Julien Papa, ou l humour comme porte de sortie

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1 Julien Papa - Julien Papa Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa Julien Papa - Julien Papa Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa Julien Papa - Julien Papa Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa Julien - Papa - Papa - Papa - Papa - Papa - Papa - Papa - Julien Papa - Julien - Julien - Julien - Julien - Julien - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa Julien Papa - Julien Papa UN HUMANISTE WALLON Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa - Julien Papa

2 Julien Papa, ou l humour comme porte de sortie

3 ÉDITO Dans le Panthéon de la laïcité à Namur Le rire, les larmes, le courage, la force de la parole qui témoigne, l attention constante, l engagement désintéressé, la curiosité insatiable et surtout cette immense capacité d indignation, ce courage de dire NON, quoiqu il en coûte. Mais un NON qui existait grâce, ou à cause, de tous ces «OUI». Oui à la vie. Oui à l amour désintéressé. Oui à l amitié fidèle. Oui au soleil dans les yeux, au regard curieux, à l étincelle malicieuse. Oui au geste tendre, aux paroles d apaisement. Oui encore aux convictions profondément ancrées, au souvenir qui permet de reconstruire, au devoir de mémoire. Julien Papa a témoigné fortement, sans se complaire dans des souvenirs tristes, mais en puisant sans cesse dans les leçons du passé le courage et la force de semer encore et encore les graines de la force, de la sagesse et de la beauté. Il n y avait pas de part d humanité qui lui ait été indifférente. Sa grande capacité d écoute, son immense sensibilité aux souffrances et aux détresses, son refus de l hypocrisie et des faux-fuyants, la certitude qu une humanité meilleure et généreuse est possible, sa parole parfois drôle, toujours forte Julien Papa a mené une vie fertile, convainquant et entraînant dans ses réalisations des générations de plus jeunes : les valeurs ne se bradent pas, les hommes, parfois capables de l indicible, sont également porteurs d espoir, d amour, d humanisme. Les Amis et Disciples de François Bovesse et la Maison de la laïcité de Namur sont fiers de présenter ces quelques pages qui rappellent la vie, les engagements, les idéaux d un fantastique laïque namurois. «Ce sont les convictions et la force morale de nos aînés qui donnent du sens à nos engagements présents». Julien Papa occupe une place de choix dans le Panthéon de la laïcité namuroise, parmi toutes les femmes et tous les hommes engagés dans la libre pensée et les luttes pour l émancipation du plus grand nombre. 3 Michel Pauss, Président de la Maison de la Laïcité François Bovesse

4 AVANT-PROPOS Il y a quatre ans déjà, c'était Julien Papa, qui, au nom des Amis et disciples de François Bovesse, signait l'avant-propos de la plaquette consacrée à Léopold De Hulster. Qui d'autre parmi nous aurait pu, mieux que lui, introduire l'évocation du patriote, illustre ami, disparu à jamais dans le brouillard de la nuit d'un camp de concentration nazi? Nous avions pu à cette occasion apprécier notamment l'invitation que Julien adressait à la jeunesse de ne jamais perdre de vue l'importance du combat pour la liberté. Julien était passé par là et savait ce qu'il convenait de ne jamais oublier. Même si au lendemain de 1945, il fallut bien tirer un trait sur le passé dans la volonté de construire des temps de paix nouveaux. Julien, tu étais mon aîné de quelque douze ans. Nous avions fait connaissance l'un de l'autre dans la fin des années cinquante. Il ne nous fallut pas attendre longtemps pour construire ensemble une chaude et bonne amitié et tu devins mon frère aîné pour un demisiècle. Tu m'as donné aussi de connaître un homme de coeur qui a parcouru la planète comme le père de tous les enfants du monde. Tu étais encore attiré par l'art sous toutes ses formes. Mais tu as cultivé à la perfection celui de dire et en particulier dans notre wallon namurois, pour nous laisser deviner finalement combien tu aimais les gens. 4 Je m'en voudrais de ne pas évoquer aussi ton art de la pédagogie dont on peut quand on évoque ton nom, retrouver la trace dans le regard de Stéphanie, Arnaud, Valentine et Charlotte. J'ai aussi connu l'homme intéressé par l'histoire du libéralisme de John Locke à Alexis de Toqueville, que tu as tenu à nous présenter dans ta toute dernière conférence. Au sein de ton Association des Amis et Disciples de François Bovesse, nous retiendrons aussi ton indéfectible amitié pour Robert Gruslin, notre président fondateur, et sa famille. Louis Awoust, Président des Amis et Disciples de François Bovesse

5 JULIEN PAPA QUELQUES REPÈRES CHRONOLOGIQUES 2 OCTOBRE 1919 Naissance de Julien Papa à Andenne Études à l École moyenne pour garçons d Andenne (gréco-latines) 30 JUIN 1936 Diplôme d Instituteur primaire à l École normale de l État à Huy Photographie figurant sur une carte d identité, août Intérimaire dans diverses écoles communales de la région d Andenne 1939 Service militaire dans le 1 er régiment des Chasseurs à pied 1940 Mobilisation, capture sur le front et incarcération 11 JUIN 1940 Démobilisation Instituteur à l École communale d Andenne centre JUIN 1941 Engagement comme militant dans l armée secrète NOVEMBRE 1941 Lieutenant du Corps franc belge «Action militaire» à Andenne 4 JUILLET 1942 Mariage avec Jeanne Spiertz 1 ER SEPTEMBRE 1943 Auxiliaire dans un service de renseignement et d action 7 FÉVRIER 1944 Arrestation à Andenne 6 DÉCEMBRE 1944 Détention au camp de concentration de Flossenbürg 23 AVRIL 1945 Libération à Thierlstein par les forces américaines 14 MAI 1945 Retour en Belgique Instituteur primaire à l école moyenne de Namur Julien et Jeanne au bal Professeur de travaux manuels à l École moyenne de Namur Directeur de l École primaire autonome de L État à Namur 19 JUIN 1961 Naissance de Catelyne Papa à Bombay 7 MARS 1963 Arrivée de sa fille adoptive Catelyne en Belgique Chargé de mission du Ministre-Secrétaire d État à l Éducation nationale 1 ER FÉVRIER 1968 Conseiller au Fonds des constructions scolaires 5 3 NOVEMBRE 1988 Naissance de sa petite-fille Stéphanie 6 AOÛT 1990 Naissance de son petit-fils Arnaud 1 ER NOVEMBRE 1990 Accession à la pension définitive 1995 Participation au TRAIN DES 1000 Christian Delwiche Julien Papa au concours du «Roi des menteurs», septembre DÉCEMBRE 1995 Remise du Prix Blondeau au nom des Associations patriotiques namuroises 1996 Fondation de l ASBL Les Ateliers 5 JUIN 2010 Inauguration des locaux de l asbl Carpe diem 18 JUIN 2010 Décès de Julien Papa.

6 JULIEN PAPA, un humaniste wallon Né le 2 octobre 1919 à Andenne au n 41 de la Rue de l industrie, Julien Émile Ida Ghislain est le fils de Laure et de Félix Clément (dit Julien, lui aussi!). Andennais de souche, les garçons «Pappa» (évoluant en «Papa» par la suite) sont tous de père en fils entrepreneurs en vitrerie, depuis pas moins de deux générations. C est donc tout naturellement que, tout en suivant l exemple familial et en s imprégnant du métier, l enfant est inscrit à l École moyenne de l État pour garçons d Andenne. Des diplômes, Julien Papa en obtient plus d un, laissant souvent libre cours à sa curiosité et à ses passions. Car, comme le révèle son diplôme de fin d études obtenu dans la section gréco-latine (1934), l élève est paraît-il «très intelligent mais travaille par intermittence, n étant guère capable d un effort soutenu». C est pourtant avec succès qu il décroche son diplôme à l École normale de l État à Huy (juin 1938), la vocation d enseignant l ayant finalement rattrapé. Et c est instituteur primaire qu il devient, enchaînant les remplacements et les fonctions dans diverses écoles communales de la région (Andenne, Andenelle, ). Julien Papa et le Train des 1000 à l Institut Félicien Rops, Mais les devoirs dus à la nation le rattrapent. Cet occasionnel ambulancier et auxiliaire de la santé publique, grâce à un diplôme délivré par la Croix rouge de Belgique (1937), effectue son service dans le 1er régiment des chasseurs à pied (1939). Et, sitôt rentré, la guerre frappe déjà à la porte, de sorte que, engagé volontaire, Julien Papa participe à la campagne du 10 au 28 mai 1940 (campagne de Belgique : Anvers-Lys), au grade de sergent candidat sous-lieutenant de réserve. Capturé et fait prisonnier par les Allemands (mai 1940), il redevient instituteur primaire après la démobilisation (juin 1940) et épouse (juillet 1942) celle qui l accompagnera pendant 65 années, Jeanne Élisa Georgette Céline Spiertz. Devenu agent au sein d un service de renseignement et d action (juin 1941), sous-lieutenant de réserve (mars 1943), il commence à militer énergiquement au sein de l Armée secrète (AS) et participe, en tant que résistant armé et lieutenant-chef de secteur du Corps franc belge «action», à de nombreuses missions de recrutement et de sabotage. C est finalement à Andenne que Julien Papa est arrêté par la Geheim Feldpolizei allemande (février 1944) et qu il est incarcéré, avec le statut de prisonnier politique, dans diverses prisons belges (Namur, Saint-Gilles) pendant plusieurs très longs mois. Transféré sans jugement en Allemagne par l application de la loi dite «de nuit et brouillard» (Nacht und Nebel), il transite dans des prisons ou des camps à Ebrach - près de Bamberg et à Nuremberg, avant d être finalement détenu au camp de concentration de Flossenbürg (décembre 1944), en Bavière. Julien Papa, qui se surnommait lui-même le «vitrier de Flossenbürg», sera finalement délivré par les forces armées américaines à Thierlstein en Bavière (avril 1945) après une marche forcée particulièrement éprouvante, puis rapatrié en Belgique (mai 1945). Mais il est de cette race d homme qui, après avoir connu l horreur des camps, refuse de se taire et met son intelligence, son éthique, sa volonté au service des jeunes générations. Commence alors une seconde carrière d enseignant centrée sur Namur où il finit par

7 Julien Papa en exploration! s installer. Grâce à la reconnaissance par le jury central de ses capacités à enseigner les travaux manuels dans l enseignement secondaire (1951), Julien Papa devient instituteur en chef définitif de l École primaire autonome de l État à Namur (1963), chargé de mission détaché au cabinet du Ministre-Secrétaire d État à l Éducation nationale (1966) et, finalement, conseiller au Fonds des constructions scolaires et parascolaires de l État (1968). De nombreux bonheurs viennent illuminer cette vie si bien remplie, dont l arrivée de sa fille adoptive, Catelyne (1964). En outre, des occupations diverses soulignent l extraordinaire curiosité, la formidable énergie et l enthousiasme communicatif dont Julien Papa peut faire très souvent preuve. Ainsi, par exemple, féru d art dramatique et de diction, deux disciplines qu il manie avec talent lors de ses discours et de ses blagues namuroises plus ou moins improvisées (et radiodiffusées ), il obtient de nombreux prix au conservatoire de Namur, dont la médaille du gouvernement dont il était très fier ( )! Son premier rôle? Conquistador! Improvisé auteur, metteur en scène et interprète, il est d ailleurs l un des instigateurs de la première fête de la jeunesse laïque à Namur (1972). Tous les domaines sont pour lui sources d émerveillement, telle la plongée sous-marine, à laquelle il consacre une bonne partie de son temps, au point de mettre en scène une palpitante conférence sous la forme d un montage de diapositives très élaboré (Le monde étrange des «lanceurs de bulles», 1975). Son esprit de découverte l entraînera aussi à voyager un peu partout en Méditerranée (Grèce, Égypte, Turquie, Israël), et surtout en Asie (Corée du Sud, Japon, Philippines, Thaïlande, Inde, Népal, ), rencontrant et soutenant divers orphelinats et associations humanitaires lors de ces périples. Humble ou fuyant les honneurs vains, Julien Papa met son cœur et son énergie au service de tous et à la disposition des plus faibles, assurant avec Nicole à ses côtés, et jusqu à son dernier souffle, des responsabilités dans de nombreuses associations à but social, philanthropique ou éducatif, comme l association L atelier de Jambes (devenue depuis l asbl Carpe diem), permettant depuis 1975 l accueil des personnes handicapées dans des structures adaptées. Animé d une volonté farouche de vivre et désireux se battre à son tour contre l injustice, Julien Papa a choisi de témoigner. Il l a fait tout au long de sa vie, ne rechignant sur aucun déplacement ou aucune prise de parole, pour que la force, la sagesse et la beauté l emportent sur tous les obscurantismes, mais aussi parce que la liberté, l égalité et la fraternité se doivent de triompher sur toutes les dérives de ce monde. Il participe, entre autres, à entretenir et à transmettre constamment le souvenir de la seconde guerre mondiale et des atrocités nazies, dans des opérations telles que Le train des 1000 (1995) ou à l enregistrement de Namur-Auschwitz : voyage aux sources de la mémoire. Julien Papa est revenu de l enfer, marqué, mais nullement déshumanisé par cette captivité et ce traitement brutal. Au contraire, il est entré un jour en résistance et jamais n en est sorti. Maçon, il n a jamais cessé de rester, jusqu à sa mort, ce magnifique passeur de mémoire, un passeur de lumière engagé qui aimait à répéter à l envi, pour toutes les générations : «La vie se comprend par un regard en arrière, elle se réalise par un pas en avant!». Toute une histoire Péripéties aériennes en Thaïlande! 7

8 GUERRE ET RÉSISTANCE Ces gens qui devaient disparaître dans la nuit ou le brouillard Après son service militaire accompli en 1939 dans le 1 er régiment de chasseurs à pied, Julien Papa effectue pendant quelques mois des remplacements dans diverses écoles communales de l entité d Andenne. Mais la guerre le rattrape et c est avec détermination qu il s engage et participe, du 10 au 29 mai 1940, à la campagne de Belgique, dans la 2e compagnie des canons 47/portés de la 5e division d infanterie. 8 Capturé et vaincu, il reste une première fois prisonnier des Allemands jusqu à la cessation des hostilités, le 11 juin Retour donc à Andenne et à ses activités d instituteur ce qui ne l empêche pas de continuer à défendre son pays! Il s engage comme militant dans l Armée secrète (AS), sous le numéro de matricule n Cette organisation clandestine, véritable mouvement armé de la Résistance intérieure belge, est mise sur pied dès août En novembre 1941, il devient lieutenant-chef de secteur du corps franc belge «Action militaire», plus particulièrement dans le groupe «neutralisation», une sous-section de l AS dont l objectif principal est de mener des actions de recrutement. Résistant, il adhère aussi au groupe G, le groupement général de sabotage de Belgique fondé par des étudiants de la faculté polytechnique de l Université libre de Bruxelles. L objectif est simple : organiser le sabotage des installations servant à l ennemi, à travers des opérations ciblées en temps et en heure portant, principalement, sur les lignes de transports allemands. Si ses membres sont armés, ce n est pas pour se livrer à une guérilla contre l occupant, mais seulement pour protéger et mener à bien les diverses opérations. À ce titre de membre du groupe G, Julien effectue plusieurs tâches plus ou moins périlleuses, comme le contrôle d un centre de clarification de Givet, mais aussi diverses missions au centre de l aérodrome de Florennes (base militaire). Il établit ainsi un plan des défenses anti-aériennes. Particulièrement actif, Julien participe au sabotage d une rame de wagons de marchandises en gare de Sclaigneaux et organise un convoi d armes de Gesves (Insepré) jusqu à Bierwart, ce qui ne l empêche pas d épouser Jeanne Spiertz, le 4 juillet Sous-lieutenant de réserve d infanterie depuis le 26 mars 1943, il fait également partie du service de renseignement et d action (Luc)-Marc, en tant qu auxiliaire de deuxième classe. Julien Papa enfant et patriote! Mais le 7 février 1944, Julien fait partie d un groupe de 130 personnes dénoncées auprès de l autorité allemande. Il est arrêté à Andenne par la Geheime Feldpolizei (GFP) en tant que prisonnier politique (dossier n 3036/51/100), conduit à la prison de Namur puis, quelques temps après, transféré à la prison de Saint-Gilles. Il y est brièvement interrogé, et son dossier est alors transmis au conseil de guerre de l Oberfeld-Kommandantur de Bruxelles, sous le n 3/V/392/44. Au cœur de la prison de Saint-Gilles, Julien est incarcéré dans la cellule n 189/B (cantine n 8357). La vie lui semble particulièrement difficile, d autant plus qu il attend toujours un nouvel interrogatoire et des nouvelles de l instruction de son procès! Devant lui, à même la table, trône la petite photographie encadrée de son épouse ô combien chérie, une photo de la taille d une carte d identité sur laquelle elle pose avec un petit air triste, habillée souci du détail! de sa «robe bleu marine avec le petit col en dentelle blanche».

9 Lettre de Julien Papa en prison, à destination de sa famille (15 avril 1944) Julien Papa, jusqu au mois de juin 1944, essaie de tuer le temps, par exemple en raccommodant «à la célibataire» sa chemise déchirée et son pantalon troué, lequel «n a pas la résistance et le moral de son propriétaire», et pour lequel «la détention ne lui vaut rien». Il s adonne même au plaisir du lessivage et des travaux d aiguille! Piètres coutures qui alternent avec de précieuses lectures, dont le Printemps de Sigrid Undset, qu il finit par connaître par cœur à force de les consulter Pour agrémenter cette solitude, Julien ne peut pas compter sur les trop rares informations transmises sur les siens, comme en témoigne une lettre du 15 avril adressée à Jeanne, son épouse : «C était hier le 14 avril, il y a donc 27 ans que tu apparaissais pour faire 22 ans plus tard mon bonheur. J ai pensé à toi toute la journée. ( ) Oui, tu es là. J aurais voulu pouvoir t offrir quelque chose et je ne peux que t envoyer toute ma tendresse, toute mon affection, tout mon amour et te demander d être courageuse et confiante. Je suis sans nouvelles de toi depuis que je suis parti. Ne peux-tu m en donner sans rien de spécial. Je ne doute pas que tu fais de multiples démarches et comme je suis sûr que je suis l objet d une erreur ou d une méchanceté, j espère que tout ira bien. Je pense beaucoup à toi et j attends avec courage et patience». Julien peut aussi compter sur les colis que la famille lui envoie, lui permettant d améliorer un peu son ordinaire : du dentifrice, des médicaments, mais aussi du linge, des tricots ainsi qu un miroir et des lames pour se raser! Seul petit plaisir : les missives de quelques lignes à peine que Julien, tous les quinze jours, peut écrire à destination de sa famille et de ses amis. Il y insiste toujours sur la nécessité absolue de garder, comme lui, «bonne santé bon moral», alors même que l incertitude et la privation des siens le tourmentent. Le 2 mai 1944, il écrit avec beaucoup de sollicitude et d amour à Jeanne, son épouse : «Tout va toujours très bien. Le moral et la santé restent excellents et je ne cesse de penser à vous tous. Je reçois régulièrement tous les colis, merci beaucoup mais je désirerais recevoir de vos nouvelles. ( ) Ma chérie, ne pourrais-tu pas demander l autorisation au bureau de la G.F.P d obtenir une visite. Je ne crois pas qu il me soit interdit d en recevoir. Toutefois, si les circonstances devenaient difficiles et les transports dangereux, je t en prie ne fais plus les déplacements, je préfère me passer de colis que de te savoir en danger, surtout à l heure actuelle avec les bombardements. À la maison, prenez vos précautions, pour vous, pour toi surtout. Faites un abri dans la cave sous le salon ; mettez nos meubles à l abri ainsi que la vaisselle et les cristaux. Mais ceci n a encore qu une importance secondaire, ce qui compte : c est vous trois principalement. 9

10 J espère que ta maman, Jacques et Marilou ont suivi ma vieille idée et qu ils sont venus habiter à Andenne dans l appartement que j avais demandé pour eux chez Henrion. C est une sage précaution et de plus tu ne vivras pas avec l angoisse de te savoir loin de ta maman : tu peux d ailleurs vivre et habiter avec elle. J espère que vous êtes tous en bonne santé et en excellent moral. J espère toujours être réinterrogé bientôt et que, l erreur vite reconnue, je serai de nouveau auprès de toi, auprès de vous pour vous serrer dans mes bras. Il faut attendre ; je commence à savoir ce qu est la patience. Toi aussi, je crois. Ma chérie aie confiance, tout ira bien et comme pour ton anniversaire, le 14 avril, je suis forcé à ne t offrir pour le 1er mai qu un «souvenir» de muguet. Je désire de tout mon cœur être sorti pour, au moins, le 4 juillet, 2e anniversaire de notre mariage. ( ) Ta photo ne quitte pas la table et est toujours devant moi. Prends courage et aime-moi toujours autant que je t aime. Je t embrasse avec tout mon amour. Ton mari, Julien». C est ainsi que Julien, le 6 décembre 1944, commence son séjour en camp de concentration, au cœur même de l ignominie et de l horreur. Au cours du mois de juin, Julien est transféré sans jugement en Allemagne dans la maison d arrêt d Ebrach, près de Bamberg : «C était une maison d arrêt qui était en Bavière. Et là alors nous avons été incarcérés sans savoir exactement quoi. Et nous avons été interrogés par les SS. Ils nous ont demandé de quoi il était question, et nous y sommes restés pendant 5 mois. Et nous avons été obligés de travailler. On travaillait à des montages électriques. Et puis nous sommes partis pour comparaître dans un tribunal spécial à Nuremberg. Et là nous avons été condamnés à mort sous l inculpation de N.N., "Nacht und Nebel". Ces gens devaient disparaître dans "la Nuit et le Brouillard". C était une décision du général Keitel, sur instruction d Hitler. Et nous devions donc Mais la condamnation à mort était avec exécution différée. Ça voulait dire qu on n était pas exécutés tout de suite! Et puis c est comme ça que nous avons été envoyés au camp de Flossenbürg». Carte de prisonnier politique de Julien Papa (20 avril 1948) 10 Julien Papa en compagnie de son beau-frère et de ses camarades, lors de la mobilisation (juin 1944) Carte des états de services de Julien Papa (1945)

11 LE VITRIER DE FLOSSENBÜRG Maintenir un espace de liberté et un espace de dignité En décembre 1944, Julien Papa franchit les portes du camp de concentration de Flossenbürg, situé à 800 mètres d altitude dans le palatinat en Bavière. Depuis avril 1938, au pied des ruines d une forteresse construite par la famille des Hohenstaufen, est édifié un camp de concentration dans lequel les activités sont regroupées autour de deux grands axes : d une part, l industrie de l armement ; d autre part, l extraction et le creusement du granit dans les carrières, auxquelles se rajoutent le creusement de tunnels et d usines souterraines. Pour Julien, dès son arrivée, pas de costume rayé et de tatouage. Mais un interrogatoire musclé, où les lunettes volent en l air sous les coups, et puis le lavoir, l humiliation de la nudité et des cheveux coupés... Pour toute dignité, seulement quelques vieux vêtements sont octroyés sur lesquels des bandes de tissus, cousues sur la veste et le pantalon par le détenu déboussolé, énoncent un unique numéro en guise de nom : B N.N. Un cinglant B tracé dans un triangle rouge, pour le statut de prisonnier politique belge. Un sommaire N.N. pour la condamnation à mort avec sursis Alors Julien, désormais devenu le Belga, commence sa lutte et sa longue résistance, à la recherche d abord d une gamelle, une manuschka arrachée au cadavre d un compagnon déjà mort car, sans cette écuelle, il ne lui restera plus que les mains à tendre pour recevoir sa morne pitance. Et la lutte pour la louche de soupe, ensuite, cette sorte d eau brune brûlante trop clairette, ainsi que le maigre morceau de légume qui y surnage et la ration de 4-5 grammes de pain qui l accompagne. Les particules de pain, elles sont sans cesse recoupées par les kapos et leurs jeunes bediensten sadiques! Et comme la moindre petite parcelle de légume descend toujours dans le fond, tous ces jeunes ne donnent uniquement que le dessus de leur infecte tambouille, alors qu ils conservent le dessous pour eux Que retenir donc de cette ration arrachée par tant d efforts non consentis? Un bien triste constat qui ne manque d ailleurs pas d illustrer toutes les privations ressenties dans la chair : 70 kilos à l arrivée, pour seulement 32 à la libération! Et puis, surtout, s insinuent chaque jour la cruauté et la férocité inouïes des Allemands, qu il s agisse des SS chargés de la bonne organisation générale du camp ou encore des redoutables kapos. Ces derniers, des prisonniers civils et politiques allemands, servaient de chefs des blocs et de surveillants pour les kommandos de prisonniers. Ce qu ils en remettaient, ces prisonniers d intérêt généraux chargés de la surveillance des prisonniers étrangers, sur la seule crainte de l évasion ou simplement pour saper le moral et l espoir! Que dire des corps des désespérés électrocutés et abandonnés sur les fils barbelés de la clôture, en passant par les cadavres cravachés des compagnons pendus, quelques jours après Noël? Autant de victimes innocentes dont la vue bouleversante agrémente sinistrement les stations interminables des prisonniers qui restent debout dans la cour d appel, là où s égrène un décompte fatal jusqu à l invraisemblable. Rien ne manque, au quotidien, pour que l horreur triomphe. Et pourtant, Julien se rappelle : «On a toujours de l espoir l espoir de sortir du camp. Quand? Il y a une chose qu il faut bien se dire. Dans toute cette histoire, un des critères de ma captivité, c est de maintenir un espace de liberté et un espace de dignité. Moi j ai remarqué que celui qui perdait l espoir d être libre un jour, il se laissait vite couler, descendre. Et nous avions dans le camp des gens que nous appelions, d une façon péjorative, des musulmans. Attention, ces musulmans, ce ne sont pas les musulmans que l on connaît ici. Les musulmans, c étaient des gens qui avaient perdu l idée de s en sortir et qui remettaient leur vie à la divinité, à dieu, à Allah. Et alors ils se laissaient aller et ces gens ne vivaient plus pour vivre». Mais la peur est palpable et inévitable, alors même que la durée de vie d un prisonnier, un stücken, n excède pas 5 à 6 mois! gars n y survivent pas 11

12 12 Birkenau (photographie de Julien Papa, juillet 2005) Comment oublier l épisode du petit cordonnier du bloc, pressé de réparer un anachronique landau d enfant par le méprisant SS Piepenstock et sa femme si inexpressive! Alors même qu il s active dans l urgence, sans connaître l heure et les délais, pour donner satisfaction à «ce redoutable SS à la si belle stature et à la tête de mort fièrement arborée», le petit cordonnier est frappé à la tête de trois coups de couteaux en demi-lune. La carotide est sectionnée, le sang coule, le corps s affaisse et le mourant est abandonné sur le pas de la porte. Il reste encore à nettoyer et à balayer les traces de la barbarie, en effaçant avec de la neige fraîchement souillée, les traînées de sang vermeil sur le plancher du baraquement. Et puis il y a aussi Pépick, ce frêle gamin tchèque de 9-10 ans qui a perdu toute sa famille et ses biens dans de la destruction de son village de Lidice, lors d une opération de représailles particulièrement dévastatrice menée par des SS revanchards. Le petit Pépick? Julien a fait sa trop brève connaissance en partageant avec lui un minuscule morceau de chocolat prélevé en secret sur un sac à dos qu il devait convoyer vers le magasin des SS. C est toujours et à jamais la larme à l œil, avec des sanglots dans la voix, que Julien s en souvient : «Le petit Pépick travaillait dans un kommando qui s appelait la Weberei. C était un kommando composé de jeunes : des enfants jusqu à ans. Ils étaient là pour découdre des vêtements et les Allemands en tiraient des tresses pour faire des chiffons. Le gamin, comme tous les autres, coupait ces vêtements. Son kommando partait l avant-dernier. Il partait avant nous. ( ) Il neigeait cette fois-là. Et le petit Pépick était en tête de rang, alors qu il neigeait à gros flocons. Et le gamin, comme tous les gosses de son âge, essayait d attraper ces flocons avec sa bouche. Mais il sortait un pied hors du rang. Et l un des SS, qui était là sur le côté, lui a crié quelque chose. Est-ce que le gamin n a pas compris? Il a continué à essayer d attraper un flocon de neige et il a encore mis un pied en dehors. Le SS a pris son fusil et a tiré. Il a troué la tête de Pépick et le gamin est tombé. Le kommando est parti et ils ont tous enjambé le corps qui était par terre. Le corps est resté là toute la journée, et il a neigé dessus. Et le petit Pépick est resté là... ( ) Pourquoi ne transportait-on pas les morts? C est parce que les SS avaient toujours la notion du nombre. Ils calculaient tout le temps. Il y avait des appels et il fallait compter les corps. Les kommandos redescendaient avec leurs morts, car il fallait les recompter avec les autres. Les Allemands, ils avaient toujours je ne sais pas! la folie du compte exact des stücken qu ils avaient! Et puis après, il est parti. Il est allé se faire incinérer avec tous les autres. Et je revois encore ce gamin ; je le vois tomber la tête trouée par cette espèce de courageux et héroïque SS qui avait tué un ennemi énorme. C est un détail horrible, mais c est un détail qui me reste en tête». Il y a encore les coups, et la frousse des SS lorsqu ils inspectent les blocs. Ces blocs, justement, dans lesquels les Allemands vous déménagent constamment et qu il a fallu parfois construire, aux limites de l endurance : «On montait à huit un panneau. On l avait sur l épaule. Et moi j étais le dernier portant le panneau. À un certain moment, les deux premiers ont trébuché et il a glissé. Il est tombé et on n a pas pu le retenir. Mais les SS étaient là avec nous : furibards! Ils ont parlé de sabotage, etc. Et ils nous ont fait mettre la tête penchée en avant. Les premiers qui avaient laissé tomber ont eu 25 coups de gummi. C était un tuyau Je ne peux pas mieux le comparer qu à un tuyau de pompe à essence, et il y avait une dragonne pour le tenir. Moi j ai reçu les 20 coups dans le dos, dans les fesses, etc. Faut dire que ce n était pas très agréable. Et les autres, les 25 coups, c était encore moins agréable aussi!». Dans la Bavière glaciale et enneigée, il y a encore le froid prenant, ces 20 degrés en dessous de zéro qui rendent si difficile le lever à quatre heures du matin ou la construction de nouvelles baraques. Julien n a que de simples

13 coturnes de bois dans lesquelles flottent ses pieds, emballés dans des pauvres loques rudimentaires arrachées sur les corps froids des camarades fraîchement décédés. Dans le camp, justement, il y a bien des camarades, mais très peu d amis, pour la bonne raison que les têtes connues sont toutes dispersées. Et puis les amis, on les perd! L un part à gauche, l autre part à droite, beaucoup meurent En outre comment s y retrouver parmi tous ces types de tous les âges et de toutes les nationalités? Il y a des Allemands, des Autrichiens, beaucoup de Tchèques et de Polonais, quelques Russes, des Français, des Italiens et des Belges, aussi. Mais pas de femmes, ou alors des cadavres nus et décharnés avec la tête rasée, ces cadavres qui, à l une ou l autre occasion, sont déversés dans des bennes à l aide d une fourche à boule. Il y a bien les 6 ou 7 femmes du sonderbau, le bordel des SS, juste derrière la prison du camp. Ces femmes esseulées, qui gardent encore leur chevelure à défaut de leur dignité, sont incarcérées pour le seul bon plaisir des Allemands. Sur un seul ordre des kapos, elles sont l objet de toutes les convoitises lors de soirées particulièrement arrosées organisées après le couvre-feu, où les participants trinquent à coup de liqueur fabriquée avec une partie de l alcool réservé pourtant à l infirmerie. Que dire de ces esclaves contemporaines déportées du camp de Ravensbrück qui, contraintes ou volontaires pour échapper à une plus triste condition encore, sont recrutées et installées dans des baraquements spéciaux afin d offrir, contre un simple bon prämenschein, une prestation sexuelle obligatoire? Comment faire pour tenir le coup, alors que Julien n a pas une constitution de fer? Avec humour et ingéniosité, deux qualités qui peuvent vous sauver la vie dans cet océan de malheur. Quand Julien est débarqué dans le camp, il est considéré pendant un certain temps comme un unbeschäftigt, un «inemployé», un «inoccupé». Pour ces types-là, aucun emploi n est prévu dans l organigramme général, de sorte qu ils sont corvéables pour tout et partout. Les Allemands viennent souvent chercher 25 ou 50 stücken, ces détenus n étant rien de plus que de simples pièces de main d œuvre à épuiser dans tous les travaux possibles et imaginables, des plus pénibles au plus inutiles. Julien travaille tour à tour dans la carrière ou dans l édification des baraques, mais le plus horrible, au cœur même de l indicible, c est le transport des cadavres : «Il y avait un crématoire, et il y avait une rampe. Il y avait aussi une espèce de wagonnet et les cadavres qui étaient empilés étaient Auschwitz (cliché descendus au wagonnet et le crématoire brûlait. Et puis de Julien Papa, juillet 1995) il y avait une autre voie derrière pour descendre. ( ) Ce crématoire consommait 100 stücken par jour, mais comme la mortalité était beaucoup plus grande, il fallait empiler les cadavres pour faire des bûchers. Ces bûchers avaient lieu une fois par Reconstitution de la plaque de détention à Flossenbürg de Julien Papa (Nacht und Nebel, ) semaine, et puis deux fois par semaine. Et une fois, avec d autres, nous sommes allés constituer un bûcher. Et c était une histoire horrible». Mais à Flossenbürg, le camp est double car il y a aussi, à côté de la partie où étaient incarcérés les détenus, un autre espace réservé à l usage des seuls SS. Et dans l organisation générale, les gens de métier peuvent y être employés pour les corvées d entretien, qu il s agisse des maçons, des menuisiers ou de tous les gens du bâtiment en général! Lorsque Julien est interrogé, il déclare, rusé, qu il est vitrier de profession. Pourquoi? Tout simplement parce que son père a une entreprise de vitrerie à Andenne et qu il a déjà travaillé avec lui. Et c est ainsi qu il est incorporé dans le kommando chargé de l entretien du camp, ce qui lui permet à maintes reprises de bénéficier d un fond de soupe ou d une ration de pain supplémentaire. Mieux, il peut voyager d une partie à l autre du camp. Julien va donc remettre des vitres avec diligence, quitte à faire preuve de débrouillardise en apprenant à casser les carreaux à coups de cailloux adroitement et imperceptiblement lancés d un coup de pied bien ajusté. Quitte à mettre du verre armé lorsque les fenêtres sont trop souvent brisées Julien va partout, du sinistre crématoire à la tour-mirador n 7 très haut perchée, du bureau impeccable du commandant du camp aux baraques crasseuses, de la salle de séchage où l on prépare des légumes déshydratés (ail et oignons) jusqu au bordel des SS. 13

14 14 Et parfois même, la seule fois où il porte le costume rayé, il peut également aller jusqu au village voisin : «Je suis allé vitrer toute la villa du maire de Flossenbürg. Je suis parti, mais les vitres étaient déjà là-bas. Je suis parti avec mes outils et mon bidon de mastic, avec 2 SS et 2 chiens. Et ça a duré trois jours. Il y avait dans la maison une femme qui était là avec un air sévère, et elle me suivait partout. Et quand j ai eu terminé, elle a mis un doigt sur sa bouche et m a montré ma boîte avec les outils. Dans la boîte, elle avait mis trois oignons Des gros oignons rouges que j ai bouffés tout de suite en remontant dans le camp! Cette femme, je ne sais pas qui c était Probablement la mère du maire de Flossenbürg. Et quand je suis retourné à Flossenbürg, je me suis toujours dit que j irais casser le carreau central de la maison. Je n ai jamais retrouvé la maison, parce qu on avait reconstruit à côté des maisons identiques!». Le seul contact qu il entretient avec l autorité? C est lorsqu il s occupe de placer une plaque de verre sur la table de nuit de son chef de kommando, l Oberchaftführer Josef Müllerschön. C est toujours une drôle et périlleuse affaire, car Julien garde toujours bien ancrée dans ses tripes la frousse de la moindre tache, de la moindre histoire qui pourrait signifier la dégradation totale. Le chef du kommando est un Waffen-SS, un militaire qui a servi dans les chars et a été blessé à la hanche sur le front russe. Revenu comme gardien dans le camp, l Allemand doit lui aussi supporter son lot de malheur : de l incarcération de son fils à Stalingrad en passant par la disparition de ses filles et de sa femme, brûlées vives lors du bombardement au phosphore des Américains sur la ville de Hambourg. Difficile, dès lors, d engager la conversation : «Je vois une photo et il me dit : "C est à cause de lui que tu es ici. C est pour celui-là". Et il y avait un cadre et c était Heinrich Himmler, avec sa petite gueule de rat. J ai rien dit, tu comprends bien, j ai rien dit du tout. D ailleurs il ne fallait jamais parler avec eux Et quand on était devant des SS, il ne fallait jamais les regarder. Il fallait toujours baisser la tête. Tous les SS obligeaient tout le monde à baisser la tête!». Mais si Julien s en sort, c est aussi parce qu il a passé de très mauvais moments à l infirmerie! Car après s être battu avec un Polonais qui volait la paillasse de son copain Lucien Delfosse, il se blesse au poignet et aux doigts, de sorte qu il souffre d une lymphangite, une «traînée de sang» qui entraîne, comme complication, une sténose carotidienne supérieure. Un malheur et une chance car le sinistre docteur bavarois Heinrich Schmidt officie tel un assassin au cœur même de l infirmerie. Il est chargé par le haut-commandement militaire allemand et le commandant du camp, l officier nazi Otto Max Koegel, d examiner les infections touchant les soldats de la Wehrmacht. Ses expériences sordides consistent à infecter des patients sains et à étudier la vitesse de progression de la purulence! Julien est donc un sujet d étude tout trouvé. Voulant prouver aux trois médecins Pierre Michelin, Pierre Bonnard et Gaston Crouzet de Marseille, la supériorité des praticiens allemands sur la «chirurgie de Auschwitz (photographie de Julien Papa, juillet 2005) merde» française, le professeur Schmidt l opère même «à froid», sans anesthésie et avec du papier WC en guise de pansements. Transporté à l infirmerie, Julien peut passer la majeure partie de l hiver, de janvier jusqu aux premiers jours de mars, à l abri des grandes vagues de froid. De cette période, il confie même : «J avais un jeune étudiant en médecine de Ljubljana. Ce brave petit Anton de 25 ans me mettait le thermomètre, mais ma température ne descendait jamais! Pourquoi ne descendait-elle pas? Parce que, vieux truc de l armée, je prenais le thermomètre et je chauffais le mercure entre les deux doigts... Un beau jour, il m a dit : "Belga, tu es mort!". J avais chauffé trop fort mon thermomètre et il était passé à 42. J étais donc mort... Mais il l a secoué et j ai eu 39,2! Ça faisait enrager Schmidt, parce que chaque fois qu il passait comme un grand professeur d université, avec les médecins derrière lui et avec sa tenue blanche, il s apercevait que je n étais pas un cas précis pour lui, ou trop précis peut-être Il me donnait des médicaments que je ne prenais pas, bien sûr!». Julien reprend peu de temps après le travail, continuant à remettre inlassablement des carreaux dans tout le camp. Jusqu au 20 avril 1945, jour où le camp est survolé par des avions américains : «On s est dit : "C est ça! Nous sommes libérés, nous sommes libérés ". Et enfin, on ne l était pas encore!». Il reste encore la marche de la mort, le retour en Belgique et, surtout, le souvenir des camps et des atrocités nazies à perpétuer, pour que les jeunes générations jamais n oublient

15 LIBÉRÉ! Lettre de la Croix-Rouge française (6 mai 1945) Retrouvailles familiales (17 mai 1945) Julien et Jeanne se retrouvent (17 mai 1945) 15 Télégramme de Julien Papa annonçant son retour depuis Arlon (13 mai 1945)

16 UNE MÉMOIRE ENTRETENUE À vous maintenant de fabriquer le pain blanc de votre propre destinée 16 Lorsque le 20 avril 1945 des avions américains survolent le camp de Flossenbürg, les soldats allemands étendent de simples draps blancs sur les toits des blocs. Les détenus candides peuvent enfin! entrevoir les premiers signes de la liberté. Mais dès le lendemain, l histoire se complique pour Julien Papa. Fini la blancheur de la paix! Les SS rassemblent les quelques hommes encore valides en 4 colonnes de marche et, dès la sortie du camp, commence la tristement célèbre «marche de la mort», un dernier périple d environ quatre-vingts kilomètres au cœur de l innommable! Cette course contre la mort des derniers survivants dure pas moins de trois jours et deux nuits, au cœur de la forêt allemande qui jouxte la forêt de Bohême, l Oberpfläzer Wald. Julien raconte, toujours bouleversé : «À un certain moment, on s était égaré dans les champs sur le côté, et c était un marécage. Mais il y avait un groupe de SS qui tuaient sur la route tous ceux qui ne savaient plus avancer, qui ne bougeaient plus ou qui s asseyaient, même si c était simplement pour faire pipi. Paf liquidés! Et moi j essayais de sortir des bas-côtés pour me mettre sur la route, et je n y parvenais pas. Et ce sont deux Français, Georges Lefèvre et Edmond Frémondière, qui m ont pris par le bras et qui m ont envoyé sur la route. Et je suis reparti mais on marchait péniblement. Une colonne, ce n était pas des gars qui marchaient au pas cadencé!». Le 23 avril 45, sa colonne arrive un peu après Cham, un terrain d aviation dans la forêt de Bavière que les Américains étaient en train de bombarder. Les troupes américaines et leurs chars sont au bout de la rue d un petit village, celui de Thiersltein. Dans un dernier baroud d honneur, les SS prennent position dans le petit bois, juste à côté, et ouvrent le feu, aussitôt suivis par les répliques américaines. Comment Julien peut-il donc survivre, alors qu il se retrouve impliqué en plein milieu des combats? «Des mitraillettes et des mitrailleuses contre des chars, c est de la foutaise militairement parlant. Et c est à ce moment-là que je me suis dit : "Je ne vais quand même pas, juste maintenant que les Américains sont à mètres, me faire bêtement tuer par une balle américaine». Alors Julien rassemble ses dernières forces et court une ultime fois. Il saute dare-dare dans le fossé, se réfugiant dans un petit trou qu il y avait entre les arbres! Et il n a plus bougé. Un SS tout habillé de noir, allongé à ses côtés, n a plus bougé non plus! Des impacts de balles trouent son uniforme noir impeccable, sur lequel pend une croix de fer négligemment. De cet épisode, Julien se rappelle : «Je me suis dit : "Il ne bougera plus. Moi non plus!". Alors j ai pris sa croix de fer me disant : "Ça c est un souvenir, un souvenir de guerre". Voilà la croix de fer, que j ai eue au combat. Pas au mien. Mais au combat des Américains et des autres. Et alors d une façon, c est moins glorieux, j ai pris son porte-monnaie avec 366 marks, me disant si je dois aller acheter quelque chose, j aurai quand même un petit peu de marks. Je m en suis pas servi, et j ai jeté le porte-monnaie dans la gare à Arlon, en me disant : "Je n en ai pas eu besoin". Voilà l histoire de ma croix de guerre. Ça j y tiens! C est peut-être la plus belle décoration que j ai eue». Sitôt la fin de l escarmouche, les rescapés s avancent vers les chars américains qui s apprêtent à repartir vers l aérodrome. Ils rassemblent leurs rudiments d anglais et obtiennent, avant le départ des libérateurs, une partie de leurs rations de campagne : des chewinggums, du papier et des préservatifs! «Nous nous sommes retrouvés comme ça avec ces histoires-là. Et puis nous sommes allés un peu plus loin, et là alors nous nous sommes retrouvés dans ce petit patelin de Thierlstein. Nous étions libres. Et nous sommes restés là. Donc d avril à mai, nous sommes restés encore tout seul. Libérés bien sûr, mais livrés à nous-mêmes. Et vivant presque sur l occupant. Nous étions nous l occupant». Finalement, Julien est repris par des soldats américains, avant d être convoyé à Würzburg. Il commence alors son voyage de retour, avec son compagnon d infortune Roger Becker

17 PAR UN SURVIVANT de Jodoigne. Auparavant la fidèle Jeanne, déjà endeuillée par la perte de son frère que Julien avait d ailleurs retrouvé pendant la campagne de Belgique et au beau milieu du camp de Flossenbürg, avait reçu une lettre de la Croix rouge française qui l avertissait de la survie de son époux en Allemagne et de son bon état physique. Le 14 mai, Julien envoie déjà un télégramme depuis Arlon à son épouse, télégramme qui ne sera reçu que le 15, mais il faut attendre le 17 pour que Julien retrouve finalement les siens. Le retour n est cependant pas si facile, comme Julien l explique : «Ma maman me dit : "Ton papa ne veut pas te reconnaître. Il dit que ce n est pas toi!". Il avait un petit peu fêté ça avec des copains et, quand je suis arrivé, il a dit : "C est nin lui!". J ai dû finalement utiliser un subterfuge. "Tu as profité que j étais parti pour me piquer une de mes cravates". Car il avait une de mes cravates! Et il a dit : "C est quand même bien lui ". Et c est comme ça que ça a redémarré. Après la vie, ben il n y a rien eu à faire. Il a fallu revivre et reprendre. Et tout le monde venait te trouver pour te demander ce qui s était passé. Etc., etc., etc.». il devient officier de réserve honoraire et reçoit définitivement, le 1 er janvier 1974, son congé définitif des obligations militaires, au titre de capitaine-commandant de réserve. Mais bien qu il ait demandé et obtenu, pour des raisons administratives, sa reconnaissance en qualité de résistant armé et de prisonnier politique, Julien n a pas le goût des armes. Alors il reprend, un temps, le métier de vitrier de son père qui, à ce moment-là, n est pas tellement bien portant. Mais les curieux se bousculent, et les questions le poursuivent : «Avez-vous bien connu untel? Qu est-ce qu il est devenu?». Des questions auxquelles, le plus souvent, il ne peut jamais apporter de réponses. Carte d officier de réserve Julien essaie donc de revivre, pour sa femme qu il avait épousée en 1942 et ce, malgré l absence d emploi et les cauchemars qui, des années après son internement, troublent encore ses nuits! Que faire comme métier quand on a si longtemps vécu loin des siens et de la réalité du quotidien? Julien peut s engager dans l armée où il a été soldat pendant la guerre avec le grade de sous-lieutenant auxiliaire de 2e classe. Dès 1945, Pour se reconstruire, il se réfugie alors dans une ferme à Haillot, sur les hauteurs d Andenne. Mais là aussi, Julien n est pas tranquille. Au lendemain de la guerre, nombreux sont ceux qui doutent toujours : «Quand nous sommes revenus, et qu on nous a raconté ce qui s était passé, et que nous avons commencé à raconter ce qui nous était arrivé à nous, c était tellement Il faut bien se dire que nous sommes arrivés en 45, et en 45 c était l euphorie en Belgique, et un peu partout d ailleurs. C était la fin de la guerre, c est ce que j appelle la Glenn-Miller s Story Les gens mangeaient à leur faim, les gens étaient libres et les femmes se rhabillaient convenablement : elles se maquillaient! La vie reprenait d une façon normale. C était joyeux, et puis il y avait le besoin de s extérioriser après la période d occupation allemande. Nous sommes revenus et nous avons expliqué. Et on ne nous a pas crus. (...) On nous a pris pour des doux-dingues. 17

18 Et nous nous sommes arrêtés pendant quelques années. Il a fallu le procès Eichmann pour que l on regarde à la télévision les images, les films tournés là-bas, sur Auschwitz notamment, où l on voyait jeter les cadavres partout. Il a fallu cet événement pour que les gens commencent à se rendre compte de la situation dans laquelle certains avaient vécu et qu eux n avaient pas connue. Alors à ce moment-là on a commencé à nous croire, sans passer pour des maboules, des dingos». Des copains avec qui parler et témoigner, Julien en rencontre certains après la guerre, mais ils sont bien trop rares. Un certain Edmond Frémondière, qui habitait juste en face du château de Langeais et auprès duquel il apprend à aimer le Bourgueil. Et puis Georges Lefèvre, le directeur de l hôtel de la gare à Carignan. Et puis encore son copain de Jodoigne, Roger Becker Toujours le souvenir revient, la mémoire réfléchit, et l esprit cherche à comprendre les cruautés infligées, par exemple par les SS-Totenkopfverbände : «Ces SS, ils avaient tous une tête de mort. Ceux-là c étaient des crapules, des salauds. Et je me suis posé souvent cette question : mais finalement, ces gens n étaient-ils pas fragiles? Fragiles en ce sens qu ils avaient toujours au-dessus d eux un chef qui avait un chef, qui avait un chef, qui avait un chef, qui avait un chef Ils devaient toujours montrer, vis-à-vis de l autorité qui les submergeait, qu ils étaient durs, salauds, féroces et crapuleux. Ils en remettaient pour se faire bien voir, par exemple le soir d un avancement Mais ils étaient fragiles! L individu lui-même était un individu fragile, car il n était précisément pas lui-même! Il était sujet de l autorité qui le dominait. Le jeu c était ça! Mais ça ne veut pas dire que je leur pardonne, ce n est pas ça! Mais j essaie, j essaie de comprendre maintenant, après coup». plateau en déclarant : "Ce champagne vous est offert par la direction du casino de Vichy". Le Karl était retombé sur ses pattes et il était devenu le directeur du casino des fleurs à Vichy Et Max était devenu le directeur du casino à Zürich. Ces types étaient retombés sur leurs pattes. Et ça, j ai trouvé ça extraordinaire!». Il est vrai qu une curieuse relation s était nouée avec ce dernier kapo, à qui Julien, pendant un certain nombre de jours, a raconté une blague comme dans les Contes des mille et une nuits. Que dire de ces blagues, de plus en plus salaces, qu il a distillées à cet Allemand théoriquement ennemi alors qu il était censé s occuper de ses carreaux! L humour, ce condiment indispensable de la vie, il l a hérité de son propre père, l autre Julien Pap(p)a, celui qui a donné son nom au stade de football d Andenne. Un humour dont le survivant du camp de Flossenbürg a toujours fait usage pour, sans les priver de leur réalité et de leur sens, raconter les atrocités vécues afin d entretenir la flamme du souvenir. 18 Il y a parfois aussi la surprise, pas toujours désagréable, de retrouver un ancien gardien. Comment ne pas citer les kapos Karl et Max qui, à la tête des deux parties de l infirmerie, organisaient le soir en cachette des divertissements plus qu arrosés pour leurs autres collègues. Le 20 avril, ils ont sauvé les 1530 prisonniers de l infirmerie, en saoulant les SS du Vernichtungskommando qui étaient chargé de faire place nette avant l arrivée des alliés. Libérés par les Américains, ils ont fini tous les deux par se reconvertir Un jour, alors qu il boit une coupe de champagne avec quelques survivants dans le casino de Vichy, Julien fait une drôle de rencontre, grâce au docteur Michelin qui l avait sauvé à Flossenbürg : «"Est-ce-que tu veux bien qu un des gars de Flosse vienne nous dire bonjour?", me dit-il. "Oui, tous les gars de Flosse sont les bienvenus!". Alors il fait appeler, et on voit s amener un type en smoking, gros œillet à la boutonnière un Omar Sharif! Et il me dit : "Tu étais à Flosse, toi?". Et je dis : "Oui, et toi?". "Oui. Qu est-ce que tu étais?". "J étais vitrier". "Oh, belgische glaser!". ( ) C était le Karl en question! ( ) Et quand on appelle le maître d hôtel pour payer, il s amène avec le Une cheminée d Auschwitz (photographie de Julien Papa, juillet 1995)

19 Auschwitz (photographie de Julien Papa, juillet 1995) Entretenir la flamme du souvenir, justement! Malika Ben Brahim, évoquant sa mémoire lors d une cérémonie d hommages rendues aux anciens combattants, a tout récemment dit de lui : «Ce "plus jamais cela", une phrase que Julien a fait sienne en opposition à celle qu un SS répétait au camp devant les déportés lors du comptage quotidien : "Il n y a pour un déporté que deux chemins qui conduisent hors du camp. Ou bien il est libéré et passe le portail du camp, ou bien il voyage par la cheminée. C est le dernier chemin que prendront la plupart d entre vous!". C est pour tout cela qu il a choisi de témoigner et il l a fait tout au long de sa vie. Il était là lorsque fut organisé à Namur le fameux "train des 1000" en 1995, commémorant les cinquante ans de la libération des camps. Julien a parcouru les écoles du Namurois pour témoigner auprès des adolescents pour les préparer à ce voyage initiatique vers l indicible. Il était là récemment encore avec les jeunes du village de Bovesse et d ailleurs. Répondant toujours présent avec sa compagne Nicole à ses côtés, il ne rechignait sur aucun déplacement ou aucune prise de parole». Car pour Julien, les jeunes ont toujours eu et auront toujours un rôle à jouer, un rôle qu en parfait pédagogue il avait décidé de rappeler. Lorsqu il reçoit le prix Blondeau avec tous les représentants des Associations patriotiques namuroises en 1995, Julien ne peut donc que souligner : «Cette heureuse et prestigieuse distinction récompense toutes celles et ceux qui, il y a 50 ans, avaient ancrés dans l esprit le besoin intense de se battre pour la liberté, laquelle était pour eux une raison de vivre partout où l homme se doit de garder le sens de sa dignité et de ses responsabilités. Dans ces pays ravagés par la guerre, une bataille s était engagée pour le salut du droit et de la morale, parce que nous croyions aux forces éternelles de la conscience humaine, pour l épanouissement de la pensée et de tout ce qui fait la beauté de la vie. ( ) Cinquante ans sont passés avant que le flambeau tendu par leurs mains tremblantes ne soit repris par des mains jeunes, par des mains d adolescents attentifs, sérieux et responsables. ( ) Ma gratitude va à vous tous les jeunes, dont nous avons pu apprécier la qualité d écoute, le sérieux, les interrogations et la maturité des réflexions. ( ) Nous aussi, nous l espérons, nous vous avons apporté la levure. À vous maintenant de fabriquer le pain blanc de votre propre destinée, que nous espérons heureuse dans un monde serein». L humour comme porte de sortie (2009) 19

20 PÉDAGOGIE ET LAÏCITÉ La laïcité, c est une attitude d esprit progressiste et tolérante 20 Au lendemain de la guerre, Julien Papa a encore un atout dans sa poche : son diplôme d instituteur obtenu à l École normale de Huy auquel s ajoute en 1951 une «Capacité» pour l enseignement des travaux manuels enseignement secondaire obtenue auprès du Jury central. Avant et pendant la guerre, il a exercé son métier dans plusieurs écoles communales de la région d Andenne. Le conflit étant terminé, il peut finalement être nommé le 12 octobre 1945 en qualité d instituteur, dans la section préparatoire de l École moyenne de Namur, rue de fer. Et c est seulement à ce moment-là, précisément, que sa vie a reprend un peu normalement! Un ancien élève, Claude Hellas, se souvient avec émotion de son professeur : «J ai connu Julien Papa en allant à l École moyenne, rue de fer. J ai fait ma quatrième année primaire avec lui, dans les années et je dois dire que c était un professeur qui, à l époque, était déjà avant-gardiste, dans le sens où il respectait bien sûr le programme qui était imposé par les inspecteurs, mais il faisait agrémenter ses cours d épreuves pratiques. Tout ça posait parfois des problèmes parce que le directeur de l époque n aimait pas toujours... Monsieur Papa faisait des collections avec les élèves, par exemple des collections d emballages, des collections d un tas de choses, mais qui avaient toujours trait à ses cours. Il n était pas rare que lors d une récréation, sur le temps de midi après avoir dîné, ou parfois pendant 2-3 heures l après-midi du mercredi, on fasse de la pâte à papier pour réaliser des objets, des sculptures dont il nous avait parlés lors d un cours d arithmétique ou dans un cours d histoire où l on avait évoqué de grandes figures. On faisait même des reproductions de peintures! Tout était agrémenté! Il faisait du concret, alors que d autres professeurs étaient plus ou moins abstraits. C était aussi un professeur qui aimait bien faire des activités sportives, et il décidait par exemple, dans un moment creux de l année, de prendre une après-midi et de jouer une partie de football dans la cour. Ce qui posait encore problème avec le directeur. Et pour les excursions, c était la même chose. M. Papa, lui, faisait une excursion pour s amuser. On prenait des ballons, on prenait de quoi jouer et passer une journée entière. On n allait pas très loin. On ne faisait pas des kilomètres en car et on restait en général en Belgique. On allait simplement s amuser pendant toute une journée! Son cours, il le faisait comme ça. Son cours devait être attrayant, de sorte qu il a donné le goût des études à beaucoup de jeunes. ( ) Monsieur Papa voulait que ses élèves réussissent. D ailleurs il y avait très peu d échecs! Il suivait ses élèves. C était un professeur, malgré tout, très sévère avec beaucoup de discipline, mais qui était aussi un professeur excessivement gentil et agréable. Il ne criait pas. Parfois il te regardait ou il faisait un signe et tu avais compris C était fini! Par sa seule présence, il en imposait énormément et les élèves étaient très respectueux de leur professeur. Il n a jamais mis un élève à la porte de son cours. Il te faisait seulement mettre au fond de la classe. ( ) Je l ai revu une fois, avec son épouse, et on a reparlé de l école primaire Ça lui manquait, et je crois c est ce qu il m a laissé supposer que de passer au Fonds des constructions scolaires, ce n est pas quelque chose qu il a tellement aimé. Il était plus professeur parce qu il aimait donner ses cours et on le sentait. Les enfants, il les adorait, et je crois que l amour qu il leur portait, il le communiquait, parce que tout le monde allait vers lui. Et il te récompensait aussi : tu avais des bons points ou du chocolat ou des bonbons C était vraiment LE papa, c était un papa!». Julien Papa se consacre avec ardeur et passion à l enseignement, se voulant l avocat de l accession à un enseignement de qualité pour tous. C est autour du mouvement laïque, qui commence à s installer durablement dans des maisons de la laïcité, qu il songe à construire son école de demain : «La jeunesse confrontée avec les multiples transformations de la société dans laquelle elle cherche à vivre, doit en comprendre tous les rouages, tous les mécanismes si elle veut, autant que faire se peut, maîtriser son destin et préserver les valeurs essentielles de l Homme. ( ) Par l intermédiaire des