitablement répétitive et de pure forme. A moins qu à l issue des débats, l affaire soit mise en continuation afin de permettre au siège d étudier le dossier et vérifier s il n est pas utile de déposer des pièces supplémentaires ou communiquer des informations complémentaires. A l audience de remise, le président aura ainsi une vue plus complète du dossier et de la charge de travail des membres du siège. Il sera alors mieux à même de donner une date précise pour le prononcé. Unité de droit judiciaire - - 5

6 5. SANCTIONS EN CAS DE DEPASSEMENT DU DELAI DE DELIBERE La cour d appel de Bruxelles a déjà mis en œuvre des «bonnes pratiques» pour veiller à éviter une prolongation anormale du délai du délibéré. Après deux mois, le greffier dresse la liste des affaires qui sont toujours en délibéré. Après quatre mois, le premier président adresse au magistrat une lettre l invitant à s expliquer et à prendre les mesures nécessaires sous le contrôle du président de la chambre. Pourquoi avoir réduit ce délai prétorien de deux mois à un mois et ne pas avoir tenu compte de la spécificité des chambres collégiales? Cette obligation administrative mensuelle provoquera une surcharge de travail inutile. En effet, selon mes statistiques, seuls 20 à 25 % des arrêts sont prononcés dans le mois. Sous peine de bâcler la motivation et provoquer des pourvois en cassation sur la base de l article 149 de la Constitution, il est illusoire de croire que la situation va considérablement s améliorer.. La liste dressée dès le premier mois ne sert à rien. Il n en est pas de même en ce qui concerne l obligation faite à chaque magistrat d aviser son chef de corps que le délibéré s est prolongé au-delà de trois. C est une bonne chose qui existait déjà dans l ancien texte. Mais pourquoi avoir mis sur pied une convocation obligatoire par le premier président et la rédaction par lui d un procès-verbal? N est-il pas le mieux à même de juger ce qu il y a lieu de faire? Toujours selon mes statistiques, il y aurait entre 25 et 30% d arrêts prononcés dans un délai qui dépasse trois mois, surtout dans les chambres qui doivent traiter les affaires les plus compliquées et dans lesquelles les parties ont échangé des centaines et des centaines pages de conclusions. Compte tenu du fait que la cour a traité dossiers civils en 2006, cela fait entretiens obligatoires. A raison de 15, temps de rédaction du PV compris, cela obligera le chef de corps à consacrer à ces entretiens, soit 320 heures par an ou 32 h par mois ou encore 8 h par semaine. Je crois qu il est inutile d aller plus loin pour démontrer le caractère inutilement bureaucratique et démagogique de ce projet de loi. Et je ne parle pas du caractère vexatoire d obliger trois magistrats et un greffier à se déplacer pendant leurs vacances (qui ne concordent pas toujours) pour prononcer les arrêts ou reporter le délibéré, dès lors que le délai d un mois n est pas suspendu pendant les vacances judiciaires. Unité de droit judiciaire - - 6

7 6. AUDIENCE INTERACTIVE Je suis un grand partisan de ce type d audience. J ai procédé à l un ou l autre essai, mais je me suis, à chaque fois, heurté à la réticence des plaideurs, frustrés de ne pouvoir exposer tout ce qu ils avaient préparé. Cette mesure ne pourra être mise en forme qu avec la collaboration du Barreau dans un esprit win-win. Avocats et magistrats, nous pouvons réaliser beaucoup de choses ensemble pour accélérer le traitement d un dossier, comme par exemple la mise au point de conclusions structurées. Mais tout cela mériterait un autre colloque. Bruxelles, le 25 mai 2007 Unité de droit judiciaire - - 7