L'ÉGLISE SAINT-BENOIT DE THOIRES PROJETS ET RÉALISATION

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1 L'ÉGLISE SAINT-BENOIT DE THOIRES PROJETS ET RÉALISATION par M lle Marie-Hélène DEGROISE Thoires, petite commune à l'écart de la route nationale de Châtillon à Chaumont, fait partie du canton de Montigny-sur-Aube. Sous l'ancien Régime, elle était le siège d'une seigneurie qui appartenait à la veille de la Révolution aux Le Rascle d'argenteuil. Le château seigneurial avait été démoli en 1693, mais la communauté possédait d'autres trésors architecturaux : un pont sur l'ource, construit en 1713, une église antérieure au xvm e siècle *. Pendant la période révolutionnaire l'incurie semble s'être emparée des édiles communaux : le pont sur l'ource est écroulé, l'église menace ruine, la grande fontaine est à réparer. Comme partout en Côte-d'Or au début du xix e siècle, une fièvre d'urbanisation et de modernisation s'empare de la municipalité. En 1817, on crée le lavoir sur la grande fontaine ; en 1822, le pont est reconstruit. Et en 1825, c'est au tour de l'église Saint-Benoît. PRÉSENTATION DE L'ÉGLISE A la demande du Conseil municipal, qui avait jugé l'ancienne église trop délabrée pour être restaurée, l'architecte de Châtillonsur-Seine, Simon Tridon, présente le 5 mars 1825 un devis estimatif pour la reconstruction de l'église 2. Ce devis est accepté moyennant quelques légères modifications une huitaine de jours plus tard. Les travaux sont adjugés à un tailleur de pierre de Prusly-sur- Ource, Joseph Mancy, et commencent tout de suite. On démolit d'abord l'ancienne église, qui remontait au moins au xvm e siècle, pour en récupérer certains matériaux, le reste servant à niveler et rehausser le sol de façon à assainir l'intérieur du nouvel édifice qui sera construit au même emplacement. 1. Cf. Arch. dép. Côte-d'Or, C 1144 et Cf. Arch. dép. Côte-d'Or, 2 O 628/1.

2 370 MARIE-HÉLÈNE DËGROISE Simon Tridon prévoit une église très simple, composée d'une nef à deux chapelles formant transept, un chœur hémicirculaire, un clocher placé à l'entrée de l'église et formant vestibule. L'édifice aura une longueur totale de 25 m, pour une largeur de 9,30 m en façade. La nef, à elle seule, fera 10,60 m de large. Les murs auront 0,65 m d'épaisseur. Les murs sont en maçonnerie d'appareillage régulier. La pierre de taille, tirée des carrières de Montliot, est employée pour les angles, les corniches, la porte d'entrée et les marches. Un enduit fait au mortier fin, dressé au frottoir et lavé d'un badigeon, les recouvrira ensuite. La couverture est prévue de tuiles plates pour la nef, sur une charpente alliant le chêne et le peuplier. Le clocher sera couvert d'ardoises, sa pointe étant munie d'un chaperon de tôle. La porte donnant accès à l'église possède un chambranle orné de moulures, surmonté d'une frise et d'une corniche. Deux marches permettent d'accéder au vestibule. La menuiserie est formée de deux vantaux avec panneaux d'appui, panneau de hauteur et panneaux de frise. Le vestibule, voûté d'arêtes, laisse, à droite, la place pour l'escalier de la tour, et à gauche la chapelle des fonds baptismaux, à l'origine fermée par une balustrade. La nef est donc en rectangle. Décorée de demi-pilastres d'ordre dorique, couronnés d'un entablement sur lequel repose une voûte de briques. D'un pilastre à l'autre, un arc doubleau apparent permettra d'augmenter la solidité de cette dernière. Les façades latérales sont percées de fenêtres circulaires. Les murs seront recouverts d'un enduit au mortier fin, dressé à la règle et au plomb, et recouvert d'une couche de blanc. La nef est pavée de carreaux de pierre : des pierres tombales récupérées de l'ancien édifice furent utilisées ; d'autres, datées du xvm e siècle, sont visibles à l'entrée du chœur, mais plus ou moins recouvertes par les bancs. Le chœur, Simon Tridon l'a prévu en deux parties distinctes. La partie comprise entre les deux autels latéraux est ouverte sur toute la largeur de la nef ; cette ouverture est surmontée d'une voûte elliptique surbaissée. A cet endroit formant en quelque sorte la croisée du transept, on placera plus tard le maître-autel. Malheureusement, dès 1851, la poussée exercée sur les murs goutterots par la voûte est telle que ces derniers sont écartés de plus de 20 cm par rapport à la verticale, et que la voûte menace de s'effondrer. Henri Monniot, successeur de Tridon, avec l'accord

3 EGLISE DE THOIRRS 371 du Conseil municipal, décide donc de reconstruire les murs de la nef, ainsi que la voûte, en plein cintre, «à la Philibert Delorme». La nef est alors prolongée de fait d'une travée et le maître-autel repoussé dans le fond du chœur. ÉGLISE DE THOIRES : NEF. De l'ancien chœur prévu par Simon Tridon, il ne subsista que le fond en cul de four, semi-circulaire, décoré comme la nef de pilastres d'ordre dorique, avec entablement couronné d'une calotte sphérique. Aujourd'hui, il est couvert d'un badigeon bleu roi, semé d'étoiles dorées, mais l'architecte avait prévu le même enduit que dans la nef.

4 372 MARIE-HÉLÈNE DEGROISE Pour terminer la présentation de cette église, il reste à dire quelques mots du clocher. C'est une tour solide, aux angles en pierre de taille, sertie de deux corniches. L'étage supérieur est percé d'une ouverture sur chaque face, munie d'abats-son de bois. C'est là que se trouve la cloche. La flèche est une aiguille à huit pans. Dès 1832, Simon Tridon présenta au Conseil municipal le devis pour l'installation d'une horloge sonnant l'heure avec la cloche, et les quarts sur deux timbres, horloge qui ne serait remontée que tous les huit jours. Celle-ci fut fournie par un horloger de Dijon, sis au 70 de la rue Saint-Nicolas, Lucien Fournier. LE MOBILIER ET LA DÉCORATION Le cadre architectural dressé, nous pouvons en venir maintenant au décor et au mobilier, qui furent tous deux prévus par Simon Tridon, et réalisés en 1827 par deux artisans locaux, Pierre Rouard, charpentier-menuisier à Courban, pour les bancs, et Théodore Thévenin, peintre et sculpteur à Chatillon-sur-Seine, pour le reste. La nef est garnie de deux rangées de bancs, à raison de dix-huit de chaque côté, en laissant au milieu un couloir de largeur uniforme. Ils sont placés sur un marchepied continu de plancher de chêne, et sont faits aussi en chêne, avec montants et traverses, le siège étant d'une seule pièce et les pieds à console. Les trois autels, la chaire et le confessionnal sont l'œuvre de Théodore Thévenin. Le maître-autel est «à la romaine» avec tombeau et gradin en chêne, peint à l'huile et marbré. Les sculptures et les filets sont dorés. 11 repose sur un marchepied en chêne à deux marches. Le tabernacle en rotonde est posé sur le gradin. Des colonnes supportées par un stylobate (soubassement à moulures) de forme circulaire sont couronnées d'un entablement enrichi d'ornements et surmonté d'un dôme formant au-dessus piédestal pour la croix. Les chandeliers et la croix qui ornent le maître-autel sont de la même époque, mais rien ne permet d'affirmer qu'ils sont dus à Théodore Thévenin. En revanche, la boiserie circulaire qui court au fond du chœur est bien l'œuvre de ce peintre-sculpteur. Elle est prévue pour être peinte, et disparaît aujourd'hui sous les différentes couches de peinture. La chaire à prêcher, quant à elle, a été fabriquée sur le modèle de celle de la commune voisine, Brion-sur-Ource. C'est une chaire

5 lïglisii DE THOIRES 373 «à l'impériale» entièrement peinte, qui comporte un baldaquin et est adossée à un pilastre. Au plafond du baldaquin est peinte une «gloire» avec un saint-esprit. A l'origine, le confessionnal devait être placé dans la chapelle des fonds baptismaux. C'est pour cette raison qu'il est dissymétrique, la place étant fort restreinte dans cette chapelle. Il est maintenant déplacé dans la nef contre le mur de refend et a été également décapé, puisqu'à l'origine il était peint. Il comporte une demi-porte, avec seulement le panneau du bas. Les autels latéraux sont consacrés à la Vierge et à saint Nicolas. Ce sont des autels de chêne reposant sur un marchepied également en chêne, marbrés et dorés. Les retables comportent une niche dans laquelle sont placées une statue de la Vierge et une de saint Nicolas. ÉGLISE DE THOIRES : GRILLE DE COMMUNION. En ce qui concerne les statues, Simon Tridon avait prévu de conserver un certain nombre de celles qui ornaient l'ancien édifice. Ainsi, le Christ accroché à l'arc-diaphragme qui ferme le chœur est-il du xvm e siècle, mais restauré en 1827 par Théodore Thévenin. Le saint Benoît en bois polychrome qui se trouve dans le chœur peut être daté du xvn e ou du xvm e siècle. La Vierge qui surmonte l'autel qui lui est consacré provient de l'ancienne église : l'architecte souligne que le bois est vermoulu et demande au sculpteur de la restaurer, puis de la peindre et de la dorer. Le saint

6 374 MARIE-HÉLÈNE DEGROISE Nicolas est, par contre, l'œuvre de Thévenin : il a été conçu pour être de la même grandeur que la Vierge, doré et peint comme celle-ci. Enfin, en 1832, un dernier ornement est ajouté à l'église par Tridon : l'appui de communion. Dessiné par l'architecte lui-même, il est réalisé par un serrurier de Châtillon, Alexandre Chappé. Il a 6 m de développement et sera placé en avant du sanctuaire. Il est composé de quatre pilastres dont deux accompagneront la porte à deux vantaux ; les deux autres, d'un dessin différent, sont placés aux extrémités attenant aux murs. Les panneaux entre les pilastres sont garnis de balustres d'ordre toscan, espacées avec régularité. Le tout est surmonté d'une architrave et d'une maincourante. L'intérêt de cette église est triple. D'une part, elle montre la pérennité du style et de l'école d'architecture du xvm e siècle dans ce premier tiers du xix e siècle : seul le devis nous permet de savoir que le saint Nicolas n'est pas de la même époque que la Vierge. Sans ce document d'archives, il eût été permis de l'attribuer au mobilier de l'ancien édifice. Ensuite elle fournit la preuve que la Côte-d'Or ne manquait ni de maîtres d'œuvre ni d'artistes de valeur : et pourtant Simon Tridon s'est adressé à des artisans de village, et non aux grands noms de l'heure. Enfin, cette église est également d'un grand intérêt parce qu'elle est intacte, a peu de choses près. Son architecture, le mobilier choisi par Tridon, les décors sont tous en place. Il suffirait de peu pour lui rendre son éclat primitif.