THÈME 5 LES FRANÇAIS ET LA RÉPUBLIQUE QUESTION 2 LA RÉPUBLIQUE ET LES ÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ

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1 THÈME 5 LES FRANÇAIS ET LA RÉPUBLIQUE QUESTION 2 LA RÉPUBLIQUE ET LES ÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ Chapitre 1 La République et la question ouvrière : Le Front Populaire DOCUMENTS VIDEO Documentaire «A nous la vie» (1h33 ) : INTRODUCTION Le régime républicain s est enraciné en France dès les années 1880 en s appuyant essentiellement sur les populations des campagnes et sur la classe moyenne naissante. En revanche, s étant édifié sur la base du rejet de la Commune et de son modèle révolutionnaire, le régime républicain se construit sans intégrer la classe ouvrière. C est pourquoi, les ouvriers ne se reconnaissent pas dans le régime républicain qu ils identifient plutôt à la bourgeoisie. En outre, malgré une amélioration de leurs conditions de vie au cours du XIXème siècle, les ouvriers continuent de vivre dans des conditions difficiles, aggravées par la crise économique de 1929 qui jette une grande partie d entre eux dans la misère et le chômage. Le Front Populaire, qui arrive au pouvoir en 1936 rompt avec cette situation en assurant l intégration des ouvriers dans la République. PROBLÉMATIQUE En quoi le Front Populaire marque-t-il un tournant dans les relations entre la République et les ouvriers? ANNONCE DU PLAN 1. Les ouvriers sont les principales victimes de la crise 2. La victoire du Front Populaire constitue avant tout une victoire ouvrière. 3. Malgré la fin rapide du Front Populaire, son empreinte sur le monde ouvrier est durable. 1

2 1. Les ouvriers sont les principales victimes de la crise A- Les conséquences économiques, sociales et politiques de la crise. La France est frappée plus tardivement que les autres pays industrialisés par la crise, mais à partir de 1931 celle-ci se manifeste par une chute des exportations et de la production et par une augmentation du chômage. Alors que le pays sortait d une situation de plein emploi, et même de manque de main d œuvre, dès 1935 le nombre de chômeurs atteint puis dépasse le nombre La politique de déflation aggrave la situation, car elle provoque une baisse des salaires. Les ouvriers qui vivent déjà dans une situation fragile voient leur pouvoir d achat diminuer significativement. Le mécontentement social se traduit par des grèves et marches de la faim qui se multiplient à partir de La crise économique rejaillit sur la vie politique du pays. Les Ligues d extrême droite profite de la crise pour dénoncer la classe politique jugée corrompue et responsable de la crise. Elles sont relayées par une presse d extrême droite qui diffuse une pensée à la fois antisémite, anticommuniste et antiparlementaire, tandis que la gauche est divisée par le Congrès de Tours qui donna lieu en 1920 à la séparation entre les socialistes (SFIO) et les communistes (SFIC). Par conséquent, au moment de la crise, la vie politique semble se radicaliser autour de l extrême droite, tandis que la gauche ne donne pas de réponse à la crise. La crise s aggrave quand le 6 février 1934, l extrême droite organise une manifestation, place de la Concorde à Paris, destinée à déstabiliser la République. Au lendemain de la manifestation, la presse socialiste (Le Populaire) et communiste (L Humanité) dénonce une tentative de coup d Etat. Socialistes et communistes organisent une contre-manifestation le 12 février 1934 afin de signifier leur attachement à la République et à ses valeurs héritées de la Révolution Française. B- Les ouvriers accompagnent la formation et la victoire du Front Populaire. C est dans ce contexte que la gauche va s unir pour sauver le régime républicain menacé par les Ligues d extrême droite. Le Parti Communiste 2

3 (PC) dirigé par Maurice Thorez décide alors (mais à l initiative de Staline qui pilote en réalité tous les PC) d abandonner la stratégie de refus de toute alliance avec les socialistes. Ainsi, en 1935, tous les partis et syndicats de gauche s allient au sein d une coalition, le «Front Populaire». Le 14 juillet 1935, de grandes manifestations communes sont organisées contre la menace que représentent les Ligues d extrême droite. Une majorité d ouvriers et d employés se rallient à ses manifestations. En vue des élections législatives de mai 1936, les partis de gauche parviennent à renoncer momentanément à leurs divergences pour concevoir un programme commun, fondé sur une intervention de l Etat dans l économie afin de relancer la consommation (keynésianisme) et de répondre en même temps aux aspirations des classes populaires appauvries par la crise. Ce programme commun s unit autour du slogan : «Le pain, la paix, la liberté». Cette alliance permet aux trois partis de gauche constituant le Front Populaire (Radicaux, SFIO, Parti communiste) de remporter les élections législatives de mai Le socialiste Léon Blum devient alors président du Conseil et forme un gouvernement composé de socialistes et de radicaux car le PC refuse de participer, se contentant d un «soutien sans participation». C- Les grèves de 1936 : une manifestation ouvrière de l espoir suscité par le Front Populaire. Dès l annonce de la victoire du Front Populaire, une vague de grèves spontanées et joyeuses éclate dans toute la France. Tous les secteurs de l économie sont concernés et on compte plus de 2,5 millions de grévistes. La singularité de ces grèves réside dans le fait que les ouvriers occupent les usines et qu elles s accompagnent de manifestations festives et de bals à l intérieur même des lieux de travail. La participation des femmes y est très importante. L occupation des entreprises, qui était jusque là une forme d action peu habituelle en France, est une manière pour les salariés à la fois de manifester leur attachement à leur outil de travail que de prévenir le recours à des briseurs de grèves. Ces manifestations joyeuses sont à la mesure de l ampleur de l espoir suscité par la victoire du Front Populaire. Ouvriers et ouvrières entendent montrer à la fois leur joie et leurs attentes vis-à-vis de la gauche désormais au pouvoir. 3

4 La grève devient vite générale et elle touche aussi bien les petites que les plus grandes entreprises et y participent aussi bien les salariés du commerce et de l agriculture que ceux de l industrie. Au cours de ces manifestations on peut observer les ouvriers agir comme un acteur social de premier plan. Dans la dignité et avec fierté, les ouvriers s affirment alors comme un acteur politique avec lequel il faudra désormais compter. Ce mouvement n est pas interrompu par les premières mesures prises par le gouvernement de Léon Blum et le patronat ne fait pas appel à la force publique pour réprimer ou évacuer les usines occupées. A aucun moment les ouvriers n utilisent la violence contre leur outil de travail. Puis, au mois de juin, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF intervient pour faire cesser le mouvement de grève, il déclare : «Il faut savoir arrêter une grève dès que satisfaction a été obtenue». Dès lors, le mouvement reflue progressivement. 2. La victoire du Front Populaire constitue avant tout une victoire ouvrière. A- Les Accords Matignon et les lois sociales. Sollicité par le monde ouvrier impatient, le gouvernement de Léon Blum convoque les partenaires sociaux (syndicats ouvriers et patronaux) moins d un mois après sa victoire électorale. Les 7 et 8 juin 1936, représentants du gouvernement, syndicats ouvriers et représentants du patronat signent les Accords Matignon. Ceux-ci prévoient des hausses de salaires (entre 7 et 15% selon le niveau salarial), le droit syndical et de grève est reconnu et le principe des conventions collectives est adopté. Outre les Accords Matignon, le gouvernement fait adopter dans les jours qui suivent une série lois sociales destinées à améliorer les conditions de vie des classes populaires: Deux semaines de congés payés annuels. Semaine de travail réduite à 40 heures au lieu de 48, sans réduction de salaire. Par ailleurs, afin de relancer l économie, le gouvernement prend les mesures suivantes : Nationalisations des industries d armement et des chemins de fer (création de la SNCF). 4

5 Création d un Office National du blé afin de garantir des prix minimum. Réforme de la Banque de France. Un programme de grands travaux prévoyant l électrification des campagnes, la construction de routes, de ponts, d écoles et de stades a pour ojectif d élargir le marché et de moderniser l économie. B- Une reconnaissance sociale de la classe ouvrière. Après avoir pour la première fois octroyé du temps libre aux ouvriers, transformant de la sorte radicalement le sens du travail pour les classes populaire; le gouvernement de Front Populaire prend une série de mesures destinées à démocratiser la culture et les loisirs : A l initiative de Jean Zay, ministre de l Education Nationale et des Beaux-Arts, la scolarité obligatoire est portée de 13 à 14 ans. Sous l impulsion de Léo Lagrange, ministre de la Jeunesse, des sports et des Loisirs, des billets de chemins de fer à tarif réduit sont accordés pour aider les classes populaires à profiter de leurs congés payés ( personnes bénéficient de ces congés payés en 1936 et 1,8 millions l année suivante). Le même ministre, Léo Lagrange, encourage le mouvement des auberges de jeunesse et la diffusion du sport dans les classes populaires. L ensemble de ces mesures transforme la vie quotidienne des ouvriers et le sens du travail dans leur vie. Souvent reconnaissants à l égard du gouvernement qui est à l origine de ces mesures, les premiers vacanciers ont souvent manifesté leur gratitude à Léon Blum (envoi de cartes postales par exemple) C- Renouveau et mutation du mouvement ouvrier. Le soutien du Parti Communiste Français à l action du Front Populaire constitue un changement important car c est la première fois dans son histoire qu il se rapproche de la République considérait jusqu alors comme bourgeoise. De la sorte, la classe ouvrière française qui s identifiait largement au PCF se rapproche elle aussi du régime républicain. 5

6 En outre, les Accords Matignon obtenus à la suite de négociations tripartites (syndicats ouvriers, patronat et gouvernement) modifient durablement les pratiques ouvrières. En effet, après cette date, les organisations politiques et syndicales ouvrières connaissent un afflux d adhérents et redéfinissent leur rapport à l Etat (que le PCF cesse alors d appeler «Etat bourgeois»), ce qui favorise la résolution des conflits par la négociation au lieu de passer nécessairement par l affrontement. La mise en place des conventions collectives après les Accords Matignon favorise également ces pratiques. 3. Malgré la fin rapide du Front Populaire, son empreinte sur le monde ouvrier est durable. A- Les difficultés et la chute du Front Populaire. Si la politique de relance économique et de progrès sociaux parvient à dissiper le mécontentement social, elle ne fait pas disparaître les difficultés économiques et le chômage persiste. Les déficits publics se sont creusés et l inflation a augmenté, absorbant les augmentations salariales. Dans ce contexte, Léon Blum annonce une «pause» dans la politique de réformes, provoquant du même coup les protestations des communistes et d une partie de la classe ouvrière. De nouveaux mouvements de grèves éclatent dès L extrême droite antisémite et le patronat profitent de cette situation pour attaquer violemment le gouvernement de Blum et pousse son ministre de l Intérieur au suicide après l avoir accusé à tort de désertion pendant la 1 ère Guerre mondiale. Les partis de la droite républicaine dénoncent le coût économique des mesures sociales prises par le gouvernement de Blum. Au même moment, le contexte international s obscurcit : en Espagne, républicains et nationalistes s affrontent dans une guerre civile. Ne pouvant pas compter sur le soutien du Royaume-Uni, Blum renonce à soutenir seul les Républicains espagnols, décevant du même coup les partis de gauche et une grande partie de l opinion publique. C est dans ce contexte, mécontentant le patronat et décevant la gauche, que Blum est contraint de démissionner en

7 B- La classe ouvrière est intégrée à la République. Bien que le gouvernement de Front Populaire n ait duré que deux années, il a été l occasion d une révolution culturelle sans précédent et a marqué profondément la conscience collective la classe ouvrière. En adoptant des mesures explicitement destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers, le Front Populaire a montré aux ouvriers qu ils étaient devenus des acteurs sociaux et politiques de la République. L expérience du Front Populaire a transformé radicalement l image du monde ouvrier. Il apparait désormais comme une catégorie homogène dont les liens se sont resserrés au cours des luttes et des victoires de 1936 et unie par des valeurs communes parmi lesquelles le travail tient une place centrale. Des syndicats forts représentent les ouvriers qui prennent alors conscience de leur force politique et sociale en tant que groupe. C- L héritage social du Front Populaire. Avec le Front Populaire, les questions sociales ont fait leur entrée dans la politique républicaine. Bien que l expérience du gouvernement de Front Populaire ait été courte, elle a inscrit durablement les questions sociales dans les préoccupations publiques. Cela se manifeste au lendemain de la 2 nde Guerre mondiale, avec le retour de la question sociale qui occupe une place de premier plan dans le projet politique du Conseil National de la Résistance (CNR) qui prévoit des nationalisations, la mise en place de la Sécurité Sociale, celle des Comités d Entreprises et du Salaire minimum (SMIG). L Etat Providence qui se construit en France au lendemain de la 2 nde Guerre mondiale s inscrit dans la continuité de l œuvre entreprise par le Front Populaire. En faisant accéder les ouvriers au temps libre, le Front Populaire a transformé durablement le sens du travail dans le monde ouvrier. Tout en permettant aux travailleurs d accéder à un temps libre de qualité, le gouvernement de Blum refuse de régenter le temps libre, mais se contente de mettre à la disposition des citoyens les moyens d occuper leur temps de manière épanouissante. 7

8 CONCLUSION Tandis que le début de la IIIème République parvient à rallier la France rurale à l idée républicaine, le défi réussi du Front Populaire a été de rassembler les ouvriers autour des valeurs républicaines. C est dans une crise du régime républicain qu elle parvient à le faire. Grâce aux réformes sociales du Front Populaire, la classe ouvrière devient un acteur politique de premier plan. Même si l expérience du Front Populaire fut courte, son héritage est durable et il sera repris au lendemain de la 2 nde Guerre mondiale par le programme du CNR. 8